Quelques secondes plus tard, les deux miliciens s’étaient introduits dans le temple, juste à temps pour assister à une scène des plus regrettables. Un rayon de lumière aveuglant avait traversé la pièce centrale, émanant d'une incroyable orbe magique, avant qu’une brume noire extrêmement dense ne se mît à se répandre dans ce havre de pureté en recouvrant la puissante lueur divine iradiante. La magie noire s’était infiltrée en ces lieux pour le corrpompre. Kalissandre comprit alors que ses doutes étaient fondés, le messager était bel et bien porteur d’un mortel présage, à en juger par le prêtre qui gisait dans un coin proche de l'entrée, à quelques mètres du Sergent et de sa jeune apprentie semi-Hinïone. La comédie de cet être abjecte parvenait enfin à son terme.
Sans attendre, elle se précipita vers ce dernier et lui balbutia quelques mots de réconforts. Cet être semblait entre la vie et la mort, ses yeux palpitants eurent du mal à se fixer sur elle mais il parvint tout de même à articuler quelques mots.
« Mes frères. Ils doivent me soigner. »
Nul sang ne coulait, pourtant, le teint de l’adorateur de Gaïa était blafard, plus pâle encore que la peau blanche caractéristique des Hinïons. C'était un peu comme si son souffle de vie lui avait directement été volée et il était à présent au bord du gouffre, à l'article de la mort. Le Sergent, lui, s’était élancé dans la brume magique ténébreuse, l’épée dégainée. Dans le temple de la déesse de lumière, le sang ne devait couler, mais la protection de Luinwë et ses habitants primait sur les préceptes religieux qui régissaient ce temple.
Soudain, la voix du messager sombre se fit entendre. Elle semblait provenir de l’autel près duquel se trouvaient d’autres prêtres, apeurés mais prêts à user de leur magie lumineuse à l’instant même où l’individu maléfique se manifesterait à leurs yeux, si cela devait arriver un jour...
« Le messager que vous attendiez tous vous salut, mais il a regrettablement été intercepté. Merci de m’avoir aidé à parvenir jusqu’ici dans les meilleures conditions qu’il soit, je dois dire ! »
Il parlait d’une voix sarcastique et calme, traduisant la confiance qu’il avait en lui. Le sang glacé, Kalissandre ne savait pas comment agir. Elle pouvait bien tenter de tirer dans la brume, mais elle avait tout autant de chance d’atteindre Milor que cet imposteur qui les avait tous trompés. La brune comprenait maintenant qu’ils avaient été tous les deux dupés et que les doutes de la milicienne avaient été réellement fondés.
(Maudit soit-il…), pensa-t-elle en essayant de longer les parois de la grande salle pour éviter le nuage noir qui n’en finissait plus de s’étendre. Il gagnerait bientôt l’ensemble du temple et Kalissandre devait à tout prix conduire un prêtre vers l’entrée pour secourir le mourrant. La responsabilité d'une vie pesant sur ses épaules était bien trop lourde à porter.
Des éclats de fers croisés retentirent alors, signifiant à tous que le Sergent était parvenu à trouver le faux messager. Ce dernier poursuivit alors les révélations, entre deux échanges de coups…
« Sachez que les informations qu’il nous a révélées nous seront fort utiles. Vous pouvez d’ores et déjà prévenir Kendra Kâr, votre pitoyable culte de Gaïa n’a plus aucun secret pour nous. »
Même en aveugle, le Sergent de la milice semblait lui donner du fil à retordre et il s’interrompit alors, tandis que dans la salle, des cris et des voix angoissées se firent entendre, proférés par les prêtres. Kalissandre avait réussi à s’approcher d’eux et avec précipitation, elle sollicita leur aide :
« Un prêtre va mourir à l’entrée du temple si personne ne fait rien ! Il a besoin de vous ! Vite ! »
Sans attendre, le plus âgé d’entre-eux la suivit à travers les ténèbres magiques et se pencha sur son camarade religieux, apposant une main sur son front avant de lui insuffler de la vie. Au dernier moment, l’apprentie vit l’usurpateur prendre la fuite, aux côtés de trois autres acolytes, après avoir emprunté la sortie devant laquelle Kalissandre se trouvait. Il s'agissait des trois mêmes individus apperçus quelques minutes plus tôt dans les ruelles de Luinwë durant l'escorte.
« Milor ! Il s’échappe avec trois complices ! », s’écria-t-elle sans pour autant se lancer à la poursuite des déserteurs. Seule face à quatre adversaires, Kalissandre n’aurait pas fait le poids, armée de son simple arc et de son inexpérience.
Déjà, autour d’eux, la brume se dissipait, alors que le sombre individu s’évadait dans Luinwë, Milor lancé à sa poursuite.
« On se retrouve à la milice ! », avait-il eu le temps de lui lancer en quittant les lieux. Au moins, aucun sang n’avait été versé en cet endroit sacré et Kalissandre poussa un profond soupir de soulagement en constatant que les religieux étaient tous sains et saufs. En se rapprochant d’eux, elle trouva à terre une amulette dont la chaîne avait probablement été fendue par les coups du Sergent Milor. Se saisissant de l’objet qui constituait probablement un précieux indice, elle s’approcha des prêtres toujours paniqués. Ce n’était pas tant ce qui venait de se passer qui les avait perturbés, mais bien la nouvelle de la capture du véritable messager.
« Nous avons fait tout notre possible, je suis navrée. Qu’est-ce qui devait-vous êtres communiqué, au juste ? », chercha à s’informer la semi-Hinïone après avoir présenté ses excuses à l’assemblée bouleversée. Bien sûr, elle n’était en rien fautive de ce qui s’était passé, l’enlèvement ayant été bien antérieur au moment de l’escorte. Les religieux échangèrent des regards gênés, avant de lui répondre d’une façon évasive qui la satisfit néanmoins. Peut-être qu'ils n'en savaient tout simplement pas plus ?
« Une sombre menace pèse sur la ville, qui compte sur Gaïa pour s’en prémunir. Sans doute cet imposteur est-il maintenant au courant des plans du temple de Kendra Kâr et c’est donc là une bien triste découverte… Nous n’avons plus aucun moyen de connaître ses intentions pour nous porter secours. »
Kalissandre était confuse. Elle venait d’apprendre beaucoup de choses en même temps et les idées se bousculaient dans sa tête. Si Luinwë était en danger, alors ils se devaient de trouver une solution à ses problèmes au plus vite. La milicienne débutante espérait seulement que l’on continuerait à l’affecter à cette mission de la plus haute importance, dans laquelle elle n’avait, hélas, eu qu’un rôle extrêmement mineur à jouer.
« Je porterai, avec votre autorisation, ces informations à la milice, qui va probablement mettre en place une sorte… d’enquête approfondie sur le sujet. Il faut à tout prix mettre la main sur le message du véritable porteur et récupérer la précieuse information. »
Sans plus s’attarder en ce lieu, elle fit demi-tour pour se rendre d’un pas pressé à la milice, là où le Sergent Milor, tout essoufflé, l’y attendait déjà.
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