Le silence qui suivit cette déclaration permit à Aztai de peser les mots de la faera. Un avènement ? Cet être millénaire voyait-il réellement le potentiel évoqué par l'Ancien, Gaora et Lictaria ? Il n 'y avait décidément qu'une seule personne à convaincre, lui. La maîtresse magicienne donnait apparemment toute sa volonté pour aider le félin, les paroles de la faera l'avait certifié. Le monde semblait tourner sans lui ; Aztai était au centre de l'attention, mais il ne savait comment prendre les choses en mains, y croire ou ne pas y croire... il reporta son attention sur la faera et lui posa une question qui lui brûlait soudainement les babines, se remémorant sa discussion avec la femme de fenris :
-Avez-vous réellement rencontré Meno ?
Le poids de la question sembla affecté la faera, Aztai lui-même sentit à la manière d'une vibration que l'être magique réfléchissait, comme s'il partageait une partie de son esprit. La voix mit un peu de temps avant de répondre :
-En effet... c'est un temps révolu, mais sans doute la partie la plus glorieuse de mon lointain passé. Vois-tu, c'est Meno en personne qui m'a prit sous son aile, j'étais une faera encore jeune mais plein de volonté. Née naturellement des fluides de feu, je me suis très attaché à mon Meno ; qui pouvait avoir un maître meilleur que lui ? Un dieu en personne, peu de faera ont eut cet honneur... bref, je l'ai accompagné dans de nombreuses aventures lors de ses descentes sur la planète, j'ai tiré de cette expérience une sagesse et une connaissance incomparable... mais j'en ai aussi tiré beaucoup de peine lorsqu'il a fallu me séparé de lui.
-Pourquoi ne pas être resté en sa compagnie ?
-C'est ainsi. Les dieux n'ont pas besoin de faera naturellement, c'est principalement lui qui m'est venu en aide, et non le contraire. Alors quand le temps était à la séparation, Meno a sentit comme de la détresse en moi même si à l'époque je m'efforçais de la cacher. Il m'a alors conduit ici, sur les Monts éternels, s'est présenté là où tu te trouves actuellement et a posé son marteau tel qu'il l'est encore. Je me suis alors exilé dans cet outils forgé par mon maître, voyageant très peu, en phase avec ma solitude et ma méditation. Le temps à passé, aujourd'hui encore je garde en moi cette nostalgie, celle de la compagnie divine qu'il m'a offerte. Il a insufflé dans ce marteau, pour moi, un peu de sa magie afin que je ne me sente jamais seul. C'est ainsi que depuis, jamais je n'ai accepté de nouveau maître.
Le woran neige fut encore plus impressionné. Il se tenait à l'endroit même où son dieu s'était tenu des siècles et des siècles plus tôt.
-Vous pensez les prétendants indignent de votre savoir et de votre compagnie ?
-Loin de là, répliqua la voix. Cela ne relève que de ma décision, et non de la valeur, de la dignité des voyageurs venu quémander mon aide. Je ne me pense pas... capable d'accompagner un nouveau maître.
-Après tant d'années, de siècle ? Comment en être sûr, que cela vous coûterait-il ?
-Hé bien... J'étais lié à Meno, c'est un fait, mais tu dois savoir une chose. Il arrive parfois que le lien qui uni une faera et son maître soit si intense que les deux êtres ne fassent presque plus qu'un, la confiance devenant maîtresse de leur relation. C'est un phénomène qui reste extrêmement rare, c'était mon cas avec le dieu du feu...
-Qu'est-ce qui a provoqué cette séparation ? Enchaîna le félin.
-Peut-être le temps, peut-être son retour sur Nyr' tel Ermansi, le domaine des divinités... une chose était sûre : il devait en être ainsi, et nous étions prêts, enfin pour moi je le croyais.
Ces propos auraient du affecté le point de vue de la magicienne, la faera était claire : elle ne souhaitait pas servir un nouveau maître... Aztai tourna sa tête vers Lictaria et lui fit un signe désolé, ce ne serait certainement pas lui qui ferai changer d'avis l'ancien compagnon de Meno. Elle ignora son comportement et se concentra vers la faera :
-De quel avènement parlez-vous, Aztai vous inspire-t-il une prémonition ?
Le silence qui suivit traduisait le fait que l'être magique réfléchissait.
-Je ne m'aventurerai pas dans des réponses hasardeuses, le temps est une chose délicate... les visions des faeras réservent énormément de surprises.
-Voulez-vous parler de prophéties ? Tenta le fauve.
-De visions ! Répéta la voix, pas de prophéties. Les visions sont en quelques sortes des possibilités dans le futur, mais qui peuvent être évitées. Tout dépend des choix, des actes de chaque personnes concernées...
-Entre autre, reprit Lictaria, cela peut concerner une seule personne comme la planète entière, d'où la complexité du sujet.
-Je ne pense pas avoir l'esprit assez ouvert pour tout comprendre, marmonna le woran neige dubitatif. Vous voulez dire que si la vision s'avère... chaotique, c'est qu'il s'agit que d'une possibilité , et non de la vérité ?
-C'est l'idée, le problème étant que toutes les visions sont chaotiques, ce ne sont que des images de morts, de souffrance et de désespoir. Un tel fardeau ne devrait être légué à personne, ni même aux dieux...
Sur ces graves paroles, le silence retomba pour laisser siffler les rafales de vent glacées. Et puis :
-Ne voyez pas cela comme un fardeau, mais plutôt comme un don alors. Vous tenez la possibilité de changer le mal en bien, vous pouvez limiter les dégâts ! Exposa Aztai .
-Non... ce ne sont pas les faeras qui font tourner le monde, mais vous, habitants de Yuimen. Nous sommes à votre service, nombreux ont été et sont les maîtres interprétant avec échec les visions de leurs faeras, empirant les choses plus qu'autre chose... c'est un fléau, Aztai, crois-moi. On pense faire le bien, alors que les graines du chaos germent derrière nos choix.
Vu sous cet angle, le fauve ne pouvait argumenter et mesurait alors l'ampleur d'un tel fardeau.
-Alors que voyez-vous à propos de moi ? Si les visions sont le reflet d'un mauvais futur, je dois être au courant...
-En rien tu es son maître, coupa Lictaria, catégorique. Cette vision doit, je pense, rester sa propriété.
-Et si la propriété devenait une priorité, rétorqua Aztai. Il se tourna vers la faera lumineuse : que voyez-vous ?
-Aztai ! S'énerva la magicienne. Ce n'est pas une bonne idée, il l'a dit lui-même, les visions...
-... ne sont pas non plus à mettre de côté, conclut la faera millénaire. Lictaria, Aztai n'est pas mon maître tu as raison, rien ne m'oblige à lui communiquer ces informations. Cependant (au grand plaisir du fauve) il serait un crime de le laisser dans l'ignorance.
-Un crime ? Répéta la magicienne. Le mot est peut-être un peu fort...
-Il ne l'est pas ! Coupa la voix. Non il ne l'est pas... je crois que, malgré toutes ces préventions sur les visions et es actes souvent néfastes qu'elles provoquent, il est en mon devoir d'agir.
-Vrai ? S'exclama le fauve comme un gamin à qui on promet des bonbons. Vous acceptez de partager cette prédiction ?
-Vision ! Aztai, pas prédiction ! Hé bien pas vraiment, en vérité je vais faire mieux que cela.
Le woran neige était impatient de savoir la suite.
-Lictaria est venue il y a presque vingt quatre heure et la revoilà, depuis des siècles que je siège ici elle est la seule à avoir accomplit cette exploit. Nous nous sommes entretenus, le sujet évoquant inévitablement le fidèle que tu es ainsi que ton ambition. A ton tour et sans faillir te voilà en personne devant moi, je sais précisément dans quel but.
Le cœur d'Aztai se souleva, il attendit la suite avec appréhension. La boule de lumière que produisait la faera s'intensifia :
-Je crois venue l'heure de voyager un peu. Si je ne peux te révéler cette vision, c'est uniquement pour laisser le temps à ton potentiel de se développer, laisser le temps faire son travail.
Le félin n'en croyait pas ses oreilles. Il voulu en avoir le cœur net :
-M'accompagnerez-vous ?
-Et bien c'est à toi d'en décider, le maître seul en possède le pouvoir. Mais en effet, c'est mon choix.
Une explosion d'espoir pour le fauve, sa gueule s'étira dans un sourire et un soupir libérateur. Lictaria elle-même lâcha une exclamation de soulagement, expirant toute la pression. Se savoir en compagnie de la l'ancienne faera personnelle de Meno semblait incroyable, d'ailleurs qui le croirait. S'il devait être le maître, c'est à l'esprit magique que revenait toute la sagesse et la connaissance, une situation plutôt étrange à son avis. De suite il ne perdit pas de temps :
-Heu... en quoi est-ce que je possède ce pouvoir ?
-Pour faire tienne une faera, il faut simplement lui donner un nom. Cela semble assez banal, mais c'est un acte extrêmement important, prends ton temps.
Le félin ne se sentait pas de devoir nommer un être millénaire, même légendaire ! Il se concentra un moment, le regard sur le vide de la falaise. Les rayons du soleil perçaient les nuages de basse altitude, dans l'espoir de se frayer un chemin dans cette carapace opaque. Un peu comme le fauve, de tous ses ennemis il devait d'abord trouver la faille dans leur carapace, afin d'asséner le coup fatal. Cette image émue le woran neige, il avait là une vue parfaite de son aventure. Il leva les yeux au soleil, fermant progressivement les paupières. L'acte d'aujourd'hui devait être la pièce manquante, c'était la parole d'un être hors du commun, la confiance en soi qui lui manquait. Convaincu, enfin, il rouvrit les yeux et prononça :
-Alors ce sera Zénith.
La sphère de feu que produisait la faera s'intensifia et un vrombissement se fit entendre. Enfin, la voix répondit :
-Qu'il en soit ainsi. Moi Zénith, je quitte la solitude pour la première fois depuis plus de soixante vies d'homme, et t'accorde mon aide et ma sagesse dans ton combat.
Et puis, le feu faiblit pour ne devenir qu'une minuscule flammèche qui disparue en un éclair. Lictaria se tourna alors vers le fauve :
-Zénith ? C'est un nom bien trouvé.
-Je trouvais aussi... mais où à-t-il disparu...
La voix résonna alors dans son crâne :
(J'aime beaucoup aussi ! )
Une soudaine présence, presque agréable, se joignit à l'esprit du woran, procurant une vague de chaleur. C'était comme si, intérieurement, une enveloppe extérieur fusionnait de moitié avec ses pensées et ses idées. Aztai comprit que Zénith se liait à lui, ils formaient à présent un binôme.
(M'entends-tu?) Pensa le fauve. (Oui et nous communiqueront comme cela dorénavant) (Où est ton enveloppe charnelle, tu ne t'es pas volatilisé?) (J'ai pris place dans un objet, il n'y a que mon esprit ici. Avant que tu ne demandes, il s'agit du collier que tu portes autours du coup. J'ai senti comme une importance particulière, tu tiens beaucoup à lui) (C'est un présent auquel je tiens, tu as raison) (Nous les faeras affectionnons particulièrement les habitacles importants, et non de vulgaires objets) (Le pendentif n'égale en rien le marteau de Meno) (Pourtant je m'y sens comme chez moi)
Il émanait de l'esprit de Zénith une certaine satisfaction, ainsi qu'une pointe d'envie de partir à l'aventure. Aztai était fasciné de ressentir les états d'âme de quelqu'un d'autre à l'intérieur de lui.
(Tu es pressé de partir j'ai l'impression) (Je ne le cache pas. Même si la solitude restait un bon moyen d'apaiser ma mélancolie, c'était aussi une rivale : j'ai toujours aimé voyagé, grâce à toi je vais redécouvrir les continents de Yuimen!) (Peut-être pas de la meilleure façon, et c'est uniquement toi qui a décidé de quitter les Monts éternels) (Ne sous-estime pas ton influence, ni ton ton potentiel. Je te sais encore légèrement troublé par les événements, ainsi que ta position dans cette guerre. Mais c'est ta guerre, c'est toi qui est aux commandes, prends conscience de ton importance, tu n'est plus un simple pion sur l'échiquier!) (Peut-être suis-je le fou alors, inconscient et sillonnant le champs de bataille de travers... je sens là comme une première leçon) (La première et sans aucun doute la plus importante : la confiance en soi)
-Hé ! S'exclama alors Lictaria.
Le félin reprit ses esprits et posa un regard interrogateur sur la femme.
-Il vient d'intégrer son habitacle n'est-ce pas ? Ca fait souvent un choc au début, tâche de pas rester l'air bête quand tu discutes avec Zénith...
Le félin pouffa de rire et saisit le croc de woran à son cou, l'observant avec attention il fit à voix haute:
-C'est un honneur de partager cette aventure avec la faera que tu es, je suis reconnaissant de l'aide que tu m'apportes.
Répliqua alors une toute petite voix :
-Je savais que je quitterai un jour mon marteau, mais sur le dos d'un woran, ça jamais !
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