Il n'est pas à dénier, même de nos jours, bien après les « exploits » de Théodore le Jeune, que les murailles d'Eniod ont cette majesté digne des plus grands génies qu'une terre peut porter. Vous trouverez toujours certains pour vous dire qu'ils sont de piètre qualité en cas de telle ou telle attaque spécifique sur un flanc incongru et avec une légion de soldats expérimentés. Soit, accordons-leur. Bien qu'ils remplissent à de nombreuses occasions leur fonction habituelle, à savoir défendre d'une horde de malotrus les richesses dûment accaparées par des décennies de négoce expert, leur premier objectif fut, d'après notre héros, d'en mettre plein à la vue. Il était souvent ardu, à son époque, de ne pas s'affliger, s'attrister, s'épouvanter ou simplement désespérer de l'humanité – à prendre dans son acception la plus large possible, il n'est pas ici pour but un quelconque racisme – de voir des monuments architecturaux somptueux tomber en ruine aux quatre coins de notre terre, des pierres blessées ravager les bases des constructions ancestrales, des gargouilles honteuses d'une infirmité ou d'une autre, des tours abandonnées aux ravages des pluies, du vent et des pigeons ou encore des minarets percés se repaissant d'épaisses tuiles arrachées.
Aucune cicatrice n'ornait la peau dorée et ocre de la riche ville. Aucune entaille n'attaquait les créneaux impeccables de l'immense défense. Aucune mutilation n'empêchait les tours de guet d'observer les horizons jaunis et poussiéreux. Aucune balafre ne blessait les merlons, protection contre les flèches et le ridicule. Aucune disgrâce ne jurait par le vide des mâchicoulis. Aucune proéminence ne provoquait l'œil dans l'avancée des échauguettes. Aucun stigmate ne dissonait tout le long du chemin de ronde. Aucune dégradation n'abîmait le visage que présentait Eniod au reste du monde. Et surtout à Théodore le Jeune, ménestrel nouvellement itinérant, attiré par la fortune de la ville et subjugué par son apparence dès ses premières vues à son orée. Malgré la fatigue du voyage – ou son peu d'endurance à ton exercice physique – il piocha dans ses dernières forces pour se hâter auprès de la foule criant, hurlant, négociant, injuriant, alertant, aboyant, pillant, gueulant, acclamant, s'époumonant, s'égosillant, bref attendant de passer en payant le moins de taxes possibles dans l'antre des marchands. Lui, silencieux dans le vacarme, cible lente et dépassée parmi le peuple de la célérité, s'approchait les yeux fourbis par le soleil mais la tête haute braquée vers les portes. 
Taillées dans les chênes verts si reconnaissables de la région, elles promettaient une solidité implacable à tout bélier assez fou pour donner l'assaut avec la même assurance que, vivants, les arbres dont le bois provenaient des truffes exquises et recherchées. Creusées en ogive à même l'harmonie quasiment orchestrale de pierres, elles se paraient voire se dentelaient de fantastiques feuilles d'olivier sculptées descendants crescendo en une pluie mirifique allant de l'infime, du pianissimo, au prodigieux, à l'extraordinaire, au tape-à-l'œil – mais jamais vulgaire, au fortissimo. Vaste et glorieux symbole de l'opulence, du génie, de la beauté, de la richesse, du goût, il s'approchait maintenant au pas de bétail forcé par la multitude qui se massait, de l'œuvre colossale de tout un peuple qui affirmait au reste du monde la fierté de leur force, du grand esprit à la petite main, du maçon au mécène, du général au troufion, de l'architecte à l'apprenti. On devinait, derrière leur entrebâillement, un émerveillement de marche qui menait à une salle surélevée d'où un œil scrutateur et surélevé garantissait, paternel, la paix dans les entrailles de la ville. Théodore le Jeune marchait en contemplant pieusement la magnificence faite corps – ou muraille devrait-on plutôt dire.
« Une ville à la grandeur de mon art, de mon être, de mon ego » s'entendit-il clamer, tout haut, devant le regard tantôt ahuri, tantôt souriant, tantôt compréhensif, des badauds l'encerclant. Il prit alors conscience des gens qui l'entouraient. Bien entendu, il y avait des marchands, opulents et à la chemise ouverte sur une toison et une chaîne en or – la seconde brillait cependant davantage que la première ; une troupe de garçons et de filles qui, bientôt, colporteront, rangeront, approvisionneront, jetteront, vendront les marchandises diverses à cet instant entreposées dans de larges charrettes tirées par des chevaux de trait assommés par la chaleur, batifolaient allègrement apportant le sourire au reste de leur compagnie. De puissants mercenaires palabraient d'exploit, roulaient des mécaniques, haranguaient de leur virilité qu'ils croyaient placés dans leurs cris et leurs fourreaux l'inconnu d'une bande voisine qui rassemblait plus de cicatrices, défiaient et rigolaient, heureux d'être encore en vie et de toucher leur prime de risque. Rien que de bien normal. Cependant, l'œil alerte – et Théodore le Jeune l'avait – pouvait se rendre compte que la foule se constituait aussi d'un nombre étrangement grand tout d'abord de pécores en guenille, fourche et valise à la main. En déduire qu'ils fuyaient leur cambrousse, le simple d'esprit l'aurait compris ; mais aussi d'hommes d'arme, de soldats accomplis aux lames émoussées d'avoir trop servis, de chasseurs de prime aux étendards bariolés trop boueux pour sortir d'une parade, de coureurs de gloire aux armures trop fourragées par les coups répétés. Bref, les annonces d'une guerre et des sales, celles qui font fuir les paysans et ramènent estropiés les cœurs vaillants. Les moignons fleurissant à la vue de notre ménestrel comme le bourgeon au printemps et les mines d'enterrement contrastaient avec les rires joyeux des cortèges marchands. 
En clair, une aubaine pour notre barde inconnu de la ville. Il formait alors un pot pourri pour une future histoire les différentes histoires que se racontaient les gueules cassées. 
« … et v'la-t'y pas qu'une demi-douzaine de ces cinglés de shaakt nous tombent d'ssus comme le goéland sur l'étal d'un poissonnier aux produits douteux ! … Ils nous brutalisaient à coups de "Valshebarath ! Valshebarath !". J'y connaissais rien, moi, à leur déesse de merde. Ça les fous dans une rogne d'avoir cette folle comme divinité... que c'est là que l'gros Flo, il a pris un coup dans l'bidon. Pour sûr, ça lui a fait une boutonnière, du nombril au gosier. Qu'y avait tellement sang qui giclait sur nous qu'il aurait plu c'était pareil ! Une odeur, mon pote ! Les entrailles qui s'déversaient partout, ça pendait, ça pendait et lui, il essayait de tout remettre en place... Voyez-vous, je comprends pourquoi la milice se disait débordée. Nous, nous étions sept. Tous aguerris au combat, bien préparé et bien armé. Je suis le seul qui reviens et j'ai eu de la chance, je n'ai pas honte de le dire... Du'que c'est pas qu'c'est l'pire les combats, tu sais gamin ? C'est la f'rêt. Qu'elle est belle, n'rmalement, et qu'elle prévoit jamais d'grand danger à çui qui t'la traverse, gamin. Mais là, elle change. Elle est noire, comme eux. Ils la changent, gamin... Des monticules de cadavres. Ceux des copains tombés au combat bien sûr, mais pas que. Ils font des rituels obscurs, à n'en pas douter ; ils font quelque chose aux bois. Ils prennent même pas la peine d'emmener en esclavage les paysans qu'ils ramènent vivants d'une rapt, ils les massacrent, et salement... des yeux ensanglantés, une large robe d'un bleu nuit qui vous aspire la lumière en plein jour ! Et v'la qu'il psalmodie des trucs que j'y comprenais que d'chi ! C'est pas normal, là-bas. »
Le spectacle se déroulait déjà dans sa tête. Il ne fallait pas trop en faire, sans doute une fuite après une défaite. Reprendre cette histoire de monticule, d'horreurs, d'empilement de cadavres. « Ça fonctionne toujours », se disait-il. Comme pour toute bonne chanson, il fallait un combat. Probablement fallait-il reprendre cette histoire d'entrailles déversées. « Plus c'est sanglant, plus il y a d'applaudissements. » En plus, il avait un nom, ça fait toujours bien un nom, un vrai, ça vient plus naturellement. Gros Flo. Ça sonnait parfaitement. Je vous vois venir, vous qui entendez cette histoire. Vous vous dîtes que Théodore le Jeune arnaquait le chaland en lui refourguant des histoires qu'il n'avait pas vécues. Mais est-ce si grave que cela ? Certes, il tirait de la gloire de ses facéties pour des épopées qui ne lui étaient pas arrivées. Et alors ? Il y avait un grand nombre de guerriers revenus du front et les bavardages corroboraient pour monter une terrifiante nouvelle, une situation brutale et horrible. Seulement, il s'agissait de guerriers, pas de conteurs. Les nouvelles se répandent toujours mieux lorsque le talent les aide. Certains se battront toujours, mais ce ne sera jamais leur travail de promouvoir les exploits, d'apporter des informations.