Malgré la cape de Théoperce, les vêtements encore chauds, le contraste pour le corps est saisissant. Avant que la peau ne soit parcourue d’un frisson, ce sont les poumons qui paraissent s’emplir de glace à la première respiration. Il tousse, sa gorge sèche irritée par ce brutal changement d’atmosphère. A l’odeur cuite du sable succède l’anesthésie de l’odorat sous les courants d’air glacés, que surmonte à peine la puissante odeur de sel et d’iode venue de l’océan. La touffeur s’est dissipée pour laisser place à une hostilité toute différente, mais aussi mortelle. La soif est toujours présente cependant, et cette fois le wotongoh ne désire plus qu’un breuvage bien chaud, encore fumant, une tasse au creux des mains pour réchauffer ses doigts gourds.
Pas question de rester dehors. Ces bâtiments de pierre noire, tirée de la falaise, bas, trapus, comme à demi enfoncés dans le sol, le dos rond pour faire face aux rigueurs des tempêtes venues du large ou des terres. Le mur duquel Caabon a émergé ne lui est pas familier, cependant il lui semble reconnaître sans peine cet habitat qu’il a quitté il y a si peu de temps pour si loin.
Pas question d’attendre, il faut tirer ses bottes de la congère, se mettre en mouvement, réfléchir pas à pas, se réchauffer et trouver un abri. La nuit s’apprête à tomber, et avec elle son lot de menaces, à commencer par les shaakts en patrouille. L’assassin se souvient très bien des circonstances dans lesquelles il a quitté les profondeurs en compagnie de Bahalt, et des risques qu’il encoure à se faire prendre. Aussi lui faut-il retrouver au plus vite le vieil esclave. Peut-être a-t-il attendu, couché dans le foin de l’écurie, que son protégé revienne. A moins qu’il ne se soit fait prendre… Ou qu’il ait sauvé sa peau en prenant le large, cheval et chariot en soutien…
(Par Rana, voilà un vent qui me gèlerait les oreilles sur le crâne…)
Le capuchon de tissu sombre lui protège fort bien la tête des éléments, et il serre plus fort contre lui la cape, regrettant de ne pouvoir la boutonner. La majorité de la ville se trouve sous ses pieds, seuls les bâtiments essentiels s’accrochent à la surface : Caabon n’aura aucun mal à trouver l’écurie. Procédant de manière logique, il cherche les toits les plus hauts, la rue la plus large, et au bout d’une minute ou deux parvient à repérer l’enseigne. Malgré les portes fermées, il perçoit l’odeur animale et les effluves du fumier, tout comme il devine la chaleur réconfortante.
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C'est par la sagesse qu'on bâtit une maison, par l'intelligence qu'on l'affermit ;
par le savoir, on emplit ses greniers de tous les biens précieux et désirables.
Proverbes, 24, 3-4