La jeune femme relève les yeux pour contempler les cimes des nobles bâtiments splendides dans leur architecture typique. Distraitement, elle remercia d'un signe de main le vieil elfe qui avait eu la bonté de l’amener ici - ils s'étaient trouvés sur la route, lui revenant à Hidirain après un court voyage, elle en quête de cette cité secrète à cause de ce qu'on lui avait dit dessus. On n'avait pas menti d'ailleurs. Elle admira les deux temples flanquant la ville, comme deux immenses, silencieux gardiens. Elle restait là, au milieu de la chaussée et les habitants venaient autour d'elle, sans lui prêter aucune attention, discutant entre eux de cette tranquillité qui provenait d'une parfaite concorde.

Elle sentait une boule se former dans son estomac. Tout le monde semblait si heureux ici. Chez lui. Au sein de son peuple. Pourquoi elle n'avait pas pu naître là ? Elle était elfe elle aussi ! À demi, peut-être, mais quel différence car on ne voyait d'abord que cela quand on la rencontrait : ses traits elfiques, la couleur grise de sa peau qui témoignait en hurlant de ses origines. C'était d'ailleurs grâce à cela qu'elle avait pu se retrouver dans "la perle blanche" ; des Sindeldi, elle n'en avait jamais rencontré. Alors elle s'était contenté de demander aux gens s'ils ne connaissaient pas un endroit où se trouvaient des gens "presque" comme elle. À force de recherche, on lui avait proposé de se rendre à Hidirain. La cité abritait des elfes blancs et des elfes verts. Pas des gris, mais entre elfes, on doit bien savoir ce qu'il en était des autres, hein ? Allez, on était sûr que les réponses qu'elle cherchait étaient là-bas !

"Excusez-moi monsieur ?"

L'homme en question était un elfe vert, pas beaucoup plus petit qu'elle en taille. Voyant qu'il s'était retourné vers elle, Kay abaissa le bras qu'elle avait levé dans sa direction, pour attirer son attention. Il haussa un sourcil interrogateur, souriant. Elle le détailla avec curiosité. Ayant vécu exclusivement chez des humains, Kay était tentée de lui donner la vingtaine, mais en réalité, il devait en avoir quatre fois plus.

"Oui mademoiselle ?"

"Est-ce que vous..."

Elle avait la gorge serrée sans trop savoir pourquoi. L'appréhension, sans doute. Peut-être que c'était aujourd'hui qu'elle rencontrerait enfin son père !

"Oui ? Vous êtes perdue ?"

Elle secoua la tête.

"Non, non, pas du tout ! Je veux juste... Euh... Savoir si vous connaitriez des Sindeldi qui habiteraient ici ?"

Le Taurion se gratta les cheveux qu'il avait presque vert et ses petits yeux papilonnèrent.

"Vous voulez dire ici à Hidirain ? Il y a bien les Danseurs d'Opale, pas loin..."

Le cœur de Kay bondit dans sa poitrine. Ce fut à peine si elle ne sauta pas sur le pauvre elfe vert.

"Où ça ? Conduisez-moi à eux s'il vous plait !"

L'autre écarta les mains et un sourire désolé se peignit sur sa face.

"Je m'excuse mademoiselle, mais je ne sais pas où ils se trouvent. Cependant" reprit-il en voyant l'air soudain défait de la semi-elfe "j'ai cru voir arriver un de leur membre, il y a peu et qui se dirigeait vers la milice. Allez voir là-bas, vous aurez peut-être une chance de le croiser, qui sait ?"

"Oh merci beaucoup monsieur, merci !"

Et Kay partit en courant.

Kay m'écoute, pensive, les yeux baissés. Lorsque j'accroche son regard pour achever d'exprimer ma pensée la jeune femme a les yeux qui s'emplissent à nouveau de larmes, mais il me semble voir une lueur de soulagement dans ses yeux, cette fois. Peut-être simplement parce que je ne l'ai pas rejetée comme la plupart des Sindels auraient pu le faire? Je ne sais rien d'elle, ou presque, comment savoir? En lui laissant le temps, probablement, pour l'heure je ne suis qu'un inconnu pour elle. Lorsque je l'informe que j'ai une mission urgente à accomplir elle me répond qu'elle est désolée d'avoir pris mon temps, ce qui me fait hausser les épaules alors que je lui réplique avec un sourire tranquille:

"J'ai choisi de te consacrer ce temps, Kay de Kallah. Un Danseur d'Opale ne se laisse pas ballotter par les événements, il décide de sa route et l'assume."

A ma proposition de m'accompagner elle réfléchit quelques instants, puis répond qu'elle veut bien me suivre un bout si cela ne me dérange pas. Elle baisse ensuite le ton pour avouer qu'elle n'a nulle part où aller, un peu gênée peut-être de cet aveu. Mais je connais ce sentiment de ne pas avoir de chez-soi, j'ai erré durant plus de trente années sans autre but que de faire un pas de plus, sans me fixer nulle part, solitaire comme un loup. Contrairement à moi elle a un but puisque elle souhaite retrouver son père, elle n'erre donc pas vraiment au hasard, même si sa quête me semble difficile du fait qu'elle ignore jusqu'à son nom. A nouveau je soupèse mes mots avant de les lui livrer:

"Tu ne me déranges en aucune manière. Allons toujours jusqu'à la rivière qui dissimule l'entrée de la ville, j'ai besoin de me décrasser et de me reposer un peu avant de repartir au front. Dis-moi ce que tu sais de ton père, en fonction je t'enverrai quelqu'un pour t'amener à notre forteresse pour que tu le cherches, ou je lui demanderai de venir ici si je sais de qui il s'agit. Ensuite je devrai partir, un rude combat m'attend et l'avenir de cette cité pourrait bien en dépendre."

Je remercie la tenancière de l'escarcelle d'argent, ramasse mes achats et ressort dans la rue pour retrouver Kay, à qui je tends une gourde magique contenant des potions de soin, un sac ainsi qu'une cape:

"Voici qui complétera un peu ton équipement! La gourde contient dix potions de soin et la cape te permettra de te dissimuler. Elle te protégera aussi un peu en cas d'attaque due au fluide de lumière."

Je lui laisse le temps de se munir des différents objets puis lui propose de poursuivre rapidement jusqu'à la milice, plus vite la relique sera loin d'Hidirain plus les chances d'éviter une attaque Shaakt seront élevés. Nous ne tardons pas à parvenir devant le fort, et nous rendons directement à l'aile occupée par la milice.

En attendant Tanaëth, Kay s'amusait à observer les passants par en-dessous, discrètement. Cela, surtout parce qu'elle se sentait sale. Affreusement sale. Autant, finalement, que lorsqu'elle avait rencontré le maître d'arme Sindel pour la première fois (maintenant qu'elle y repensait). Ce jour-là, en le voyant, tout tâché de sang, de terre et peut-être d'autres choses, elle avait réellement pris peur, se demandant quel genre de personnage il pouvait bien être. Mais là voilà, à présent, dans le même état. Cela la faisait sourire.

(Et, tant qu'on y est, après son rapport, on aura qu'à retourner à la clairière de la dernière fois !)

De plus, lors de son premier passage, elle n'avait pas vraiment eu le temps d'observer les gens d'Hidirain. Assurément, c'était quelque chose de cocasse que de se rendre compte à quel point elle savait, dès le premier coup d’œil, à qui elle avait affaire, entre les elfes gris et les elfes blancs et, quelque fois, les elfes gris. Parfois, les métissages rendaient la chose plus difficile. En tout cas, c'était autrement plus coloré, autrement plus chaleureux et autrement plus beau que la ville humaine qu'elle avait habitée durant de longues années.

(J'aurais dû venir ici dès le début en fait...)

Soudain, la porte de l'Escarcelle d'argent s'ouvrit et Tanaëth en sortit. Kay se remit aussitôt sur pieds. Il lui tendit alors un sac, une cape et une grande gourde de potions de soins. La semi-elfe haussa un sourcil et la boutade partit avant même qu'elle ne le réalisât.

"C'est pour me récompenser d'avoir survécu que tu m'offres tout ça ?"