L’homme répond à mes excuses par les siennes, expliquant qu’il n’est plus guère coutumier des bonnes manières en raison de ses fort étranges compagnons. Il nous dit s’appeler Belliand d’Ouesseort et qu’il vit depuis bon nombre d’années sous le désert. Il serait considéré comme une sorte de chercheur chez les siens, quoi que cela puisse vouloir dire.
Ce n’est qu’à la remarque de ma compagne que je note sa perplexité, demandant à Belliand quel âge a-t-il, s’il se dit être d’Ouesseort. Qu’est-ce que cela signifie ? Intriguée, mon regard passe de l’un à l’autre, attendant les explications qui ne tardent pas. L’homme aux yeux bandés explique que l’âge n’a que peu d’importance pour les siens car le temps n’a pas de prise sur eux. Je penche la tête de côté, intriguée. Les elfes, sur Yuimen, sont aussi dotés d’une longue vie, mais même sur eux le temps a une prise. Que veut-il dire ?
Zaria, franche, réplique que Ouesseort avait été rasée trois siècles plutôt par l’Océan. Ce seul nom évoque pour moi des contes et des légendes parlant d’un lac si grand que l’on ne peut en voir l’autre côté et qui s’agite au gré de puissances dont j’ignore tout. Je peine à imaginer ce dont parle alors Zaria, de ces vagues qui déferlèrent sur la cité, menée par ce qu’elle appelle les poings des Géants de Rocsombre. Qu’est-ce encore ? Tant de choses que j’ignore et ne comprend pas. J’aimerais poser des questions sur tout ceci, intriguée, étonnée et alléchée par les récits que cela doit représenter. Mais nous n’en avons pas le temps, pas maintenant. Voici que Belliand répond à ma compagne.
Il explique qu’il avait senti, au fond de lui, la perte des siens. Je reste muette de stupeur, comment peut-il prendre si aisément la nouvelle de la mort de son peuple ? Ils ont été précipités dans les flots et voilà que lui, l’un des rares survivants ne semble pas plus touché que si on lui avait parlé d’un lointain peuple qu’il connaissait à peine.
Belliand poursuit, comme ignorant de notre étonnement à toutes les deux. Il explique que nous incarnons celles qui réaliseront la Prophétie de la Pierre de Vision, malgré tout le flou qui les entourent. Ainsi, si la Prophétie ne parlait pas exactement de nous, nous sommes la Prophétie et c’est ainsi que l’on se souviendra de nous. Je ressens un léger frisson en songeant aux conséquences tandis que Zaria reprend la parole, levant le voile sur ce que je ne comprends guère. La pierre de vision serait un artéfact de puissance des Cadi Yangin. Ce cristal serait lié à tous les autres cristaux magiques des sous-sols de ce monde et permettraient de voir chaque pouce de terre qui en recèlerait, mieux encore que s’ils étaient délogés de la terre et en possession d’êtres pensants. Ils pouvaient même permettre aux plus puissants de voir les pensées de ceux qui les possèdent.
Mon cœur manque un battement alors que j’imagine la puissance recelée dans ces artéfacts alors que Zaria poursuit. Elle explique que les Cadi Yangin ont gardé des pouvoirs de visions datant de cette époque mais qu’ils sont bien plus imprécis sans le pouvoir de la pierre. Si nous le réactivons, selon elle, nous serons remerciées, voir même vénérées car la pierre a acquis une dimension presque mystique.
Plus encore que la vénération, se rend-elle compte de ce que pourrait apporter le retour d’un tel objet ?
Alors qu’elle parle, elle pose la main sur la paroi du cristal qui s’illumine faiblement avant de s’éteindre de nouveau. A cet instant, des cris s’élèvent des profondeurs, nous rappelant que nous ne sommes pas seuls et que les morts sont éveillés et gardent ce cristal. Ils s’agitent et sentent ce que nous faisons.
Comme pour souligner mes impressions, Belliand nous dit de faire attention car les morts-vivants qui rôdent en ces lieux sont ici pour le protéger et tenteront tout pour détruire la pierre. Il explique que les hommes-lézards ont installé des pièges dans les couloirs mais qu’ils ne suffiront pas à arrêter la horde qui fondra sur nous si nous cherchons à réactiver ce cristal. L’homme et la femme se tournent alors vers moi, dans l’expectative et je mets quelques secondes à comprendre ce qu’ils veulent de moi.
- Hein ? Vous souhaitez que je sois la main qui tienne la mailloche et que je batte le rythme ?
Je finis par hocher la tête. J’ai vu mon père et mon frère faire, mais avant… Avant je souhaiterai éclaircir un détail.
- Vous souhaitez vraiment réactiver ça ?! Il s’agit d’un artéfact d’une puissance inouïe, donnant à celui qui la maîtrise des capacités hors du commun. Il n’est pas à remettre en de mauvaises mains et je crains les pouvoirs qu’acquerraient les Cadi Yangin avec, pour des êtres qui sont déjà bien mystérieux et reclus dans leur tour… Je…
Je fais une pause, réfléchissant. Oui, c’est un artéfact puissant, mais il pourra nous être d’une aide énorme pour le futur, si nous pouvons nous en servir correctement. Je regarde Zaria.
- J’ai confiance en ton jugement, si tu penses que nous devons le faire, nous le ferons.
Zaria approuve sans une once d’hésitation et je hoche la tête, moins convaincue cependant qu’elle ne l’est. J’espère ne pas faire une grosse, grosse bêtise.
- Je vais faire le tour des lieux et aviser de ce que nous pouvons faire.
La plateforme forme une sorte de carré duquel partent toutes les passerelles. Il y en a sept au total et quatre se rejoignent, n’en laissant plus que cinq qui atteignent la plateforme. L’un d’eux, cependant, me pose problème, il s’agit d’une sorte de plateforme annexe qui fait un coin et un une longueur du carré, relié à des passerelles. Je grogne, cet endroit sera difficile à défendre.
L’endroit d’où nous sommes venues est protégé par le piège dans lequel j’ai failli tomber. Sans doute l’un de ceux dont Belliand a parlé.
Une fois mes observations faites, je retourne au centre et leur explique mon plan, comptant sur Belliand pour traduire ce que les hommes lézards ne comprendraient pas.
- Voici ce que j’ai en tête. Dans le couloir menant à la passerelle se trouve un des pièges dans lequel nous avons failli tomber. Dans la mesure où les morts ne nous ont tout de même pas suivies après que nous soyons passées, il y a des chances pour qu’ils y restent coincés quelques temps. J’aimerai qu’un… homme-lézard, ou quelle que soit la façon dont ils sont appelés, s’y poste et vienne nous prévenir s’il aperçoit des momies sortir par ce couloir.
Je me tourne vers Zaria.
- Zaria, pourrais-tu, avant de te lancer dans l’activation du cristal, ériger ce mur de feu que tu as érigé dans le couloir sur la passerelle nord, juste à l’entrée du village afin de le protéger des trois passerelles ? Quant à moi je vais tenter de faire de même sur la passerelle sud-ouest.
Je me tourne vers Belliand.
- Serait-il possible de poster dix hommes-lézard sur la passerelle nord-est, dix autres sur la passerelles sud-est ? Cinq d’entre eux devront se tenir prêt à bouger vers le mur de feu de Zaria s’il venait à faiblir ou si elle ne parviendrait pas à l’ériger et cinq autre vers la passerelle sud-ouest avec moi. Deux resteront avec Zaria pour la protéger s’ils font une percée, le temps que les autres puissent réagir venir à sa rescousse. Tous les autres se disperseront entre les cinq entrées, là où l’on aura besoin d’eux.
Je les regarde.
- Cela vous convient ? Zaria, une fois votre sort lancé, qu’il soit ou non réussi, revenez au cristal. Dès que je crierais, commencez son activation. Belliand, pourriez-vous protéger, si vous en avez les capacités, la passerelle nord-est afin de garder un œil sur la passerelle nord ?
Je m’adresse alors à tous :
- Le feu est leur grande faiblesse, si vous parvenez à en utiliser, cela vous permettra de les vaincre plus aisément. N’hésitez pas à user de torches pour les enflammer, si vous le pouvez.
Je laisse Zaria partir de son côté et je vais du mien avec quelques hommes-lézards. Devant moi se trouvent l’entrée des trois passerelles que j’aimerais parvenir à bloquer. Un frisson d’appréhension me prend. Je n’ai jamais, ô grand jamais tenté quelque chose de similaire. Une petite voix me faire remarquer que je n’ai jamais rien tenté de tout ce que j’ai fait depuis que je suis arrivée sur Aliaénon. A part dormir, peut-être. Je balaie ces pensées et me concentre.
J’ai vu Zaria quelques fois à l’œuvre, et, même si c’était au cœur de l’action, au moins ai-je une visualisation ce que je souhaiterais avoir devant moi. J’inspire profondément, tentant d’accéder à cette chaleur enveloppée autour de mon cœur. Lentement, délicatement je tente de le manipuler, de le déloger pour le bouger. Après quelques tentatives, je sens comme un point de chaleur bouger dans ma poitrine, rejoindre mon ventre, le haut de mes cuisses avant de remonter jusqu’à mon épaule, puis l’autre. C’est moi qui fais tout ceci ! Je maîtrise ça ! J’essaie de calmer mon excitation qui fait battre mon cœur plus vite et je tente de diviser cette chaleur et de l’amener au bout de mes doigts. Cela ne s’avère pas chose facile, mais avec un effort de volonté, il semble que j’y parvienne.
Je sens à présent comme un picotement au bout des doigts, comme si j’avais un peu trop bu. Je chasse cette idée et tente à la place de visualiser ce que je désir : un mur de feu passant par chacune des passerelles. Le visualiser est une chose, mais je perds rapidement ma concentration alors que le doute s’immisce. Serai-je assez puissante pour parvenir à un résultat ? N’est-ce pas présomptueux de ma part que de penser que j’ai quelque chose en moi qui me donnerait une maîtrise du feu ? Je chasse l’idée. N’ai-je pas, après tout, illuminé cette épée que je tiens encore entre dans ma main ?
Encouragée par cette perspective, j’essaie d’extérioriser cette chaleur et, donnant une brusque impulsion, j’essaie de balancer un jet de puissance dans cette direction. Le feu doit toucher le sol sur la passerelle et former une longue ligne d’où les flammes devront s’élever le plus haut possible. Un mur de feu doit ainsi être fait, qui les empêchera de passer. Une fois le tracé mentalement fait au sol, je lui donne une seconde impulsion, afin que les flammes s’élèvent !
Que je réussisse ou que je rate, je crierais, donnant le signe du départ à Zaria. Si je suis parvenue à bloquer ces trois entrées, j’irais sur la passerelle sud-est, sinon, je resterai ici pour protéger cette entrée avec les hommes lézards.
Ces morts ont assez vécu. Il est temps d’en finir.
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