Mon coup porte jusqu’à la créature et je parviens à l’embrocher de la pointe enflammée de mon épée. Je sens son sternum se briser avec un frisson de dégoût qui ne fait que se prolonger lorsque la gorge asséchée de la momie émet un long cri venu du fond des âges. Je ne parviens pas à enflammer les bandelettes, à mon grand désespoir et je vois la chose qui était un homme autrefois, bien, bien longtemps auparavant, émettre un grognement sinistre, bien trop proche mon visage. D’un geste violent, elle recule et se défait de la lame enfoncée dans son torse comme si ce n’était rien d’autre qu’une vulgaire feuille morte. Je le vois porter à son tour un coup dans ma direction, de son atroce lame et je ferme les yeux. Je sais que je ne devrais pas, que c’est faire montre de faiblesse, mais je suis incapable de l’empêcher. Je sens ma fin venir, par la pointe acérée de cette arme. Ainsi, Charis Kel Asheara périra dans un lointain désert, bien, bien loin de chez elle et quelques jours à peine après les siens. Je me tends dans l’attente du coup qui pourtant met du temps à venir, lorsque soudain je suis légèrement repoussée vers l’arrière.
J’ouvre les yeux, surprise d’être encore en vie, sans même avoir subi de réelle douleur et regarde la créature. Son coup a bien porté, mais il semblerait que cette magnifique armure, celle pour laquelle Marthis s’est sacrifié, était bien plus que ce qu’elle paraissait et qu’elle a bloqué le coup de la créature. Je sens légèrement mes côtes protester, mais rien de bien grave.
Je m’apprête à répliquer d’une attaque lorsque soudain je suis éblouie par un brusque éclat bleuté provenant de mon dos.
- Zaria ! m’écrié-je.
La lumière persiste, jusqu’à ce que mes yeux s’habituent à la lumière et je me rends compte qu’elle éclaire toute la salle dans laquelle je me trouve, illuminant les moindres recoins d’ombre comme si elle refoulait les ténèbres. Du coin de l’œil, j’avise des créatures autour de nous qui tombent, comme soudainement dépourvues du souffle qui jusque-là les tenait encore debout. Toutes ? Non, l’une d’elle résiste encore et toujours : mon opposant. Ce dernier claudique et tente de me porter un nouveau coup, mais c’était sans compter sur les deux confrères lézards qui sont vaillamment restés à mes côtés. Ils s’avancent pour abattre leurs longues lances sur la momie jusqu’à ce qu’il s’effrite lentement sur lui-même, ne devenant qu’un tas d’os et de bandelettes. Je reste quelques brefs instants à regarder ses restes, les yeux écarquillés, le souffle court. Je peine à comprendre ce qu’il s’est passé, mais je me retourne vers les deux hommes-lézards avec un sourire, pour leur dire :
- Merci !
La réalité, cependant, ne tarde pas à s’imposer. J’ai compris, lors de l’explosion de lumière, que le cristal avait été réactivé. Je me précipite sur la créature qui nous a attaquée, cherchant sur ses décombres quelque chose qui pourrait nous être utile, expliquer son étonnante résistance. Finalement,je me précipite vers l’endroit où le cristal de lumière trône. Je vois le corps de Zaria flotter dans les airs, étonnamment inerte. Elle ne peut pas… elle n’est quand même pas… Non, je la vois frémir et se redresser dans les airs, puis ses yeux s’ouvrir. Ils luisent d’une lueur intense, aussi bleue que le cristal, mais… ce ne sont pas les siens, ils n’ont rien d’humain… Zaria…
Soudain ses lèvres s’ouvrent et une voix résonne. Cette voix m’enjoint de me rendre à Neo-Messaliah. Je me tourne vers Belliand, m’attendant à ce qu’il s’agisse de lui, mais il n’y a qu’une princesse ici… Péniblement, je repose mes yeux sur le corps de Zaria. Elle, ou la créature qui l’habite, m’enjoint de me présenter au plus vite aux Cadi Yangin, que ces derniers sauront ce que j’ai fait, que les cristaux s’éveillent de part le monde et qu’ils auront bientôt retrouvé toute leur puissance. Et qu’il s’agit d’un pouvoir qu’il contrôle à présent.
Mon cœur manque un battement. Ce que je craignais est arrivé, une entité supérieure a pris le contrôle de ces objets de pouvoir et la revendique. Une entité suffisamment puissante pour prendre le contrôle d’un corps pour parler à travers lui. Qui est-ce ? Une entité bienfaisante, malfaisante ? Ou quelque chose à mi-chemin entre les deux, ou encore complètement opposée à ces concepts ? Est-ce ce sorcier qui provoqua la fin de Messaliah ou la créature qui lui donna ce pouvoir ? Ou est-ce quelqu’un, quelque chose d’encore bien différent ?
- Qui êtes-vous ? Finissent par murmurer mes lèvres.
La voix se tait cependant et j’ignore si elle a entendu mes mots. A ce moment, les grandes planches dont est constitué le toit de cette étrange structure basculent lentement et pivotent pour laisser pénétrer une aura lumineuse portée par le soleil. Belliand s’approche de moi, me disant qu’il s’occupera de mon amie car il semblerait que j’ai à faire et qu’ils me rejoindront aux portes de Neo Messaliah sans que je n’ai besoin de les chercher.
Je le regarde sans comprendre avant de porter de nouveau mon regard sur Zaria. Comment va-t-elle, est-elle seulement encore en vie ? Je l’ignore et je crains énormément pour elle. J’ai déjà perdu tant en si peu de temps… J’ai passé peu de temps avec elle et pourtant j’ai fini par rapidement apprécier cette danseuse aventureuse qui s’est ainsi rendue en ces terres désolées pour éveiller un cristal et lui donner sa force. Je suis plus que tentée de rester à ses côtés et de lui tenir la main jusqu’à ce qu’elle s’éveille, mais… le devoir se fait de nouveau sentir sur mes épaules. Je sais que c’est quelque chose que je ne peux pas me permettre. Comme j’ai été contrainte de fuir le massacre des miens pour pouvoir revenir les aider, de même que j’ai dû accepter le sacrifice de Marthis, je dois laisser Zaria en arrière en espérant de tout mon cœur qu’elle se remettra et pourra rejoindre les siens à Methbe-el.
Je tourne mon regard sur Belliand, pour lui dire ces mots :
- Je ne puis plaider contre ma cédule et je me rendrai en effet à Neo-Messaliah, je n’ai d’autre choix que de le faire, et je dois me rendre compte par moi-même du résultat de nos actions. Je vous prie, je vous conjure de prendre soin de Zaria et de me la ramener… J’ai promis de la ramener en vie… S’il vous plait.
Sur ces paroles, je souffle dans le sifflet qui m’a été donné et monte sur le cheval ailé.
- J’ai besoin d’aller à Neo-Messaliah, s’il te plaît.
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