Et plouf…
Un plongeon digne des plus grands elfes marins, à en faire pâlir de jalousie ma compagne bleue – ou du moins c’est ce que j’imagine – qui me fait intégrer l’eau de l’océan sans choc ni heurt, sans souci d’aucune sorte. En une situation normale, je n’aurais pu que me féliciter d’une telle réussite, mais quelque chose cloche soudainement, à mon entrée dans l’eau. Comme si le passage de l’air à l’eau avait modifié ma perception propre de mon corps, de mes sens, de mon enveloppe charnelle, qui semble comme altérée subitement… Mais pour le moment, même si c’est plutôt perturbant, l’essentiel est de remonter à la surface de l’eau, comme par un réflexe de survie tout à fait logique, et ce malgré le pendentif de respiration sous-marine.
Une fois la tête à l’extérieur de l’eau, je peux observer avec une satisfaction dévorante de plaisir l’ennemi statuaire nous observer de son balcon, incapable de franchir cette barrière invisible qui le mènerait directement à sa perte. Le bougre n’a plus qu’à aller se rendormir pour le siècle à venir, jusqu’à ce qu’un autre aventurier téméraire et audacieux vienne le sortir de son sommeil de pierre… Ma joie est tellement intense que je ne peux que m’exclamer une interjection moqueuse à son égard, pauvre statue décrépite qu’on a bornée jusqu’à l’os.
« Haha !! »
Stupeur, ma moquerie semble provenir de la bouche féminine de ma rouquine de voisine. Doute, hésitation… C’est bien moi pourtant qui ai crié. Questionnement interne, et je me tourne vers Sidë, qui me lorgne étrangement, les yeux exorbités, , les sourcils décalés, un rictus incompréhensif sur le visage. Apparemment, je ne suis pas le seul à me demander ce qui se passe ici : ma voix mâle mélodieuse et virilement grave vient de se changer en une voix féminine et aigüe… J’ignorais que l’eau de mer avait de tels effets sur ma production hormonale, et je finis par me demander s’il ne s’agit pas là d’un cruel effet secondaire de la rose semi-organique qui me perce le corps.
« Je… »
Je me tais… Encore cette voix qui s’exprime par ma bouche. Par réflexe, je porte ma dextre sur mes lèvres… Lèvres que je sens étrangement pulpeuses, élevées au dessus d’un petit menton et d’un nez court et mutin.
« Mais ! »
Ce n’est pas mon visage, et ma main s’en écarte aussitôt. Une main gracile, aux ongles soignés et à la peau bleutée…
(Bleutée ? Mais qu’est-ce que c’est que cette embrouille ?!)
Je baisse aussitôt les yeux sur mon corps : stupéfaction intégrale lorsque mon regard se voit obstrué dans son analyse par un double détail frappant situé sur les hauteurs de mon torse. Une poitrine menue remplace mes pectoraux raffinés… Et le tout est surmonté d’habits que je ne reconnais que trop bien : ceux de ma compagne de route… Plein de perplexité, je reluque à nouveau celle-ci, pris d’un vertige incontrôlable qui met en doute toute ma personnalité… Mais non, la personne me faisant face est bien Sidë. Mais dès lors, qui suis-je ? Sidë aussi, à n’en pas douter : je revêts son apparence, ses habits et sa voix. Pourtant, mon esprit est clairement celui d’un Cromax habitué à son propre corps, et qui se pose des questions de Cromax…
(Lysis ! Qu’est-ce qui s’est passé ?)
Mes pensées sont tourmentées, et je parviens avec difficulté à me centrer sur les explications de ma faera…
(Tu… disons que… Bah… J’ai pensé qu’il serait préférable que tu revêtes l’apparence d’un elfe bleu pour nager ici et… hum… J’ai pris au plus court pour le modèle…)
(Hein ?!)
Incompréhension, comment pourrais-je digérer cette mutation impromptue ?
(Ce n’est que momentané, pas d’inquiétude… Tu devrais voir quelle tronche tu tires, Sidë pourrait se vexer que tu déformes ainsi ses traits !)
(Mais… mais comment ça se peut ? C’est du délire ! Je…)
J’essaie de reprendre un peu contenance : je dois expliquer à ma compagne qu’il ne s’agit en rien d’une malédiction lancée par la statue…
« Sidë, je… je suis Cromax, mais… J’ai comme qui dirait changé d’apparence… Ma… ma faera m’avait caché ce pouvoir… Hé hé… »
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