Les premières heures de mon trajet furent ennuyeuses. Le rat, que je me faisait un plaisir de garder avec moi avait disparu et j'étais à présent seul, en compagnie du silence. Ce dernier n'était d'ailleurs pas très loquace. Je traversais de grande plaines verdoyantes, effleurant de mes petits pieds l'herbe verte et humide sous un soleil éclatant et un ciel turquoise parsemé de nuages de coton. Mes minuscules pas m'emmenaient lentement mais sûrement vers ma destination final, Bouh-Chêne, pays des lutins des sylves où je pourrais me reposer quelques semaines et rester incognito.
Tout ce passait très bien dans cette plaine verte, paisible et silencieuse. Elle s'étendait à perte de vue formant un duo avec le ciel bleu azur. Si je n'avais pas été pressé, et que je m'y étais sentis en sécurité, j'y serais bien resté. J'étais resté deux bonnes journées dans ce paysage verdoyant avant de voir enfin les premières montagnes. Ce n'était pas un soulagement, ni synonyme de bienfaits. Néanmoins cela signifiait que j'avais arpenté une bonne partie du trajet déjà.
J'escaladais un à un les morceaux de rocher pour me hisser sur le flanc de la montagne blanche et hostile. Pour un humain, cela aurait été une tâche bien plus aisée. Mais lorsque l'on ne mesure pas plus de trente centimètres et que chaque caillou en fait le double, on croit grimper le sommet du monde. Le froid me prenait à la gorge, mes poumons semblaient se crisper, mes mains tremblaient et je ne sentais plus mes pieds. L'atmosphère était vraiment austère à cette altitude. Je venais d'entamer l'ascension d'un énième rocher, et en regardant en contrebas, je pus constater de la rapidité de mon escalade. Je devais me trouver à une bonne centaine de mètres maintenant.
J'étais perdu dans mes pensées étranges et obscures sur mes projets maléfique à court terme, mais bénéfique à long terme. Je réfléchissais à la possibilité de réanimer les morts, comme j'avais pus le voir dans le cimetière, lorsque une voix étrange me parvint en contrebas. Un voix forte, viril et grave. J'eus tout de suite reconnus la langue exécrable qu'est celle des garzoks.
Un peu apeuré, un peu craintif, je me rangeais derrière un rocher lorgnant leur parcours. Ils n'étaient que cinq.
(Haha! Trop facile, une petite unité de cinq ! Haaa si j'étais un humain d'un bon mètre quatre-vingt, je n'en ferais qu'une bouchée...)
Tous étaient armés jusqu'aux dents, équipés d'armures de cuir, de massues énormes, de boucliers lourds, et d'épées imposantes. Tous, sauf un. Ce dernier aurait été armés jusqu'aux cheveux s'il avait pu. Celui là avait une bonne demi-douzaine de couteau accrochés à une sangle autour de lui, un casque reluisant et brillant sous les faibles rayons de soleil, deux grandes épées attachés en croix dans son dos, et une armure en acier bien plus éblouissante que son couvre-chef. N'importe quel humain stupide aurait été capable de comprendre qu'il s'agissait du chef de troupe, sans aucun doute. Ils semblaient revenir d'une bataille, leurs armes ruisselaient encore du sang de leurs victimes. C'était à ce moment là que je remarquais deux autres personnes. D'abord un nain, et ensuite une jeune fille d'une vingtaine d'années au maximum. Ils étaient tous deux fixés à des cordes tirées par les orques. Ce spectacle me désolait.
Le nain paraissait avoir perdu le combat, mais n'était pas blessé. Il portait une magnifique armure argentée et dorée qui recouvrait tout son corps, et un heaume similaire. La fille, elle, était presque entièrement dénudée. Il ne lui restait qu'un pagne en tissu bleu, un morceau de chiffon blanc au niveau de la poitrine qui pendait et voletait au gré du vent laissant apparaître de temps à autre ses petits attributs, et un bandeau sur le front. Le reste de son corps était parsemé d'hématomes assez importants, et elle semblait être glacé.
Toute la troupe disparue de mon regard quelques minutes. J'entendais encore quelques fois les paroles des guerriers et j'avais pris la décision de ne pas bouger tout de suite. Très vite le silence se fit. L'atmosphère était pesante. Je comptais les secondes qui défilaient pour savoir quand est-ce que la zone serait sans danger. Soudain, alors que je m'apprêtais à me redresser pour m'en aller, une grosse main verdâtre se posa sur moi, m'agrippa et me souleva au dessus du sol. Son propriétaire ricanait en me regardant. J'essayais alors de me débattre, mais je devais me rendre vite à l'évidence. Une épreuve de force entre un lutin et un garzok, cela serait ironique...
La brute me montra à ses congénères avec fierté, comme s'il présentait un trophée. Cela eu le don de m'exaspérer. S'ils avaient parler ma langue, je les auraient volontiers insulté de tous les noms. Cette idée me resta, et finalement, bien qu'ils ne les comprenaient pas mes vociférations leurs cassèrent les oreilles.
Ils me transportèrent durant quelques heures dans une petite cage de fortune que le nain était chargé de porter. J'eus toute l'occasion de discuter avec lui et la petite humaine blonde. Elle était captive depuis plus de deux jours, capturée pendant un convoi de marchands. Elle était très perturbée et peu de mots sortaient de sa bouche. Le torkin lui, était prisonnier depuis quelques heures seulement, il venait de perdre son combat avec sa tribu. Je fus étonné malgré tout que les garzoks prennent des esclaves. Ce n'était pas trop dans leurs coutumes, ils préféraient d'habitude tuer tout ce qui bouge. Mais visiblement, le nain était un âne porteur, et l'humaine servait de joué sexuel.
Au bout de ce temps, ils s'arrêtèrent dans une petite grotte dans la montagne où un camp y était déjà monté. Ils s'installèrent près d'un feu éteint qu'ils s'empressèrent de raviver, et nous furent congédié dans un coin de la caverne. La soirée fut longue. Toute la horde des sales êtres verts et putrides buvait et mangeait à foison dans un boucan assourdissant. La petite blonde s'était vite endormie d'épuisement, et le nain lui observait la scène. Pour ma part, je restais dans ma prison en attendant une opportunité. Je guettai le moment où je pourrais m'enfuir, laissant cette bande de brutes et leurs deux otages dans leurs problèmes. Mon seul souci était, comment ? Comment quitter cet endroit et continuer mon chemin ? Comment vivre et accomplir mon destin, celui de sauver des gens ?
La réponse me vint à leur couché. Quatre des cinq monstres s'endormirent tandis que le dernier était de garde. Il s'était posté à l'entrée de l'excavation et restait les yeux rivés dehors. Je devais profiter de cette occasion, mais si j'essayai de sortir maintenant, il m'intercepterait et me tuerait. Donc... Il fallait une diversion. Qu'avais-je avec moi qui puisse me servir ? Trois choses. Un nain, une jeune fille, et mon talent. L'humaine ne pourrait pas me servir à grand chose, donc je pouvais aisément la sacrifier. Le nain, lui, pouvais me protéger au besoin.
« He, pssst. »
Je chuchotai le plus bas possible la peur au ventre, mais tous mes sens en ébullitions. Je réfléchissais.
« J'ai un plan les amis. Vous êtes prêt à tenter quelque chose ? »
Tous deux acquiescèrent en rythme, et je continuais mon discours.
« Faites moi confiance. Petite, j'ai besoin que tu fasses diversion. Ne t'en fais pas, moi et le nain saurons te protéger, tu ne mourras pas. Le nain, toi, tu devras m'ouvrir la cage. Cela feras du bruit et réveillera les autres, donc il faudra faire vite. Lorsque celle-ci sera ouverte et que je serais libre, nous foncerons vers l'extérieur et nous enfuirons. L'orque va nous gêner. Je m'en chargerais. »
Mes deux compères semblaient très perplexes. Ce fut le nain qui réagit en premier.
« Je doute quand même de tes compétences pour t'occuper du garzok. Et moi, je suis désarmé. »
Il m'exaspérait. Les êtres inférieurs qui réfléchisses trop sont toujours des poids morts. Mais un nain est plus petit qu'un humain, donc peut-être aura-t-il un peu plus de jugeote. Après quelques échange verbaux j'eus réussi à les convaincre tous les deux. Le nain devait être assez naïf, car il crut toute mon histoire sur mes actes héroïques lors d'une bataille contre une armée toute entière. Finalement, il n'était pas mieux que les hommes.
La petite s'élança vers l'entrée de la caverne, les larmes aux yeux. Avant même qu'elle n'y arrive et que l'être vert ne la remarque, j'étais libéré par mon idiot d'acolyte. Le bruit que fit la cage en acier aurait put réveiller toute une compagnie, cependant seul la brute en faction réagit. Il se retourna avec un air encore plus dégénéré que d'habitude et regarda tantôt la fillette, tantôt le nain et moi. Je me dirigeai vers ce dernier en prenant soin de rester derrière mon compère de petite taille. Certes, il semblait très curieux qu'un lutin identifie un nain comme « petit ». Mais c'était surtout en comparaison de son cerveau minuscule.
La gamine ne fit pas long feu, mais nous permis de passer sous l'orque sans même qu'il ne daigne nous interpeler. C'était bien connu, les garzok ne pouvaient penser qu'à une chose à la fois. Il fit balancer sa hache de haut en bas sur la pauvre humaine qui, dans un cri strident, se fit trancher le corps en diagonale. L'arme s'arrêta sur le sol à quelques centimètres à peine de ma tête. Je tressailli et sursautai en voyant le fil de l'arme dégoulinant d'un sang rouge et abondant.
(Ne t'inquiète de rien petite, plus tard, je pourrais tous vous ramener à la vie.)
Sa mort ne me fit aucune peine, mais j'avais eu une petite pensée pour elle, qui croyait que j'allais la sauver. Mais dans une autre vie, elle saura qu'on en fait pas confiance aussi facilement. Le nain et moi passions sous la garde du barbare et filions au dehors de la grotte. Il se retourna vers nous d'un air ébahi et cria d'une voix forte et tonitruante. C'était un cri d'alerte. Nous allions avoir toute la troupe à nos trousse maintenant. A mesure que nos pas nous éloignaient un peu plus de l'affrontement, le torkin prenait de l'avance.
(Foutu taille de lutin !!!)
« He, attrapes moi et mets moi sur ton épaules ! »
J'eus le plaisir de voir qu'il ne m'abandonnait pas à mon triste sort. Il s'arrêta net, m'attrapa vivement et me posa violemment sur lui, où je m'agrippai avec adresse. Il fonçait alors tête baissée à travers la brume.
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