Foutus Marlaks dépourvus de diplomatie. À peine mon invective est-elle lancée qu’ils nous toisent de regards acérés ne donnant en rien l’impression qu’ils tiennent à poursuivre plus avant cette conversation. Confirmant presque aussitôt cette intuition plutôt évidente, les voilà qui dégainent tous leur arme, parés à nous foncer dessus. D’un regard global, j’en compte une douzaine, tous armés de sabres, de harpons et de tridents. Aucun mage parmi eux, vraisemblablement, ce qui est une chose positive en soi. Au moins n’aurai-je pas à me battre contre des forces inconnues. Ainsi, ils sont tous des combattants, de front ou de distance, et c’est avec un sourire un peu mesquin que je dégaine mes deux lames les plus récentes : le glaive du vieux fou des montagnes, celui-là même qui m’a été fort utile lors de mon dernier combat contre les araignées mécaniques, et la sombre lame empruntée au gardien de la Tombe témoin de mon arrivée sur ce monde aquatique. Cette épée maudite à l’aspect cruel et puissant, qui se glisse dans ma main comme si elle y avait toujours été, qui fait corps avec mon être, comme un prolongement de mon bras.
Et pourtant, je sens une résistance en elle, comme si elle était mal équilibrée. Non pas physiquement, mais magiquement. La malédiction la fait peser plus qu’elle n’aurait dû l’être, et sa soif de sang me déstabilise un peu.
Mais je n’ai guère le temps de m’attarder pour l’instant à de telles considérations. Les douze ennemis qui nous font face n’attendent pas plus longtemps avant de se ruer vers nous, arme au clair. Enfin, des douze, seuls neuf arrivent au contact. Les trois derniers ont chacun à leur charge un Sarlak, même s’ils n’ont pas de meilleures gueules que leurs camarades belliqueux.
Ainsi, à peine ai-je eu le temps de dégainer qu’une impulsion nerveuse de Lysis me fait prendre conscience qu’un harpon se dirige droit vers moi. L’adrénaline explose en moi et mon instinct de survie me pousse à me baisser, alors que l’arme effleure mon armure sans me causer de tort. Ces imbéciles connaissent le milieu qu’ils pratiquent depuis leur prime jeunesse, et cet environnement aqueux ne m’est pas usuel. Pas encore. Ils ont l’avantage du nombre, de l’endroit, et je ne sais trop sur quel atout me baser pour vaincre ces acharnés. Car je suis conscient d’une chose : ils n’abandonneront pas le combat avant de nous avoir tués, ou d’eux-mêmes périr. Il s’agit d’un peuple tenace et fier. Battant.
Juste après moi, Sidë doit aussi essuyer un jet de harpon contre elle, qu’elle pare de son arme avec dextérité, déviant la course du projectile vers le sol, juste à ses pieds. Notre guide, lui, est moins en veine, et son arme encombrante est trop lente pour arrêter le harpon dirigé contre lui. Il tente vainement de s’y soustraire, mais est finalement blessé à la hanche droite. Un flot bleu sombre s’échappe de sa plaie pour se mêler à l’eau nous entourant.
Mais je n’ai guère le temps de faire attention à son sort : les autres combattants sont presque à mon niveau. Le groupe qui fonçait s’est une fois encore partagé. Ils forment maintenant cinq sous-groupes distincts : les trois gardiens des Sarlaks, armés de harpons et arborant un sabre à la ceinture, n’intervenant pas pour l’instant, mais prêts à lancer leur arme à tout moment, les trois harponneurs, qui portent sur le dos un ballot d’armes de jet, et qui restent à l’écart pour nous viser de loin, et les autres qui se jettent au combat de front, eux-mêmes divisés en trois : trois guerriers fonçant sur moi, le premier muni d’un trident impressionnant, et les deux autres de sabres courbes ressemblant à des gouttes d’argent. Deux autres se dirigent vers Sidë, eux aussi munis de lames courbes, et le dernier fonçant vers notre guide blessé avec un trident argenté aux piques acérées.
Malgré sa récente blessure, il arrive à parer l’assaut de son adversaire sans trop de problème, et un duel singulier s’engage. Sidë, de son côté, privilégie la souplesse de son corps pour éviter une des lames, tout en parant l’autre de son arme, reculant pour tenir ses adversaires à distance à l’aide de son propre trident. Et puis moi, et ces trois Sarlaks qui me foncent dessus. Je m’apprête à les accueillir en parant leur premier coup afin de riposter au plus vite, comme dans n’importe quel combat que j’ai pu mener auparavant, mais je suis pris par surprise lorsque, arrivés à quelques pas de moi, ils donnent tous les trois un coup de talon sur le sol pour s’élever dans les eaux afin de m’attaquer d’en haut.
Je ne peux que me rétracter une position défensive, de parade, face à cet assaut anormalement aérien. Protégé par mes deux lames croisées au dessus de ma tête, les genoux fléchis et le dos plié, j’arrête leurs coups sans trop de difficulté, même si l’effet de surprise m’interdit toute riposte. Déséquilibré, il me faut plusieurs moulinets des deux armes pour éloigner les deux sabreurs m’arrosant de coups, sans que je ne parvienne jamais à les toucher. Leurs armes sont légèrement plus courtes que les miennes, ce qui me donne un certain avantage par rapport à eux. Ainsi, je n’ai défensivement pas grand-chose à craindre d’eux, si ma garde n’est pas brisée. Je peux donc concentrer mon attention sur le manieur de trident, qui a un net avantage au niveau de la distance d’attaque. Alors que ses deux comparses restent en retrait, il me taquine de son arme, tentant de me transpercer par des coups rapides et vifs. Je ne peux que les subir en tentant d’y réchapper en parant de mes lames ses assauts répétés, et en évitant les pointes de son trident. Plusieurs fois, une sueur froide me crispe l’échine, lorsque son arme passe ma garde et s’arrête à quelques centimètres à peine de ma poitrine. Un mouvement de recul me sauve la mise à chaque fois, mais je sens que je n’arriverai pas à battre cet ennemi en restant sur la défensive. Je me dois de l’attaquer, de passer à l’assaut contre lui. Une brève analyse de la situation me fait déduire la dangerosité d’une telle action. En l’attaquant, je me mettrai en position de faiblesse par rapport aux deux autres, qui seront dès lors dans mon dos.
Mais je n’ai pas le choix. Ma réussite dépend de ma vitesse, et de ma précision. Je décide à mon tour de surprendre mon ennemi en usant de sa propre technique. Juste après avoir évité un de ses coups, je frappe le sol de mon talon pour m’élever dans les eaux mouvementées, au dessus de mon adversaire, prêt à abattre mes lames sur lui. Mais ma tentative est vite soldée par un échec : le marlak s’attendait certainement à un tel mouvement de ma part, puisqu’il lève presque aussitôt son arme vers moi, et je manque de m’y empaler tout bonnement. Je suis forcé de faire un vif mouvement des bras en arrière pour ralentir mon assaut et ne pas finir transpercé de part en part, et je me retrouve donc à mon point de départ : au sol, et dans l’incapacité de le toucher à cause de la portée de son arme. Et pire, encore, maintenant, les deux sabreurs sont derrière moi, parés à me porter des coups meurtriers à la moindre ouverture.
Je n’ai pas le choix, je dois directement réattaquer le porteur du trident. Rassemblant mes forces, je retente une attaque similaire. Donnant un coup de talon sur le sol, je m’élève au dessus de mon ennemi, lames en avant. Et une fois de plus, il lève son arme pour me stopper. Mais cette fois, j’y étais préparé, et aussitôt je frappe son trident de mon glaive, déviant son arme et déséquilibrant ma descente. Je pivote sur moi-même, bras écartés, alors que mon dos tourne contre le manche de son trident. Ma pirouette marine a l’effet escompté : la lame maudite a passé sa garde, et il ne peut rien faire contre elle, forcé de se laisser trancher les chairs sans rien pouvoir contrer. Son épaule est grièvement blessée par ma première arme, et la distance joue désormais contre lui. Son arme est devenue inutile, puisque je suis presque contre son corps, traversant le nuage bleu de son sang marin s’échappant de sa plaie ouverte. Mon second bras, qui maintenait jusqu’ici son arme hors de ma portée, suit donc le mouvement de mon corps et pivote jusqu’à atteindre mon ennemi, qui ne peut assister qu’impuissant à sa défaite.
La pointe de mon glaive vient se ficher dans sa gorge, en un coup d’estoc destructeur qui lui transperce le coup et lui brise la nuque du même mouvement. Son regard devient vitreux, et tandis que son corps inerte glisse de mon arme dans une gerbe bleutée, une ombre passe dans mon champ de vision, juste au dessus de moi. D’instinct, j’y apporte toute mon attention, prêt à parer, mais il ne s’agit en fait que de notre guide, toujours engagé dans un duel sans pitié avec son adversaire. Habitués tous les deux au combat sous-marin, ils ne touchent même plus le sol, et nagent tout en se battant vaillamment, se transperçant mutuellement sans sembler en peiner.
Et ce spectacle, ce ballet inattendu me fait réagir trop tard à l’attaque menée sur moi. Les deux sabreurs, témoins de la mort de leur comparse, sont passés à l’attaque. Me prenant de revers, je ne réagis qu’au dernier instant pour tenter d’arrêter leur frappe. Trop tard, hélas, pour le faire réellement efficacement. Je dévie la première lame, qui vient riper contre mes jambières sans me causer de tort, mais la seconde m’atteint directement sur la poitrine. Ma cotte de mythril encaisse bien le coup, et les mailles ne cèdent pas, mais le choc est rude tout de même. Le souffle coupé, je manque de tomber à la renverse. Je ne dois ma rééquilibration qu’à cet environnement si particulier, qui supporte mon poids et mon mouvement de bras qui me permet de ne pas choir sur le sol.
Une double passe d’arme s’engage alors. Terriblement soutenue. Deux lames contre deux lames. Un être contre deux autres. Je pare avec efficacité leurs assauts, mais mes ripostes ne sont pas aussi précises qu’à l’accoutumée. Ce milieu ne me sied guère, et ralentit mes mouvements. Heureusement, même en étant habitué, on n’en est pas accéléré, et c’est ainsi que je trouve la faille de mes ennemis. Une feinte aidant, j’en transperce un à la jambe, et il tombe en arrière. Le reste n’est qu’une formalité pour moi : un sabreur seul n’arrive pas aisément à bout d’un maître d’armes comme moi, et j’ai l’avantage du nombre d’armes, cette fois. Parant de mon glaive, je riposte de mon épée sans que mon adversaire ne puisse rien faire pour y échapper. Bientôt, il croule sous mes coups, et décède sur le sol. Mon glaive, en dernier ressors, vient se ficher à travers la poitrine du blessé à la jambe, mettant fin à ce triple assaut contre ma personne.
Mais le combat n’en est pas moins fini. Le guide combat toujours avec ardeur, et Sidë n’a réussi qu’à tuer un de ses deux duellistes. De plus, les trois harponneurs restés à l’écart se préparent à me viser, maintenant que leurs comparses ne gênent plus leur tir. Les trois harpons partent presque simultanément. J’en évite un en me projetant sur le côté, et j’en dévie un autre avec une de mes armes, mais le troisième est ajusté, et je ne peux rien faire contre lui : il vient se ficher dans mon bassin, transperçant chair, et frottant contre mon os. Je rugis de douleur et de colère.
Aveuglé par la sensation de brulure, je frappe rageusement du poignet sur l’arme fichée en moi, et la déloge de son carquois de chair en augmentant encore la gravité de la plaie. Mon sang se mêle à l’eau, alors que je donne une impulsion furieuse de mes jambes et de mes bras pour arriver au plus vite à portée de ce trio de lâches harponneurs. Ils sont surpris par une telle vivacité de ma part, et n’ont guère le temps d’armer un nouveau tir. Je tue le premier avant même qu’il n’ait dégainé, et transperce le second alors que son harpon restait coincé dans sa gangue de tissus. Le troisième arrive à sortir son arme, mais est bien moins habile au contact qu’à distance. C’est sans difficulté que j’évite sa frappe, et que je riposte afin de le réduire à néant.
Mais alors qu’il meurt sous mes coups, mon regard se pose vers les trois marlaks restés près de nos montures : ils ont dégainé leur sabre, et s’apprêtent à égorger les trois sarlaks sensés assurer notre fuite.
« Sidë !! »
Je sais que je n’ai pas le temps d’intervenir pour les trois. Mon regard se tourne vers ma compagnonne, qui comprend aussitôt ce que je lui veux. Parant un coup de son adversaire, elle renverse son arme et frappe le Marlak dans les parties génitales avec le manche de son trident. Elle relève ensuite celui-ci dans le visage du mâle plié en deux, l’assommant sur le coup. Sans attendre, elle arme son propre trident au dessus de son épaule, et l’envoie avec force, droit dans la gorge d’un des trois survivants. Il ne meurt pas tout de suite, mais lâche son sabre sous le coup de la surprise.
De mon côte, je m’occupe de celui du milieu. Je fonce droit dessus, mes deux lames au clair, et cet assaut le fait hésiter. Heureusement pour moi, d’ailleurs. Ainsi démuni, je n’ai aucun mal à le faire plier sous mon assaut, et je le cloue littéralement au sol.
Mais le dernier Marlak est sur le point de tuer le troisième sarlak. Je suis trop loin pour intervenir, et Sidë est désarmée.
« Nooon !! »
Je me démène pour arriver à temps, tout en sachant que ça sera impossible, mais au moment où la lame courbe va glisser sur la gorge de l’animal sous-marin, une lance vient se ficher dans sa poitrine. Notre guide s’’est lui aussi finalement débarrassé de son ennemi, et sauve ainsi la mise et la troisième monture. Je m’en sors sans autre plaie qu’une contusion à la poitrine et une blessure modérément grave au bassin. Sidë, bien qu’éprouvée, est relativement intacte. Ça n’est hélas pas le cas de notre guide, qui après son dernier coup d’éclat, se laisse tomber sur le sol, grièvement blessé.
Je finis ma course à ses côtés. Il est lourdement amoché, et transpercé de part en part par l’arme de son défunt adversaire. Il s’est battu vaillamment, mais la fin du combat sonne le retour de la conscience de la douleur et de la faiblesse. Tout le sang qu’il a perdu ne fait que le peiner davantage, et il demeure inconscient un bon moment, à mes côtés, alors que je récupère petit à petit mon souffle, grimaçant moi aussi sous le piquant de ma blessure…
_________________
|