Zsteriam est grièvement blessé, et je ne peux qu’assister à son désarroi. Il est mal en point, mais toujours vivant, et son regard marque clairement ce désir d’échapper aux griffes acérées d’une mort prématurée. Je soutiens sa tête dans ma main, et passe mes doigts sur son front, pour dégager quelques mèches gênantes de sa chevelure blanche.
(Tu n’as pas besoin de lui. Soutire-lui la position exacte de la tour que tu cherches, et abandonne-le à son sort. Il ne pourra être qu’un poids, là-bas.)
(Non, il s’est battu avec nous, alors qu’il aurait pu fuir. Il est notre guide et je ne le laisserai pas périr ainsi)
Ces derniers temps, tout particulièrement depuis notre retour de Verloa, Lysis me semble changée, et se fait de plus en plus catégorique dans mon esprit. Cela a commencé sur l’Île de Crimson, comme si un mauvais esprit tourmentait ses pensées immatérielles. Et je ne peux empêcher cette part d’ombre en elle creuser son sillon dans mon propre esprit. Je ne peux me résoudre à accepter tout ce qu’elle dit, cependant, je sais que petit à petit, je lâche du lest, me laissant de plus en plus faire, laissant ses idées accaparer mon esprit. Mais je n’ai pas envie de lui bloquer mes pensées. Elle fait partie de moi, et moi d’elle. Nous ne sommes plus qu’un, et je sais que malgré ses idées parfois farfelues et souvent cruelles, elle ne me ferait jamais de mal, ni ne m’amènerait dans une situation qui me mettrait particulièrement en danger. Parce qu’elle est moi, et que je suis elle. Parce nous formons un tout indissociable, malgré nos divergences.
La voix de Sidë me tire de mes pensées :
« On va avoir un problème. Faut qu’on parte d’ici, vite ! »
Debout à quelques mètres de moi, elle tient la bride des trois sarlaks en regardant partout autours. Le grand palais que nous venons de quitter par des souterrains secrets se dresse au dessus de nous, haut et majestueux, et donne sur une allée relativement large bordée de bâtiments de tailles diverses. Certains d’un étage seulement, d’autres, beaucoup plus grands, de formes diverses et pourtant d’architecture semblable, où la récurrence de la forme ronde et de la goutte d’eau est fréquente. Mais ce n’est pas pour admirer le paysage que l’elfe bleue m’interpelle. De l’autre côté de l’allée, au loin, des formes sombres se rapprochent. En quelques secondes, je parviens à distinguer la silhouette de six Sarlaks en armure sur lesquels sont juchés des marlaks lourdement armés. Étrangement, après l’accueil qui nous a été réservé à la sortie de ce tunnel, je ne parierais pas sur les réactions sympathiques de ces visiteurs impromptus, surtout vu les cadavres qui jonchent le sol. Notre guide marmonne alors, entre deux gémissements de douleur :
« On doit fuir, ils ne peuvent pas nous attraper. Allons droit vers l’Ouest. Vite. »
Prenant les choses en main, je décide de soulever son corps à moitié vivant, chose qui n’est pas trop difficile dans un milieu aqueux, et je le porte jusqu’à Sidë et les Marlaks. Je l’installe sur un d’entre eux, prenant bien soin d’accrocher les rennes de sa monture à sa ceinture, afin d’éviter toute chute accidentelle dans son état.
« Il faut que l’un de nous guide sa monture. »
« Je m’en occupe… »
Tant de dévouement de la part de ma compagnonne me surprend, mais je ne relève pas, préférant rester sur le côté pratico-pratique, dans cette impasse.
« Bien, filez droit, moi je m’occupe de distraire nos poursuivants pour qu’ils prennent du retard. »
Je n’a aucune idée de la manière dont je pourrais m’y prendre, d’autant plus que je ne suis jamais monté sur ces loutres aquatiques géantes, mais je suis avantagé dans plusieurs points : l’armure des montures de nos poursuivants ralentiront leur course, et amoindriront leur souplesse. Je dois donc me fier à ça, en espérant que nos animaux n’aient pas été trop traumatisés par le combat auquel ils viennent d’assister.
Ainsi, suivant mon conseil, Sidë grimpe maladroitement sur son animal, et croise ses rennes avec ceux de notre guide, afin de piloter dans le même temps les deux montures. Ils partent alors presque aussitôt, me laissant à l’arrière, alors que nos ennemis arrivent à vive allure. Rapidement, je m’approche du sarlak restant, qui me regarde d’un œil interrogateur, avant que je ne lui monte sur le dos sans qu’il n’oppose la moindre résistance. Ces bêtes sont dressées pour ça, après tout. Je trouve néanmoins leur stabilité moins grande que celle d’un cheval bien scellé, mais je crois pouvoir me débrouiller. Enfin, sans trop de difficultés, j’espère.
Je donne un petit coup de talon dans les flancs de Brasse – nom que je viens de confier à ma monture – et l’animal décolle de terre pour avancer dans la direction de l’allée, droit vers nos poursuivants. Je suis surpris par ce décollage, et manque d’être déséquilibré, mais je tiens bon, et m’accroche aux poils gras de la loutre géante pour ne pas tomber. J’ignore si j’use de la bonne tactique, mais comme je n’ai pas vraiment le temps de réfléchir ou d’essayer autre chose, je décide de foncer droit sur eux, épée au clair, alors que mon autre main s’agrippe frénétiquement à Brasse.
J’arrive ainsi rapidement à leur hauteur, et ils sont vite droit devant moi, à filer comme s’ils voulaient me foncer dedans avec férocité. Je décide de me montrer imprudent, et je force l’allure en maintenant mon cap. Hélas, mes ennemis sont très peu enclins à me laisser le passage, et ils abaissent leurs longs tridents dans ma direction. Juste avant d’être embroché, je parviens à monter en piqué pour échapper à leurs armes. Pris de réflexes surprenant, ils dévient également leur trajectoire en un looping impressionnant qui les colle presque aussitôt à mon train, juste derrière moi.
(Mince…)
Je zigzague tant bien que mal pour les éviter, et décide de faire jouer la souplesse de ma monture pour me débarrasser de ces gêneurs. Repérant plus bas un petit ramassis de ruelles tordues, je fais descendre à vive allure Brasse vers ce dédale de la ville. Je suis suivi par deux de mes poursuivants. À vive allure, je me rends donc droit vers ces passages étroits, vers ces murs biscornus et ces toits pointus. La vitesse est telle que j’ai l’impression que je vais m’écraser sur l’un d’eux, ou finir empalé sur le faîte d’un des bâtiments. Heureusement, ma monture, bien que remuante, est aussi agile que je l’avais espéré, et mes poursuivants n’arrivent bientôt plus à me suivre dans ma fuite éperdue. Derrière moi, j’en entends même un foncer dans un tas de caisses de bois, provoquant un véritable carambolage avec sa monture. L’autre est ralenti par cet accident, et je décide de profiter de cette opportunité pour filer loin de ces deux là. Hélas, les quatre autres sont toujours là, à m’attendre au dessus.
Au loin, à l’Ouest, je vois la silhouette des montures de mes compagnons, déjà bien éloignés, et au fond de ma vision, j’aperçois une ombre menaçante et haute, certainement la tour que nous cherchons.
Je dois me débarrasser de ces gêneurs, aussi je fonce droit dessus, épée au clair, sans trop savoir quoi faire contre leurs montures. C’est alors qu’une possibilité s’offre à mon imagination : Alors que je fonce vers ‘un d’entre eux, je décide de faire un piqué juste en dessous de son animal, et je laisse le fil de mon épée glisser sur les articulations des pattes palmées de sa loutre. L’animal grogne, blessé, et ne peut que ralentir sa course.
Profitant de la confusion de mes poursuivants, je leur file entre les doigts, et parviens à me retrouver juste derrière eux. Je passe entre deux montures, bras tendus sur les côtés, armes dégainées, et je laisse Brasse dépasser ses pairs avec vitesse. Au moment où je passe à hauteur des deux pilotes, je les pousse avec force et, déséquilibrés, ils sont forcés de faire un écart avec leur monture.
Sans plus attendre, je prends la direction de l’Ouest, afin de m’écarter de la ville. Mais mon dernier poursuivant indemne me prend en chasse, et me suit de près. Je décide de changer de tactique. L’épée sombre et maudite à la main, je freine et me retourne vers lui.
« Ne me suis pas, inconscient, car je vais là d’où nul ne revient ! »
Il semble hésiter un instant, puis, voyant qu’il est désormais seul à me suivre, il fait volte-face et s’en va rejoindre les siens… Je suis débarrassé d’eux, et je peux donc rejoindre mes compagnons, à toute vitesse, en direction de la Tour Noire…Je ne tarde pas à les rattraper, puisqu’ils sont plus lents que moi.
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