I.4- Un dédale de souvenirsEn trois ans la demeure n’avait pas changé, toujours aussi vide, aussi froide. Malgré soleil de plomb, un léger vent soufflait faisant claquer les volets de la maison. Arrivé devant sans vraiment s’en apercevoir, Jorus pris quelques instants pour assimiler le flot de souvenirs qui lui parvenaient. Ayant repris ses esprits, il attendit que la rue soit vide pour pénétrer dans la maison par un passage sur le côté gauche de la maison. Arrivé à l’intérieur une étrange sensation lui parvint. Il connaissait cette maison par cœur l’ayant « habité » pendant longtemps, néanmoins il ne se sentait plus chez lui. Seule la Perle Brune était sa demeure désormais.
Parcourant la maison pour la première fois depuis ses trois dernières années, il s’aperçut que tout était aussi clair dans ses souvenirs que devant lui. Peut être trop même. Les quelques vases plus ou moins intactes qu’ils avaient possédés étaient toujours en place, les tapis avaient toujours la même position et les morceaux de rideaux n’avaient pas bougé d’un pouce. Tout était en place comme il y a trois ans, comme s’il était parti ce matin même. Malgré le temps passé, il ne trouva aucun indice ni aucune raison pour expliquer que la maison s’était ainsi figée dans le temps. L’inspection du salon étant terminée, Jorus décida de monter à l’étage des chambres. Lentement, il monta l’escalier à droite de la porte d’entrée, évitant autant que possible de le faire grincer. Arrivé en haut, le couloir qui donnait sur les chambres était froid et sombre. La fenêtre était toujours condamnée ne laissant passer, avec un rideau délabré, que de rares rayons de lumières contribuant à une vision légèrement angoissante de la maison.
La première porte donnait sur la chambre de Garvesh. Tout comme le couloir et la plupart des pièces de la maison, la fenêtre ne laissait que peu de lumière, juste assez pour se repérer dans la pièce. Une idée de Garvesh qui ne voulait pas attirer l’attention à l’intérieur de la maison par des déplacements visibles de l’extérieur. La chambre était assez spartiate, un restant de matelas à même le sol, une commode aux tiroirs cassés sorties de leurs encastrements et une armoire dans un état encore plus lamentable. Quelques débris traînaient là pour faire croire à de rares visiteurs que la maison était abandonnée et on distinguait ci et là des bâtons taillés en épées que travaillait Garvesh à l’époque pour faire partir de probables d’autres visiteurs souhaitant s’établir ici. La pièce voisine à celle de Garvesh, proche de la fenêtre du couloir, était celle de Jorus. Ressemblant presque aux précédentes au niveau de la décoration des débris et de l’ameublement. Remplis du même désordre datant avant son départ, il n’y avait rien, hormis de nouveau un flot de souvenir. Les rues, le marché, le port, les tavernes, le poste de la milice et même cette demeure, tout dans cette ville faisait resurgir des souvenirs d’un passé révolu. Si effectivement il avait un avenir, ça ne serait pas à Eniod. Alors qu’il allait se coucher sur son ancien matelas, un bruit se fit entendre au rez-de-chaussé.
Imitant un chat aux aguets, Jorus ne bougeait pas de peur de dévoiler sa présence et profita de quelques instants pour réfléchir. La porte d’entrée n’avait pas fait de bruit, la seule entrée discrète possible était donc le passage qu’il avait utilisé et Garvesh était le dernier à la connaître.
(Veut-il finalement terminer le travail ? A-t’il été sermonné de m’avoir laissé en vie ? Peut importe à présent, je ne me laisserai pas faire. Je ne le battrai probablement pas même avec la dague, mais je ne partirai pas en me faisant éplucher comme un lapin.)
Lentement, Jorus se déplaça hors de la chambre. Cherchant les endroits les moins bruyants pour poser les pieds, il avança prudemment le long du couloir. Dans la situation actuelle, le meilleur endroit pour surprendre Garvesh est l’angle entre le couloir et l’escalier. Arrivé au bout, Jorus se baissa pour ne pas projeter son ombre dans la partie visible de l’escalier. Même avec le peu de lumière entrant dans la demeure, il ne voulait rien laisser passer. Sans aucun bruit, immobile, il attendit. Les bruits de pas à l’étage inférieur, semblaient passer d’une pièce à l’autre sans chercher une totale discrétion. Il n’y avait qu’une personne, enfin de ce qu’il entendait. Peut être étais-ce une ruse pour berner Jorus, mais il ne le saura que d’une seule façon. Lorsque les bruits de pas s’engagèrent dans l’escalier, tous les muscles de Jorus se crispèrent. Véritable brouhaha dans l’escalier, le visiteur ne voulait certainement pas passer inaperçu. Lorsque qu’une main atteignit le bout de la rambarde, Jorus l’attrapa rapidement pour la tirer dans sa direction et d’un coup de pied bien placé, fit trébucher la silhouette dos au sol. Il lui sauta dessus, bloquant ses mouvements, Jorus lui bloqua le visage sur le côté avec la main gauche et écrasa les bras de son visiteur avec les genoux. Tout comme Garvesh l’avait maîtrisé dans la taverne, Jorus avait cette fois-ci le contrôle de la situation. Il avait vite retenu la leçon et n’avait laissé aucune chance à son adversaire. Alors qu’il brandissait déjà la dague prête à abattre son ennemi, une légère brise fit bouger le rideau et un rayon de lumière apparu sur le visage de la femme, Farène.
Un long soupir soulagement lui échappa lorsque Jorus enleva sa main de la bouche qu’il avait bloquée sans le vouloir et baissa la main tenant la dague.
-Par tous les dieux Jorus tu m’as fait peur. J’ai cru mourir.Sans prendre le temps de répondre, Jorus l’a releva en position assise et l’a pris dans ses bras. Alors que l’étreinte se fit plus forte, Jorus se laissa aller à un long sanglot.
-Viens, allons en bas veux-tu ?Quelques instants plus tard dans ce qu’on peut appeler un salon, Jorus se tenait sur une moitié de canapé tandis que Farène, assise sur une chaise, lui faisait face.
-J’ai eu la peur de ma vie. J’ai entendu qu’il y avait eu une bagarre entre Garvesh et un jeune homme. Je n’ai fait le rapprochement avec toi que lorsque j’ai vu le pavillon de la Perle Brune et je t’ai vu entrer ici en rentrant précipitamment chez moi. Raconte-moi ce qui s’est passé et pourquoi tu es revenu.Jorus était désormais plus calme après avoir séché ses larmes. Il expliqua lentement les divers voyages qu’il avait fait avec la Perle Brune et les raisons de leur arrivée à Eniod.
-Le capitaine a entendu parler d’un convoi important quittant Eniod. Il souhaitait s’y rendre puis le prendre pour partir en sécurité. C’est la raison pour laquelle il ne vient ici que rarement. Nous ne devions que repartir demain et je pensais avoir le temps de voir Garvesh et Ysolde. J’ai retrouvé Garvesh comme tu t’en doutes et tu sais comment ça a finis, sauf qu’il m’a laissé en vie. Il m’a également appris la mort d’Ysolde.-Je vois que ça a été une dure journée pour toi. Prends le temps de te reposer, ici tu es en sécurité, Garvesh n’est plus revenu depuis que tu es partis. C’est une chance que le convoi maritime parte demain, tu pourras en profiter pour partir très vite. Sinon comment vas-tu ?Jorus compris qu’elle voulait délibérément éviter un sujet en particulier, alors il prit son courage à deux mains et le lui demanda.
-Assez mal depuis que mon meilleur ami à faillit me tuer et que j’ai appris la mort d’Ysolde. Dis-moi comment c’est arrivé ?Alors qu’elle espérait ne pas en parler pour lui faire subir davantage, elle se résigna et parla.
-Lorsque tu es parti, j’ai emmené Garvesh et Ysolde chez moi. Je savais que Durza enverrai des hommes que ce soit les siens ou même la milice les chercher en ville. Le seul moyen était de les faire quitter Eniod. Ils se sont faufilés à l’extérieur la nuit, mais se sont fait prendre avant d’atteindre la forêt quelqu’un les a probablement avertis mais j’ignore qui. J’ai vu les hommes qui les ont ramenés, Garvesh était maintenu par des liens, tendis qu’un corps inerte était emmitouflé dans une sorte de draps sombre. Je n’ai pu voir que les cheveux pour comprendre qu’il s’agissait bien d’Ysolde. C’est la dernière fois que je les ai vus. Quelque mois plus tard, la troupe des serpents rouges affichaient fièrement le nouveau membre, Garvesh. Depuis les hommes de Durza sont de plus en plus dures avec les villageois.-J’avais espéré qu’il y ait une chance pour qu’Ysolde ne soit pas morte mais c’est peine perdu. Il ne me reste plus rien ici. Il a bien du savourer notre dernière discussion dans la taverne avant de me faire mordre la poussière.Farène fut soudainement prise d’une soudaine angoisse.
-Tu as parlé avec Garvesh ? Que lui as-tu dis ?-Je lui ai parlé de mes voyages avec le capitaine, les divers combats de taverne, les abordages des pirates à bords de la Perle Brune…-Tu lui as parlé du bateau ?-Oui désolé, je ne pensais pas qu’il travaillait pour Durza.-Je ne crois pas que tu comprennes bien la situation. Bientôt Durza apprendra ta venu ici et enverra ses hommes. S’il ne veut pas subir un sort funeste, Garvesh t’attendras au port. Cependant, c’est peut-être une bonne chose…-Pourquoi dis-tu ça ? Comment je vais faire pour partir si on m’attend au port ?-Simplement parce que tu ne partiras pas avec le capitaine, tu ne pourras pas. Ecoutes, demain tu te rendras à la sortie de la ville. Ils s’attendront à ce tu ailles au port donc il n’y aura probablement personne à l’entrée, en tout cas aucun des hommes de Durza et je pense qu’il voudra s’occuper de toi discrètement sans avoir affaire à la milice. Donc demain tu partiras par la grande porte, le reste dépend de toi. Tu devras trouver un moyen de te rendre dans une autre ville sans éveiller les soupçons.-Mais le capitaine, que va-t-il lui arriver ?-Ne t’en fais pas pour lui, j’irais le prévenir il saura comme gérer la situation. Il aura simplement à nier ton passé c’est tout, d’ailleurs je doute qu’il en sache long sur toi à moins que tu ne le lui aies dit.-Non je n’ai pas souvenir d’en avoir parlé, même les autres membres de l’équipage devraient l’ignorer. Que vais-je devenir Farène ? Comment vais-je survivre ?-Comment ça tu l’ignores ? Tu as vu de nombreux ports de nombreuses, villes. Tu sais que le travail ne manques pas à qui sais se retrousser les manches et nous sommes à une époque où des aventuriers font étalages de leurs exploits. Tu es débrouillard je sais que tu y arriveras. Maintenant tu devrais te reposer et te calmer. Je sais que tu as vécu beaucoup de choses assez traumatisantes en peu de temps et tu vas devoir faire preuve d’un grand contrôle de toi-même. J’avais fait les courses quand je t’ai vu, je t’en laisse suffisamment pour ce soir.-Tu t’en vas déjà ? J’aurais espéré que tu m’en dises davantage sur mes parents.-Il faut vite prévenir Lorik de ce qui se trame. En ce qui concerne tes parents je peux t’en parler ce soir. Sur ce je m’en vais. Ne sors pas et n’attire pas l’attention ici. A plus tard.-A tout à l’heure Farène.Décourager de ne pouvoir retourner sur le bateau, Jorus ne pris pas la peine de raccompagner Farène vers le passage. Malgré tout ça, la trahison de son ami, la mort d’Ysolde, il pouvait compter sur Farène pour en apprendre plus sur ses parents et repris un peu le moral. La journée passa, Jorus utilisa ce que lui avait laissé Farène et attendit son retour. L’épuisement de la journée et son combat avec Garvesh, eu raison de lui et il fini par s’endormir.
5. Plus qu'un lieu, une demeure (suite)
