Les rues se remplissent peu à peu, les Eniodais s'affairant avant que le soleil n'atteigne le zénith, et que la chaleur ne devienne insupportable. Dans mon dos, je sens quelques regards, quelques murmures. J'essaye de rester dans de petites rues, espérant profiter de l'ombre et esquiver la foule, mais la ville s'est transformée en véritable fourmilière, et je ne peux m'empêcher d'entendre les chuchotements sur mon passage. Mais comment cacher ma peau bleu ou ma chevelure écarlate ? Même mes vêtements, grossiers et usés, semblent me séparer des Eniodais.
Je me dirige vers le centre de la ville, cherchant plus à fuir la réprobation qui m'entoure qu'à véritablement m'orienter. Je ne sais même pas où se trouve les bâtiments de la milice, de toutes façons. Car c'est l'idée qui m'est venue pendant la nuit : la seule chose que je sais faire, le seul moyen que j'ai pour récupérer rapidement de l'argent : me battre. Pourtant, l'idée m'inquiète. Je ne crains pas les ennemis que je pourrais avoir à affronter, non. Me battre sur terre me semble étrange, mais un coup de hache reste un coup de hache. Non, c'est l'idée même qui me semble absurde, contre-nature. Un Sang Pourpre, défendant une ville ? Eniod, qui plus est ; une des cibles préférée de mon peuple. L'or a toujours attiré les pirates ; les Sang Pourpre plus que tout autre. Enfin... Ce n'est pas comme si j'avais le choix.
Avisant une patrouille de milicien dans une ruelle attenante, j'inspire profondément, et force le pas afin de les rattraper.
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Excusez-moi ! "
Les trois soldats s'arrêtent, se tournent vers moi. Celui qui doit être le chef a une quarantaine d'année, les cheveux courts et le visage glabre ; les deux autres sont plus jeunes, ils ne doivent avoir que quelques années de plus que moi. Ils arborent tous deux une courte queue de cheval et une une barbe de trois jours, mais leurs carrures diffèrent totalement : l'un est dans la moyenne Eniodaise, et semble plus bourgeois que guerrier ; mais l'autre, s'il ne m'arrive qu'a l'épaule, semble fort et vif. Son regard, perçant, lui donne un air redoutable.
Indécis, je m'immobilise. Face à ces hommes en armes et armures, je me sens faible, chose qui ne m'est pas arrivé de puis longtemps. Quand le silence commence à se faire long, le plus âgé prend la parole :
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Eh bien ? Que veux-tu ?-
Hum... Je cherche... Pourriez-vous m'indiquez où se trouve la milice d'Eniod ?-
A trois rues d'ici, vers la gauche, non loin du marché...Il accompagne son explication de quelques gestes, mimant le chemin.
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... Ensuite, tu remontes la rue jusqu'à la place, et tu y es. Mais, dis-moi, pourquoi veux-tu te rendre là-bas ?Est-ce qu'il a remarqué que je n'ai quasiment rien compris à ses explications, ou est-ce que l'idée d'un Sang Pourpre souhaitant trouver sans contrainte la milice lui semble étrange, je ne saurais le dire.
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Eh bien, je souhaiterais m'engager dans la milice... J'ignore comment cela fonctionne, mais je crois que c'est possible.Devançant son supérieur, c'est le bourgeois qui reprend la parole :
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Vous, devenir un milicien ? Ridicule. La milice est là pour protéger la ville, pas pour la piller !Avant que je ne puisse réagir, le premier milicien intervient.
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Silence, Gawain ! Puis, se tournant vers moi :
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Excuses-le, il est un peu trop impulsif. Pourquoi ne viendrais-tu pas avec nous ? Nous allions rentrer de patrouille, et j'aimerais te poser quelques questions. Je sens ma gorge s'assécher. Je n'aime pas du tout l'idée de suivre ces miliciens... Pendant toute la conversation, le dernier homme est resté silencieux, me fixant, semblant prêt à me sauter dessus, l'arme à la main, si j'avais eut la mauvaise idée de vouloir partir ; et le dénommé Gawain ne m'inspire pas confiance. Mais je n'ai pas vraiment le choix. J'emboîte le pas à la patrouille, et me retrouve rapidement aux côtés de leur chef, alors que les deux autres se place derrière moi.
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Au fait, je me nomme Carsel. Enchanté.Il me fixe un instant avant que je réagisse.
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Asgeir. ... De même.-
Dis-moi, jeune homme... Pourquoi souhaites-tu rejoindre la milice de cette ville ?J'aurais dû y penser avant... Plutôt que de m'inquiéter de ma place parmi la milice, j'aurais dû me demander pourquoi eux m'accepteraient !
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Euh... Il me faut de l'argent. J'arrive à peine dans cette ville, et je n'ai presque plus de yus. -
Que faisais-tu, avant ?Qu'est-ce qu'il veut que je lui dise ? Que je pillais des bateaux, tuant sans remords ?
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Avant... Je n'ai pas envie d'en parler. Je me suis enfui, et j'ai envie de tout recommencer, de laisser mon passé derrière moi.Il me fixe, semblant vouloir lire dans mes pensées. Je tente de me détendre, mais je sens bien que je n'ai pas l'air à l'aise. La chaleur m'indispose, je ne sais quoi faire de mes bras. Comment fait-il pour rester ainsi, calme, serein, sous son armure ? Elle est légère, certes, en cuir ; mais par cette chaleur...
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Et dis moi, pourquoi la milice te ferait-elle confiance ? Gawain n'a pas tort, les Sang Pourpre sont plus connus pour leurs pillages que pour leur désir de protéger des villes...Je secoue la tête, répondant autant à sa phrase qu'a mes propres pensées.
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Je ne sais pas... Je ne demande pas grand chose. Confiez moi un travail ingrat, sous la surveillance d'un autre ; je suis un bon guerrier. Je pourrais être utile à la ville, j'en suis sûr ; et après tout, je ne serais pas plus dangereux à votre service que libre. Si vous vous méfiez, ainsi, vous pourrez garder un oeil sur moi. Pourquoi ne pas essayer ? Ce n'est peut-être pas un noble but, mais j'ai besoin d'argent ; et quand on me confie un travail, je le fais. "
Carsel semble vouloir répondre, mais il se détourne finalement, saluant un autre milicien. Nous sommes arrivés devant les bâtiments de la milice : l'ensemble n'est pas majestueux, mais la présence de deux étages rend le lieu imposant, surplombant les maisons alentours. Le blason de la ville brille fièrement au soleil, au-dessus d'une double porte, ouverte. Deux miliciens gardent l'entrée, un peu en retrait afin de profiter de l'ombre.
Sans attendre, Carsel entre, me faisant signe de le suivre.
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