I.2-Les rues de mon enfanceLa taverne du Dragonnet d’Or est un établissement assez fréquenté. On y trouvait rarement des bourgeois, mais l’établissement avait la réputation de n’avoir que très rarement des bagarres, ce qui dans le genre, était assez rare. Lorsque Jorus entra, une atmosphère accueillante et chaleureuse y régnait. Il approcha du comptoir et demanda quelque chose à boire. A côté de lui se trouvait le dragonnet d’or, l’enseigne de l’établissement. Il avait entendu parler de rumeurs disant que cette statuette portait chance à quiconque la regardait et apportait bénédiction à celui qui y déposait de l’argent.
(Pourquoi je tenterai pas ma chance, j’suis pas à quelques yus près et puis, qui sait !)
Il déposa quelques yus sous le dragonnet et se retourna, dos au comptoir, pour regarder l’assemblée de la taverne tout en appréciant sa boisson.
Cette taverne méritait sa réputation. De nombreuses personnes s’étaient installées profitant d’un bon repas et d’une bonne ambiance musicale. Les tables étaient placées selon les besoins des clients, provoquant un placement assez chaotique. La taverne était richement décorée, contemplant ici et là diverses têtes d’animaux accrochés aux murs comme des trophées et quelques tableaux de peintres non reconnu. Au plafond, quelques lustres à bougies, attendant la nuit pour faire leurs offices, et au milieu du mur, opposé au comptoir, se trouvait une cheminée contenant les restes du brasier de la veille. Dans un coin, de l’établissement on pouvait apprécier Lucas, le neveu du patron, joué du luth, secondé par sa fiancée Béjine dont la voix douce rendait le sourire aux plus grincheux. Là, assis au comptoir, Jorus se sentais bien. Il était loin le voleur que connut Eniod, arpentant les rues en quête de nourriture, évitant la milice et les divers truands des quartiers malfamés. Ici se tenait un homme qui avait voyagé, travaillé dur, avait rencontré de nombreuses personnes avec des caractères si différents. Il avait tant de choses à partager à Garvesh et Ysolde. Il sourit en repensant aux bagarres dans les tavernes, finissant généralement dans la rue et se dit que dans cette taverne, il serait loin de tous ces échanges à coups de poings.
De retour chez lui, Jorus ne souhaitait que profiter de cet instant de tranquillité et ne voulait en rien chercher les ennuis. Mais quand on ne cherche pas les ennuis, les ennuis finissent eux, par vous trouver. Trois hommes affublés de tenus sombres entrèrent dans la taverne et l’atmosphère devint légèrement plus froide. Marchant jusqu’au comptoir, le plus petit se plaça juste à côté de Jorus. Celui-ci perdu dans sa béatitude, n’avait ni remarqué la présence des hommes, ni le changement d’ambiance et fut des plus surpris quand l’homme assis à sa droite l’interpella.
"Alors l’ami, on prend du bon temps ? Depuis quand les pirates dépensent honnêtement l’argent gagné malhonnêtement ?"Jorus pris quelques secondes pour examiner l’homme qui lui parlait avant de répondre. Il était habillé essentiellement de couleurs sombres, comme ses deux camarades. Sa cape ramenée sur ses jambes, affichait un symbole rouge sang d’un serpent enroulé autour d’une épée sombre, avec trois perles violettes sur la poignée et la garde de l’épée. Jorus ne put identifier le visage de l’homme, ce dernier regardait toujours devant lui et entre ses cheveux détachés voletant sur son visage et son gant de cuir ramenant son verre à sa bouche, il ne vit qu’une longue cicatrice de la tempe droite jusqu’en bas de la joue. Assez musclé, l’homme semblait tout faire pour paraître menaçant et visiblement, ça marchait.
"Ta cicatrice a dû toucher ton œil pour que tu vois en moi un pirate, le balafré !"Ce coup-ci, Jorus sentis le changement d’atmosphère de la taverne. Les discussions n’étaient désormais plus que des murmures, personnes ne regardait dans la direction du comptoir, certains clients avaient vite désertés les lieux et l’ambiance musicale s’était arrêté pour un entracte précipité. Même un aveugle aurais sentis que la situation allait tourner au vinaigre et Jorus avait autre chose à faire que de participer à un échange de phalanges.
"Tu m’excuseras, l’ami, mais j’ai de vielles connaissances à retrouver. T’as qu’à boire à ma santé !"Jorus laissa sur le comptoir assez de yus pour payer à boire aux trois hommes. Il fallait qu’il mette les voiles. Alors qu’il commença à partir, l’homme à la cicatrice s’adressa à lui de nouveau quand Jorus le dépassa dans le dos.
"Pourquoi allez chercher tes amis dans l’enclos des cochons, quand ceux-ci sont si près de toi ?"Un souvenir refit surface dans l’esprit de Jorus ; il y a des années Jorus et son ami Garvesh, se battant dans l’enclos des cochons pour attirer l’attention d’Ysolde, la troisième et dernière du groupe.
Il prit quelques temps pour regarder l’homme de nouveau. Certes son ami était petit, mais il était également aussi fin que lui, loin du stéréotype du videur de taverne devant lui.
" Impossible…c’est toi ? C’est toi Garvesh ?"L’homme se retourna laissant apparaître le reste de son visage.
"Et comment que c’est moi, voleur de poulet !"Le sourire revenu, Jorus lui sauta au coup et l’enlaça dans une étreinte, pas vraiment virile. Il reprit sa place et commença à interroger son ami face à face, accoudé au comptoir. L’euphorie des retrouvailles lui embua l’esprit, l’empêchant de remarquer que Garvesh arborait une mine grave.
"Ca fait si longtemps qu’on s’est pas vu, j’suis vraiment content de te revoir ! J’vois que t’as pris du poil de la bête !""Eh bien ouais comme tu le vois j’me porte bien ! Mais apparemment pas autant que toi regarde moi ces fringues, t’as fini par voler autre chose que des légumes ?""Haha non, ça je le vaux à des pirates qui tentaient de voler la cargaison de la Perle Brune, le bateau où j’ai passé tout mon temps. Et Ysolde comment va-t-elle ? Elle n’est pas venue avec toi ?"D’un simple geste discret de Garvesh, les deux autres hommes se levèrent. Ils n’eurent pas à parler pour chasser les derniers clients, leur charisme dont ils faisaient preuves y jouaient pour beaucoup même le tavernier fit un tour dans sa réserve. Le Dragonnet d’Or une fois vide, les deux hommes se postèrent devant la porte à l’extérieur. Garvesh eu une légère grimace en lui faisant face et posa son verre lentement, faisant durer le suspens de la réponse. Jorus quant à lui ne regardait que son ami, trop content de ses retrouvailles.
"Dis-moi, tu sais que ta tête a été mise à prix depuis ton départ. On offre une coquette somme pour toi. Mort ou vif peu importe Durza semble vouloir ta mort. Tu as fait quoi pour avoir un tel homme sur le dos ?""Une mise à prix ? Non je l’ignorais. Hormis l’affaire du carrosse il y a trois ans, je crois plus qu’il faille rechercher dans le passé de mes parents. Pour quel motif Durza me pourchasse-t-il ?"Le poing de Garvesh se serra si fort qu’il brisa son verre, faisant sursauter Jorus.
"Pour sorcellerie, tout comme tes parents. C’est également cette histoire de sorcellerie qui m’a valu de nombreux problèmes. D’ailleurs c’est l’occasion rêvée pour te remercier de tout ça !" Tandis qu’il cherchait des réponses dans l’expression de Garvesh, il reçu le poing de son ami en pleine figure et vola à deux mètres de là où il était. L’agresseur se mit debout, dans une posture de défis.
"Après tous ces coups reçu à ta place et tout ce temps que j’ai ruminé dans les geôles. Je ne pensais qu’à me venger de toi et maintenant que tu es revenu, je vais enfin satisfaire ce plaisir. Maintenant relève-toi !"Jorus se releva submergé par l’incompréhension. Pourquoi son ami s’en prenait à lui. Eux qui avaient connu tant d’épreuves ensembles, avaient connus la faim, les hivers rugueux et les coups de bâton de la milice, pourquoi se trouvaient-ils désormais, face à face ? En massant sa mâchoire, Jorus s’aperçut du sang qu’il avait perdu. Au milieu de toutes ces questions il y trouvait une certitude : la personne en face de lui n’était pas son ami, mais un homme qu’il allait devoir affronter.
"Je suis désolé de ce qui t’es arrivé, mais je n’y suis pour rien dans le traitement que tu as subi, je n’étais pas là ! Je vous pensais en sécurité toi et Ysolde, avec Farène. Si vraiment tu veux régler tes comptes avec moi alors viens, je t’attends !""Pauvre naïf ! Les choses ont beaucoup changé depuis que tu es parti, tout comme moi."Garvesh s’élança à son encontre déclenchant un directe du droit. Jorus se baissa pour l’éviter, passa sous le bras de son ami, pour remonter, l’attrapa au col et lui asséna un coup de genou dans le ventre. Il arma son droit le temps que son adversaire se relève et l’envoya valser à quelques mètres de là.
(Maintenant nous sommes à égalité)
Garvesh prit le temps de se relever, comme s’il appréciait la rage de combattre de son ancien ami. Le sang lui coulait du nez sur un sourire malsain. Jorus pris ce laps de temps pour observer ses failles. Garvesh portait une armure de cuir des épaulettes jusqu’aux bottes. Hormis les aisselles, les lanières sur les flans et une légère faiblesse sur les côtés des genoux, seule la tête était directement vulnérable et rien d’autre ne permettais pas de porter de réels dommages. Jorus l’avais sentis en portant ce coup de genoux, le cuir était robuste et il n’avait pas la force d’impacte suffisante pour lui faire mal et aucune arme tranchante pour défaire les liens. A la différence de son vieil ami, il ne portait que des vêtements souples et ses mouvements n’étaient aucunement entravés. S’il voulait le battre il devait être plus rapide et plus précis, ça n’allait pas être facile.
"Je vois que tu t’es également amélioré. Serais-ce ces pirates que tu as affrontés ? Ne me prends pour ces rigolos. J’ai reçu un entrainement spécial et je suis bien plus fort que toi désormais.""Ca on va vite le savoir."Les deux hommes se ruèrent l’un sur l’autre. Jorus esquivait tant bien que mal les attaques de son adversaire jouant avec ses mouvements amoindris par l’armure, cependant le peu de coups qu’il recevait l’épuisait et bientôt il ne pourrait plus esquiver la moindre attaque. La taverne commençait à perdre de son charme avec les tables et les chaises qui se cassaient. Petit à petit de Jorus devinrent moins précis, acculé contre le mur, il commença à perdre le combat.
(Quand on ne peut vaincre son adversaire, il faut battre en retraite. C’est bien beau de m’avoir dit ça capt’aine, mais je me débarrasse comment de lui et je fais quoi des deux malabars ?)
Il fallait gagner encore un peu de temps pour trouver une solution. En prenant appuis contre le mur, il propulsa au niveau de la ceinture Garvesh qui recula un peu plus loin en arrière. Celui-ci surpris par ce mouvement, trébucha contre un morceau de pied de chaise qui traînait au sol.
(Voilà la réponse !)
Ne laissant que le temps à son vieil ami de se relever, Jorus s’élança sur lui, sauta et marqua le cuir de son torse par la semelle de ses deux bottes d’un coup puissant. Alors qu’il tomba lourdement sur le sol, Garvesh lui, fut éjecté contre les tables dans un fracas colossal. C’était le moment de foutre le camp. La porte de dehors ne permettait pas de fuir. En regardant autour de lui, Jorus tomba sur l’estrade des musiciens.
(Le joueur et la chanteuse ne sont pas sortis par la porte principale, il y a donc une autre issue !)
Ne prenant pas le temps de contourner les tables, il sauta dessus et arriva là où le neveu du patron se trouvait il y a moins dix minutes. Du comptoir on ne pouvait rien distinguer, mais de l’autre côté de la taverne on pouvait facilement voir la porte utilisée par les artistes. Jorus jeta un dernier regard sur Garvesh, son ami commençait à se relever. Tandis qu’il s’apprêtait à ouvrir la porte son sourire revint : une fois de plus il avait gagné, si on peut appeler cela une victoire. Il s’avança, la main sur le verrou et se cogna le visage contre la porte ; elle était verrouillée. Alors qu’il s’acharnait contre la poignée espérant une simple rouille, derrière lui il sentit son ancien ami chargeant, tel un rhinocéros, éjectant tables et chaises d’un revers de la main. Il se retourna pour lui faire face et Garvesh l’utilisa pour ouvrir la porte de façon non conventionnelle.
Jorus repris conscience quelques instants après. Il était étendu dans une petite pièce, au milieu des débris de la porte et son bras gauche coincé par la chute d’une étagère. Son adversaire, se tenait assis sur lui, affichant le sourire du vainqueur. Haletant, Garvesh maintint l’autre bras valide avec sa main gauche, de son autre main il sortit une dague de son dos.
"Maintenant, tu vas payer pour tout ce que j’ai subis."A la merci de son bourreau, il attendit la mort. Les dernières pensées de Jorus allèrent à l’équipage de la Perle Brune, Farène et Ysolde qu’il ne reverra jamais. Et la dague s’abattit.
(Ca y est ? Je suis mort ? Je n’ai pourtant rien sentit et je ressens encore la douleur des coups que j’ai reçus)
Jorus ouvrit les yeux. Il était toujours couché au milieu des débris et son adversaire toujours assis sur lui, la main tenant encore la dague plantée dans le sol.
"Je peux pas ! Je peux pas te tuer. En la mémoire d’Ysolde, je le ferai pas."Toujours étendu au sol, Jorus n’en revenais pas, il était en vie alors qu’il avait accepté son sort. Alors qu’il commença à prier les Dieux pour être encore en vie, l’allusion à Ysolde pris forme.
"Je comprends pas, tu parles d’elle comme si elle était…"...morte. Oui, c’est le cas."En cet instant, il aurait préféré que la dague lui transperce le cœur. Tandis que les larmes perlaient son visage, Garvesh se releva pour se laisser tomber contre le mur de l’arrière boutique, ou de ce qu’il en restait.
"Il a pas fallu beaucoup de temps avant que Durza ne nous trouvent. Il nous a laissé le choix, soit on travaillait à son service et on te ramenait à lui, soit il s’occupait de nous. Comme tu t’en doutes Ysolde a refusé d’être sa boniche. Elle a été égorgée sous mes yeux. J’étais anéanti, non parce qu’elle avait été tuée, mais parce que même aux portes de la mort, ses derniers mots étaient pour toi, toi qui nous as mis dans cette situation. J’ai juré de me venger de toi ce jour-là. Durza m’as pris sous son aile et depuis je travaille pour lui dans le groupe des serpents rouges. Durza est très riches, il lui est facile d’obtenir les services de certains membres de la milice pour qu’elle ferme les yeux. Et comme tu as pu le voir nous sommes assez craints."Jorus ne pouvait plus bouger. Entre la révélation de la mort de celle qu’il aime et son meilleur ami devenu son ennemi, tout l’univers de Jorus s’écroulait, il ne lui restait plus rien. Plus rien, hormis la mort. Garvesh se releva lentement. Il semblait lui aussi avoir souffert de ce combat, autant sur le plan physique que psychologique. Le retour de Jorus lui avait ramené tous ces souvenirs, ces douleurs endurées.
"Tu ferais mieux de partir. Si je t’ai laissé en vie, d’autres n’auront pas autant de gentillesse à ton égard. Si je croise ton chemin de nouveau ici, je n’aurais d’autres choix que de te tuer. Prends cette dague, tu en auras probablement plus besoins que tu l’ignores. Pars et ne reviens jamais !"Sur ces mots il partit, laissant Jorus seul, se laissant absorber par le chagrin. Ce dernier mit encore quelque temps avant de se relever. Il ne comprenait toujours pas comment cette belle journée avait pu tourner ainsi, comment ses rêves de retrouvailles s’étaient transformés en un tel malheur. Il avait tout perdu, tout.
(Peut être pas, il ne m’a pas parlé de Farène, m’aurait-il menti ? Si je veux en avoir le cœur net, je dois lui parler.)
Se mettant sur les genoux, il prit encore quelques minutes pour reprendre son souffle. En s’examinant, il trouvait ici et là quelques marques qui allaient devenir de sacrés bleus et du sang mais rien de grave. Il remit en place ce qui restait de ses vêtements et accrocha la dague plantée dans le sol à sa tunique. La lumière du Soleil faisait ressortir une porte de derrière. Seul le besoin de connaître la vérité le poussa à partir.
Dehors Garvesh retrouva le Soleil et ses deux comparses.
"Alors tu t’es occupé de lui, où es son corps ?""Pas la peine de le chercher, il a réussi à s’enfuir, il est plus coriace que je ce que je croyais. Ce dont je suis sûr en revanche, c’est qu’il ne risque pas de revenir ici, il est partit comme le bâtard qu’il est."« Hahahaha ouais je m’en doute, mais la tête de ce gus me disait quelque chose. Bon filon, ta femme t’attends je crois non ? »« Oublie-le il ne reviendra plus me déranger, on se retrouve tout à l’heure. »Resté seul au milieu des passants, un sourire sadique sur le visage, Garvesh savourais cette journée. Il y a des jours où tout se passe vraiment bien.
-I.4- Un dédale de souvenirs