Nous marchons depuis une bonne heure. La forêt dense est plus grande qu’il n’y parait et je comprends aisément qu’Ylias s’y soit perdu. Le chemin que nous prenons n’est pas trop escarpé et c’est rapidement que nous progressons, protégés du soleil par les hauts arbres de la forêt. Elle est si sombre par endroits, que l’on pourrait croire que la nuit ne tardera pas à tomber. Pourtant, il n’est pas midi, lorsque nous apercevons notre destination : dans une petite clairière se dresse la maison de Piong, un maître magicien de l’air.
L’endroit est rudimentaire : une petite hutte de terre, protégée par un toit de quelques branchages jaunis par le temps. C’est la hauteur de la maison, qui me surprend. Je présume que Piong est un elfe de haute taille. À vrai dire, je ne le connais pas personnellement. Mon père m’a autrefois, parlé de lui, d’où ma connaissance de son existence. Mais ça s’arrête là.
D’un coup de menton, j’indique à Ylias que nous sommes arrivés.
- « C’est là. »
Ylias hoche la tête et sans un mot, nous effectuons les derniers mètres qui nous séparent de la maisonnette. Dans la clairière, le soleil nous aveugle momentanément, et la chaleur nous surprend, faisant naitre sur nos fronts de petites perles de sueur.
Une chose me surprend, sur le seuil de la maison. Aucune trace de pas. Généralement, et je le sais pour l’avoir vécu durant des années avec mes parents, lorsqu’on emprunte régulièrement un trajet sur de l’herbe, celle-ci finit par renoncer à pousser, créant de la sorte un petit chemin à l’entrée des maisons. Ici, rien. Mon esprit cartésien cherche une solution à cette énigme, tandis qu’Ylias frappe de brefs petits coups à la porte, en scandant le nom de son propriétaire. Sa voix laisse paraitre une légère excitation. Maitre Piong détient peut-être la solution de ce qu’Ylias cherche depuis plusieurs mois.
- « Maître Piong ? Il y a quelqu’un ? »
La porte s’ouvre lentement, nous invitant à entrer. La maison n’est pas bien grande, mais je ne perçois pas encore les détails de l’intérieur sombre et frais, contrastant avec la lumière aveuglante et brûlante de l’extérieur. Du fond de la pièce, une voix rauque, posée, telle celle d’un vieux savant, s’élève vers nous.
- « Soyez bienvenus, jeunes gens. Que puis-je pour vous ? »
Ma vue s’ajuste peu à peu à la pénombre. La voix provient d’un point élevé.
(Est-il en train s’escalader un meuble ?)
Désormais habituée à la faible luminosité, je n’en crois pas mes yeux. Il flotte ! Piong flotte dans l’air ! Voilà qui explique la hauteur de ce toit, il nous dépasse de plus d’une tête ! Et soudain, je comprends également pourquoi il n’y avait aucune trace de pas devant la maison et laisse échapper par inadvertance :
- « Ah ! c’est ça !! »
Ylias me lance un regard en coin, les sourcils froncés. Je le regarde, désolée, avec une mimique qu’il pouvait aisément traduire par un « oups ».
Il se détourne de moi, et s’adresse au maître magicien. Je présume qu’Ylias veut avoir des réponses rapides à ses questions. Mais, a-t-il réellement des questions à poser à Piong ? Je hausse les épaules, attendant la suite des évènements. En tout cas, il lui adresse la parole comme s’il s’agissant d’un savant détenant tous les pouvoirs de l’univers. Ça me fait un peu rire, ce n’est qu’un magicien, non ? Pas de quoi en faire un plat !
- « Excusez-nous de vous déranger, maître Piong. Je me présente : Ylias, Taurion de Nirtim. J’ai fait un long voyage pour venir jusqu’à vous et… »
(Ah ouais ? J’te rappelle tout de même, Ylias, que sans moi, tu n’aurais même pas connu l’existence de Piong !)
Bruyamment, je me racle la gorge pour interrompre ce flot de paroles pompeux. Ylias semble oublier mon existence. Une fois de plus, il me lance un regard réprobateur, avant de poursuivre sur un ton plus las :
- « Et voici Keya, une habitante de la région. »
J’opine du chef, voilà qui est mieux. Ylias reprend la parole, et avec elle, son ton trop flatteur. Pendant qu’il confère, j’observe minutieusement le maître. J’ai encore du mal à m’habituer au fait que ses pieds ne touchent pas le sol ! Il tient en main un énorme bâton, comme je n’en ai jamais vu.
(Je suppose que c’est utile en magie… Ou pour la marche ? Ah mais, non ! Vu qu’il ne touche pas le sol… Que ça doit être épuisant de se déplacer de la sorte ! )
Il porte un masque d’ossements et, comme moi, des plumes attachées sur ses longs cheveux noirs, coiffés en une multitude de fines nattes qui lui arrivent dans le bas du dos. S’ils n’avaient pas été si sales, j’aurais pu être jalouse de cette chevelure ! Une longue tunique de couleur chaude ainsi que sa peau aussi dorée que le miel trahissent ses origines Ynorienne dont mon père m’avait parlé. D’ailleurs, en parlant de mon père, pourquoi ne m’a-t-il jamais dit que les pieds de cet individu ne foulaient jamais le sol ?! C’était bien mon père, ça, omettre les détails importants !
(Allez Keya, concentre-toi. Le magicien a peut-être des choses intéressantes à nous dévoiler)
Je continue donc d’écouter, un peu plus attentivement, le discours de mon compagnon de fortune.
- « En fouillant des écrits familiaux, j’ai appris l’existence de l’arc aérien. À voir votre haussement de sourcil, j’imagine que vous savez très bien de quoi je parle… Il s’avère que l’arc appartenait jadis à ma famille, et j’aimerais pouvoir le réintégrer à ses origines. »
Piong attend un moment avant de répondre. Il est clair, vu sa réaction, qu’il connait l’arc aérien. Il hoche longuement la tête, penseur.
- « L’arc aérien… Oui… Bien sûr, je le connais. Je rêverais de le voir… Mais, je n’ai pas la possibilité de partir à sa recherche voyez-vous. Vous comprenez, j’ai ici des obligations… »
(Des obligations ? Mais, il semble s’ennuyer à mourir ! Allez, Piong, arrête un peu de plaisanter !)
Comme s’il avait su lire dans mes pensées, Piong me regarde froidement. Je me souviens maintenant que mon père disait de lui qu’il détestait qu’on le remette en question. Je me sens si mal à cet instant que je me jure de ne plus rien penser de négatif envers lui. Je ne voudrais pas que, par ma faute, il nous prive d’indices précieux ! Il continue, sur un air désolé :
- « Je ne sais pas où se trouve cet arc… »
Je perçois alors toute la déception dans le regard d’Ylias. Ses épaules se courbent vers l’avant, sa tête plongeant vers le sol.
- « Mais, plusieurs écrits m’ont indiqué un lieu, situé non loin d’ici, au sein même de cette forêt. Étrange n’est-il pas ? J’habite à seulement quelques kilomètres d’un objet que je convoite, et je suis dans l’incapacité de l’acquérir. »
Au simple mot « mais », Ylias a redressé vivement la tête. Moi aussi, d’ailleurs. J’écoute très attentivement les paroles du magicien, comme si j’allais recevoir le plus précieux des trésors. J’ai beau jouer les rebelles, cette quête me tient à cœur et j’espère sincèrement qu’Ylias et moi parviendrons à acquérir cet arc.
(Allez, allez ! Dis-nous quel est ce lieu ! Lâche le morceau!)
Ylias est aussi impatient que moi, mais a l’esprit de mettre les formes à ce questionnement.
- « Quel est l’endroit que vous indiquent les écrits, Maitre Piong ? » Le maître est hésitant. Il semble fouiller sa mémoire comme je retournais ma chambre mal rangée d’adolescente lorsque je cherchais un quelconque objet.
- « Je pense… Non, attendez… Que je me souvienne… Oui, c’est cela. Il s’agit de l’arbre creux. Où s’agit-il des ruines du village forestier ? Mhmm… Je ne voudrais pas vous mettre sur une fausse piste. »
Il nous tourne alors le dos, faisant face à une énorme bibliothèque de laquelle il sort un vieux livre poussiéreux. Il le feuillette longuement et me donne l’impression que le temps s’est arrêté. Soudain, il s’écrie, triomphant et soutenant ses paroles d’un geste du doigt indiquant un extrait du livre :
- « Voilà ! C’est bien cela ! Mon vieux Piong, ta mémoire ne te trahit jamais ! On parle de l’arc aérien et de l’arbre creux ! »
Oubliant ses formules de politesse, Ylias questionne.
- « L’arbre creux ? Dans la forêt dense ? Mais, il y en a des tas, des arbres, dans cette forêt ! Comment savoir duquel il s’agit, Maître ? »
Je ne laisse pas à Piong le temps de répondre. Je le connais, moi, l’arbre creux. Enfin, je sais plus où moins il se situe. Et honnêtement, je ne suis pas certaine de vouloir m’y rendre ! - « Facile, c’est le seul qui est gardé par un centaure ! »
Ma phrase fait son petit effet et la tête d’Ylias change immédiatement.
- « Un... centaure ? »
J’hoche la tête positivement, tandis que Piong, heureux que quelqu’un se mette à la recherche de l’arc, nous motive à nous rendre à l’arbre creux.
- « Un centaure ne fait pas preuve de beaucoup d’intelligence. Vous avez plus de chance de l’avoir à la ruse plutôt qu’à la force. Et puis, je peux vous aider ! Prenez avec vous ce petit animal, il vous sera utile dans les moments difficiles. »
De la manche du magicien sort alors un petit insecte volant, bruyant, aux couleurs assez sombres. Il possède quatre ailes brunâtres, un gros corps foncé et une longue trompe. Il s’agit sans doute d’un sphinx. Je suis étonnée de cette apparition : la bestiole ne lui chatouillait par les dessous de bras ? Mais je n’ose plus, même en pensée, mettre en doute la parole de Piong. S’il dit que la bestiole peut nous sortir d’affaire, je suppose qu’il a raison. Ylias ne semble pas rassuré. Je présume que lui non plus ne voit pas comment un insecte pourrait nous sortir d’embarras face à un centaure aux intentions de garde aussi développées qu’un chien dans le jardin de son maître.
Notre entretien chez le magicien prend doucement fin. Pour s’assurer de ne rien oublier, Ylias le questionne une fois de plus :
- « Ne devons-nous rien apprendre d’autre, Maître ? »
- « Rien ! Si ce n’est… bon courage ! Et n’oubliez pas de venir me voir, lorsque vous aurez l’arc ! Ce serait pour moi un honneur que de pouvoir voir cet objet précieux de mes propres yeux. Et puis… qui sait, je pourrais vous apprendre à vous en servir ! »
Nous sortons de la maisonnette de Piong, la chaleur nous tombant à nouveau dessus, aussi lourde qu’un Thorkins armé. La bestiole bourdonne dans nos oreilles, voletant sans cesse autour de nous.
- « Tu crois vraiment que cette petite bête pourra nous aider ? »
Je hausse les épaules, tout en répondant :
- « Bah, si Piong l’a dit, je présume que oui ! Il semble y tenir autant que toi, à cet arc. Drôle e bonhomme en tout cas. »
- « J’te l’fais pas dire ! »
Et nous poursuivons notre route, tandis que l’après-midi est déjà bien entamée. Bientôt, il nous faudra trouver un endroit où dormir.
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