La satisfaction du
travail accompli, la jubilation sadique d’avoir joué un mauvais tour et l’orgueil d’avoir eu une idée originale. Voici un mélange de sentiments qui tend à vous coller un sourire sur le visage. C’est exactement l’expression de Fenric lorsqu’il rentre à nouveau dans le temple un paquet sous le bras.
Assuré, il traverse la large courtine en prenant garde de ne pas perturber la procession en cours. Contrairement à la dernière fois, son regard est irrépressiblement attiré vers les alcôves et leur licencieux contenu. A la grande surprise de l’observateur, ce ne sont pas des scènes d’orgie prennent place dans ces lieux abrités. Les deux occupants sont bien enlacés mais semblent être en transe, immobiles, l’esprit ouvert aux vents cosmiques… Ou simplement dans une sorte de coma de la pensée.
« Il est étonnant le mystère de la foi » disait Père, jadis, lors des temps heureux…
Entrant dans l’arrière boutique ou plutôt dans la boutique à l’arrière du temple, le Naak’Shaakty arbore la même suffisance que lorsqu’il l’a quittée. Les prêtres n’ont guère bougé pendant son absence profitant de ce moment pour ouvrir le débat sur une réforme des engagements monacaux.
« Mes pieux amis, voici vos saintes livrées ! Je fus plus long que je le croyais mais votre blanchisseuse a de bien étranges lubies : alors que les paquets se trouvaient sur le comptoir, elle a tenu à vous écrire une missive et m’a fait jurer sur ce qu’il me reste d’honneur de ne point la lire. Ce faisant, elle n’a cessé de morigéner contre les, je cite, « incivilités éthylo-écclisiatiques » En tendant le parchemin, la main du shaakt tremble de ce qui pourrait être pris pour de la crainte mais n’est en fait que de l’impatience de voir l’effet de son stratagème.
La lecture ne prend que quelques secondes et, bien vite, la lettre passe de main en main. Même si, petit à petit, son tour approche, Fenric garde l’air serein et innocent bien qu’un brin sadique de celui qui regarde une tornade détruire le village voisin sachant parfaitement qu’elle ne viendra pas vers lui.
Lorsque le dernier disciple a fini sa lecture, chacun est dans l’expectative. Tous redoutent de prendre la parole et d’influencer la compréhension des autres. Les secondes passent dans le silence… Avec la soudaineté des eaux brisant un barrage, le plus jeune clerc prend la parole.
« Ouvrons donc un paquet ! Que nos vêtements soient roses, constellés de taches, troués ou les dieux savent quoi, patienter n’y changera rien. De plus, mademoiselle Nish précise que tous nos envois reviendront sous cette forme, autant nous habituer tout de suite. Une fois que nous saurons de quoi il s’agit, nous pourrons décider si cette « protestation pacifique » doit être prise au sérieux. » Les autres acquiescent sans guère d’assurance. Arrachant un paquet des bras du convoyeur, l’aumônier pré-pubère en révèle le terrible contenu : des bures propres et couleur lie-de-vin. Cette découverte laisse l’assistance pantoise.
« Apparemment, ici comme à Caix Imoros, « Protestation pacifique » signifie jérémiades de personne incapable d’exercer une réelle vengeance… Puis-je ?? » Tendant la main vers les deux bouteilles sur le comptoir, l’elfe sombre ne peux s’empêcher sourire narquois en pensant à l’efficacité de sa duperie et à ses conséquences.
Hélas pour lui, cela n’échappe pas aux sinaris qui l’entourent. Tandis que trois prêtres l’encerclent, le dernier déplie l’une des tenues.
« Les bras sont plus rigides que du bois ! Impossible de danser, de manger ou de boire quoi que ce soit avec ça sur le dos ! Notre culte est fini si cela ne cesse immédiatement… » Se tournant vers le noir :
« C’est votre faute, n’est-ce pas ? ! La lavandière n’aurait jamais osé s’opposé à notre église d’une façon aussi perfide. Il fallait quelqu’un à l’esprit aussi pervers qu’un shaakt ! Nous vous offrons une occasion en or de profiter d’alcool divin gratuitement et vous en faite un marché de dupe ! Vous allez le regretter !
Mes frères, il est temps pour ce mécréant de subir le kata du tigre ! » Sur ces mots, chacun se place en garde. Le shaakt au centre plus grand et, malgré sa maigreur, plus lourd. Les hobbits autour plus nombreux et en meilleure forme. Toutefois, le nombre ne constitue pas toujours un avantage. Surtout dans l’exigüité d’un magasin encombré de précieuses et fragiles bouteilles.
Comme souvent dans ce genre de combat, le premier coup vient dans le dos, cueillant Fenric au creux du rein gauche. Bien que ce dernier s’y attende et valdingue sous une étagère de liquoreux coteaux d’Oranan, la frappe lui bloque le dos et lui endolorit la jambe…
Le cercle des adeptes est brisé à présent. Chacun tente d’atteindre leur clopinant ennemi tandis que ce dernier s’esbigne vers le comptoir.
La course est gagnée par un sinaris qui parvient à s’interposer entre le coureur claudiquant et son objectif. Le kata du tigre reprend depuis le début, inéluctable : un coup de poing direct dans le rein droit, volte, et fouetté du pied dans le foie, pas de côté et … Rien : le shaakt vient de se glisser entre deux présentoirs.
La folle poursuite reprend. Pour s’achever de la même manière. Toutefois :
(Ta théorie était juste, mon vieux Fen’ ! C’est bien là un vrai kata… Et comme tel, il est donc répété à l’infini et surtout à l’identique…)Malgré la douleur, celui qui un instant auparavant était la proie sourit. Il sent, il sait, qu’à présent le chasseur c’est lui.
Par de nombreux détours entre les allées de grands crus et de liqueurs étonnantes, l’un des ecclésiaste se trouve esseulé face à un Fenric à bout de souffle et contusionné. Il se met en position et laisse le félin prendre possession de lui. Grand mal lui en prend : son poing ne touche pas la cible à cause d’un bras un rien trop court. Après la volte, son pied ne rencontre que le vide mais sa cheville subit un coup de coude descendant. Un bruit sourd retentit. Celui d’un os qui éclate sous un impact. Gémissant, le prêtre s’effondre.
« Arrêtons là cette folie ! Donnez-moi ce que vous me devez et oublions cette histoire infâme. Je suis même prêt à dédommager votre frère. » Bien que secoués par la mésaventure de leur coadjuteur, aucun sinaris ne semble vouloir renoncer, bien au contraire.
Avec hargne, le jeune clerc attaque mais le shaakt l’attend. Avec un temps d’avance sur le prévisible mouvement, l’elfe noir attrape un bras, fait basculer son poids et fait décrire à son adversaire un magnifique soleil qui l’envoie contre l’unique mur miraculeusement vide.
« Je vous propose à nouveau de déposer les armes. Je ne veux pas de ce combat stupide. » Alors que les trois survivants semblent être sur le point d’accepter, quelques croyants, sans doute attiré par le vacarme du combat, entrent dans le magasin par la porte du fond.
(Là mon vieux Fen’ s’en est fait de toi ! Soit tu t’excuse platement et te fais botter les fesses… Soit tu COURS !!!!!!!!!!!!!!!!!) Par chance, la route entre Fenric, le bar et la sortie est libre. Le premier se précipite vers le dernier comme si sa vie en dépendait, ce qui est peut être le cas après tout, non sans avoir fait un détour par le second.
Sous les quolibets, les malédictions et les jurons, le shaakt s’engouffre dans la porte, traverse l’esplanade en bousculant quelques ivrognes passablement éméchés et sort retrouver la relative sécurité de l’air libre. Pas le temps de remettre ses idées en place, il fonce vers la forêt et
le mont Joyce.