Suivant Dean Gollau dans le dédale qui compose le corps de la milice, Fenric, le sourire aux lèvres, savoure son blanchissement.
(Enfin, enfin me voilà complètement libre de mes mouvements ! Plus personne ne pourra s’en prendre à moi sans en subir les conséquences ! Ma vengeance va bientôt pouvoir suivre son cours…)
Après un temps infiniment long pour un trajet aussi court, l’aide de camp pénètre enfin dans une pièce. Et quelle pièce : une salle aux poutres apparentes de plus de cent trente pieds de long sur environ quatre-vingt de large. Le sol est couvert de tapis en paille de riz tandis que les murs sont chargés de râteliers d’armes en tout genre. La luminosité est assurée par deux grandes verrières perçant le plafond et quelques torches allumées ça et là.
(Ce crétin s’est encore perdu ! Quel incompétent ! Je n’en voudrais même pas comme esclave tant il est inapte.)L’adjoint se tourne vers le shaakt avec une expression de joie à la fois carnassière et malsaine, le genre de facies que l’on peut trouver sous la cagoule d’un bourreau lorsque retentit le glas de l’exécution.
« A mon tour de m’amuser de vous à présent. Comme on dit chez vous : bienvenue dans mon antre dit la veuve noire à la petite mouche terrifiée. »A ce moment, toutes les portes se ferment révélant trois silhouettes que Fenric aurait préféré ne jamais revoir.
« Ah, j’oubliais. Je te présente mes trois recrues préférées : le grand là, c’est Calaway. Le barbu s’appelle Ray tandis que le dernier se nomme Parker. Comme tu as pu le constater en arrivant, ils sont plutôt… prometteurs. Qu’en penses-tu ?
Je vais te faire une proposition du genre qu’on ne peut pas refuser : tu vas affronter en duel chacun d’eux l’un après l’autre. Si tu parviens à les vaincre tout les trois, je te dirais pourquoi ton père n’a jamais vu arriver la caravane de marchandises qu’il avait affrétée. De plus, je te donnerai ceci. »Ce faisant, il sort une petite fiole contenant une substance dont il est difficile de dire si c’est un gaz ou un liquide. Une chose est toutefois certaine : elle est noire. D’un noir profond et mat semblant même irradié d’obscurité.
Voyant ce singulier objet, une part du shaakt se met à résonner.
(Il me faut ces renseignements ET cette étrange émanation quoi qu’il en coute)L’elfe noir avance, se place en garde et attend sans articuler le moindre mot d’ors et déjà focalisé sur son premier antagoniste, Parker l’acrobate.
« Bwael ap'zen ush'akal chi'us a l' quar'valsharess ! »Le fait que l’aide de camp s’adresse à lui dans sa langue natale déconcentre légèrement Fenric, le faisant baiser sa garde pour un instant, pour un instant seulement. Il n’en faut pas plus à l’autre pour l’agripper par le devant de la tunique et le projeter au sol.
C’est par un réflexe maintes fois utilisé lors de son entrainement militaire et pourtant extrêmement efficace que le lutteur noir évite l’impact direct ainsi que la majorité des dégâts que la chute aurait pu lui occasionner. Durant le vol plané, il parvient à frapper le sol du plat de la main et à partir en roulé-boulé.
(Cette fois, c’était juste mon pauvre Fen’. Il va falloir que tu te concentres si tu ne veux pas te faire démolir.)L’impact physique est relativement négligeable mais le coup a nettement porté sur le plan psychologique.
A nouveau, les combattants se font face. Le kendran, souriant et jovial, très en verve et parfaitement échauffé. Le shaakt concentré et déterminé, silencieux comme la mort et pris à froid. Le premier cabriole, tourne et virevolte autour du second portant des coups certes légers et précis, ne faisant aucun dégâts mais extrêmement agaçantes voire exaspérantes.
« Alors petit ? Parker te pose tant de problèmes que ça ? Il est clair que ce n’est pas comme s’en prendre à un gamin sans défenses, n’est-il pas ? Le terrifiant naak’shaakty de Caix Imoros n’est en fait qu’un lâche, qu’un couard qui ne combat que des adversaires sans envergure !? Je suis déçu ! Vraiment ! »A ces mots, l’irritation du fidèle de Valshabarath se transforme en une colère ardente qui vous dévore telle une coulée de lave. Son champ de vision se colore de carmin.
Pourtant…
(Reste calme, Fen’… Il n’est pas le premier à utiliser cette technique. Tu en usais en et abusais à Caïx. Souviens-toi de cet imbécile de Baarak. Bien qu’il t’était nettement supérieur, il ne t’a jamais battu tant son esprit était faible.)Ces mots résonnant dans son esprit, le pugiliste à la peau noire tente de contrôler sa respiration et de juguler sa terrible fureur. Peu à peu, l’environnement reprend ses teintes originales.
(Bien. A présent, il te suffit de lui faire croire que tu n’y as vu que du feu. Attaque ! Mais ne commets pas d’erreur… Ou bien… Peut être que tu dois en commettre une, justement…)Cet échange muet ne dure que quelques secondes et passe inaperçu de tous, même de l’elfe noir qui pense être seul dans son esprit.
Et pourtant…
« Alors, fils d’Antarès, tu abandonnes déjà ? Quelle déception ! »C’est ce moment que Fenric choisit pour mettre son plan à exécution. Un masque de rage incontrôlée sur le visage, il s’élance à l’assaut de l’acrobate. Crochet du gauche, du droite, coup de pied circulaire, attaque haute et basse visant le visage ou le torse fusent à une vitesse telle que l’œil ne peut distinguer les détails. Les coups sont mal équilibrés ou trop appuyés mais si enragés et puissants qu’ils ne laissent au kendran que le choix de la défense. Ce dernier esquivant, feintant ou contrant ne subit que peu de dégâts mais l’avancée de Fenric est aussi inexorable que celle de l’obscurité lors du crépuscule. Petit à petit, pas à pas, le militaire recule risquant de se faire acculer contre un râtelier d’armes.
Cette débauche de violence et d’énergie sans retenue n’est pas sans conséquences pour le shaakt. Ses bras commencent à s’ankyloser, ses mouvement à être moins nets, moins dosés. Jusqu’à ce que, soudain, la recrue aperçoive enfin LA faille, l’erreur qu’il cherche dans la garde de son furieux adversaire. La jambe gauche du shaakt est trop tendue et semble supporter trop de poids. S’il la balaye proprement, le militaire pourra vaincre sans problème.
Sans attendre, il comble l’espace le séparant de l’elfe noir et frappe au but. Toutefois, le membre de ce dernier s’avère trop molle pour vraiment servir de support. Le piège se referme sur l’imprudent. Le disciple de la magie sombre prend appui sur sa jambe arrière et utilise l’impulsion donnée par Parker pour tourner sur lui-même augmentant ainsi la puissance de sa frappe à venir.
Les visages des pugilistes n’auraient pu être plus différents qu’en cet instant : l’un savourant par avance son triomphe apporté par un coup de grâce à la fois dévastateur et inattendu, l’autre anticipant la douleur physique, l’humiliation d’avoir été si aisément berné ainsi que l’amer saveur de la défaite.
Bien que chacun s’attendent à assister à la conclusion de ce premier duel, il n’en est rien. Sur chaque visage se peint une expression d’incrédulité et de surprise mêlée. En effet, ce qui ne devait être qu’un petit saut permettant de cibler le crâne de son adversaire se transforme en un bond prodigieux de plus de treize pieds entrainant Fenric dans les poutres du toit.
« Par les pustules purulentes de Jeri ! Ce petit crétin peut voler !? »« La ferme, Ray. Tu n’as sans doute pas ne serait-ce que jeter un regard à ses bottes. Et pourtant, tu aurais dû. Je te le dis, il n’y a qu’une paire de lutines enchantées pour te permettre ce genre d’exploit. Parker, monte le déloger et vite sinon c’est moi qui m’occupe de toi ! Cette mascarade n’a que trop duré. »La voix d’outre tombe et le charisme écrasant pour ne pas dire terrifiant de Calleway suffisent amplement à motiver son subordonné. Sans un mot, celui-ci entame l’escalade d’un mur pourtant parfaitement lisse.
(La Matriarche est une meilleure alliée que je le croyais. Non contente de m’héberger, elle m’offre des cadeaux de grande valeur. Sincèrement merci chère Campanule !)Pendant ce temps, accroupis dans l’ombre protectrice de la toiture, le shaakt observe silencieusement son nouvel environnement. La salle est quadrillée par une ossature de poutres d’une douzaine de pouces de large. La toiture en mansarde ne facilite guère le déplacement latéral et l’espace entre deux travées parallèles est bien trop large et encombré pour permettre une traversée sans risque. En effet, afin de libérer un maximum d’espace au sol, les cibles, sacs de frappe et autres mannequins d’entrainement sont stockés dans le plafond à l’aide d’un ingénieux système de poulies.
Lentement, inexorablement, le kendran monte sans difficultés apparentes. Ses mains paraissent coller à la paroi. L’elfe noir ne peut rester sans réagir car face à une telle capacité et sur un tel champ de bataille, sa cause est d’ors et déjà perdue.
Soudain, son esprit s’illumine. Le plan est risqué mais peut s’avérer funestement efficace.
« Parker ! Dame La Chance t’a déjà souri une fois aujourd’hui. Je doute qu’elle réitère un tel geste. Je te laisse une ascension de deux pieds pour prendre une décision. Soit tu abandonnes, soit je te fais descendre moi-même sans garantie sur ton intégrité physique. »En tournant la tête, le militaire peut voir son opposant négligemment appuyé sur une poutre, le sourire aux lèvres.
« Tu as failli m’avoir une fois, Naak’shaakty. Je te le concède aisément. Toutefois, je ne reculerai pas devant tes vaines menaces ! »« Ton courage t’honore mais tu le regretteras… »Le conscrit continue donc sa progression mais prudemment, s’attendant à une attaque soudaine de son adversaire. Etonnamment, elle ne vient pas. Après avoir gravi environ deux pieds et demi, le grimpeur s’arrête pour défier son ennemi shaakt.
« Alors Naak’shaakty ? N’avais-tu pas promis de me faire descendre ? … Croyais-tu vraiment m’impressionner avec tes vaines promesses ? Tu n’es qu’un vantard et un couard ! Viens-t-en régler ça comme un homme ! »Encore une fois, l’elfe noir sort encore une fois de l’ombre, le sourire aux lèvres. Dans sa main gauche, il tient une corde dont l’extrémité disparaît hors de la vue de tous.
« Tu l’auras voulu, kendran ! Saches que mes serments ne sont jamais vains ! Tu crois être une noble araignée faite homme ou une sorte d’hybride entre les deux espèces, n’est ce pas ? Mais tu n’es qu’un moucheron gonflé d’orgueil et je m’en vais te le prouver en t’écrasant sans même poser la main sur toi. »Après cette sortie volontairement grandiloquente pour ne pas dire théâtrale, Fenric se laisse tomber dans une chute ralentie par le filin. Chacun n’a d’yeux que pour lui. Lorsque soudain, dans un bruit de tonnerre, un sac de frappe sort de son logement et, par un ample mouvement de balancier, vient s’écraser à pleine vitesse contre le mur.
Dans la seconde qui suit, c’est le corps inanimé de Parker qui touche le sol.
Pendant de longues secondes, les miliciens observent leur partenaire gisant. L’incompréhension marquée comme au fer rouge sur leur visage.
Dean Gollau est le premier à faire le rapprochement entre le terrible impact et la défaite de son subordonné.
« Bien joué, fils d’Antarès ! Extrêmement ingénieux d’immobiliser Parker par tes mots tout en le terrassant par un piège improvisé ! Je ne m’étais pas trompé sur ton compte : tu mérites mon attention. Pour cette victoire pour le moins originale, je t’offre le droit à une question. J’y répondrai sans détour. »« Très bien, dites moi tout ce que vous savez sur mon père et sa commande manquante ! »« Il suffit jeune shaakt ! Nous avons un accord : trois victoires pour une histoire. Ta question devra porter sur un autre sujet. »« Dans ce cas… Cela fait deux fois que vous me nommez « fils d’Antarès ». Pourquoi ce nom ? »Interloqué, l’aide de camps reste silencieux pendant de longues secondes.
« Ainsi, tu arbores des emblèmes dont tu ne connais même pas la signification. Examine le bijou que tu portes à l’oreille. Peut-être comprendras-tu… »Fenric s’exécute, la curiosité prenant le dessus sur tout le reste. Il inspecte son ornement si familier et pourtant si mystérieux.
Ce dernier est composé d’une attache en or grand sans grand intérêt et d’un corps de mithril blanc. Le motif représente sommairement un trident dont le manche tordu revient sur la fourche. A la base de cette dernière est serti un minuscule rubis d’une pureté rare.
Un examen précis mais hélas peu concluant…
« Aucun être encore vivant à ce jour ne connaît le nom où même l’origine d’Antarès. Son symbole est presque oublié et pourtant nombreux sont ceux qui l’ont craint ou le craignent encore. Ton bijou représente les armoiries de ce terrible combattant. Tu dois sans doute le tenir de ta famille paternelle car une shaakt aurait détruit un vestige de l’Elu du dieu sombre. J’en ai déjà trop dit. Pour la suite de ce cours d’histoire, il faudra que tu le découvres par toi-même.
Ray, c’est à toi ! »Le mépris que le milicien Carlos Ray éprouve envers l’officier Dean Gollau est presque palpable. Toutefois, il s’avance et dit
« Je te préviens petit : je n’ai perdu qu’un seul combat dans toute ma vie. Et depuis, cet adversaire a rencontré le sinistre Phaïtos. Abandonne ou il t’en coutera ! »Fenric ne relève même pas la menace tant il est concentré sur l’observation de sa posture de combat aussi peu conventionnelle qu’étrange. En effet, le kendran aux allures d’ours ne protège aucun de ses points vitaux. Il se tient les bras légèrement écartés devant lui tel un crabe.
(Bâti comme il est, il ne doit pas craindre mes coups. Moi, par contre, j’ai intérêt à me méfier.)Le duel débute. Anxieux et déterminé, le shaakt tourne autour de son adversaire feintant tout en restant hors de portée. Celui-ci réagit à chaque fois de la façon adéquate tantôt préparant une parade et une contre-attaque, tantôt se déplaçant pour éviter l’assaut.
Les minutes passent… Aucun coup n’est échangé… Aucun mot non plus… Dans le silence, seuls résonnent les pas et le souffle des duellistes…
Soudain, sans aucun signe avant-coureur, l’elfe noir passe à l’offensive. Il se jette sur son adversaire tel un affamé sur un savoureux repas de fête et frappe quatre fois. Un fouetté du droit dans la cuisse, crochet du gauche dans la joue doublé d’un coup de coude sur le sommet du crane et d’une manchette à l’arrière de la tête.
Dans le silence les impacts sonnent comme des coups de tonnerre. Une telle violence aurait sans le moindre doute étendu pour le compte un adversaire normal… Mais Ray est loin d’être un adversaire normal… Fenric est à présent trop proche de son opposant, sa vivacité ne pourra le sauver cette fois.
« A mon tour à présent »D’un direct ravageur au foie, le milicien au torse velu repousse son opposant et lui coupe le souffle. Les frappes pleuvent ensuite et l’interminable assaut atteint son apogée par le coup de poing retourné qui a fait la renommée du kendran.
La douleur du shaakt n’a d’égale que sa terrifiante impuissante. Ce sentiment bien trop familier de ne pouvoir rien faire tout en sachant que le pire est à venir… Inéluctable.
Etendu par terre, le nez dans la poussière, le goût de la défaite dans la bouche, il est là, gisant à deux doigts de l’inconscience.
Pourtant dans ta tête un nouveau combat s’engage. En effet, la vendetta s’oppose à la terreur.
« Debout Fen’ ! Tu ne peux pas rester comme ça ! Ta vengeance n’est pas encore consommée. Tu es venu ici pour en apprendre plus sur ton père. Si tu abandonnes maintenant, cela n’aura servi à rien ! Debout ! »« Reste là. Il est à la fois trop fort et trop rapide… En plus, il encaisse sans brocher tes attaques les plus violentes. La honte vaut mieux que d’être estropié ou pire. Tu auras tes renseignements d’une autre façon. Ne bouge plus, ils partiront. »« N’importe quoi ! Pour gagner, il suffit qu’il ne te touche plus ! Ta noire armure t’a protégé cette fois. A présent, souviens-toi de ce que tu as appris à Caix. »Lentement, les souvenirs remontent à la surface de la conscience de l’elfe noir.
Sur l’une des grandes terrasses de Caix Imoros, un groupe de jeunes hommes torses nus s’exerce dans le vent. Passant dans les rangs, l’instructeur rectifie les positions puis met un terme à l’entrainement par ces mots :
« L’esquive est un art que l’on peut apprendre et dans lequel on peut exceller. Toutefois, seul l’instinct du combattant vous permettra de prévoir l’imprévisible assaut, de voir les invisibles prémices à une attaque.
Si le renard anticipe les mouvements du loup, il pourra survivre. Oubliez tous vos sens et fiez vous uniquement à votre instinct. Voilà la clé de l’Esquive véritable ! »
La joute mentale est remportée. Fenric se lève un léger sourire aux lèvres. C’est à cette seconde que l’expression de Ray change du tout au tout. Durant une seconde, il n’exprime que stupéfaction de voir un ennemi vaincu, détruit pour ne pas dire annihilé se relever sans même avoir l’air endolori. Toutefois, il se reprend bien vite et se remet en position
(Oubliez mes sens… Voilà une chose qui ne va pas être aisée. Enfin la méditation nous apprend à les éteindre. Je vais essayer ça…)Chat échaudé craint l’eau froide, dit-on. Dans ce combat, on pourrait le traduire par shaakt blessé craint le kendran. En effet, l’adepte de Valshabarath reste éloigné de son adversaire et ne semble pas vouloir de confrontation directe éludant chaque embryon d’assaut.
A force de concentration et de volonté, il parvient enfin à atteindre l’état de concentration permettant l’extinction des sens.
(D’abord le plus inutile en combat.)Soudain, l’odeur acre de la transpiration des hommes disparaît. Dans la même seconde, toutes les autres sont aspirées dans le néant. L’esprit de l’elfe noir déchargé de ce poids, la lumière lui semble plus forte tandis que les bruits plus nets, plus précis.
Grisé par ce sentiment, Fenric se déconcentre. Mal lui en prend car le kendran passe à l’offensive et le jette à bas par un enchainement de coups de poing dans les côtes.
A nouveau, alors que tous le croient vaincu, le shaakt se relève sourire aux lèvres.
(Il ne faut plus perdre le temps, mon petit Fen’ ! Eteins tes sens rapidement sinon tu vas rester sur le carreau ! En avant et pas d’hésitation !)Bien vite, le goût métallique du sang et les bruits de respiration des combattants sont effacés comme rayés de la carte. A nouveau, le milicien tente une attaque en puissante afin d’en finir avec ce duel qui n’a que trop durer. Pourtant, malgré ses efforts et sa violence non contenue, son noir opposant continue à se relever sans un mot.
Enfermé dans son esprit, ce dernier ne connaît plus que la douleur mais sa résolution s’affermit à chaque fois qu’il touche le sol ou reçoit un coup.
Enfin, après de longues secondes d’un intense combat mental contre lui-même, le monde de Fenric se résume uniquement à d’impalpables et silencieuses images aussi insipides qu’inodores. Avec son toucher, la douleur a elle aussi disparu.
(Ô très sainte Valshabarath, puissante parmi les puissants. Fenric, ton humble et dévoué serviteur te supplie de lui accordé ta Grâce afin de pouvoir venir à bout de mon ennemi sans utiliser le moindre de mes sens. Puisse Ta Main guider mes pas sur le chemin de la victoire.)Sur cette dernière pensée, Fenric ferme les yeux et perd ainsi son dernier sens encore actif. Sans aucun contact avec le monde qui l’entoure, l’heure est à l’introspection. Rien ne peut troubler sa concentration. Seul demeure la fureur de combat et le besoin de victoire.
Voyant son adversaire les yeux clos, le visage vers le sol, Ray jubile : son ennemi a enfin accepté l’inéluctable et reconnu sa puissance ! Il passe à l’attaque.
Toutefois, celle-ci porte moins bien que les autres : l’elfe noir a un léger temps d’avance ou une vivacité encore supérieur à son niveau normal.
Grognant de rage, le militaire hirsute reste incapable de porter un coup vraiment significatif malgré de nombreux effort. A chaque seconde qui passe, les niveaux des deux combattants se rapprochent et tendent à s’égaler à très court terme.
Soudain, l’attaquant accule son ennemi contre l’un des piliers de chêne massif. L’hallali approche. Le kendran frappe du gauche puis porte un violent direct du droit mais ses poings ne rencontrent que le bois. Dans un fracas sinistre, ses phalanges se brisent broyées par la puissance de l’impact. En effet, Fenric a une fois de plus deviné et évité l’assaut.
« Ray, ça suffit. Va te faire soigner et prend Parker avec toi. Le commandant ne comprendrais pas pourquoi ses rangs comptent deux blessés alors qu’aucun exercice dangereux n’est prévu aujourd’hui »Bien que de très mauvaise grâce, le blessé est contraint d’obéir à son supérieur à l’allure plus que sinistre et quitte la pièce soutenant son compagnon encore groggy.
Sentant le danger s’éloigner, le vainqueur par forfait sort de sa transe.
(Quel état de grâce ! Sans rien voir, entendre ou sentir, j’ai été capable de prévoir ses coups !? Je n’en reviens pas !)Malgré l’euphorie du moment, avec le retour de ses sens, la douleur le submerge telle une lame de fond frappant un navire à la dérive. La souffrance est telle que le shaakt tient à peine sur ses jambes et est à peine capable de contenir ses nausées.
Cette deuxième victoire surprend tant Dean Gollau qu’il reste silencieux.
Pendant ce temps, Calleway ôte son long manteau et se place face à sa malheureuse future victime. Bien qu’il ne soit guère en état de combattre le moindre adversaire, même pas un mage sekteg arthritique, cette dernière prend position.
Le visage du sinistre milicien est impassible et calculateur. Après avoir jaugé la menace que constitue son titubant adversaire, il se redresse et, les yeux révulsés, passe son pouce en travers de sa gorge. La signification de cette provocation est sans équivoque : ce combat sera un duel à mort.
Sans attendre, le terrifiant géant fond sur le pauvre shaakt tel une tempête sur une mer d’huile. La vivacité du gigantesque kendran est prodigieuse pour un être de sa corpulence. Les vents de la colère se sont levés et coups pleuvent sur Fenric. Des éclairs de douleurs zèbrent le ciel. Les poings du sinistre guerrier frappent préférentiellement la gorge et le bas du visage afin de couper le souffle de son adversaire et de le saouler de souffrance. Le shaakt est incapable de résister à la fureur de l’assaut et recule sans plus réagir.
Après une éternité de tourments, le milicien décide de mettre un point final à cette parodie de combat. Il saisi l’elfe par le cou, l’étouffe dans l’étau de sa poigne et le soulève vers le firmament. A travers un brouillard de géhenne, ce dernier reconnaît avec horreur la scène dont il a été témoin plus tôt dans la journée.
La fin est proche.
La terreur gagne Fenric qui perd tout contrôle sur lui-même. C’est à ce moment que son inconscient prend le dessus et que son côté obscur se libère des chaînes de la moral.
De proie, le shaakt devient super prédateur qui, une expression d’un sadisme rare et assuré plaqué sur le visage, ne semble craindre ni les hommes, ni les dieux.
Concentrant les sombres fluides qui imprègnent tout son cœur, son âme, son corps et son être, il fait apparaître huit longues pattes d’araignée de ténèbres pures. Celles-ci sont plus effilées et pointues que nombre de lames forgées par les hommes, les nains ou les elfes.
Ray reste pétrifié devant ce changement de physionomie d’une bataille semblant gagnée d’avance. Il est incapable d’esquisser le moindre geste pour se protéger de l’attaque des noirs appendices. Ces derniers se plantent dans ses bras et ses jambes y semant une douleur sans nom et une terreur encore plus grande. Incapables de le porter plus longtemps, ses jambes cèdent sous son poids. Sans laisser lui laisser le moindre répit, son tortionnaire lui assène de nombreux coups visant les parties les plus sensibles de l’anatomie. De l’entre-jambe au plexus et passant par les côtes, le corps du kendran n’est plus que douleur et impuissance.
Il a suffi de quelques secondes pour mettre le géant est à terre, inconscient, vaincu par la magie et les coups redoublés de son adversaire dément.
Ecumant encore de rage, Fenric s’avance vers l’aide de camp qui terrifié lui lance la fiole contenant l’étrange liquide ténébreux.
« Vous avez remporté mes défis, seigneur. Je répondrai à vos questions. De toute façon, nous servons la même maitresse. Regardez. »Baissant son pourpoint, l’aide de camp dévoile le dragon d’encre noire qui orne son épaule. Le visage de l’elfe noir passe du la haine la plus pure au mépris non dissimulé tandis que la fureur se dissipe.
« Tu n’as rien compris, vermisseau kendran ! Pour rien au monde ne je servirais la Chienne d’Omyre ! Je pense que ton commandant sera ravi d’apprendre ta traitrise… Et quand il en aura fini avec toi, nous nous retrouverons pour que tu m’apprennes ce que je veux savoir sur mon père. »Avec un air carnassier, il s’approche d’un Dean terrifié.
« Il suffit ! Messire Fenric, vous avez passé mon épreuve avec brio. Dean avait détecté plusieurs mensonges par omission lors de notre entretien, c’est pourquoi nous vous avons tendu ce piège…
Vous avez combattu avec honneur et n’avez utilisé votre fluide maudit qu’en dernier recours. Votre allégeance ne fait plus aucun doute.
Vous avez reconnu mon autorité en ces lieux.
Pour ces trois raisons, vous pouvez vous considérer comme un citoyen ordinaire de notre belle ville de Shory ! Maintenant, vous pouvez disposez car ici personne n’a d’informations sur votre père. »Le ton est trop péremptoire pour s’y opposer. C’est pourquoi le shaakt quitte le commandant et sa milice pour aller gouter à un breuvage désaltérant chez le
Père Bolo.