Tel un vent brumeux dans son esprit, ses idées se bousculaient en silence. Linwen était songeuse, comme à chaque fois lorsque le souvenir de ses frères lui revenait à l’esprit. Elle était déconnectée de la réalité, prise entre deux mondes sans vraiment appartenir à l’un ni à l’autre. Les blessures du passé ne se referment jamais totalement et laisse toujours de la place pour un retour en arrière éphémère. Alors, c’était la présence de ses deux êtres chers qu’elle essayait de retrouver à ses côtés, là, tout près d’elle, comme si elle pouvait encore les toucher, les aimer.
( Est-ce que vous veilliez toujours sur moi ? J’aimerai tellement que vous me fassiez un signe. Savoir que je ne suis pas seule. J’aimerai… J’aimerai tellement de choses. Pourquoi est-ce que je ne suis pas arrivée plus tôt, peut-être que vous seriez toujours…en vie.)
Linwen avait les mains glacées de l’eau qui ruisselait le long de ses mains pâles momentanément rougis par ce contact mordant. Malgré cela, elle ne bougeait plus, le regard fixé sur une ligne d’horizon fictive. Ni la brise qui faisait pourtant bruisser les feuilles des arbres dans un chant mélodieux, ni le rire de ses amies à ses côtés ne parvenait à la sortir de sa torpeur. L’elfe demeurait seule avec le souvenir de sa famille et avait déserté depuis de longues minutes déjà le lavoir.
« Lin, n’oublie pas de frotter, on doit bientôt avoir fini ! »
C’était l’une de ses plus grandes amies, elle aussi servantes, qui lui avait souris en la rappelant à l’ordre, gentiment, mais fermement. Les paniers de linges sales étaient loin d’être vide et si elle voulait conserver son travail, elle savait qu’elle avait tout intérêt à redoubler de motivation. Les elfes se disputaient depuis des siècles ces postes rares au sein de la ville, celui de servante au service de la royauté. Corvéables à merci, ces individus, pour la plupart, de sexe féminin, travaillaient des heures durant pour une reconnaissance et un salaire onéreux. Ca ne suffisait pas d'être pistonnée, il fallait aussi faire preuve d'efficacité.
« Je sais… Je sais, désolée les filles, c’est encore et toujours la même chose. »
Tirée de force de ses rêveries à la fois douceâtre et amer, Linwen étira ses jambes douloureuses pour changer de position, et reprendre son travail. Les gestes mécaniques et répétitifs n’étaient pas propice à la concentration, mais elle ne se laissait pas le choix, plus déterminée que jamais à ne plus se laisser dissiper.