La pierre froide. Le noir compact. Des odeurs inconnues. Voilà ce qu'elle ressentait. Emprisonnée, entravée et absente. Le corps de la femme était parfaitement aligné sur l'Autel du temple de Phaïtos. Sa peau pâle, encore moite du lavement infligé, luisait sous l'éclat d'une unique bougie, phare nappé dans un manteau de ténèbres.
Les mains de la femme reposaient sur sa poitrine, elle était vêtue d'une robe noire aux bordures violettes. Aucune poche extérieure, le seul moyen d'y porter quelque chose était la ceinture en cuir sombre qui serrait sa taille. Ses jambes pâles s'enfonçaient dans de longues bottes noires au cuir mat. Elles étaient propres, exempts de poussière et même la semelle semblait être lustrée. Ses doigts étaient enlacés sur une paire de gants pliée avec soin, ils étaient d'un cuir local, alliant souplesse et résistance, il était difficile d'évaluer quel était l'animal qui donna sa peau pour sa réalisation. La nuque était soutenue d'une cape, toujours tissée d'un noir profond, celle-ci, contrairement aux autres pièces semblait rayonner d'une magie sombre. Sur ses yeux était déposé un masque de métal, trop court pour être utile en combat, il ne soutenait que le regard, à l'image des loups utilisés lors du carnaval de Kendra Kâr.
La femme inerte, l'ignorait, mais elle était sous la surveillance d'un homme, un humain. Lorsqu'elle se réveillerait, elle pourrait alors lui poser les questions qu'il attendait en silence, terré dans l'ombre.
Ses yeux s'ouvrirent. Une pupille violette se perdit dans le noir, immédiatement attirée par la flamme de la bougie, elle s'en brûla les yeux, la faible lueur était déjà trop forte. Elle se redressa et toussa, l'air emplissait ses poumons et lui brûlait la gorge comme s'il avait été chargé en acide.
« Votre nom, femme. Quel est-il ? »
Trop déboussolée, la femme en question glissa le long de l'Autel, emportant avec elle la cape noire par laquelle s'échappa une aiguille qui roula jusque sous son visage. Ses yeux scrutaient le noir, peu à peu, sa vue revint. Tout semblait confus mais pas l'aiguille. De ses doigts tremblants, elle essaya de prendre cette aiguille brillante qu'elle porta devant son regard ahuri.
L'ombre se glissa quelque part, bien qu'elle lui tournait le dos, la lueur de la bougie s'était agitée, comme soufflée par un déplacement. Une paire de chausses noires camouflée sous une longue toge apparurent devant elle, toujours à terre, l'aiguille en main.
« Vous souvenez-vous de votre nom ? »
Tonna la voix inconnue, comme étouffée derrière un chiffon ou un masque. La Sindel releva les yeux. L'habit de l'homme qui lui faisait face était d'un noir total, comme si la lumière était bannie, mal aimée. Seule nuance claire, un crâne usé et pourvu d'une expression terrifiante.
Elle articula quelques mots. Avec peine, les mâchoires tremblantes puis arrêta lorsque l'homme se fut baissé et pris le menton de la femme entre ses doigts.
« Votre corps a fait un long voyage jusqu'à ce Temple. Je me nomme Malthaar Del' Thassanor, Prêtre de Phaïtos. Quel est votre nom ? »
Peu à peu, les souvenirs revenaient, bien que ses sens soient alertés de partout et que la mécanique sensorielle de la femme soit dans une panique palpable, elle revit des images, une pleine lune, un brasier immense, un combat qui résonnait dans le clair du soir et le gouffre infini dont les parois de chairs palpitaient autour d'elle. Et rien.
« Mon.. Mon nom est Hrist. »
Le Prêtre ne répondit rien. Un silence pesant dans le noir, Hrist se redressa douloureusement, son dos était ankylosé et ses articulations lui donnaient l'impression d'être une vieille porte rouillée qu'on essayait d'ouvrir par la force.
« J'ai pour mission de rejoindre Omyre, servir la Reine Noire. » Peina-t-elle à articuler correctement.
« J'ai ouï de nombreuses rumeurs au sujet d'une Sindel qui arriverait. » Lâcha l'homme avant de se glisser de nouveau en silence derrière l'Autel. La flamme s'agita encore une fois. Faisant craquer ses cervicales, Hrist s'efforçait d'éveiller ses sens.
(« T'étais à deux doigts de mourir, ma vieille ! »)
Un sourire crispé se dessina sur le faciès de la femme. Cèles, sa Faera caustique était là aussi, et sa simple présence rassura grandement la femme.
« J'ai pris soin de vos effets, Phaïtos n'a pas jugé bon de prendre votre âme tout de suite. Il y avait un prix à payer, deux corps m'ont été apportés. »
Hrist, stupéfaite observa son corps, elle était de nouveau au sein de Silmeria, les deux âmes étaient encore collées, mais cette fois-ci, aucune présence, aucune trace de Silmeria. Son corps était enfin le sien. L'homme continua :
« Voici vos armes. Mon devoir est fait. Toutefois... J'ai quelque chose à vous soumettre, Hrist. »
L'homme tenait ses armes à la main, une dague Garzok et une autre lame plus incurvée. Hrist reconnu immédiatement les tranches-lard. Le Prêtre semblait les examiner silencieusement.
« Pour cet avenir qui vous tend la main, la route sera longue et parsemée de catastrophes et vos ennemis comme amis représenteront une menace. Vos bracelets de l'Ombre sont un bien précieux outil, mais je vous recommande autre chose, une arme qui fasse parler d'elle, pas un couteau de populace. »
Hrist se tut, ou plutôt elle ne dit rien, écoutant l'homme, s'il avait cessé de parler, il semblait évident qu'il n'avait pas encore dit où il voulait en venir.
(« Tu parles, t'as manqué de canner à cause d'une aiguille empoisonnée, alors un coupe-couenne bien nommé hein, pour ce que j'en dis. »)
« Il s'en trouve une à la hauteur de vos ambitions. Ici même, la proximité de ce trésor ne rendra pas la tâche plus aisée, femme. Il s'agit d'une dague, abandonnée depuis longtemps par de grands assassins de Kendra Kâr, ramenée ici comme une trophée de pillage et finalement disputée par des Garzoks belliqueux. Trouvez là, tuez son possesseur et accordez-vous le droit de manier ce fléau. »
(« Comme il parle bien le monsieur ! Ca laisse rêveur, pas toi ? »)
« Ne dit-on pas que toute arme légendaire porte un nom ? Quel est le sien ? »
Un temps. « La Vieille Rengaine. » Déclara-t-il en déposant les armes de la Sindel sur l'Autel.
(« C'est très moche. Mais après tout, qu'est-ce qu'on y connaît ? Tu es assez sensible au pouvoir d'attraction d'un bel engin de mort bien affûté. Moi je comprends pas comment on peut passer autant de temps dans l'enfer des forges pour plier des dizaines de fois une tranche d'acier et la tabasser à s'y laisser les oreilles. Tout ça pour fabriquer un concentré de meurtre et lui donner un nom. Son couteau pue l'amour et la beauté. »)
Hrist récupéra ses armes, toutes les deux étaient propres, impeccablement lustrées et ciselées. Ses vertiges s'étaient dissipés, son malaise disparu. Cèles lâcha quelques propos moqueurs et inconvenants et sous l'escorte du Prêtre, elle fut conduite à la porte noire du Temple de Phaïtos.
La porte s'ouvrit, elle laissa s'engouffrer la lumière des torches puis, rapidement, se clos. Le Grand Prêtre claqua la porte derrière la femme, sans politesse.
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