(Une bonne chose de faite.)
Amaryliel y pensait encore tout exténué moralement de ces puissantes énigmes à vous tordre le cou ; il resta un instant devant la porte, l’allure peu fière quand il vit le nain lui passer devant et à bougonner hargneusement :
« Bordel dieu ! Qu’est ce que ce foutoir ? Du sang, des mécanismes, des intrigues… Et pis je n’ai pas confiance en vos pouvoirs sombres, alors gardez-les pour vous tant que vous serez avec moi. Maintenant avançons ! »
Ah ! Ce nain ! Le sindel avait failli l’oublier, mais que pouvait-il faire ? Se consumer doucement avant de succomber pleinement aux ombres qui dormaient en lui. Bah, des excuses lui seraient un peu inutiles et puis, Bölin était déjà devant. Amaryliel s’attendait à pire ; il souffla à nouveau comme après avoir évité une sévère réprimande.
(Oh, il apprendra à vivre avec.) pensa-t-il. Puis, se mettant en mouvement, il reprit la parole d’une voix beaucoup moins rapide, plus douce :
« Eh bien, il ne nous reste plus qu’à avancer, oui. Qu’est-ce qu’on nous réserve ? »
Soit vertu des paroles et des remords que Bölin lui fit sans doute, soit influence calmante de cette apparition de soulagement et l’intérêt qu’il avait eu sous les traits d’une fastidieuse ouverture de porte, soit la distraction réconfortante que la présence et l’entretien de Cornélius lui avait données, eu touché et apaisé l’agacement maladif de son être, à peine fut-elle ouverte, qu’Amaryliel ou plutôt ses aspects noirs s’endormirent d’un sommeil tranquille et profond. Il redevint sage, son teint pâle comme la mort reprit un air plus ‘vivant’, son visage tendit de nouveau vers une sérénité planante, ses yeux retrouvaient leur lueur mystérieuse d’antan. Le nain avançait en se débarbouillant de tout le sang qui était resté sur lui, et Amaryliel suivit d’un pas lent mais confiant et avisa la grande salle qui se tenait derrière la porte d’un œil presque… troublé. L’endroit le faisait penser à une pièce de la demeure de ses parents que son père adoptif avait faite construite en guise de salle de ‘repos’. Les tapisseries aux couleurs fantasques et chamarrées lui inspirèrent un sourire amical, les chandeliers finement ciselés et judicieusement placés pour donner un esprit de détente encore plus prononcé dans la pièce ; la table semblait de très bonne facture, fabriqué avec goût de même que les chaises qui, elles, interpellaient chacun de nos compagnons par un son silencieux, peut-être une prédisposition définie, personne ne savait encore. La petite touche ‘humaine’ bien classique était la cheminée où le feu brûlait chaleureusement, sans vergogne, sans se préoccuper du monde ambiant. Revenons sur la table. On pouvait y admirer plus d’un délicieux mets aux apparences fraîches et clairement incitantes – encore plus pour le nain ? Vraiment, tout laissait à penser qu’on les attendait, tout faisait que nos trois compagnons s’étaient tous attendus à un lieu encore plus funeste et sauvage que le précédent, tout concourrait à les laisser un instant choqués, surpris par cet endroit au charme convivial. Notons également l’être assis à la table richement garnie qui paraissait être dans une sorte de méditation – l’homme, point la table. Icelui ne s’occupa guère du bruyant nain qui entrait, ni des deux autres derrière lui.
Amaryliel était légèrement ‘secoué’, et il n’acheva de s’apaiser qu’à la vue de la bibliothèque qui s’élevait dans un coin de la pièce, qui ajoutait au sentiment de sécurité et de culture après ce séjour dans la sanglante antichambre. Il gardait la tête froide, puis se mit à examiner scrupuleusement tout le décor de manière à ne rien laisser au hasard.
(Tout semble nous attirer, nous inciter passivement. Si moi ce sont les livres, Bölin ce sera sans doute la nourriture. Et pour Cornélius… Je ne puis dire. Les tapisseries ? Mais il y a pis, bien pis : l’homme qui ne prend pas garde à nous et qui a l’air pensif… Va-t-il nous accueillir ou nous honnir d’une ire fatale ? Aucune idée mais restons sur nos gardes, j’espère que notre ami le nain ne cédera pas à la tentation de manger… Le nain ? Où est-ce que j’ai trouvé une appellation pareille ? Étrange… Mais passons cela. Tout est trop beau, trop bien, trop parfait. J’imagine, vu l’attitude de Cornélius, que lui aussi a été éduqué dans un monde assez riche, le nain… peut-être aussi ; cassons le doute.)
Amaryliel voulait absolument demander cela, c’était primordial, il pensait fermement que cela l’était. Il se retourna vers Cornélius et lui demanda d’un ton sec :
« Monsieur, votre père était-il marchand ? Je suis fort navré de vous demander cela, mais… votre attitude… votre comportement… vous avez été bien éduqué, je vous en suis redevable car votre éducation est un ravissement et une aide précieuse pour notre équipe. Cependant, j’ai l’intime conviction que vous avez été… »
Amaryliel s’interrompit, sembla un instant très embarrassé à l’idée de demander cela. C’était fort gênant, même ; il s’inclina et termina plus légèrement par :
« Rien. Pardonnez-moi. »
Il se retourna vers le mystérieux homme puis balaya encore une fois la pièce du regard, puis dit aux deux autres comme pour les prévenir :
« N’engageons rien pour l’instant, tout est trop beau, trop est trop présent pour fondre dans un triste piège où nos joies et nos peines se confondraient. N’oublions pas avec quel mal nous nous sommes hissés jusqu’ici. Si nous n’analysons rien, tout ce qui est là nous trahira. »
Le son de sa voix, la sérénité de ses yeux, l’abandon confiant et le calme de son attitude, la naïveté de sa physionomie, l’accent à la fois doux et honnête et plaintif de ce si étrange sang-mêlé, qui rappelle, comme chez les vocalistes, le ton rigide d’un noble et charismatique seigneur dans les palpitations même de la guerre, la mémoire des glorieuses conquêtes des marches passées sous un soleil de Narlà ; ce soleil qui ne semblait guère manquer au front du sindel, son corps, sa peau se portaient à merveille dans ce sombre univers. Tout cela pendant qu’il parlait enlevait une sorte de langueur à l’atmosphère et surtout à lui-même qui se sentait tout à fait autre. D’ailleurs, tandis qu’il disait cela, il avait en tête l’image du jeune homme dans son rêve, son presque-lui aux allures de bretteur réputé qui s’avançait vers lui en l’interpellant. Amaryliel s’identifiait inconsciemment à cet inconnu en cet instant précis ; la main sur la ceinture, il s’aventura sans discernement vers le centre de la pièce, donc vers la table et les chaises. Il conclut sa pensée :
(L’univers familier et quasi-onirique entre en contraste avec la force de la terreur de notre ancienne salle, testerait-il nos capacités face au changement ? J’ai beau tout regardé, je ne vois encore rien. En vain, je me force à ne pas croire le fait évident qu’il me manque des données. Encore un code, encore un mécanisme, cette fois-ci il est plus que subtil, plus que fourbe. Tout est devant nous, tout est à traduire. C’est ce que m’a toujours dit mon père adoptif. J’ai foi, nous ne tomberons pas. )
Il restait, dorénavant, en silence face à tel émoi de fastes et d’apparats énigmatiques. Il avait l’impression de se jeter tout brûlant dans un océan absurde, improbable. Il essaya en premier lieu de décrire, de voir, d’analyser, d’examiner par pénible travail d’esprit qui avait été tout de même la force qui avait combattu son agitation intérieure. Tout fut inutile pour Amaryliel, il avait peu confiance en lui ; bien sûr, il n’y pensait pas quand il était sous l’effet de ses occultes pouvoirs. Mais là, l’agitation mentale avait disparu et son calme laissait place au doute. Il savait quelque chose, mais quoi ? Notre presqu'sindel ne se rendit pas compte véritablement de tout cela, même dans les brèves circonvolutions de son âme pendant les moments de sérénité. Chose claire, il se retrouva devant l’humain et lui fit une noble et élégante révérence dans la supposition que celui-ci fût le maître des lieux. Ami ou ennemi, l’élégance et la courtoisie resteront les maîtres-mots du bien discipliné Amaryliel – même s’il n’avait, jusque là, pas fait preuve de beaucoup de civilité envers cet homme en s’adressant uniquement à ses camarades. D’ailleurs, notre fanatique n’engagea que la courbette, aucun mot ne suivit la belle action ; il attendit sagement une réponse de la part de leur hôte probable.
_________________ Valla-Meär Amaryliel Il Alamitz
Dernière édition par Amaryliel le Sam 25 Sep 2010 20:06, édité 2 fois.
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