Trajet maritime sur l'Arnaqueur entre Exech et Kendra-Kâr

L'Arnaqueur est un petit rafiot, d'une vingtaine de mètres de long. Son nom vient des prix prohibitifs qu'applique son commandant pour "payer les taxes" à Exech. Comprendre par là, pour payer les pirates qui lui permettent d'avoir le monopole du transport de passagers entre ces deux villes.

Pour le reste, quelques hommes d'équipage, une nourriture infecte et un sommeil dans les hamacs du dortoir commun seront votre lot durant toute la traversée.

Durée du trajet en bateau entre les villes des quatre continents
Vitesse : standard (x1)

(Les yus dépensés ici ne seront pas retirés de votre fiche)

A la réflexion, sourire à Harold fut une mauvaise idée et le direct qu'il me décocha en pleine face suffit à pourrir mon humeur pour le restant de la soirée.
Je massais ma mâchoire en regardant notre navire quitter le port silencieusement, tout feux éteints pour ne pas alerter les miliciens présents... C'était inutile, le capitaine Ellias (mon ancien supérieur) étant au courant de tout ce qui se passait dans cette foutue ville.
Mais étrangement il... laissait faire.
Tandis que nous avancions, je vis des miliciens en faction prêt de l'entrée du port regarder notre bateau lentement s'éloigner hors de leur juridiction, les armes baissées, certains se fumant une roulée tandis que les autres déambulaient paisiblement à proximité des docks.

C'était à n'y rien comprendre. Ils savaient qu'on était là! Pourquoi ne foutaient t-ils rien?

"Surpris?" fit une voix dans mon dos, manquant de me faire sursauter.

Le nouveau venu s'avéra être le nain qui avait empoché les yus lors de ma montée à bord.
Petit, chauve, il ne différait en rien de ses confrères, si ce n'était son jeune âge et sa bure bleue, qui l’identifiait clairement comme un aéromancien.
Il me sourit à travers sa barbe brune tressée, révélant une rangée de dents impeccables.

"Nous avons de petits arrangements avec la milice et certaines maisons nobles... Plus la peine de vous inquiéter."

Je lui désignais les lanternes du navire éteintes:

"Pourquoi tant de précautions en ce cas? Ne risquons nous donc plus rien?"

"De leur part?"

Le nain ricana doucement.

"Oh non... Ce que nous redoutons par contre, c'est d'éveiller la convoitise de certains pirates qui pourraient nous voir partir une fois l'entrée du port franchie. On nous a parlé récemment d'un capitaine ambitieux qui roderait prêt des côtes... Snorri préfère éviter de prendre des risques inutiles."

Je ne l'écoutais que d'une oreille tandis que le bateau dépassait enfin l'entrée du port pour ne plus révéler devant nous que le vaste océan, d'un noir d'encre sous la clartée de la lune.

Le nain me tendit une main courtaude que je serrais par réflexe.

"C'est ici que mon travail commence... Je vais m'assurer que nous puissions profiter de vents favorables histoire de gagner du temps. Bonne soirée à vous."

"Euh... De même"

Mon regard se porta à nouveau sur l'étendue d'un calme d'huile qui se présentait à nous.

On partait.



Le sombrelame fendait les eaux sombres comme un couteau dans du beurre, avançant inexorablement vers ce que j’espérais être pour moi un futur radieux...
J'étais tellement nerveux que je n'osais pas quitter le pont, de peur que perdre de vue l'horizon me ferrais me réveiller à Exech... C'était stupide, mais je ne pensais plus de façon rationnelle tant j'étais euphorique.
Adossé à une caisse de matériel, je me laissais bercer par le navire dont les voiles étaient gonflées par la brise de l'aéromancien, avec pour seule compagnie le timonier (lequel baragouinait une langue que je ne comprenais pas).
L'homme était un colosse à la peau noire, sans doute membre d'un de ces clans du désert...
Enfin, impossible d'en savoir plus de ce côté là; je savais parler le bratien (maladroitement), mais le dialecte des "basanés" restait pour moi un bordel incompréhensible.

Voyant que je l'observais, le gars me décocha un sourire d'un blanc éclatant auquel je répondis d'un signe de main nonchalant.

"T'as remis ton armure à ce que je vois..."

"Je me sentais nu."

"Je peux m’asseoir?"

"Ai-je vraiment le choix?"

"Non."

"Merveilleux."

Je commençais à être rôdé aux apparitions aussi soudaines qu’intempestives de la liykore... Et même si extérieurement je n'en montrais rien, j'étais très fier de l'avoir privée du plaisir de me voir tressaillir à son apparition.

"Que me vaut l'honneur de ta présence?"

"Je m'emmerdais."

"Oh."

La liykore se laissa choir à mes côté, son lourd plastron cliquetant durant l’opération.

"Nous voilà donc partis. Je ne pensais pas que ce serait si facile."

"Ouais... Moi non plus."

Ma partenaire s'étira, faisant craquer des os bien plus imposants que les miens.

"Skula?"

"Mhm?"

"Que compte tu faire exactement une fois arrivée à Kendra-Kâr?"

"J'ai discuté avec le capitaine du navire... Il se trouve que leur route remonte encore un peu vers le Nord."

"Pas d'escale pour toi donc?"

"Non... En effet."

"Je serrais presque tenté de dire que tes poings vont me manquer... Mais ce serait mentir."

"Et de ton côté? Toujours décidé à tout abandonner?"

Elle désigna mon plastron sur lequel était gravé les armoiries d'Exech:

"Tu as vécu dans la merde depuis ton enfance... Tu serais sûrement pas foutu d'agir comme quelqu'un de normal..."

"Je dois avouer que... Enfin... Je ne sais pas. Je me suis emporté et j'en suis désolé... Je n'ai toujours pas digéré ce qui s'est passé dans ce foutu manoir, lorsque tu as... Tu as..."

Ma phrase se noya dans un gargouillement, ma bouche étant incapable de rendre justice à l'horreur dont j'avais été témoin.

"Je te l'ai déjà dit; je ne m’excuserais pas de ce qui s'est passé là-bas. C'était nécessaire."

"Je sais."

Nous restâmes muets un bon moment; chacun s'abîmant dans ses propres pensées sans se préoccuper de l'embryon de discussion que nous avions engagée.

"Tu sais, avant de te rencontrer, je ne pensais pas que les humains pouvaient représenter un quelconque intérêt."

Mes yeux se portèrent sur elle, contemplant ce qui avait été la fin de bien de guerriers tenter d'ébaucher une phrase amicale.

"Tu m'en vois touché... Mais on ne peut pas dire que tu sois tombé sur le meilleur représentant de l'espèce."

La liykore se détourna de moi pour contempler l'horizon, les embruns faisant onduler son pelage tandis qu'elle s'emmurait dans le silence.

"Que comptes tu faire ensuite? Tu connais mes objectifs, mais je ne connais rien des tiens..."

"J'ai des... responsabilités qu'il va me falloir assurer."

"Quel genre de responsabilités?"

Un silence gênant s'installa entre nous et, au moment où je m'apprêtais à me lever pour aller rejoindre ma couchette, la liykore laissa échapper un faible murmure.

"De grosses responsabilités."

La convention en de pareilles situations était de laisser son interlocuteur à ses mystères.

Mais ce n'était pas dans mes habitudes, loin de là.

"Grosses comment?" lui demandais-je en me retournant.

Elle ne me répondit pas, son regard continuant de fixer les vagues.

"Bon, je vais me pieu..."

"Tu pourrais continuer ta route avec nous tu sais."

"Et pour quelles raisons?"

"Je ne sais pas, sans doute y a t-il au Nord des opportunités pour toi que tu ignores..."

La liykore continuait d'éviter mon regard, me donnant l'impression de m'adresser à un mur.

"La dernière fois que quelqu'un m'a parlé d'opportunités, je me suis retrouvé dans la milice. Voit comment cela s'est terminé et juge par toi même."

Elle ricana sans enthousiasme.

"Toujours Kendra-Kâr pour toi donc?"

"J'avais promis à des amis de rallier cette ville... Je n'ai pas envie de rompre cette promesse."

"Tes compagnons de jeunesse sont morts il y a longtemps... Es-tu certain que cette promesse ait encore une quelconque valeur?"

"Pour eux sans doute plus, non. Pour moi oui."

"Je pense que je peux comprendre cela."

La liykore se leva pour me faire face, sa carcasse lupine emplissant mon champ de vision tandis qu'elle décrochait quelque chose de sa ceinture.

"J'ai quelque chose qui t'appartient je crois..."

"Qu'est-ce?" lui demandais-je en haussant un sourcil.

"Un petit rien que je comptais te donner dans la journée, mais j'ai manqué de temps..."

Mes yeux se posèrent sur l'objet allongé qu'elle tenait au cœur de son immense paluche, mon épée...

Je pris délicatement la garde de l'arme entre mes doigts, sentant avec plaisir le cuir qui en entourait le manche... L'arme était plus luisante, presque... Changée.
Quelque peu intrigué, j'entrepris de passer mon index sur le tranchant de la lame afin d'en tâter l'efficacité... Et fut surpris de constater la fine ligne de sang qui commença à fleurir à la surface de ma peau.

"Je... Wow."

L'arme restait techniquement la même, un "fendoir" usé de la milice d'Exech, portant sur sa lame les traces de nombreuses échauffourées tandis que son manche gaîné de cuir était décoloré par la sueur des mains qui l'avaient serré à s'en blanchir les phalanges... Mais la liykore l'avait aiguisé avec le savoir faire d'une vie de combat, donnant à cet relique couverte de rouille une nouvelle jeunesse.

"Je ne sais pas quoi dire...."

"Un simple merci fera l'affaire je pense."

La liykore eu un petit sourire suffisant.

"Pour l'usage que tu en feras..."

Je lui tendis la main.

"Et bien... Si ça ne ressemble pas à des adieux, je me demande bien ce que ça peut être..."

Une brève lueur d'incompréhension traversa son regard tandis qu'elle fixait mes doigts comme s'ils allaient la mordre.
Il me fallut un court instant pour comprendre ce qui provoquait son malaise.

"T'es censé me la serrer."

"Oh..."

Elle me tendit une pogne poilue qui aurait pu aisément me broyer le crâne... Mais qui se contenta d'empoigner ma main et une partie de l'avant bras.

"T'es censé me la lâcher maintenant." lui dis-je après le passage de quelques secondes fermement décidées à se noyer dans les différences culturelles.

"Oh."

Ce fut finalement cette poignée de main qui mit fin à notre improbable association... Certes, nous continuerions de nous côtoyer durant la durée du trajet mais chacun avait maintenant choisit sa voie... J'en eu cruellement conscience en surprenant son regard alors que sa poigne se relâchait; elle avait fait un choix. Et le simple fait qu'elle ne m'avait pas exposé ses plans pour la suite de son périple indiquait clairement que je n'occupais plus aucune place dans ses projets.

La liykore me souhaita une bonne nuit avant de m'abandonner sur le pont avec pour seul compagnie le timonier, lequel me fit une remarque dans sa langue incompréhensible.

Je ne pu m'empêcher de me sentir soudain très seul.

Il s'écoula environ deux jours avant que les premiers événements louches ne pointent le bout de leur nez... Deux jours où il ne se passa pas grand chose.

Je perdais le plus clair de mon temps libre (et mon argent) dans des jeux de hasard avec certains des marins les plus désœuvrés (dont Harold et le jeune mousse).
Bien que les choses semblaient s'améliorer dans l'ensemble, je me sentais affreusement déprimé... La milice (la milice bordel!) me manquait. La crasse d'Exech me manquait. La routine dans son ensemble me manquait.

J'avais passé une partie conséquente de ma vie en temps que milicien, autrement dit le plan de carrière le plus radicalement opposé de celui de ces foutus aventuriers.
Les seuls que j'avais pu croiser l'avaient été lors de passage à tabac, ces jeunes idiots agressant le plus souvent les gardes de faction aux portes de la cité lorsque ceux-ci tentaient de leur soutirer un "droit de passage" (un moyen étonnamment efficace pour arrondir sa solde)... Ces mêmes idiots découvraient alors qu'un garde était un homme qui avait passé sa vie à manier une épée et pas juste trois putains d'heures dans sa saloperie de basse cour.

Pour en revenir à mes problèmes, je me retrouvais alors face à un tournant décisif de mon existence... J'étais maintenant en roue libre, ne devant répondre de mes actes devant personne et surtout pas devant un quelconque supérieur.

C'était quelque chose de complètement nouveau.

Et foutrement terrifiant.

***
J'abattis mes cartes sur le tonneau renversé qui nous servait de table de jeu, manquant de faire tomber la bougie qui fournissait la seule lumière du dortoir empestant la sueur et le tabac froid.
Le geste se voulait triomphant mais il s'acheva surtout sur ma personne forcée de récupérer les cartes par terre.

"Ce coup-ci messieurs, je pense que je rafle votre caleçon"

"Tu devrais franchement lâcher l'affaire Morington, le jeu te réussi pas..."

"Ferme la Harold"

Le marin jeta un regard à mon jeu avant de renifler de dedain.

"Non sans déconner Boer, couche toi ça vaux mieux."

Ses yeux pétillaient d'une joie mesquine tandis que ses lèvres s'entrouvrirent sur un sourire bordé de chicots.
Les autres marins baissèrent le nez sur leur propre main en grommelant. La chance n'avait gâté personne semble t-il.

Le marin allait abattre ses propres cartes lorsque des pas lourds dans l'escalier de la cale nous firent nous retourner.

"Vous savez très bien ce que le capitaine pense des jeux d'argent"

"Salut à toi aussi Thonin... Tu viens te joindre à nous?"

Le nouvel arrivant m'adressa un sourire penaud par dessous sa barbe tandis que ses yeux se portait avec avidité sur les mises qui encombraient notre table de fortune.

"Me tente pas, Snorri aura ma peau si je lui demande encore une avance sur ma solde"

Le nain (car c'en était bien un, son confortable mètre trente ne laissant aucun doute) alla se chercher un siège avant de se couler à nos côtés.
Je n'avais pas encore réussi à me faire un avis sur le barbu, ne le connaissant après tout que depuis un peu moins de deux journées... Et on ne pouvait pas dire qu'il avait été des plus accueillant lors de ma première venue sur leur bâtiment.

Garde du corps de Snorri Barbe Rousse, notre capitaine, il devait surtout son poste à la longue amitié qui unissait les deux hommes (qui restaient sur le plan technique des nains). A part cela... Et bien... Disons que le nain était discret. Peu d'informations filtraient à son sujet et les quelques racontars que j'avais pu glaner sur lui se résumaient dans l'ensemble à "c'est le garde du corps de Snorri". Rien de bien nouveau donc.
Bien que cette description ne soit pas très vendeuse pour sa personne, il s'était toutefois rapidement démontré un compagnon de voyage affable, toujours prêt à partager une bière ou participer à une partie de cartes... En bref un type potable. Pour un nain.

Il lâcha finalement un soupir de résignation.

"Faites moi une place, que je vous montre comment on joue."

"Comment ça se passe en haut? Orin a t-il trouvé la source de nos emmerdes?"

"L'aéromancien? Il n'arrive à rien et s'épuise à la tâche en essayant de nous garder un cap dans ces conditions..."

La vague bonne humeur qui habitait notre tablée disparu dès la mention des complications que nous affrontions depuis quelque jours.
Le vent était tombé et avec lui tout espoir d'arriver à Kendra Kar.
Orin, notre aéromancien bataillait depuis lors pour nous faire avancer, mais la tâche de ce type de mage se résumait en général à aider un navire dans nos conditions pour un ou deux jours maximum, transformant de petites brises en bourrasques propulsant un voilier à des vitesses respectables...
Le nain m'avait dit un soir qu'il se considérait comme un "facilitateur", il modifiait les courants, amplifiait le vent... Il ne pouvait créer à partir de rien, ce genre de tour étant bien au delà d'un arcaniste de son niveau.

Depuis lors, un épais brouillard s'était installé, empêchant notre navigateur de se repérer grâce aux étoiles, nous abandonnant dans un univers grisâtre opaque.

Ce n'était toutefois pas cela qui effrayait les marins de Snorri. Nous avions découvert par hasard que le navire, en dépit de son apparente immobilité, bougeait.
Nous dérivions, à l'aveugle, en dépit des tentatives du timonier pour contrôler notre direction.

Le soir, les hommes de guet sur le pont entendait des rires cristallins très légers, toujours à la limite de l'audible.

L'air était lourd, caustique et même nous, les non-mages sentions la magie qui l'en imprégnait.

Je secouais la tête dans l'espoir de chasser ces sombres pensées.

"On reprend?"

Les marins ne répondirent pas, leurs yeux fixant quelque chose (mais plus probablement quelqu'un) dans mon dos, leur posture jusque là avachie se redressant sensiblement.
Me doutant déjà de l'identité du gus (la seule personne que mes compagnons de jeu semblaient un tant sois peu respecter), je me retournai rapidement, réprimant un salut (un des nombreux tocs que m'avait légué ma vie de milicien).

"Capitaine Snorri."

Le chef incontesté du navire (ou nabot alpha selon Skula) m'ignora royalement, posant un regard aussi lourd qu'une enclume sur Thonin, lequel se tassa sur son tabouret, réussissant par là même l'exploit de paraître encore plus petit.
Il eu un léger reniflement de mépris avant de regarder ses hommes.

"Tous sur le pont. Les ennuis nous ont trouvés."

L'arrivée impromptue de Snorri eu au moins le mérite de sauver mes derniers yus, mais ce fut bien le seul point positif de son apparition.

Resserrant les sangles lâches de mon armure, j'emboîtais le pas à mes compagnons de bord, mon lourd attirail d'ex-milicien me rappelant que du paquet, j'étais le seul susceptible de couler à pic si je tombais à l'eau.
Aussi stupide que cela puisse paraître, je n'arrivais pas à me défaire de cette vieille cuirasse cabossée, rongée par la rouille et les innombrables éraflures qui la tapissait.

Malgré le mal que je m'étais donné à retirer les armes d'Exech de mon équipement, je restais un soldat, incapable de me faire à l'idée d'une quelconque "vie-civile".
Recevoir des ordres, le poids rassurant d'une légère couche de métal protégeant mes parties (entre autres organes importants), voilà un univers qui m'étais familier.
Un univers rassurant.

***

Suivre le capitaine s'avéra finalement plus facile à dire qu'à faire, le nabot ayant une foulée... conséquente pour sa taille.
Tandis que nous avancions, il discutait avec son second, Thonin et pour ce que je pouvais comprendre, la situation était mauvaise.
Il ne s'agissait pas de pirates, de monstres marin ou autres joyeusetés sorties du même chapeau, mais d'un cadavre de noyé que les gardes sur le pont aurai aperçu dérivant non loin de notre coque.
Un cadavre qui n'était pas seul semble t-il.

***
La première chose qui me frappa fut l'odeur.
Une odeur infâme, caractéristique de la chair en décomposition qui constituait le gros de ce qui fut, en dépit de toute apparence, un être humain.

Une petite troupe s'était assemblée autour du macchabée, la plupart des hommes essayant de se protéger de l'horrible flagrance à grand renfort de tissus, certains étant secoués de hauts le cœur.
Skula se tenait à leurs côtés, imperturbable, regardant le corps à ses pieds sans y prêter vraiment attention.
Mon hochement de tête à son attention ne me fut pas retourné, sans grande surprise.

L'individu au sol, un homme pour ce que je pouvais en voir, était boursouflé par son temps passé dans l'eau, sa peau manquant à l'appel là où les poissons avaient jugé bon de le mordiller... Mais ce n'était pas ça qui rendait le corps dérangeant (outre sa présence sur le pont, les cadavres n'étant jamais de bonne compagnie), mais la position torturée de ses membres... et sa bouche ouverte dans un cri de terreur muette.

"Ce n'est pas normal..."

"Les noyés sont choses courante par chez toi?."

Harold m'avait rejoint, regardant avec moi les marins de Snorri extirper un autre corps de l'eau trouble.

"Pas vraiment. J'ai bien dû en repêcher deux ou trois dans le port lorsque je servais la milice mais aucun n'avait... "

"Je te charrie. Je vois très bien ce que tu veux dire. J'ai aussi vu mon lot de noyés et ça..."

Il pointa du doigts deux corps recroquevillés, leurs traits bouffis défigurés par la terreur.

"C'est nouveau."

Je regardais notre capitaine discuter avec la liykore, celle-ci se penchant pour renifler un des corps, avant de reprendre ses messes basses avec le nain.

Depuis quand ces deux là s'entendaient-ils? Elle avait bien mentionné une discussion avec Snorri concernant une déviation de notre route, mais le nain semblait lui témoigner un certain respect militaire, comme s'il s'adressait à un officiel et non à une bête de neufs bons pieds de haut.

Non... Décidément ce voyage ne me plaisait pas. Trop de variables, d'inconnues. Trop de brume et pas assez de vent.
Beaucoup trop d'odeurs et de magie dans l'air.

Snorri se tourna vers nous et nous fit signe de balancer les corps par dessus bord avant d'envoyer Harold chercher Orrin, notre aéromancien.

Le capitaine est inquiet songeais-je. Et rien de bon n'arrive lorsque les gradés mouillent leurs chausses.

Sept jours de voyage, voilà ce que l’on m’a annoncé en m’indiquant un petit hamac dans la cale, avec les mousses. L’odeur est ici désagréable, entêtante, mais je serre les dents et m’installe. Aller, sept petits jours. Cela devrait passer vite.

Au bout du septième jour, il devient évident que nous n’arriverons pas à bon port dans les délais prévus. Le navire est balloté par des vagues gigantesques et les cieux noirâtres tels que je ne les ai jamais vu nous menacent, nous mettant au défi de nous enfoncer plus avant dans cet ouragan. Je suis accroché au bastingage, mes griffes plantées dans le bois du navire dans l’espoir que tout cesse ou que finalement je me retrouve à la mer. Mon ventre a refusé de se nourrir durant toute cette semaine et si cela n’avait pas été le cas, je ne doute pas que j’aurais déjà rendu le peu de bile qu’il me resterait. Va-t-on enfin nous laisser mourir ?

Deux jours plus tard, il devient évident que l’on ne nous laissera pas mourir, alors que l’obscurité reflue pour laisser place à des cieux aussi bleu que jamais et à une douce petite brise qui bat doucement les engrenages, faisant mollement gonfler les voiles. Alors que je suis sur la tête de proue, je peine à imaginer que la veille je vivais un enfer comme jamais. Que la mer est étrange, aux humeurs si changeantes. J’ignore si je pourrais m’habituer à ses sautes soudaines. Peut-être, peut-être pas, mais je comprends la fascination qu’elle peut exercer sur ces marins que je vois la contempler avec amour. Pour ma part, je me contente de retenir mes tripes à l’intérieur.

Peu après ces constatations profondes, un marin vient de m’annoncer que nous avons considérablement dévié de notre cap et que nous irons faire aiguade dans la cité elfique de Luinwë. J’apprends cette nouvelle non sans une certaine déconvenue, mais m’efforce d’éloigner ma mine déconfite.

Au final, je finis par me faire à l’idée, à tel point que je décide de descendre là-bas pour ne pas remonter sur le navire. La perspective de reprendre la mer pour quelques jours de plus y est indéniablement pour quelque chose, je dois bien l’avouer.

L'inquiétude de Snorri se manifesta au final par un doublement du nombre de guetteurs et par la surexploitation des dons d'Orrin.
Les cadavres avaient disparus mais leur brève apparition sur le pont n'avait absolument rien fait pour remonter le moral de l'équipage... Du moins l'équipage humain, les nains ne laissant rien transparaître de leurs émotions auprès des "longues-jambes".

Harold et moi montions la garde non loin du jeune arcaniste, sa petite carcasse tremblante de fatigue au milieu de ses cercles de craie, fermement déterminé à ne pas faillir en dépit de ses limites physiques.
Il parvenait à maintenir une légère brise qui gonflait nos voiles mais nul ne se leurrait sur son utilité. Tôt ou tard le nain céderait et nous nous retrouverions contraints à l'immobilité au milieu de la brume.

(((rp en cours)))