Bonjour. Vous souhaitez une description du Woran que j’étais à cette époque ? Soit. Je possédais une fourrure tachetée relativement sombre qui reflétait la nature de mes parents, l’un sombre et l’autre tigré. Mon corps était alors jeune et vigoureux et du haut de mon mètre quatre-vingt-cinq, j’étais grand parmi les miens. Mes yeux quant à eux étaient jaunes et vifs, emplis de curiosité sur le monde qui m’entourait.
Quand à ma psychologie à cette époque… Et bien, durant mes années d’esclavage, j’étais l’un des êtres les plus curieux qui soit, mais également l’un des plus entreprenants, d’une certaine naïveté, malgré la servitude. Une fois libre ? Commençant ma vie par un massacre, je ne fus plus jamais le même. J’étais devenu à la fois plus féroce et plus taciturne, dévasté par des décisions qui en menèrent tant à leur perte. Je devins également plus réfléchi et désabusé. En somme, je n’étais plus qu’un ersatz de ce que je fus, rongé par le remord et la solitude dans un monde que je ne connaissais que par procuration.

Pourquoi suis-je devenu ainsi ? Les premières années de ma vie se sont écoulées au rythme d’une servitude, d’un esclavage qui me fut imposé dès mes premiers balbutiements. Ma mère était une Woran sombre et mon père un Woran tigré, tous deux nés libres, humiliés puis réduits en esclavage par les Shaakts. L’ironie voulu que ce fût au plus bas de leur condition que bourgeonna l’amour qui me vit naître, bien des années plus tard.

Il est inutile de s’attarder sur mes années d’enfant-esclave car elles ressemblent à celles de bien d’autres. Sachez juste qu’elles ne furent pas aussi horribles que l’on peut se l’imaginer, j’ai grandi auprès de ma famille, auprès d’autres Worans qui étaient comme nous parqués dans un coin de la ville Shaakt de Khonfas et ensemble nous formions un clan, ou du moins ce qui s’en rapprochait le plus selon mes notions juvéniles. Là-bas j’appris quelques us et coutumes de mes peuples respectifs car certains esclaves refusaient d’abandonner ce qui faisait d’eux des Worans farouchement libres. D’autres les fuyaient, préférant oublier un passé trop chéri. Chacun survit comme il le peut.

Mes parents m’apprirent même à lire et à écrire, le soir avec un morceau de charbon gratté sur les murs. Ce n’était pas seulement un passe-temps, une activité familiale, mais également un moyen de survie car les esclaves lettrés bénéficient d’un meilleur traitement.

En grandissant, mes tyrans se rendirent compte de mon aptitude et je devins rapidement garçon de course puis finalement scribe dans une maison de petite noblesse Shaakt. Jeune esclave, j’étais là-bas invisible lorsque l’on n’avait pas besoin de moi, aussi laissais-je ma curiosité naturelle s’exprimer et je prêtais l’oreille aux conversations, engorgeant moult informations de seconde main sur un monde lointain, hors de la servitude. C’étaient des connaissances nécessairement biaisées qui furent rapidement mises à mal, mais elles précipitèrent ce qui suivit.

Entre temps, une épidémie de fièvre avait touché mon clan et nombreux furent les morts. Mes parents comptèrent parmi les premiers. Peu de temps après, une nouvelle fournée d’esclaves arriva pour remplacer les perdus et c’est ainsi que je fis la connaissance de Chilali, une Woran tigrée de mon âge. Nous nous liâmes très vite d’amitié et, paradoxalement, le souvenir des années qui ont suivi m’est particulièrement cher.

Nous atteignîmes ensemble l’âge adulte et nous apprîmes ensemble ce que cela signifiait. L’esprit gonflé de rêves, nous fomentâmes un plan d’évasion et en fîmes part à nos confrères esclaves. Il fut difficile de les convaincre, mais, jeune, beaux et emplis de verve, nos arguments furent entendus.

L’évasion fut presque parfaite, jusqu’au dernier moment. Emplis d’assurance, nous tombâmes dans un piège dont peu s’échappèrent pour embrasser la liberté. Chilali ne comptait pas parmi eux.

Ainsi s’achevèrent mes années d’esclavage, dans un remord pétri dans le sang et les larmes. Cette histoire, laissez-moi vous la conter.