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 Sujet du message: La caverne des contrebandiers
MessagePosté: Jeu 30 Oct 2008 22:27 
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La caverne des contrebandiers


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Elle se situe dans la partie des montagnes glacées tenue par les hommes. C'est une grande caverne composée de nombreuses galeries qui, à ce qui se raconte, auraient été creusées par les nains et rejoindraient la cité Thorkine après un long cheminement souterrain. L'entrée se situe en bordure des neiges éternelles et, en hiver, l'endroit devient très difficile à trouver pour des personnes ne connaissant pas la région. L'entrée proprement dite est en fait un petit bosquet touffu comportant en son centre un buisson révélant, si on l'écarte de la main, un petit tunnel amenant dans les cavernes.

Cette cache souterraine est l'un des endroits clefs de tous les voleurs voulant faire passer en contrebande des marchandises, les chefs des différents clans de voleurs et autres malfrats s'y réunissent souvent pour y discuter en relative sécurité de leurs affaires. Seule une grande salle est vraiment occupée, dans les vastes souterrains, lieu proche de l'entrée où tous les voleurs se réunissent. Il y a toujours deux gardes à l'entrée de cette salle, aménagée mais rustique, et seul un voleur parrainé peut espérer entrer dans le saint des saints. Par ailleurs, la grande innovation de cette salle est que tous les voleurs ont travaillé pour enlever l'écho et tapisser les murs de matelas pour l'insonoriser de l’extérieur.

Dans la salle il y a trois choses présentes toute l'année: la brasserie-Bar de Tanagurt le nain barman, le comptoir d'échange tenu par Suleiman le perfide, un voleur avide avec de grands yeux perçants qui fait passer toutes les contrebandes, et l'armurerie-caserne. Cette dernière est tenue par Skrool, l'armurier de génie que beaucoup croient mort et Sylvan, un elfe noir, visant à la précision et faisant des entrainements de fer. Les voleurs ayant réussi leur test d'entrée dans ce cercle d'entrainement sélectif peuvent se dire en sortant mieux armés et meilleurs combattants que des guerriers alors qu'ils ne sont que voleurs...

La salle est très bien gardée et aucun problème n'est jamais arrivé bien qu'il y ait toujours du monde de passage. On a souvent l'étrange impression de voir un vrai comptoir commercial avec sa petite ville.

(Attention: Skrool ne rachètera et ne vendra rien à des particuliers... S'occupant d'échange de masse exclusivement.
Quant à Skroll et Sylvan, ils vous entraîneront, mais ils ne valent pas les maîtres qui seuls peuvent vous apprendre des CC)

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 Sujet du message: Re: La Caverne des Contrebandiers
MessagePosté: Ven 17 Avr 2015 13:45 
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Chapitre I - Le prix de la liberté

Conscience

La douce torpeur de l’inconscience. Mon esprit flotte, lentement dans les limbes de l’oubli et je savoure. Je savoure cet état de non-vie, de non-mort où plus rien n’a de sens, si ce n’est celui du battement de mon cœur qui tambourine contre ma poitrine. Un battement, d’un long silence, un battement. Cette cadence hors du temps.

Lentement, je perçois une sensation étrangère, la réincarnation lente de l’esprit dans le corps. Je prends conscience d’un torse qui se soulève, de jambes allongées, de mains reposant sur mon ventre.

Je vis !

Je tente un mouvement, un petit soubresaut de mon doigt qui s’anime. Je reviens de loin.

- On peut dire que tu viens de loin, mon gars.

L’ouïe me perce de cette torpeur avec douleur, chaque mot prononcé n’est qu’une torture ! Torture qui s’atténue, petit à petit alors que mon environnement sonore s’impose à moi. Des gouttelettes d’eau tombent dans une flaque, un brouhaha lointain, étouffé, et le silence.

Avec effort, je tente l’ouverture de mes paupières et laisse un rai d’obscurité m’aveugler. Après les ténèbres de mon esprit, cette semi-ténèbres mordorée, éclatée d’une unique torche me paraît si vive… Je suis dans une grotte et les murs de pierre s’écrasent au-dessus de moi. Suis-je de retour sous la sordide Khonfas, sous ses murs et tout n’était qu’un cauchemar ?

Non. L’homme assis à mes côtés n’a rien d’un Shaakt. C’est un homme entre deux âges aux cheveux ébouriffés. Ses contours sont flous, mais je vois ses crocs chiquetés apparaître sur son visage. En signe de bienvenue j’espère, non pour m’agresser. Il soulève une de ses pattes non griffue d’humain et la pose sur mon épaule.

- Ça va, t’es de retour parmi les vivants ?

Il semblerait. Je cligne quelques fois des yeux, chassant le voile qui s’y est glissé et tourne la tête vers l’humain. Il sourit.

Chilali, pourquoi m’as-tu renvoyé chez eux ?

- Où… suis-je ?

C’est un râle plus que des mots qui s’échappent avec peine de mes crocs, un souffle rauque que l’humain semble déchiffrer, à moins qu’il n’en devine le sens.

- Tu as atterris dans un repère de brigands, de malfrats et de rebuts de la société. De rebuts, certes, mais de rebuts riches. T’es resté pas loin d’une semaine dans les vapes et on a bien cru que t’y passerais, à t’donner la béquée. Suleiman voulait qu’on t’laisse y passer, mais Skrool et moi on l’a envoyé paître.

L’homme parle vite, il a l’air excité de m’avoir sauvé, de me voir vivre. C’est comme une victoire personnelle. Je prends quelques instants pour digérer toutes ces informations. L’effort est intense et je sens la torpeur me reprendre. Mes yeux se referment.

***
**


Le temps passe, partagé entre des états de conscience et d’inconscience. Parfois je me réveille seul, parfois l’homme s’affère à mon chevet. Je mange de temps à autre, je bois, souvent, mais je pense toujours à toi Chilali. Et au massacre. D’autres Worans se trouvent-ils également ici ? Je l’ignore et je ne suis pas certain de souhaiter une réponse.

Un jour – ou une nuit, comment le savoir dans cette grotte ? – j’émerge de mon sommeil, sentant quelque chose en moi de changer. Mes idées son plus claires, plus claires qu’elles n’ont jamais été depuis notre évasion des murs de l’avilissante Khonfas, quelques semaines plus tôt. Depuis ton sacrifice, Chilali. La douleur est toujours là, présente telle une plaie béante, comme le sang qui entacherait encore mes griffes, mais je sens en moi la force de me relever de nouveau et de vivre pour nous, comme tu me l’as demandé.

Péniblement, je relève le buste et fais glisser mon corps hors des draps pour poser mes pattes arrière sur le sol. Je ne suis vêtu que d’un pagne et je sens la fraîcheur de la pièce percer au travers de ma fourrure dégarnie, maltraitée par ma convalescence. Je suis dans une pièce souterraine épurée, avec mon seul lit contre un mur, une chaise et une table dans un coin, sur laquelle reposent les restes d’un précédent repas dont on m’a nourrit. Le tout est éclairé du halo flavescent de deux torches accrochées au mur.

Avec une lenteur délibérée, je transferts une partie de mon poids sur mes jambes et fais quelques pas flageolants, m’appuyant contre le montant du lit. La sensation de vivre de nouveau est étrange. La fraîcheur sous mes coussinets remonte dans mes pattes. C’est agréable.

J’entends soudain quelques bruits de pas et la porte s’ouvre sans semonce, laissant entrer l’homme qui m’a veillé. Il s’arrête brusquement en me voyant, alerté, puis s’approche rapidement de moi.

- Alors comme ça on fait une p’tite promenade de santé ? Bah, au moins tu marches, c’est déjà ça. Tu vas peut-être pouvoir me dire comment tu t’appelles, j’ai pas réussi à te le soutirer pendant que tu dormais.

Je le regarde un instant, puis me redresse légèrement. Ma fierté revient, elle aussi. Je pensais qu’elle m’avait déserté. Je fais presque la même taille que l’homme. Il hausse un sourcil en attendant ma réponse.

- Sha’ale.

Il acquiesce et s’adosse au chambranle. Il est vêtu tout de noir et de brun, une épée à la ceinture. Il possède de la dureté, cette dureté qui fait l’étoffe des voleurs de grand chemin, mais avec quelque chose en plus que je ne parviens pas à déterminer.

- J’voulais l’entendre de ta bouche. Vomendagorn. Vomen.

Un silence passe durant lequel nous nous toisons. Je sais que mon regard jaune est hanté, tiraillé et fatigué, mais je tente de le maintenir ferme. Le sien est calme, placide. Il attend, me jauge.

- Pourquoi ?

Vomen comprend le sens de la question.

- J’aime pas voir des gars crever pour rien. On sait ce que tu as fais et qui t’es, les échos de votre escapade sont venus à nos oreilles. On a beau être un ramassis de crevures sans foi ni loi, on reste des gars libres. Des gars qui ont choisi cette vie parce qu’on est ivres de liberté et que celle, aussi frelatée que nos alcools, que nous servent les ville ne nous convient pas. Et toi… toi t’es un type qui a connu l’esclavage, et qui a eu la force de s’y opposer, qui a placé la liberté au-dessus du reste, au-dessus de sa vie. Ça s’respecte.

Ça y est, je sais ce qu’il a en plus des autres bandits, ceux dont j’ai croisé la route à Khonfas : de l’humanité. Ce n’est pas qu’une brute sans foi ni loi, comme il le dit, mais un homme pensant, vivant de ses choix et en toute conscience.

- Et à quel prix ? A quel prix j’ai obtenu tout ça ?

- Celles de plein de morts, celle de ta conscience qui n’en sera jamais lavée. C’est ça l’plus beau, c’est que tu ne comprendras jamais la portée de c’que t’a accompli. Le sacrifice, c’est toi qui l’a fait, pour eux.

Je le regarde longuement, étonné de ses propos. Mon esprit se cabre, comment pourrais-je me respecter après tout ça ? J’ai leur sang sur les griffes aussi sûrement que si j’avais porté la dague qui les avait tué. Je ne suis pas leur sauveur, je suis leur meurtrier, celui qui les as tué ou qui les condamne à un triste destin d’errance.

- Pourquoi en sais-tu autant sur moi ?

Il paru hésiter un instant, avant de déclarer.

- On a deux autres rescapés ici. Les autres sont déjà partis. Ils voudront te voir.

J’acquiesce.

- Ça s’ra pas agréable.

- Rien ne l’est.



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 Sujet du message: Re: La Caverne des Contrebandiers
MessagePosté: Dim 19 Avr 2015 23:40 
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Endosser le fardeau de sa conscience

Plusieurs jours passent durant lesquels Vomen laisse à mon esprit et mon corps le temps de se reconstruire. Je lui suis reconnaissant de la solitude dans laquelle il me laisse. Je suis fatigué, éreinté aussi bien psychiquement que physiquement. Ma clarté d’esprit retrouvée et toute cette inaction me laissent bien trop de temps pour ressasser et ressasser encore ce massacre, emplissant mes pensées de « et si… ». Jusqu’à ce que je craque, poussant un hurlement de dément, emplis de toute ma rage et mon désespoir et me retrouve pleurant à genoux, les griffes enfoncées dans mon front.

A présent, je vaque dans la chambre, une pile de livre à mes côtés. Ils sont salis, usés, humides, mais ils me tiennent compagnie. Vomen me les a apporté suite à mon hurlement, comprenant un besoin de s’échapper. Ce sont des histoires sur d’autres mondes, inconnus, imaginés ou réels, si différents des livres que je glanais chez les Shaakts qui contaient des récits de pouvoir et de domination.

J’entends toquer à ma porte et me relève, déposant mon livre sur le côté. Celui-ci narre l’histoire d’une île lointaine et de la chute d’un autre monde. Vomen entre, accompagné d’un autre homme, blond, les cheveux attachés en queue de cheval. Il semble plus rude que mon guérisseur.

Je m’assois sur le lit, intrigué et lui serre la patte, prenant garde à ne pas enfoncer mes griffes, les humains ont la peau si fragile sans fourrure pour les protéger.

- Sha’ale, je te présente Skrool, il a lui aussi œuvré à ton rétablissement.

Je le salue d’un signe de tête et d’un remerciement murmuré. Je ne suis toujours pas certain de leur être reconnaissant de vivre, mais je ne peux me permettre de rudoyer leur fierté. En d’autres temps, je l’aurais fait par gratitude, ou au moins par politesse, mais ces notions me paraissent si lointaines, si vaines…

- J’espère pouvoir payer ma dette envers vous.

- T’en fais pas, on trouvera bien un boulot à te faire faire, c’est pas ça qui manque par ici, me répondit Skrool.

- Kaliska et Talasi veulent te voir, ils deviennent intenables.

Kaliska… Talasi… La confrontation sera difficile et je sais dors et déjà que je ne pourrais en ressortir tel que je l’aurais commencée. Je retiens un haut le cœur, le ventre noué d’appréhension.

- Allons-y.

- Maintenant, t’es sûr ?

J’acquiesce, incapable de parler, et lui fait signe de prendre la tête. Skrool nous talonne. Vomen m’emmène dans un réseau de tunnels éclairés par des torches plus ou moins étroits, mais toujours suffisamment grands pour que deux personnes puissent passer de front. Plusieurs portes jalonnent le chemin et je suppose qu’elles mènent à des cellules semblables à la mienne. Nous croisons quelques personnes qui saluent Vomen et Skrool, me regardent avec une vague curiosité tout en continuant leur chemin. Je ne leur prête aucune attention ni même ne les salue.

Nous arrivons finalement devant une porte comme toutes les autres. Vomen tape deux fois et entre, nous faisant signe d’attendre. Quelques secondes plus tard, il nous invite à entrer. La pièce est exactement comme la mienne, pourvue du même mobilier simple, sans fioriture ni décoration. Au milieu de la pièce se trouvent deux Worans. Mes yeux, fuyants ceux de Kaliska, se portent sur Talasi, un Woran à la fourrure fauve, presque dépourvue de motifs et à la taille comme à la carrure impressionnantes. Il me dévisage, une lueur d’incertitude dans le regard et acquiesce la tête en signe de reconnaissance.

Fermant les poings, je porte mon regard sur Kaliska. Son regard d’un bleu de glace me brûle, son pelage blanc parsemé de noir me serre le cœur d’une douleur presque physique. Kaliska, sœur aimée de Chilali. Mes yeux s’emplissent de larmes que je retiens à grande peine. Elle lui ressemble énormément, elles se sont toujours beaucoup ressemblées. La même robe d’un blanc neigeux, les mêmes iris. Mais Kaliska n’a pas cet air chafouin, cette petite touche d’espièglerie qu’a – qu’avait Chilali. Elle a toujours été la plus sombre, la plus dure des deux sœurs.

Talasi s’avance d’une démarche légèrement boitillante, soustrayant Kaliska à ma vue et pose une main sur mon épaule. Je me force à lui rendre son regard.

- Qui a survécu ? Qui s’est échappé ?

Je secoue la tête et tente une première fois de parler, mais les mots restent bloqués dans ma gorge. Lorsque je tente de nouveau, c’est un croassement qui sort de mes canines.

- Je ne sais pas. Je n’ai pas vu. Quelques uns…

- Nous avons vu au moins une dizaine des nôtres partir dans plusieurs directions. Litonya, Nirvelli, Tadi, …

Je lève la patte, serrant son avant-bras toujours posé sur mon épaule. Ils ignorent, ils ignorent ce que j’ai à leur dire. Les mots que je dois prononcer font encore plus mal que tous les autres. Je ne les ai pas encore prononcés à haute voix, de peur que cela ne leur donne plus de réalité encore, que la dernière partie d’elle qui restait avec moi s’envole ainsi au loin.

- Chilali… est restée. Elle est m…

Je ne parviens pas à finir le dernier mot car Kaliska m’a bondit dessus et c’est un soulagement, car je n’aurais pas eu la force de l’achever. Elle a repoussé Talasi et me roue de coups, des coups rageurs, emplis de toute sa haine, de toute sa rage. Elle frappe partout, sans distinction, mes côtes, mon ventre, ma tête... Je ne bouge pas, incapable que je suis de l’en empêcher ou de ne faire ne serait-ce qu’un mouvement. Je mérite chacun de ces coups et tant de plus. Tant de plus…

- C’était ma sœur ! Ma sœur ! Hurle-t-elle de rage, les larmes coulant à flot de son visage.

Les yeux brouillés, je vois Skrool et Vomen assister impuissants à la scène. Talasi tente vainement de retenir la Worane. Et je ne bouge pas.

Les coups pleuvent mais la douleur que je ressens n’est jamais suffisante, elle ne suffira jamais à expier mes erreurs. La patte de Kaliska prend du recul et toutes griffes dehors la précipite sur mon visage, barrant ainsi mon œil gauche de trois sillons sanglants.

- Kaliska !

Talasi retient son prochain coup. Kaliska me regarde, les yeux écarquillés entre ses larmes, puis semble d’un coup se recroqueviller sur elle-même et s’effondre à genoux, serrant frénétiquement ses bras contre elle, les épaules secouées de soubresauts. Je la regarde, incapable de bouger ne serait-ce qu’un muscle. Je ne ressens plus qu’un grand vide, immense, où devrait se trouver ma poitrine. Pourquoi ?! Pourquoi…

Talasi se penche sur elle et lui murmure des paroles de réconfort, la berçant dans ses bras. Petit à petit, ses tremblements se font moins nombreux, jusqu’à cesser en partie et le Woran la soulève dans ses bras, la transportant hors de la pièce. Vomen et Skrool la regardent faire, échangent des regards mais n’agissent pas. Dès que la porte se referme, je m’effondre à mon tour à genoux, des larmes de sang coulant des trois sillons là où je ne puis pleurer.

J’ignore combien de temps je reste là, les yeux dans le vague, incapable de penser. Et pourtant, pourtant ce vide au fond de moi que je ressens, ce néant pourtant si réel… Il est pétri des remords, des regrets, de fureur, de dégoût. La Haine, Artisane du Vide.

Talasi entre de nouveau dans la pièce. Je le sens m’observer quelques temps avant qu’il ne se penche vers moi et repose sa patte sur mon épaule. Il cherche mon regard et finit par le trouver. Je vois ses yeux oranges pleins de dureté et de compassion.

- Sha’ale, tout cela appartient au passé. Kaliska ne te hait pas, elle a mal, elle est choquée – Dieux, que c’est notre cas à tous ! – et sa sœur lui manque, mais elle ne te hait pas, j’espère que tu le comprends.

Je le regarde sans répondre. Il secoue la tête.

- Tout ça… tout ceci était nécessaire. Nous ne pouvions rester là-bas. En menant la rébellion, vous nous avez rendu à nous-même, Chilali et toi, et ceux qui sont morts ce jour-là sont morts en Worans libres, heureux de le faire pour que certains de leurs frères et sœurs puissent en jouir. Cela ne doit pas peser sur toi.

Ses derniers mots forment comme un choc pour moi, je sens de nouveau mon corps s’animer et me répondre. Non pas parce que je suis d’accord avec lui, mais parce qu’au contraire, je ne puis cautionner ses mots.

- Ces morts sont mon fait, j’ai été imprudent, je nous ai trop peu préparé. Je n’aurais jamais dû nous monter ainsi contre eux. Ce désir de liberté était beau, mais vois où il nous a mené… Là bas, nous étions des esclaves, mais nous riions, nous vivions et aimions. Les morts ne rient plus, n’aiment plus. Et nous, regarde nous, regarde Kaliska…

Je sens que Talasi n’a rien à répondre à mes propos, il a le regard impuissant de ceux qui savent leurs arguments vains et la joute verbale perdue, mais ne peuvent revenir sur leur idée, ne peuvent les faire comprendre. Il me lance un regard triste et se relève. J’en fais de même. Nous nous regardons quelques instants encore, puis il finit par hocher la tête et se diriger vers la porte. Je le retiens au dernier moment.

- Talasi… Laisse Kaliska me haïr autant qu’elle le souhaite.

La patte du Woran sur la porte est saisie d’un bref tremblement mais il acquiesce et s’en va, me laissant face aux deux bandits. Ils s’agitent sur leurs pattes frêles, gênés de la scène à laquelle ils viennent d’assister. Ils n’osent pas me regarder dans les yeux. Je serre les mâchoires et les poings, je tente de regagner contenance.

- Bien. Comment puis-je rembourser mes soins ?

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 Sujet du message: Re: La Caverne des Contrebandiers
MessagePosté: Ven 24 Avr 2015 15:48 
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La première dépense se doit d'être avisée

Je serre dans mes grandes pattes griffues ces quelques pièces qui reposent au fond de ma paume. Le métal est froid, étonnamment lourd. Cela fait un mois que je travaille au milieu de ces bandits. J’ai rapidement appris que j’avais à faire à une caverne de contrebandiers, un lieu, m’a-t-on dit, où l’on stock des marchandises qui entreront dans un pays sans s’acquitter des droits de douane. Durant tout ce mois, mon travail consistait principalement en de la manutention, soulever les grosses caisses de matériel pour les amener sur des chariots et inversement. Un travail épuisant qui empêchait mon esprit de trop divaguer, me laissant éreinté le soir, à peine capable de faire les quelques pas qui me séparaient de ma chambre et de mes cauchemars.

- Voilà, on a retiré les frais de ta convalescence, et c’est ce qui reste, me dit Vomen.

Je relève les yeux sur lui, il a l’air à moitié gêné et à moitié ravi de me donner cet argent, comme s’il comprenait ce qu’il signifie pour moi : les premières piécettes que j’ai gagnées de ma vie, la toute première rétribution pour mon travail qui ne soit pas des coups de fouets… J’en ai les yeux humides. Je les replace précautionneusement dans la bourse dans laquelle elles se trouvaient et la serre contre moi.

- Merci, Vomendagorn.

Durant tout ce mois, il m’a servi de compagnon, d’ami, même, m’expliquant les rudiments que je devais connaître pour survivre et m’intégrer dans ce milieu, les personnes à éviter, les combines à connaître. Skrool s’est parfois prêté au jeu, ne rejoignant de temps à autre. J’approfondis ainsi mes connaissances bien piètres sur les autres races, que je n’ai côtoyé que de loin.

- Ça t’dit d’commencer à l’dépenser d’façon raisonnée ? me lance Vomen avec un clin d’œil.

Je le regarde un instant sans comprendre, puis retrousse les babines dans ce qui se rapproche le plus d’un sourire carnassier.

***


C’est déjà la seconde pinte que je m’enfile et j’en sens les effets, j’ai la tête qui dodeline, le rire – aigre – plus facile et je me découvre volubile. Nous n’avions pas l’habitude de boire, dans les quartiers des esclaves. Parfois l’un de nous parvenait à voler une bouteille ou même un fût à nos maîtres, mais nous en partagions l’intégralité, aussi nous ne pouvions profiter de la quantité. Nous sommes dans la taverne de la caverne des contrebandiers, l’une des plus grandes grottes de ce labyrinthe de tunnels éclairées de multiples torches, pourvue d'un grand bar et de plusieurs tables animées. Elle est tenue par un nain nommé Tanagurt, un être minuscule, une moitié d’homme qui nous sert de la bière rafraîchie dans ses caves et nous sommes attablés à l'une de ses tables, bien entretenues.

- J’étais jamais allé boire dans une taverne, dis-je à Skrool et Vomen alors que Tanagurt nous apporte trois autres chopes.

- Et encore, attends qu’on t’amène dans un lupanar, me lance Skrool.

Je ne sais pas de quoi il s’agit, mais je le devine aux sourires roublards qu’ils arborent. Je m’apprête à protester lorsque tout à coup, notre entrevue est interrompue par une ombre qui se profile au-dessus de notre table. Nous levons les yeux pour voir Suleimann, l’homme en charge du comptoir d’échanges nous toiser d’un air narquois. Suleimann le Perfide est-il surnommé ici, un petit blond aux yeux perçants. Il est respecté pour le pouvoir qu’il occupe, mais très peu apprécié, d’après ce que m’en a dit Vomen. Je le soupçonne d’avoir fait partie de ceux qui voulaient me laisser mourir ou me redonner en pâture aux esclavagistes. Quoi qu’il en soit, il semble avoir développé envers moi une antipathie que je ne m’explique pas.

- Alors le chat commence à boire ? Il prend ses aises ?

- Fiche nous la paix, Sulei, réplique Vomen, l’ai las de son jeu.

- Le chat boit et prend ses aises, comme il en a le droit.

Cette répartie, quoique maladroite, est sortie d’elle-même de mes crocs, comme si l’alcool parlait à ma place. Que je sois damné si je laisse encore quelqu’un me traiter en inférieur !

- Oh ! Mais c’est qu’il grogne, en plus ! Répond Suleimann, moqueur. Peut-être qu’il mord en plus ?

Les griffes enfoncées dans la table, je me mets en effet à grogner, de ce même grondement profond que j’avais utilisé contre le Shaakt, qui semble tant prendre les humains par les tripes pour leur intimer de fuir, comme si un écriteau avec « danger ! » gravé en lettre de sang était apparu devant leurs yeux. L’effet ne tarde pas à prendre et je vois le sourire moqueur de Suleimann vaciller légèrement, perdre de son mordant. Même Skrool et Vomen s’agitent sur leurs chaises.

- Je mords aussi, puisses-tu espérer ne jamais te retrouver entre crocs, humain, ou tu en aurais la certitude.

- C’est ça mon minou, on verra ça, en attendant retourne jouer dans ta litière.

Avec un dernier geste de main de dérision, il s’en va. Nous le suivons des yeux avant que mes deux compagnons ne reportent leurs regards sur moi.

- Fais attention à ce type, Sha’ale, il n’est pas sans pouvoir ici.

Skrool acquiesce aux paroles de Vomen.

- Ne lui tourne jamais le dos, tu aurais tôt fait de te retrouver avec une lame dans les omoplates.

- Ou du poison dans ton verre.

Je hoche la tête, les remerciant du conseil, avant que ma bouche ne s’ouvre en un sourire découvrant tous mes crocs.

- En attendant, buvons !

Et nous trinquons nos chopes. Peut-être est-ce la bière, l’effet de l’alcool que je découvre, mais pour la première fois depuis longtemps, je me détends un peu, reléguant loin, très loin les conseils de Skrool et Vomen.

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