Les Idolâtres du Grand ChthonienLe Territoire du Loup Noir
Le presbytère n'était autre que l'habitation de la grande prêtresse, construit sous le temple de Phaïtos. Plus à gauche, une autre porte. Celle des catacombes.
C'était un domicile modeste, que l'on aurait pu comparer à une chaumière de paysan. Le plafond était aussi relativement bas, détail qui contrastait avec et le gigantisme du temple au-dessus.
Elle l'amena, sans qu'ils échangent un mot, dans une salle accueillant plusieurs lits, ordinairement conçue pour accueillir les pèlerins ou les fidèles ayant des ennuis. L'endroit ne semblait pas souvent utilisé. Des toiles d'araignée traînaient dans les coins, tout était vide. Au fond de la pièce, collé au mur, se tenait un échiquier simple et un chandelier sur une table carrée entourée de trois chaises. Au-dessus de celui-ci, une large ouverture rectangulaire dans le mur laissait dépasser le bec d'un crâne de corbeau qui semblait veiller sur la chambrée. A ses côtés, des livres de toutes tailles et -semblait-il- de tous âges traînaient là. Ils étaient alors les seuls indices pouvant assurer qu'il y avait déjà eu de la vie ici.
La grande prêtresse lui dit qu'il logerait ici jusqu'au départ pour Blakalang et lui demanda s'il voulait manger. Goetius était affamé et répondit que oui. Elle lui alluma la chandelle et le prévint qu'elle n'aimait pas être dérangée, alors qu'il ne sorte pas de la salle. Il n'y comptait de toute façon pas et profita de ce tant attendu moment de répit pour se délasser. Il était dans un lieu sacré de Phaïtos, convaincu qu'ici rien ne pourrait lui arriver. Elle lui emmena, quelques minutes plus tard, une cuillère et une écuelle en bois remplie d'un pot-au-feu trempant dans son jus, qu'il engloutit avant de s'endormir lourdement.
Les deux jours suivants furent calmes.
La grande prêtresse faisait de son mieux pour réunir des hommes prêts à accepter de se rendre à Blakalang et à la Tour des Dieux, au risque d'y perdre leurs vies et leurs esprits. Pendant ce temps, Goetius passait le temps comme il pouvait. Il lut avec attention les livres sacrés se trouvant dans la pièce, erra dans le temple et s'aventura dans les catacombes. Celles-ci semblaient interminables, s'enfonçant en tout sens. Il aimait beaucoup cet endroit. Très silencieux, très sombre et nul être pour l'y déranger.
Le deuxième jour, après le repas du midi, la grande prêtresse le tint au courant. Elle avait réussi à réunir neuf hommes qui étaient, selon elle, assez forts de corps et d'esprit pour pouvoir assurer la bonne entreprise de leur plan. Les fidèles de Thimoros ont été très réceptifs à l'appel et elle a sélectionné ceux qui étaient les plus dignes de confiance. Deux chevaliers du chaos et deux éradicateurs, des guerriers et des archers maîtrisant l'art de la magie obscure seraient du voyage avec un de leurs prêtres à leur tête, connu pour être un redoutable sorcier. De même, un prêtre de Phaïtos -celui qu'il avait déjà entrevu à son entrée dans le temple- viendrait en compagnie de trois fidèles accoutumés aux arcanes de la nécromancie se rajouter au groupe.
Les gardes de Kendra Kâr ayant la fâcheuse tendance à se montrer méfiant en ce qui concerne les groupes de fidèles des dieux sombres armés jusqu'aux dents, pour des raisons de discrétion, ils partiraient de nuit, en passant par les catacombes. L'une de ses veines irait jusqu'en-dehors de la ville et tomberait non-loin d'une écurie appartenant à un fidèle des divins frères sombres.
Ils partirent ainsi, prenant monture chez le fidèle et avançant avec un minimum de trêves. Il fallut presque une semaine pour y parvenir, car l'équipée prenait tout les soins pour ne pas se faire remarquer et voyageait essentiellement de nuit. Tomber sur la garde ou l'armée kendraine était déjà un problème à éviter autant que possible, mais l'Ynorie, elle, était en guerre totale contre Oaxaca, la prétendue fille de Thimoros ayant pris le pouvoir sur les peaux-vertes, et une troupe de fidèles des dieux sombres seraient aussitôt considérés comme des ennemis à abattre sans ménagement. Ils durent donc passer par des routes secondaires, longeant les montagnes et évitant les villes. Précautions chronophages mais indispensables imposées par le prêtre.
Les fidèles de Thimoros se dévoilèrent rapidement insupportables pour Goetius. Leur obsession pour le chaos transpirait dans leurs attitudes agressives et il voyait bien que les autres fidèles de Phaïtos avaient aussi du mal avec ces comportements. Ils étaient des êtres auxquels ils n'aimaient pas avoir à faire. D'une folie qui leur faisait songer être invulnérable, leur volonté de faire couler le sang était toujours inspiré en honneur de leur dieu et aucun argument, aucune persuasion n'était possible, rien n'aurait pu les défaire de cette foi bestiale. Car que dire à celui dont les actes sont dictés par un principe qu'il défend corps et âme, une entité qui transcende sa propre existence et celle du monde ? Un être pour qui le danger est une raison de vivre ? Une foi étrangère, une crainte exprimée et il rit à votre nez. Toute menace, tout avertissement est stérile envers celui qui croit être un privilège de mourir au nom de son dieu.
A plusieurs reprises, ils auraient pu mettre le groupe tout entier en danger. Seul leur chef, le prêtre de Thimoros, avait la tête sur les épaules et semblait ne pas perdre des yeux leur mission. Lui semblait plus discipliné, plus sage que ses hommes. Son âge plus avancé en était peut-être la cause et ce devait être une des raisons pour laquelle ils le respectaient. Ça et les violentes bastonnades qu'il n'hésitait pas à leur infligeait à chaque pas de travers. Ils ne cherchaient même pas à se défendre lorsque celui-ci les rouait de coups. Mais ces punitions ne leur servaient jamais de leçon, et chaque jour, tel un rituel journalier, au moins l'un d'entre eux recevait ce châtiment.
Ils avaient beau être des guerriers dévoués de l'ombre, on aurait dit d'eux une fratrie de garçonnets turbulents cherchant une attention constante, gérée par un père devenu trop violent à force d'être dépassé.
Un spectacle détestable et bruyant, une pièce de théâtre absurde et exagérée qui s'est ainsi joué durant tout le voyage devant les yeux des fidèles de Phaïtos qui, eux, restaient là en silence, à devoir subir ce flot d'imbécilité et d'agressivité sans rien avoir à en dire.
Goetius était énervé d'un tel déploiement de force, sans parler du bruit et du ralentissement qu'il engendrait. Certains semblaient amusés, raillant dans leur tête l'imbécilité des fidèles de Thimoros ou s'enivrant d'un sadisme cathartique à chaque coups administrés comme s'il furent les leurs. D'autres encore semblaient décontenancés par cette brutalité crue à laquelle ils n'étaient pas accoutumés. Le prêtre de Phaïtos, lui, ne faisait aucun commentaire. Il semblait être en bons termes avec son pair et soutenait cette attitude dans l'intérêt de tout le groupe.
C'est dans cette ambiance que l'équipée arriva jusque dans la forêt d'Ynorie, un grand bois humide aux arbres gigantesques en taille et en feuillage. La pluie les avait précédé et les rayons du soleil passaient avec difficultés entre les nuages grisâtres et les branchages. Le sol était tapissé d'un humus multicolore et trompeur, dans lequel on ne savait si le pied allait se reposer sur de la terre ou dans une flaque. Leurs tenues s'entachaient de boue les salissant jusqu'aux genoux, leur préoccupation était maintenant de trouver Blakalang.
Blakalang n'était pas une simple portion de la forêt, c'était un territoire appartenant aux bêtes. Des créatures à l'allure de loups immenses, puissantes, agiles et discrètes, totalement adaptées à cet environnement sylvain si inhospitaliers aux hommes. Ici, c'était chez eux et ils ne tolèreraient pas d'intrus longtemps.
Ce danger excitait les fidèles de Thimoros, qui n'attendait que d'en découdre au nom de leur dieu de violence.
Mais la vérité, c'était qu'ils étaient tous partis à la hâte, sans préparation, en ignorant presque tout de cet endroit. Ils ne savaient pas où chercher et ils n'auraient jamais pu affirmer s'ils étaient arrivés sur les lieux ou pas. Ils ne pouvaient que s'enliser dans ces bois, marchant au gré du hasard, en espérant tomber sur la bête qu'ils cherchaient...
Soudainement, un des éradicateurs fit signe de s'arrêter en scrutant au loin entre les troncs d'arbres. Il avait vu quelque chose. C'était une sorte de construction en pierres plates formant un petit édifice qui n'atteignait pas le mètre de haut. Les deux prêtres s'entendirent sur la nécessité d'aller voir ce qu'il en était et le groupe s'organisa. Les éradicateurs prirent place derrière des fourrés de part et d'autres des pierres alors que les chevaliers du chaos s'avançaient en premiers, suivis de près par le reste du groupe.
Goetius ne savait que penser de tout cela. Bien que les forêts de Valorian n'avaient presque aucun secret pour lui, il n'avait jamais eu connaissance de telles créatures et n'avait jamais rencontré ce type de constructions. Tout cela lui était totalement inconnu et il avait du mal à jauger la situation de danger dans laquelle il pouvait être...
Il se contenta donc de suivre le mouvement. De toute façon, quelle sorte de créature pourrait résister à un tel assaut ?
Arrivé à quelques mètres de l'édifice, le groupe s'arrêta alors que seuls les chevaliers du chaos s'aventurèrent à vérifier. L'un d'eux, voyant bouger, hurla :
"Une bête est là ! Ti..."Il n'eût le temps de finir sa phrase que la créature sortie de sa tanière d'un grand bond, le plaqua au sol, déchira sa côte de maille et lui mordit violemment le coup. La scène se passa tellement vite que personne n'eût vraiment le temps de se rendre compte de ce qu'il se passait. Alors que la bête se relevait, la gueule en sang, et se dirigeait vers le chevalier du chaos suivant, les prêtres, tel des gradés militaires, donnèrent l'ordre de tirer. S'en suivit un flot de fluides noirs directement dirigés vers la bête. Elle essayait de les éviter autant que possible, se mouvant avec hâte de droite à gauche tout en ne cessant jamais d'avancer. Ses esquives étaient étonnante. Le chevalier du chaos restant avait reculé jusqu'au reste du groupe, semblant soudain avoir perdu une part de l'exaltation qu'il défendait auparavant.
Le groupe était obligé de reculer tout en projetant leurs fluides, car la bête ne cessait de s'avançait dangereusement. Et, soudain, ils touchèrent enfin au but. Une flèche décochée par un éradicateur lui transperça l'arrière de la jambe et le fit chanceler en grognant de douleur. Ce fut le ralentissement suffisant pour que les sorciers lui projettent tout leurs sorts. Son corps s'effondra sous les coups, alors que sa peau était rongé par les fluides noirs et fassent couleur toujours un peu plus son sang. Le chevalier du chaos, armé de son hallebarde, s'avança alors pour l'achever alors qu'il s'était écrouler au sol et n'entendit que trop tard son prêtre. La tête de la créature avait déjà été tranchée.
"Non ! Imbécile !", dit-il en s'avançant et le frappant d'un grand coup de poing.
"Nous devions la faire parler ! C'était ce qui était conclu !", continua-t-il en le molestant encore et encore dans une rage folle.
Durant ce temps, le prêtre de Phaïtos s'avança vers le corps, s'agenouilla et déclara :
"Ce n'est pas celle que nous cherchions."Arrêtant sa bastonnade, il s'avança vers lui et demanda :
"Comment le saurions-nous maintenant ?""La bête que nous cherchons n'est pas qu'une bête sauvage, c'est aussi un sorcier et un marchand. Ça ne vous semble pas bizarre qu'elle n'ait même pas songé à utiliser sa magie contre nous, qu'elle n'ait pas utilisé d'arme ?""Nous l'avons surpris en plein sommeil.", dit le chevalier du chaos.
"Elle a été prise par surprise, elle n'a pas eu le temps de se préparer à ça."A peine eut-il fini sa phrase que le prêtre de Thimoros lui décocha un autre coup dans le visage en lui sommant de se taire.
Goetius, pendant ce temps, s'était rapproché.
Après avoir regardé avec dégoût et dédain le corps décapité de la créature qui se dévoilait maintenant dans toute sa monstruosité ; une bête qui dépassait les deux mètres, à la peau de cuir et de poils noirs, aux muscles hypertrophiés et aux griffes redoutablement aiguisées. La tête semblait celle d'un loup maudit, aux crocs plus solides encore et aux formes tendues ; il avança jusqu'à la construction et ne vit à l'intérieur que du vide. Le sol était légèrement surélevé par rapport à dehors et il ne semblait y avoir uniquement la place pour la bête d'y dormir. Tout était nu, aucune arme, aucun matériel, aucune inscription sur les pierres. Tout était vide, rien ne permettait d'affirmer qu'il s'agissait bien de leur cible...
"Vide.", dit Goetius.
Cependant, plusieurs membres du groupe ne purent s'empêcher de venir regarder à leur tour à l'intérieur.
Il leur adressa, vexé, après qu'ils aient constaté qu'il disait vrai :
"Qu'espériez-vous trouver ? Ne mettez plus jamais mes paroles en doute..."A ces mots, ils reculèrent en le regardant d'un regard se situant entre l'incompréhension et le mépris auquel il ne répondit qu'en fronçant davantage les sourcils.
"Prêtre, il s'agit d'une mort violente...", dit un des nécromanciens.
"C'est juste. Nous allons faire parler son âme."Il alla ramasser la tête décapitée de la créature et revint auprès du reste du groupe. Il donna la tête à un nécromancien qui la tint de part des d'autres. Il retroussa sa manche droite et sa main s'envahit d'un fluide inédit pour Goetius. Il s'agissait bien de magie obscure, puisque les fluides formaient autour de la main comme un gant de sable noir se mouvant entre ses phalanges, mais celui-ci semblait être embrasé de flammes vertes qui, de temps à autres, semblaient former des faces grotesques criant à l'aide et s'évaporant aussitôt. Cette main, il l’abattis sur le front de la bête.
"Toi qui vient de connaître la mort, toi que Phaïtos me fait appeler, toi qui est mort dans la forêt de Blakalang sous les coups des fidèles des dieux sombres... Viens à moi !"Alors qu'il parlait, la tête commençait à crépiter comme si un feu la brûlait de l'intérieur. Pourtant, aucune chaleur ne s'en dégageait. Au contraire, un souffle froid semblait accompagner la magie du prêtre.
Il répéta encore deux fois sa phrase et un bruit de vent soudain se fit entendre.
Comme sorti de nulle part, un nuage de brouillard vert foncé apparut dans les airs.
Le nécromancien lâcha alors la tête, dont la chaire entière avait disparu sous l'action de cette invocation.
Le brouillard formait anarchiquement un semblant de ce qui fut la tête de la créature.
"Bien, te voilà... N'écoute que ma voix... Étais-tu celui que l'on nomme la bête de Blakalang, celle qui est doué de magie et commerce avec les humains ? C'est elle que nous sommes venu tuer."Le nuage se mouvait et parla d'une voix que l'on aurait attribué au tonerre :
"Laisse-moi rejoindre les géniteurs, sale humain ! Vous, pleutres, m'avez attaqué durant mon sommeil. Pourquoi vous aiderais-je ?""Parce que ton âme est entre mes mains, voilà pourquoi. Réponds à mes questions et tu pourras partir libre, ou sinon c'est le néant que tu rejoindras."Il se tut un instant, lévitant de droite à gauche et dit après un grognement :
"Grrrr... Celui que vous cherchez se nomme Wulfin. Le clan l'a renié depuis longtemps et il erre maintenant hors de notre territoire. Mais ah ! Je crois qu'il est revenu... Pour vous !"Aussitôt dit, le prêtre reçut dans son dos une godendac et s'effondra sur le sol. Le nuage s'évapora et l'équipe était en alerte. Ils étaient attaqués !
Les éradicateurs avaient mis genoux à terre et le reste du groupe avait les fluides en main. Goetius fit de même.
"Ça se déplace dans les arbres !", dit un des éradicateurs.
Soudain, une grande ombre noire s'est abattu sur eux. Ce n'était pas une ombre ordinaire, on aurait dit une créature gigantesque. Ils n'y voyaient plus rien et Goetius était là, parmi eux. La magie du sortilège semblait avoir d'étrange effet sur son moral, lui faisant abandonner toute idée de lutte.
Parmi son équipe, on entendait des cris de peurs et de douleurs. Il n'arrivait pas à savoir où aller, ni même comment pouvoir fuir. Lui qui était tant craintif des bruits, il ne pouvait plus ici que se repérer à eux. Et d'étranges sons se faisaient entendre. Des bruits de courses animales, comme s'il fut en plein milieu de la course d'un troupeau de ses créatures. De la magie lancée qui se faisait entendre, les hurlements du chevalier du chaos qui semblaient se battre seul. Des claquement de fouets venus de Zewen-sait-où... Et lui, il restait là, debout, sans rien faire. Concentré sur son désespoir, attendant le moment où il mourrait. Les voix de ses compagnons et les bruits de lutte se taisaient petit à petit. Puis, plus rien. Uniquement le silence. C'était bien.
Enfin, venant le perturber dans cet instant de quiétude, il sentit un grand coup violent dans le ventre qui lui coupa le souffle et le fit s'effondrer à terre. L'ombre s'échappa violemment de la scène.
Une créature de la même race que la précédente était face à lui.
Elle était plus maigre que l'autre, mais pas moins menaçante.
Celle-ci tenait en sa main une godendac trempé de sang alors que l'on pouvait voir enroulé à son bras un long fouet lui enserrer le muscle. Sa fourrure était tondu sur la majorité de son corps, peut-être était-ce ce qui la rendait moins épaisse. Sur sa peau tondue, toute aussi noire que sa fourrure, des symboles étranges étaient dessinés d'une encre verte fluorescente. Ce monstre aux longues griffes était sertis de bracelets à pointes et se servait des touffes de poils qui lui restait sur le torse pour y attacher une cordelette d'où pendait à l'autre bout deux cercles de métal. A son cou, un collier semblant fait de bois lui serrait la gorge ; comment aurait-il pu l'enfiler ? Et enfin en son dos, ses vertèbres se faisaient saillantes et lui formaient une suite de pointes dont la base était camouflé par la fourrure qu'il lui restait ici.
Ses yeux étaient animés d'un jaune clair et le fixait.
D'une voix étrangement relativement douce, presque chuchotante, en lui montrant d'un grand signe de bras les environs :
"Regarde, toi, le dernier des tiens !" Autour de lui, ce qui fut son équipe n'étaient plus que des cadavres fumant. Certains avaient été démembrés. Ils étaient petit à petit regroupé auprès du couchage de pierre en un charnier sanglant par une autre créature. Celle qu'il avait éliminé un peu plus tôt, toujours dépourvu de sa tête mais son corps marchant encore, transpirant en son cou de cette fameuse magie verdâtre. Non loin, les armes et armures étaient rassemblées en un autre tas.
Cette bête les avait massacré en quelques minutes, en usant d'une magie obscure extraordinairement puissante et de son habileté avec les armes. Le cadavre à son service prouvait qu'elle connaissait aussi l'art de la nécromancie.
Au fond, Goetius admirait presque son efficacité et sa maîtrise.
Cette créature, elle, était une véritable force de la nature, une véritable servante des forces obscures. Ces ouailles des temples de Kendra Kâr n'étaient que de pathétiques débutants qu'elle put éliminer avec une facilité extrême. Jusqu'où pouvait-elle s'être enfoncé dans la connaissance et la maîtrise de l'obscurité ?
"Pourquoi avez-vous voulu me tuer, après tout ce temps ? Pensiez-vous vraiment avoir la moindre chance face à moi ?"Goetius aurait bien répondu par un silence, mais il avait d'autres idées en tête. Maintenant qu'il faisait face à quelqu'un qu'il pouvait vraiment prendre au sérieux, les choses avaient changé. Il fallait s'adapter et abattre ses cartes pour pouvoir progresser.
"Je ne suis pas un des leurs. J'ai convaincu ses imbéciles des temples de Thimoros et de Phaïtos de m'aider à assouvir ma vengeance."Voyant qu'il n'inspirait qu'une peur limité et devant l'assurance de son otage, il semblait soudainement intrigué. Il s'attendait certainement à tomber sur une de ces ouailles inintéressantes des dieux obscurs qui croyait avoir tout compris sur la magie noire.
"Tiens donc... Je comptais t'épargner pour que tu puisses dire aux autres ce qu'il s'était passé ici et me faire un peu de publicité... Héhéhé... Mais on dirait que je n'ai pas épargné la bonne personne... Dis-moi, dis-moi de qui tu veux te venger...""Un homme, qui se dit alchimiste, est allé dans la Tour des Dieux. Il s'est emparé d'un des livres divins, m'a projeté dedans et a voulu le brûler alors que j'étais encore à l'intérieur, en train de lutter contre les abominations qu'il y faisait vivre. Il doit me payer cette audace. Je veux pouvoir pénétrer à mon tour dans cette tour et l'y tuer.""Oui, l'alchimiste, oui... Ha ! Et tu veux le tuer, d'accord... Je ne savais pas que je m'adressais à un client ! Mais Wulfin ne fait pas de mal à ses clients. Je pourrais te tuer et récupérer toutes tes richesses, mais ce ne serait pas malin sinon, qui reviendrais me voir plus tard avec plus d'argent ? Hein ? Lève-toi. Nous allons marcher."Goetius se releva, perdant un peu de son inquiétude. Il avait réussi à convaincre ce "Wulfin" de sa bonne foi, mais où le menait-il maintenant.
Derrière eux, le cadavre sans tête avait pris les armes et armures du tas et s'était mis à les suivre.
"Du bon équipement ça, je pourrais le vendre cher en Omyrhy, c'est bien... Tu veux tuer l'alchimiste alors ? Un bon client l'alchimiste, bon élève aussi. Si tu veux apprendre ce sera plus cher, tu veux apprendre quoi ?""La nécromancie.""Ah, la nécromancie... Très bien la nécromancie. Tu sauras la nécromancie. Et tu veux te rendre dans la Tour des Dieux ? La Tour des Dieux rend fou. Je l'ai dis à l'alchimiste mais l'alchimiste a voulu y aller quand même. J'y suis déjà allé à la Tour des Dieux, je n'y retournerais pas. Trop dangereux, on risquerait... d'y devenir... un dieu ! Héhéhé. Tu veux aller à la tour des dieux ?"Wulfin parlait comme un dément, coupant ses phrases en plein milieu, faisant durer des sons et tressaillant de temps en temps. Malgré sa puissance, on l'aurait dit de ses personnes toujours trop inquiètes, apparence qui ferait presque oublier son efficacité meurtrière et l'intelligence qu'il devait posséder pour en être arrivé là.
Goetius, toujours imbu de lui-même comme s'il eût été au-dessus des dieux, n'allait cependant pas écouter ses recommandations.
"Oui.""Alors je t'apprendrais à tromper l'enchantement. C'est... C'est facile en fait. Comme si... les dieux l'ont fait exprès. Pour qu'on y devienne fou. Mais. Je. Connais pas. De dieu des fous ! Héhéhé. J'espère que tu as. De l'argent. Beaucoup d'argent. Ça va te coûter beaucoup, beaucoup d'argent. Combien tu as d'argent ?""Une bourse de dix mille yus devrait suffire.""Ah ! Et riche en plus, un client riche. Bien un bon client ça. Je pourrais. Aussi. Te vendre de l'équipement magique. Comme. Mes pendentifs.", dit-il en montrant le cercle de métal pendus à son pelage par une cordelette.
"Tu en veux ? Hein ?""Quels sont leur utilité ?""La magie est plus forte. Avec. Je peux t'en faire. Un collier. J'enchante mais je ne dis pas comment. Hein. Sinon les clients ne reviendrais pas. Ce serait idiot. Mais ça marche vraiment. Tu le verras, quand je t'apprendrais la science des morts. Arrête. On est arrivé."Ils se retrouvèrent auprès d'un grand arbre mort, dont il avait dissimulé le tronc vide par un grand rocher. A l'intérieur, il put voir qu'il était rempli d'armes, d'armures, de fioles et de tout un tas d'objets hétéroclites sans doute magiques.
"J'aurais quelques affaires dont je voudrais me défaire.""Acheter ? Oui, oui. J'achète aussi. J'achète. Et. Je revends plus cher. C'est les affaires. Qu'est-ce que tu veux vendre ?""J'ai un pot de crème, qui me vient de Laisvivre.""Oui ! Bien ! Fais goûter !"Il lui pris des mains, trempa son doigt dedans et le suça.
"Très bon, contre-poison. J'achète, tiens."Goetius ignorait cette propriété de la crème, mais Wulfin la devina d'un seul coup. L'érudition de cette créature le troublait. Où et comment une bête sauvage comme elle pouvait avoir en appris autant ? Certainement pas dans ces bois...
Elle lui tendit immédiatement une patte avec une somme qu'il n'eût pas le temps de calculer dans la main. Il alla pour mettre toutes les pièces dans sa bourse lorsque Wulfin en rattrapa une partie.
"Je prends. Pour le pendentif. Tiens, le pendentif. Pour le cou. Autre chose à vendre ? Ou à acheter ? Héhé." "Oui. Ce poignard.""Poignard ? Pas cher poignard, pas beaucoup d'acheteurs. Mais enchanté c'est mieux. Voilà, je l'enchanterais. Tiens, donne."Il l'attrapa rapidement et lui donna tout aussi rapidement quelques yus.
"Fini ?""Je n'ai plus rien à vous vendre ou à vous acheter.""Non. Tu mens. Je te vends. Mon savoir. La nécromancie, la Tour des Dieux. Tu vas avoir besoin de plus de fluides. Des gants aussi, pour la magie obscure. Plus facile à utiliser avec mes gants, et mes gants il n'y a que moi qui les fait. Très rare, cher aussi. Donne ta bourse, je prends ma part."Alors qu'il comptait lui dire non, encore une fois, Wulfin lui prit des mains, compta vite, lui prit ce qui devait être une grande somme et lui rendit.
"Combien m'avez-vous pris ?""Mon prix. Cher. Tu ne veux plus apprendre, tu n'es plus un client ?""Si, mais...""Alors tu payes. Et tu te tais. Ou alors. Tu n'es plus un client. Et je te tue parce que tu as trouvé ma cachette. Alors, je te rends ton argent ?"Goetius se tut. Menacé de la sorte, il n'avait guère le choix.
"Bien, bon client. Tiens, voilà les gants. Mitaines, plutôt, en fait. Noires, pour la nuit. Plus discret. Mais tu sais, tu es tout en noir aussi. Et les fluides, tu bois. Maintenant. Tout entier. Et je vais t'apprendre."Il lui tendit une fiole en terre cuite, dont l'intérieur était impossible à voir.
Il aurait aimé voir ce qu'il en était, mais devant l'empressement de Wulfin, il l'avala.
Il connaissait cette sensation, c'était bien des fluides obscurs. En plus puissant que ceux qu'ils avaient pu boire jusque là cependant, l’ingurgitation le fit tressaillir. Il s'en sentait déjà plus puissants, les fluides lui démangeant déjà au bout des doigts.
"Tout bu ? Bien. Là. On va s'entraîner. Je connais. Un bon endroit. Beaucoup de morts hantent l'endroit. On y va.", dit-il en le pressant alors que le cadavre sans tête rebouchait le tronc.
La Science des Âmes Tourmentées - Introduction