Chapitre I : la réalité n'est qu'une vision de l'esprit.
Elle avance sans but, ses pensées ne parvenant pas à se focaliser, se perdant dans les méandres de son esprit torturé. Qui est-elle, qu'est-elle ? Qu'a-t-elle fait ? Elle la ressent encore, cette rage...
Il faut qu'elle la réprime, qu'elle se calme. Une crise, encore une. Plus violente, plus extrême, plus malsaine. Elle avait perdu le contrôle. Ses yeux sont emplis de larmes, incroyablement chaudes à côté des flocons de neiges qui se posent sur sa joue. Ces larmes, transparentes, se mélangent au sang qui parsèment son visage et sa gorge.
Qu'allait-elle faire ? Elle l'avait tué dans un accès de rage, sans préavis, sans réflexion. Le couteau était là, à côté d'elle, et sans qu'aucun n'est le temps de bouger, elle l'avait planté dans l’œil de cet alcoolique...
Elle avait aimé ça, sentir la chair céder sous la lame, la chaleur liquide de cette fin prématurée s'échapper de la blessure, souillant sa peau blanche. Elle s'était délectée de la puissance, de l'effroi sur le visage de tous ces faibles qui l'entouraient, de tous ces pathétiques survivants qui se croyaient fort dans leur trou...
Et puis tout avait disparu. Comme souvent, ses pensées c'étaient de nouveaux effondrées, et elle s'était retrouvée là, le couteau dégoulinant de sang, ses yeux s'emplissant de larmes. Son esprit malade n'avait plus qu'une idée : fuir. Il lui fallait fuir, loin de ce cadavre, loin de ces témoins. Il lui fallait s'enfuir, s'échapper, disparaître.
Et la voilà perdue dans Oranan, sans savoir où aller, sans savoir qui trouver. Et elle pleure. Elle pleure cette vie perdue, elle pleure son esprit incontrôlable, elle pleure ses pensées, diffuses, perdues, incohérentes. Elle sert toujours son couteau contre sa poitrine, salissant sa robe noire de se sang qui la trahirait à coup sûr.
Comment se cacher ? Elle le sait, ils la chercheraient, la traqueraient. Ils ne comprendraient pas sa souffrance, ne comprendraient que sa vie n'était que malheur. Comment le pourraient-ils ? Ils la traiteraient de folle, de psychopathe. Ils feraient d'elle un exemple, avant de l'oublier sur l'autel de la justice, son sang salissant cette justice qu'ils juraient de conserver.
Elle se déteste. Elle déteste ne pas savoir se contrôler, ne pas se comprendre elle même. Elle exècre ne pas pouvoir gérer ses émotions, ne pas savoir ce qu'elle ressent. Pourquoi est-elle ainsi, qu'a-t-elle fait pour que son esprit soit à ce point brisé ? Elle n'en sait rien, et ses larmes redoublent d'intensité, alors qu'elle se met à courir.
Les flocons lui frappent le visage, mais elle n'en à cure. Elle court, alors que la nuit et la neige lui imposent un silence oppressant. Et soudain, la neige de se dérobe sous ses pieds. Elle s'effondre dans la neige.
Elle se relève mais reste à genoux, les bras pendant, le visage maltraité par le froid des flocons et le sel de ses larmes. Elle a mal, aux poignets, qui ont amortis sa chute, à la cheville, qui elle l'espère va vite s'en remettre. Mais elle a aussi mal en son cœur, théâtre incessant d'émotions contradictoire, à peine éclairé par son esprit déluré.
Elle lève les yeux au ciel, et regarde les étoiles, imaginant les dieux qui sont censés y vivre. Elle n'y croit pas. Aucun dieu, quel qu'il soit, ne permettrait à sa création d'être ainsi brisée de l'intérieur. Elle les a tous renié il y a longtemps, alors qu'elle commençait tout juste à comprendre son mal. Ce mal qui faisait qu'en à peine une heure, elle était passé de la haine aux larmes, d'une vie sans bonheur à une course sans fin...
Douloureusement, Liliana se relève, et se remet à marcher, mais cette fois-ci, elle a un but. Il faut qu'elle s'échappe d'Oranan, qu'elle disparaisse. Déjà les gardes doivent être à sa recherche. La nuit et la neige la dissimuleront, mais elles ne durent pas éternellement. Et l'aube se rapproche, doucement mais sûrement.
Il faut qu'elle se lave, il faut qu'elle se change. Il faut qu'elle se cache, puis qu'elle s'enfuit. Mais elle ne connait personne à Oranan. Enfin, elle ne connait personne qui accepterait de l'héberger, qui la comprendrait. Elle a dû mal à réfléchir. Elle n'a pas le contrôle total de ses pensées, et ces dernières sont parasitées par la tristesse, par cette profonde émotion lui serrant le cœur sans aucune raison. Cette tristesse qui remplace maintenant la haine qui la guidait il y a peine une heure...
Liliana rabat sa capuche au dessus de son visage, et s'arrête un instant. Il faut qu'elle fasse le vide, qu'elle reprenne le contrôle... Un instant, un simple instant de réflexion calme, c'est tout ce qu'elle demande. Si seulement ses pensées étaient aussi dociles que ses fluides. Ces derniers sont sages, disciplinés, lui obéissant sans protestation. Ils lui permettront de se défendre le cas échéant. Ou de menacer, si le besoin s'en fait sentir.
Elle sait où aller. Le cimetière. Il n'y a personne là-bas, excepté le vieux gardien. Personne ne va au cimetière la nuit, surtout quand il neige. Elle y sera tranquille, elle y sera seule. Peut être y trouvera-t-elle même à manger.
Ca ne la mènera pas loin, mais c'est un début. De toute façon, elle ne parvient pas à se concentrer assez longtemps pour prévoir sur le long terme. Il faut qu'elle se repose, il faut qu'elle se reprenne. Et pour cela, il faut déjà qu'elle atteigne le cimetière.