<--Malgré ses discussions avec Borte et Celemar et malgré le bien-fondé de leurs explications respectives, une déception amère hantait toujours Sibelle. Elle aurait souhaité une fin différente. Même si elle tentait de se convaincre que c’était mieux ainsi, son cœur, ses sentiments prenaient le dessus sur la raison. Ainsi était la guerrière elfe blanche. Toute en émotion et en impulsivité, il lui fallait du temps pour digérer ses contrariétés.
D’un bon pas, de celle qui sait où elle va même si ce n’était pas le cas, Sibelle empruntait rues et ruelles aléatoirement. Elle marchait ainsi sans but depuis près d’une heure lorsqu’elle entendit des couinements ressemblant à celle d’un bébé affamé, d’un chat en colère ou d’un quelconque animal blessé. En fait, Sibelle n’avait aucune idée de ce qui criait ainsi, mais elle voulait savoir de quoi il en retournait afin d’apporter son aide le cas échéant. En alerte, la guerrière se dirigea au pas de course dans la direction où semblaient provenir les cris. Elle emprunta d’abord une ruelle vers l'Est puis une autre beaucoup plus étroite direction nord. L’elfe blanche venait tout juste de pénétrer dans cette dernière que le cri cessa et qu’un gros chien noir aux poils hirsutes, apeuré, l’oreille droite en sang et boitant de la patte gauche, la bouscula tout en s’enfuyant aussi vite que lui permettaient ses blessures. Il avait apparemment eu affaire à plus féroce que lui. Sur ses gardes, la maître d’armes pénétra plus à fond dans cette sombre ruelle devenue soudainement silencieuse. La terre battue permit à Sibelle d’avancer sans faire de bruit, tout en prêtant une oreille attentive. Mis à part quelques vieilles boîtes de bois vides et quelques détritus traînant sur le sol, l’endroit semblait vide. Elle allait rebrousser chemin lorsqu’elle perçut un léger froissement d’ailes non loin d’une caisse vide de pommes à sa droite. Elle s’arrêta immédiatement et déplaça ladite caisse. Aussitôt les cris reprirent de plus belle et Sibelle en vit l’auteur. Ses yeux noirs dardant Sibelle, son bec gris ouvert dévoilant le bout crochu paré à déchirer quiconque s’approchait de trop près, ses ailes déployées, le faucon hostile semblait prêt à attaquer.
Interdite, Sibelle s’immobilisa. Tout en observant l’animal, elle s’interrogeait sur la raison de la présence de cet oiseau à cet endroit et surtout pourquoi il ne s’était tout simplement pas envolé à son arrivée.
(Sans doute une mère protégeant ses œufs ou ses petits)Quoi que censée, cette hypothèse s’avéra fausse. En baissant légèrement le regard, Sibelle vit aussitôt la patte droite de la bête coincée dans une espèce de piège utilisé par les chasseurs pour attraper de gros gibiers.
(Un piège ici dans les ruelles d’Oranan ?)En effet, il était plutôt surprenant de voir un animal sauvage piégé en plein milieu d’une cité. Sans se poser plus de questions, Sibelle s’approcha doucement de l’oiseau avec l’intention de le libérer de ce piège à ours. Effarouché, l’oiseau ne la laissa pas s’approcher davantage, la menaçant à coup de becs bien sentis. Sibelle grimaça, mais se retint de crier, son orgueil aidant à tolérer cette situation. Une autre aurait peut-être abandonné la tentative de libération, laissant l’oiseau blessé récalcitrant à son propre sort. Mais Sibelle plutôt entêtée, déchira un bout de sa tunique et s’y enveloppa la main gauche.
Après quoi, elle dégaina son épée de la main droite et l’approchant de la tête de l’oiseau, elle le menaça, les dents serrées.
« Je vais te libérer de ton piège, mais ne t’avise pas de m’attaquer de nouveau, sinon ta jolie petite tête quittera ton cou. »Paroles bien inutiles puisque l’animal ne pouvait la comprendre, quoique le ton de la voix et la mimique de la belle étaient sans équivoque. Elle n’hésiterait pas à le tuer, s’il tentait de l’attaquer de nouveau. Ainsi dans la plus pure coïncidence, l’oiseau de proie ferma son bec et replia ses ailes. Sibelle glissa sa lame entre les deux mâchoires du piège afin de l’ouvrir suffisamment pour retirer la patte blessée. Elle repoussa ensuite le piège au loin et tâtonna délicatement la patte de l’oiseau devenu docile et constata que celle-ci était malheureusement cassée à plusieurs endroits.
« Voilà tu es libéré de ce piège. Je ne voulais pas de faire de mal, tu sais. » Dit-elle d’une voix douce si rare de sa part, tout en caressant délicatement les plumes dorsales de l’oiseau.
« Mais je ne peux te laisser partir ainsi, je dois d’abord soigner ta patte cassée. »Ce disant, Sibelle ramassa une planchette de bois et la cassa en morceaux de taille adéquate pour servir de tuteur. Elle déroula ensuite le bout de tissu qui camouflait sa main. Elle prit méticuleusement le membre blessé et s’apprêtait à y faire une attelle improvisée lorsque le faucon déposa fermement ses serres sur la main de la guerrière. Contrariée par ce geste agressif, promptement la guerrière leva les yeux vers la tête de l’oiseau. Ce dernier la fixa alors de ses yeux noirs perçants. Son regard devint si intense qu’elle fut incapable de s’en soustraire. Figée, elle eut l’impression qu’il pénétrait son cerveau et fouillait son esprit, comme s’il était devenu un livre ouvert et que l’âme de cet oiseau en feuilletait les pages. Dans un ultime effort, elle tenta de l’expulser de son crâne.
« Stop ! » S’écria-t-elle enfin.
Aussitôt, l’intrusion, dont elle était victime, cessa. Secouée et agacée par cette expérience singulière qu’elle venait de vivre malgré elle, elle l’interrogea fermement :
« Qui es-tu ? Pourquoi as-tu fait ça ? »Pour toute réponse, il darda son regard dans celui de la guerrière. Elle craint un moment qu’il s’infiltre à nouveau dans son esprit, mais ce ne fut pas le cas. Sans pouvoir détacher son regard, elle vit ce dernier se modifier. L’œil rond du faucon s’agrandit et s’étira. Une pupille noire prit forme au centre, alors que l’iris adopta une teinte marron irisée de petites lignes légèrement plus pâles. Des cils encerclèrent ces yeux désormais humains et la guerrière put enfin prendre du recul. Le faucon n’était plus. Un bel humain d’une trentaine d’années le remplaçait. Interdite, Sibelle ne dit mot, l’observant d’un œil à la fois admirateur et inquisiteur.
« Je me prénomme Marcus. La vue de votre médaillon des Danseurs d’Opales m’a rassuré. Mais je me suis tout de même introduit dans votre esprit afin de vous sonder avant de vous faire connaitre ma vraie apparence. »Sibelle acquiesça de la tête, sans commenter, invitant ainsi l’homme arborant des cheveux bruns courts joliment ondulés à poursuivre.
« J’étais en mission, mais on m’a démasqué et piégé. Je dois me rendre à l’auberge des hommes libres afin de protéger une famille. » Dit-il en faisant mine de se lever.
Sans prévenir, Sibelle le repoussa fermement sans difficulté, malgré sa charpente musclée et sa haute stature, l’obligeant ainsi à rester en position assise.
« Vous n’êtes pas en état de protéger qui que ce soit, vous avez besoin de soin. » Justifia-t-elle fermement.
Un petit sourire d’amusement se dessina sur le visage de l’homme :
« J’avais bien décelé ce fort caractère lors de mon intrusion… alors soit, vous devrez les protéger à ma place ! »Sibelle réfléchit un très bref instant, puis accepta.
« Oui, je veux bien vous aider s’il s’agit d’honnêtes gens. Mais je ne vous laisse pas ici. Je vais faire une attelle pour votre jambe blessée et ensuite je vous transporterai à l'auberge des hommes libres, où je réserverai une chambre pour vous y déposer. »Cela dit, Sibelle se mit à la besogne. Choisissant deux planches un peu plus longues et plus larges, elle en mit une de chaque côté de la jambe qui était cassée à plusieurs endroits. Elle utilisa alors le bout de tissu déjà déchiré en lanières pour fixer l'attelle solidement, évitant tout mouvement des os.
Lorsqu'elle eut terminé, il tenta immédiatement de se mettre debout, mais la guerrière l'en empêcha :
« Reprenez plutôt votre forme animale, ce sera plus discret. Il me sera aussi plus simple de vous transporter et vous serez moins facile à repérer. » L’homme acquiesça et se couvrit de sa cape. Sous les yeux ahuris de Sibelle, il diminua de taille et la cape brune prit peu à peu l’aspect du ravissant plumage brun, marbré à certains endroits.
Avec précaution, l’hinionne le prit dans ses bras, le colla tout contre elle et le dissimula sous sa cape et prit sans tarder le chemin la menant à l’auberge.
((( 1 401 mots )))