Quand il reconnait les rues qu’il emprunte, le voleur sait qu’il approche du port : il jette un coup d’œil inquiet au ciel. La nuit ne pâlit pas encore, et la position de la lune lui indique qu’il a marché d’un pas vif pendant au moins une heure et demi. Le voleur ralentit : ce n’est pas la peine de presser le pas désormais : il dispose d’encore au moins deux heures avant qu’il ne fasse jour. Il analyse chaque maison qu’il voit, se glissant dans les ruelles du port pour voir les bâtiments qui entourent les toits potentiellement intéressants. Les maisons se suivent et s’enchainent en une désespérante succession de déceptions. Vohl est sur le point d’escalader un énième mur pour juger de l’accès à une maison de petit bourgeois, décorant sa maison de dorures et de petites statues, sans doute pour faire paraître sa fortune plus importante que ce qu’elle n’est réellement. Exactement le type de personnage sur lequel espère tomber Vohl. Mais le bâtiment est trop éloigné du mur, et les décorations trop en hauteur pour qu’il puisse espérer gravir les murs jusqu’au premier étage, duquel il pourrait rejoindre le toit. L’humeur de Vohl s’assombrit : n’y a-t-il donc pas un seul bâtiment conçu pour un voleur, dans cette ville ?!
La raison de sa frustration fait sourire Vohl, avant qu’un froissement d’étoffe ne le fige. Son kimono ne peut pas produire ce son : c’est le bruit d’une robe de toile rêche. Les pensées du voleur se dirigent immédiatement vers le bruit, tandis que son attention reprend le dessus, inspectant chaque coin de la ruelle dans laquelle il s’est engagé. Supposant qu’il était seul, il n’a pas songé que les ruelles désertes et silencieuses puissent nécessiter une inspection. Qui plus est, si la nuit favorise sa discrétion, elle fait de même pour tout le monde ! L’inspection lui trop difficile pour être réalisée en vitesse. Le bruit venant de sa gauche, l’oranien pivote pour faire s’éloigner de la source du bruit, et se dirige lestement vers sa droite tout en saisissant dans son sac l’étoffe grise qui lui a été offerte, longeant le mur avant de tourner brusquement dans la première ruelle qui se présente. Aussitôt, il se plaque au mur, se couvrant du large pan de tissu.
(La cape doit être en mesure de m'assurer l’invisibilité, m’a-t-on dit lorsque l’objet m’a été remis. Il est plus que temps de faire usage des maigres ressources dont je dispose.)Vohl n’a pas longtemps à attendre pour tester l’efficacité du camouflage de cette partie de son inventaire. Quatre adultes se déplacent ensemble, chuchotant entre eux, munis de pieds de biches, d’outils incongrus tels qu’une pioche ou encore un marteau, et pour certains d’entre eux, de petites lames à la ceinture qui brillent à la lumière des étoiles et de la lune. Vohl retient sa respiration. Ce sont effectivement les personnes qui ont dû produire le son qui l’a tiré de sa séance d’« essayage » de maison : tous les quatre sont vêtus d’amples pantalons de toile. De toute évidence, ce sont des cambrioleurs, équipés pour une soirée de réjouissances. Les individus ralentissent puis s’arrêtent une fois arrivés à l’intersection : Vohl bénit le hasard qui l’a placé du côté non éclairé par la lune, ce qui rajoute une nouvelle ombre à son niveau, du fait du mur sur lequel il s’appuie.
« Quelqu’un l’a vu ? »« Non. »« Non. »« Je suis quasiment sûr d’avoir aperçu un mouvement dans la ruelle de gauche. »« Commençons par-là ! »Visiblement, c’est lui qu’ils cherchent à dévaliser, et non pas une des maisons cossues qui leur tendent pourtant les bras ! Le cambrioleur en chef indique la ruelle de gauche. Les trois accompagnateurs progressent doucement. Le chef « cambrioleur » ne semble pas provenir du quartier des pêcheurs ou d’une famille pauvre : son parler, sa posture le distingue clairement des autres. Les trois silhouettes qui passent ensuite devant Vohl sont celles d’individus bien portants, mais à l’odeur, ils semblent tout juste sortis d’une cuve de déchets de pêcheur.
Les deux premiers passent devant lui sans même attarder les yeux sur sa silhouette. Le troisième ralentit en passant auprès de lui, sans toutefois ne serait-ce que tourner la tête de son côté. Le quatrième le dépasse également sans lui accorder le moindre regard, semblant surveiller quelque chose, plus loin dans la ruelle. Le jeune homme n’ose pourtant pas relâcher son air, qui commence à lui bruler la poitrine.
« Arrêtez-vous. »Les trois autres s’exécutent sans poser de question. Vohl est trop tendu pour tourner la tête vers eux afin d’observer leur réaction en détail : il s’efforce de ne faire aucun geste.
« Il faut savoir renoncer, lorsque l’on a fait une erreur. »(Par pitié, il ne va quand même pas nous faire une reconversion en prêtre au beau milieu de la ruelle, en pleine nuit !)« N’est-ce pas, Kasly ? »« Evidement. Pourquoi ? »« Eh bien, je me faisais la remarque que nous faisions peut-être fausse route. »(Mais tu vas te casser, oui !)L’oxygène commence à manquer à Vohl. Il relâche sa respiration le plus doucement possible, conscient de commencer à convulser s’il ne renouvelle pas l’air de ses poumons, conscient aussi du risque d’attirer l’attention.
« Imagine : notre père meurt pour avoir été trop zélé, et notre oncle risque de passer l’arme à gauche d’un moment à l’autre tandis que notre sœur entame une carrière militaire sans avoir le moindre talent. Comment réagirions-nous ? Nous les abandonnerions à leur sort pour tenter de sauver notre avenir, pas vrai ? Pour faire bonne mesure, nous nous cacherions aussi, non ? »« Mais probablement mieux que ÇA ! »L’homme accompagne son dernier mot d’un violent coup de pied de biche le long du mur. Pris par surprise, le voleur se plie en deux, le souffle coupé par la douleur.
« Ton camouflage ridicule ne fait illusion que pour ceux qui n’y ont jamais été confronté, minable ! »Un second coup frappe les côtes du voleur, et Vohl roule au sol dans une sourde exclamation de douleur. Il lutte pour reprendre sa respiration pendant qu’il prend appui sur un genou pour tenter de se relever. Le jeune homme a l’impression que deux barres de feu sont logées dans sa poitrine. Les quatre agresseurs se rapprochent de lui tranquillement, comme s’ils badinaient lors d’un piquenique au bord d’une rivière.
« Messieurs, admirez le rejeton Del’Yant dans toute sa splendeur : prenant les autres de haut, se croyant au-dessus des lois ! »« Alors, déserteur, on fait moins le malin, maintenant qu’on n’est plus sous l’aile de son petit papa ? »Vohl nage en pleine confusion : comment cet homme sait-il qui il est ? Pourquoi le traque-t-il ? La récompense pour sa tête n’est pas vraiment intéressante pour quatre individus. La voix de l’homme lui est tout à fait étrangère. La douleur que lui inflige un nouveau coup sur l’épaule commence en revanche, elle, à devenir familière. Le voleur retombe de nouveau à genoux.
« Je te cherchais ! J’étais sûr que tu n’oserais pas quitter la ville ! Les serviteurs de mon frère ne prenaient pour un fou !!! Mais j’en étais persuadé ! Je savais que c’était de ta faute ! » Le jeune homme réussit à inspirer une vraie goulée d’air.
« Ton… frère ? »L’homme est surexcité, à tel point que Vohl craint qu’il n’alerte le voisinage.
« Oui, oui ! Mon frère ! Celui que tu as abandonné ! Sur le champ de bataille ! Il y a un mois ! Pendant une escarmouche contre les Garzoks ! Tu vas payer pour ça ! Tu lui dois deux jambes : on va s’occuper de toi jusqu’à ce qu’on soit sûrs que tu les ais rendues !»Nouveau coup, sur la jambe gauche. Le voleur a vu le coup venir : il n’a en revanche pas réussi à se déplacer assez vite. La douleur cuisante éclate et se propage le long du membre.
« Il a perdu ses deux jambes il y a un mois! Il ne sera plus jamais soldat ! Il est encore entre la vie et la mort ! Alors imagine ma joie, quand j’ai appris que tu avais déserté…que ta tête était recherchée ! »Aucun souvenir de la sorte ne revient à la surface.
« Je suis désolé…peux-tu me le décrire ? Il était ton ainé ? »Non que Vohl se soucie le moins du monde de ces informations. Mais s’il encourage l’inconnu à persévérer dans son excitation, le voleur espère avoir un peu de répit pendant son monologue. Et accessoirement trouver comment sortir de ce guêpier. Si l’autre continue à le rouer de coups, Vohl sait pertinemment qu’il ne réussira pas à tenir tête au groupe.
Heureusement, le meneur entre dans le jeu du voleur sans discuter. Ou plutôt en discutant longuement. Son verbiage passe tout à fait au-dessus de la tête du voleur. Endiguer la douleur, respirer et s’enfuir : rien d’autre ne compte pour lui. Les quatre hommes l’encerclent, le meneur étant juste en face de lui, à une faible distance, du fait de l’étroitesse de la venelle. De toute évidence, c’est un homme riche qui a pris la tête de quelques serviteurs pour traquer Vohl, pour une raison que celui-ci ignore. Il l’a probablement pris pour quelqu’un d’autre ! Mais alors comment en sait-il autant ?! Alors que l’homme entame une nouvelle série de cris de plus en plus hystériques, Vohl s’élance vers lui, le poussant de toutes ses forces contre le mur opposé de la ruelle. Quelques soient les souffrances qu’il peut subir pendant qu’il se met en mouvement, le jeune homme y met tout son poids et toute sa force. Une fois que l’homme est collé au mur, la respiration coupée par le coude de Vohl au niveau de son plexus, ce dernier produit ses griffes hors de sa manche, dont les pointes viennent piquer le cou de l’homme et font perler quelques gouttes de sang.
Le meneur, lancé dans son discours n’a pas eu le temps de réagir. Ce n’est pas le cas des trois autres, sur lesquels Vohl n’a aucun angle de vue lorsqu’il reçoit un coup au niveau des hanches, puis un autre au niveau des genoux. Dans un gémissement, le voleur s’étale contre sa cible, enfonçant du même coup un peu plus ses griffes sous le menton du meneur. Celui-ci meugle de douleur.
« STOOOOP ! Arrêtez ça, bandes d’abrutis finis! Vous allez me tuer ! » Les coups des serviteurs cessent de pleuvoir tandis que l’autre saisit fermement la main de Vohl maintenant presque à genoux devant lui, la tête contre son buste. Il écarte sans effort la lame de de son cou.
« Fils de chienne ! Tu crois que tu vas m’avoir ? Je vais te casser les doigts en plus des jambes, espèce de ver des sables ! Kasly, tiens lui la main ! Et donne moi ton pied de biche !»Vohl panique. S’il sait pouvoir survivre avec des bleus et des bosses, il doute de pouvoir suivre ses plans avec la moitié des doigts en moins. Le katar de Vohl enfoncé dans la poitrine du meneur lui fait cracher une gerbe de sang. Passant entre les côtes, les deux lames incurvées de l’arme ont perforé un poumon avant de heurter l’arrière de la cage thoracique. Le fou, la tête tournée vers le dénommé Kasly, n’a rien suivi de l’action, et écarquille les yeux tandis qu’un
« Attention ! » tardif jaillit de la bouche de son favori. Le voleur ne perd pas de temps à s’interroger sur son action. A la position du manche au niveau de la poitrine, il sait que la blessure est fatale et que d’ici quelques minutes, c’est à un macchabé que les serviteurs parleront. Il retire la lame, faisant jaillir un nouveau flot de sang, en même temps qu’il dégage mollement sa main de l’étreinte désormais faible de l’homme. Vohl s’efforce de ne pas ses forces s’étioler après une brève montée d’adrénaline. Il tente de projeter l’homme sur son serviteur le plus proche : son manque de tonus ne fait qu’avancer le futur cadavre d’un pas avant qu’il ne tombe dans les bras de Kasly. Ce dernier le pose rapidement au sol, avec douceur, et lui tient la tête pour le regarder dans les yeux. Les deux autres serviteurs s’affairent rapidement autour de ce dernier pour lui fournir des bandes de tissus, sans quitter le voleur des yeux : sans doute comptent-ils tenter d’enrayer l’hémorragie, bien que ce soit sans espoir. Vohl assiste à la scène touchante des serviteurs prenant soin de leur maître, avant de sortir de la léthargie dans laquelle son épuisement l’a mené. Sa contemplation a donné à Vohl le temps de rassembler ses forces. Vohl sent bouillonner en lui l’énergie du désespoir, qui remplace temporairement son manque d’énergie. Il bondit dans l’intersection et bifurque à gauche.
Le plus vite qu’il le peut, Vohl court jusqu’à l’intersection suivante avant d’oser se retourner. Un homme seulement le suit. Ils jugent surement que cela suffira à venir à bout d’un jeune homme en fuite. Ils ont probablement raison. Vohl s’engage sur la gauche. Il tend la main à sa ceinture pour s’emparer de sa cape de camouflage. Sa main ne rencontre que le vide. Le bout de tissu est sans doute resté sur les mêmes pavés qui ont vu Vohl se faire passer à tabac. Cet équipement décidément inutile ne fait que lui donner des faux espoirs. Le jeune voleur sait qu’il ne peut pas distancer un homme dans sa meilleure forme. Il se plaque au mur. Il ne doit pas lui laisser la moindre opportunité : un combat sur la durée signerait sa perte. Les bruits de course se rapprochent rapidement. Au moment où l’homme jaillit de l’intersection, Vohl se jette sur lui, tranchant l’air de haut en bas. La griffe ricoche sur le crane du serviteur, au niveau de l’oreille, avant de fendre le trapèze gauche de l’homme et de heurter brutalement la clavicule. Chancelant de douleur, l’homme tente d’assener un coup de travers de sa pioche. Le pic vient heurter le ventre de Vohl, heureusement équipé d’une armure : le coup arrive de biais sur le dô inversé, et glisse dans la grande rainure conçue à cet effet. Le jeune homme n’est pas en pleine forme, certes, mais bien assez pour savoir reconnaître une occasion quand elle s’offre à lui : il se rapproche rapidement de son adversaire, la douleur de sa jambe le transperçant à chaque pas. L’homme, emporté par l’élan de sa frappe, a quasiment effectué un demi-tour, et Vohl se plaque contre son dos, ses griffes barrant la gorge de l’individu.
« Le nom de ta maison. Le nom de ton maître. Et je te laisse la vie. »Vohl chuchote. Ni pour éviter d’être repéré, ni pour rester dans l’ambiance. Simplement parce qu’il est exténué : deux nuits sans dormir auront eu raison de l’endurance du captif. L’homme semble cependant prendre cela pour un signe d’intimidation, et s’exprime avec un fort accent étranger.
« A…A…Alen’tir. Maison Alen’tir, monsieur. Efool Alen’tir ! Il nous a obligés à le suivre, monsieur ! Nous ne voulions p… »Le reste de sa tirade est noyée dans le sang qui obstrue sa trachée, coupée en quatre morceaux. Vohl n’attend pas que l’homme essaie de reprendre son souffle à jamais perdu, et avance aussi vite qu’il le peut vers le bout de la ruelle. Il ne pouvait pas se permettre de laisser l’homme en vie, qui ne se serait pas fait prier pour dire ce qui s’était passé une fois à l’abri de toute menace. Un autre ennemi peuple maintenant l’horizon des Del’Yant. Alen’tir. Vohl tâche de graver ce nom dans sa mémoire. C’est chose aisée puisque chaque inspiration douloureuse, chaque pression sur sa jambe le lui susurre à l’oreille.
Arrivé au bout de la rue, Vohl tourne rapidement à gauche. Il heurte un homme, et tous deux roulent au sol. Le katar quitte sa main pour rebondir sur les pavés deux pas plus loin, dans une succession de notes cristallines. Le voleur, emporté par l’élan de son adversaire, se trouve sous ce dernier. L’homme a une haleine pestilentielle qui a au moins le mérite de réveiller Vohl. Les deux hommes, empoignés, se battent au sol pour immobiliser leur adversaire. Après quelques instants face à face, le jeune homme décoche un coup de tête, qui atteint sa cible. Vohl ne prend pas le temps de savoir si ce coup aura suffi : tel un forcené, il frappe, frappe et frappe encore, faisant aller et venir sa tête d’avant en arrière tel le pic noir que l’on entend parfois marteler les arbres d’Oranan, lorsque l’on se dirige vers le temple de Rana. Son adversaire a pris sa poitrine en étau et compresse sa cage thoracique avec une force exceptionnelle, vidant instantanément les poumons de leur air, menaçant de briser les côtes. Vohl redouble d’effort, son instinct de survie exigeant de lui un énième effort au-delà de ses limites. Au bout d’une dizaine de frappes, les bras autour de sa poitrine se relâchent. Vohl prend une grande inspiration. Et relève les yeux vers un visage inondé de larmes. Au-dessus de lui, le serviteur appelé Kasly a abandonné son pied de biche pour un coutelas visiblement affuté, qu’il tient brandi au niveau de la tête de Vohl.
« Abandonne » souffle une voix intérieure à Vohl
« Tu n’en peux plus…repose-toi…tu reviendras plus tard pour tout arranger… Abandonne ». L’homme exténué se rebelle contre cet ordre insidieux. Il ne peut pas tout laisser tomber ! Il savait que ce serait dur, qu’il pourrait mourir et qu’il mourrait probablement un jour. Mais hors de question de laisser s’enfuir la vie qu’il chérit tant : pas avant qu’il n’y ait plus rien pour le faire espérer ! La braise de rage au fond de lui s’allume de nouveau : la rage de vivre, la rage de ceux qu’habite la foi, la foi implacable en un futur. Il voit le couteau s’élever pour achever de lui enlever ce qui reste de vie. Vohl se jette au contact de la lame de son adversaire, dont le tranchant trouve une zone de peau nue sur son épaule sénestre, dévoilée par la lutte au sol et son kimono désormais largement défait. Le couteau coupe la peau et entame la chair. Le voleur crie de douleur en transperçant le buste de son adversaire avec sa griffe, enfoncée jusqu’à ce que son poing droit heurte le ventre de Kasly ! Un ultime hoquet sonne aux oreilles de Vohl tandis que les deux hommes, perdant leurs appuis, s’écroulent sur le corps du serviteur armé d’un marteau. Une pluie fine commence à tomber, alors que le voleur sombre dans l’inconscience entre deux corps encore chauds.
Vohl ouvre de nouveau les yeux, un moment plus tard. Sur le ciel encore noir, les étoiles brillent moins intensément qu’avant. Le voleur ne bouge pas, sa volonté soufflée par la fatigue qui domine ses pensées embrumées. Son corps, qui a gouté au sommeil, lui en redemande. La douleur même qu’il ressent à l’épaule ne suffit pas à le tenir éveiller. Pour la deuxième fois cette nuit-là, le voleur ferme les yeux pour s’envoler dans un sommeil sans rêve.
Lorsque Vohl revient à lui, l’aube n’est plus très loin : ses yeux s’ouvrent vers un ciel grisonnant, où l’azur a laissé un voile de nuages bas s’installer. Péniblement, il se dégage du cadavre froid qui lui a servi de couverture pendant son évanouissement. Grimaçant à chaque mouvement qui tire sur le sang coagulé de son épaule, à chaque contraction de ses muscles engourdis, à chaque utilisation de ses membres blessés. Les évènements lui reviennent par flash : sa quête d’un toit sûr, son passage à tabac, sa révolte, ses meurtres. La mise en veille forcée que lui a prescrit son cerveau lui a permis de prendre du repos, même si ce n’est qu’un court moment. Son corps réclame encore sa récompense pour avoir fourni tant d’efforts. Mais Vohl est cette fois-ci en mesure d’imposer sa volonté à sa propre enveloppe charnelle.
Une fois debout, le voleur examine les lieux du carnage d’un œil désolé. Ses vêtements sont imprégnés de sang : le sien et celui des autres. Ce qui n’a pas imbibé les tissus a coulé sur les pavés, puis a en partie été lavé par la pluie fine qui a délavé le rouge sombre pour colorer le sol d’une douce teinte de rose. Les deux corps étendus devant lui ont les yeux ouverts sur un monde qu’ils ne peuvent plus voir. Le premier, face à la terre, les traits tendus par la surprise et la peine, pleure des larmes depuis longtemps séchées par le vent. Le second contemple les cieux de ses yeux fermés par des paupières de sang coagulé : les coups répétés du voleur ont enfoncé le nez profondément dans son crâne et fendu une de ses arcades sourcilières. Plus loin, le maître de maison gît, les bras croisés, et les yeux sans doute fermés par le serviteur qui l’a suivi jusqu’à la dernière étape de sa vie. La vision du jeune homme se brouille dans les larmes : un tel gâchis…une telle horreur pour rien. Les mots d’Efool Alen’tir lui reviennent dans les souvenirs confus de la veille : un frère soldat, les montagnes, il y a un mois… Vohl n’a pas pu être responsable de l’abandon de cet homme. Sans doute l’homme a-t-il reporté sa haine sur tous les déserteurs, et s’est renseigné sur son compte pour pouvoir soulager sa peine. La compassion étreint le cœur de Vohl en même temps qu’une inquiétude subite : avait-il mis quelqu’un au courant de sa balade nocturne et de l’objectif de celle-ci ? Il est trop tard pour s’en soucier, désormais. Trop tard aussi pour finir ce qu’il voulait entamer cette nuit.
Professionnel?
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(((HRP :
Tentative d'apprentissage "La différence d'un pas"
Tentative d'apprentissage "Coup de tête"
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