L'Univers de Yuimen déménage !


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 Sujet du message: La traque commença - 822 mots
MessagePosté: Mar 15 Avr 2014 02:12 
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Silmeria venait de quitter l'auberge des hommes libres. Il faisait encore nuit et la nature chantait de son opéra d'insectes et de divers nuisibles. Les rues étaient silencieuses et les lanternes suspendues éclairaient correctement les alentours des maisonnées. Cet endroit avait définitivement un charme fou, selon la tueuse. Silmeria se devait pourtant ne porter aucune attache, que ça soit aux personnes qui y vivaient ou bien au plaisir qu'elle avait à arpenter les ruelles. Sitôt sortie de la ville, elle devrait l'oublier. Ce ne serait jamais plus que pour elle qu'un bastion, une place, un nom sur une carte.

Elle avait fait son baluchon le plus léger possible. Une robe de rechange, une bourse à la ceinture dissimulée sous sa cape, une lame orque dissimulée également, le kukri à la vue de tout le monde, une gourde d'eau et quelques morceaux de pain enroulé dans du lin accompagné de deux citrons entiers.

Silmeria traversait les ruelles en silence, elle savait que la route serait longue et préférait avoir fait le gros du chemin, à savoir le territoire Lykor avant la tombée de la nuit. Sans quoi elle aurait grand besoin de mettre en avant ses nombreux exercices de la semaine faute de quoi elle y perdrait la tête.

Ses épaules reposées, elle avait longuement massé sa peau et ses muscles endoloris. Forte d'une motivation inébranlable, elle passa les portes d'Oranan. La tueuse avait fait un détour pour ne pas passer devant le camp d'entrainement, de crainte d'y revoir la vieille Vénérable qui n'aurait pas mis longtemps avant de comprendre qu'elle quittait la ville.

Silmeria se rendit compte qu'elle n'avait encore rien vu de ces lieux et de ses habitants. Les sculptures étaient ravissantes, réalisée d'un fin doigté et les jardins étaient luxuriants malgré une ville en danger constant. Elle ralentit et s'arrêta enfin. Les maisonnées n'étaient pas éclairées...

Elle posa son sac et soupira. Après tout, pourquoi partir ? Elle avait encore beaucoup à apprendre auprès des Samouraïs et de la Vénérable. Silmeria avait l'espoir de se faire oublier un jour et de vivre tranquille. L'optique de servir sous la coupe d'Oaxaca ne lui plaisait plus. Elle essaya de se rassurer, si elle avait accepté de se rendre à Omyre, ce devait être juste pour se sauver. Se sauver d'elle même mais au fond, était-ce vraiment ce qu'elle voulait. Pour une fois, elle avait le choix.

Elle avait le choix de rester.
« Après tout... La nuit porte conseil. Rester quelques jours de plus ne serait pas dramatique. J'imagine. »

-----


Bouhen et ses alentours.

Hrist avait traqué un marin de Von Klaash resté à terre. D'après les informations qu'elle avait glanée, qui s'avéraient d'ailleurs être toutes vraies, l'homme était présent lorsque Von Klaash s'était fait la belle sur son navire en compagnie d'une certaine Baronne fraichement échappée de l'arme Royale qui n'avait pas apprécié qu'on lui fausse compagnie.

L'homme était rentré dans sa maison mais au lieu d'y trouver sa femme, c'est Hrist qui lui était tombée dessus. Elle l'avait menacé de tuer sa femme si il ne lui disait pas ce qu'il savait au sujet de l'évasion de la Baronne. Ce que l'homme ignorait, c'est que sa femme était dans la remise la gorge tranchée, l'air hagard et les vêtements ensanglantés.

Le même sort funèbre attendait le marin. Il parla. Hrist restait assise face à lui jouant avec sa dague. Elle avait pendu l'homme d'une façon singulière. Il était accroché par le cou à une corde mais une de ses jambes touchait toujours le sol à supposé qu'il soit sur la pointe des pieds. L'autre jambe était accrochée en hauteur, aussi le pauvre bougre usait de ses forces pour ne pas fléchir le genoux qui lui servait d'appui, faute de quoi il s'étouffait.

« Inconfortable hein... Ne soyez pas stupide, j'ai de quoi vous torturer toute la nuit. Parlez sur l'heure ! »


Et l'homme céda. Il annonça que le Capitaine Von Klaash hésitait entre deux villes. Il pensait à débarquer sa fugitive à Oranan ou Shory. Que c'était la seule information qui lui était venu aux oreilles avant que Von Klaash ne lève l'encre.

Hrist se releva. Elle prit deux secondes pour réfléchir et conclu que Silmeria était probablement partie vers Oranan, que jamais Von Klaash ne serait parti en mer au large de Kendra Kâr, surtout après ce qui venait de se passer et que le départ soudain du navire avait fait que les cales n'étaient pas pleines de ressources, aussi il fallait opter pour un voyage court et rapide.

Occupée à penser, elle quitta la maisonnée et laissa l'homme à son triste sort.

« Je crois que nous allons voyager un peu ! Tu veux de l'aide à préparer tes affaires ? A pied c'est un sacré voyage tu sais. »

« Il faut faire vite, je ne veux pas avoir trop de retard. On ne fait aucune affaire. On part immédiatement. »

_________________
La petite ombre de la Mort à Elysian.

Alors, j'ai établi ma couche dans les charniers,
Au milieu des cercueils,
Où la Mort Noire tient le registre des trophées qu'elle a conquis.


Némésis d'Heartless


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 Sujet du message: Re: Rues et ruelles
MessagePosté: Mar 3 Juin 2014 22:24 
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******************


Tandis que je surveille le fils de Chumaka à travers la fenêtre d'une taverne, je repense à cette drôle de journée et au déroulement de ce début de soirée, et me demande encore comment j'en suis arrivée à être là, assise sur un toit sous une pluie battante. De celles qui me font penser les Dieux craignent qu'un jour, les océans pourraient se vider comme la chope d'un ivrogne.
Shou-Hsing nous a dit avoir rendez-vous dans cette taverne des quartiers sud. Un petit établissement discret, à la devanture sobre et dont l'enseigne "les Quatre Horloges", qui fait référence à deux superstitions portant sur la mort, n'incite guère à la curiosité des Ynoriens. Ici se retrouvent surtout des marins en provenance de Dahràm ou d'autres villes dont les navires de commerce sont les bienvenus, mais les équipages à peine tolérés. Il y est maintenant depuis plus d'une heure, n'a parlé à personne d'autre que le tavernier et ce de manière rapide et impersonnelle, ce qui me laisse penser qu'au moins ce dernier ne fait pas partie de la bande de petites ordures qui ont tenté de piller la maison de mon maître.

J'entends soudain le bruit de quelqu'un qui court dans la rue mais, comme tous les autres depuis que je suis en poste ici, il ne s'arrête pas. La silhouette encapuchonnée ressemble à toutes les autres, le dos vouté, une main tenant fermement le tissu en dessous de son menton et l'autre retenant la capuche au-dessus d'une tête baissée. Je me recule sous mon abri de fortune qui n'en est plus vraiment un depuis que le vent a tourné. Je suis trempée jusqu'aux os et frigorifiée. La combinaison, récupérée sur le cadavre de celui qui a essayé de piller la maison de mon mentor, pue la transpiration et le chien mouillé, et le masque est encore empreint de son haleine, c'est une horreur.
Et dire qu'il y a moins de quatre heures j'étais dans un bain chaud et, à défaut d'être sereine ou apaisée, j'avais au moins l'infime espoir que le pire était derrière moi. Durant cette seule journée, je me suis réveillée dans un lieu inconnu, apprenant que j'étais morte et ressuscitée sans savoir ni pourquoi ni comment. Puis, j'ai découvert que le seul homme capable de m'aider à retrouver un semblant de place en ce monde n'était pas là, ni même s'il était encore en vie ; et comble du hasard, je me suis retrouvée en face de deux pillards qui visitaient sa maison en son absence. Celui dont je porte les habits est maintenant entre les mains du père du deuxième voleur, qui ne s'est vu accorder un sursis qu'après un long, houleux et épuisant débat avec son père.


Le son de fers à cheval retentit et m’arrache à mes pensées. Je les suis des yeux, lui et son cavalier entièrement caché par une lourde cape jusqu'à ce qu'ils disparaissent à un angle un peu plus loin. Je souffle un bon coup, désespérée par l'attente d'autant plus que mes plans m'auraient au moins valu de rester au sec !
Mais non.
Chumaka m'a convaincu de ne pas prévenir la milice sur le champ car son fils serait inculpé au même titre que les autres, voire plus, si les miliciens ne retrouvaient pas le reste de la bande. Autant de dévouement envers un pleutre égoïste, fils ou pas fils, est déjà difficile à supporter mais, de l'entendre m'expliquer ensuite qu'il le renverrait chez sa mère à Tulorim, une fois l'affaire réglée a été la louche d'eau de trop dans mon verre à saké.
Pensant subitement à lui, je détourne le regard des rues adjacentes et l'observe d'un œil mauvais, tandis qu'une part sombre de mon esprit imagine différentes manières d’en finir avec lui, en cas d'échec de sa part du contrat. Je le lui ai promis, à lui et son sourire de petite fouine vaniteuse.


((- Le renvoyer à sa mère ?
- Il est mon fils, il était sous ma responsabilité. Ses fautes sont autant les siennes que les miennes.
- D'la merde ouais, les fruits pourris ça arrive, suffit de les jeter.
- Tu ne peux pas tuer quelqu'un seulement parce qu'il ne te plait pas Madoka !!))
Sur le coup, j'ai jeté un regard assassin aux deux hommes et seul le profond respect que le maître a pour Chumaka m'a empêché de lui prouver à quel point il avait tort. Et pour en finir avec le sentiment d'assurance retrouvé de Shou-Hsing, je lui ai promis qu'au moindre doute, à la moindre erreur ou hésitation, sa mère le recevrait dans une caisse, avec sa prochaine livraison de soie.

Acceptant de ne faire appel à la milice qu'au tout dernier moment, j'ai ensuite proposé d'attendre les autres membres de la bande sur place. D'après ce que j'ai compris du pathétique récit de Shou-Hsing, personne ne savait au départ de quelle famille il venait, ni pour qui elle travaillait. Sa vanité, son arrogance et sa grande gueule ont tracé la voie qui mena à cette trahison.
((- Si je comprends bien, tu veux … tenir un siège … à nous trois ?
- Naaaaaan, pas à trois ! Shou-Hsing et moi.))
A son air j'ai su de suite que l'idée ne lui plaisait pas. J'ai alors inventé des arguments plausibles, comme leur nombre somme toute restreint et le fait que nous pouvions faire appel à la milice après en avoir séquestrés un ou deux … mais en gardant secret le plus satisfaisant de tous, la quasi-certitude que Shou-Hsing mourrait en défendant sa vie à grands cris. Chumaka voyait lui d'un mauvais œil de transformer la maison du maître en une arène de combat et de voir son jardin sous des rivières de sang, mais ce fut son fils qui, par une tardive révélation, mit fin à toute discussion.
Encore bouillonnante de rage à ce souvenir, je le revois nous faire un signe, se racler la gorge avant de dévoiler qu'ils n'en étaient pas à leur premier voyage, que les trafiquants avaient déjà emporté et caché dans leur planque quelques armes d'apparat et œuvres d'art des salles communes.


A nouveau, un bruit en bas m'extirpe de mes sombres pensées. Plusieurs personnes piétinent dans les flaques d'eau inondant les pavés accidentés de la ruelle ; silhouettes penchées en avant, les épaules jusqu’aux oreilles pour protéger ce qui peut l’être encore de ce qui s'abat sur la ville. Une fois n'est pas coutume, ceux-ci ralentissent à l'approche de la taverne et finissent par s'arrêter sur le palier pour discuter entre eux.
Je me couche et tends l’oreille sans grand espoir, ils parlent fort et je perçois un ou deux accents différents mais le sens des mots, martelés par les trombes d'eau, ne m'arrive qu'à l'état de miettes. L’examen physique ne m’est guère plus utile. En dehors du fait que personne ne lève la tête par un temps pareil, on ne distingue rien sous ces longs manteaux et leurs chaussures sont tout ce qu'il y a de plus banales. Mais Shou-Hsing s'agite soudainement. Jusqu'ici, il s'est limité à une attitude tendue, de celle qui combine l'impatience d'en finir et l'espoir que rien n'arrive, à se curer les ongles et se mordiller les peaux autour. Là, il jette des regards anxieux par la fenêtre et les plonge ensuite dans son gobelet vide comme s'il cherchait un moyen de s'y cacher, il se tortille sur sa chaise comme soudainement harcelé par des vers au cul, et bouge la tête comme l'idiot du village qui se parle à lui-même. Ce qu'il fait, j'en suis persuadée ; c'est une habitude chez lui quand il se croit seul. Déjà adolescent, il se parlait à mi-voix, souvent pour ruminer sa rancœur après un rappel à l'ordre de Keyoke, ou avant un entretien avec son père pour se donner du courage en répétant son texte ; tout cela avec un profond et fier irrespect pour sa lignée.

L'un des hommes dehors, de taille moyenne et large d'épaule, hausse soudain le ton et le groupe se scinde en deux.
Machinalement, je porte la main à ma poche et fais tourner la bague trouvée sur le cadavre du voleur entre mes doigts. Cet artéfact est capable, d'après les dires de Shou-Hsing, de me lier à n'importe qui pendant une quinzaine de minutes. Le plan est d'utiliser la bague pour suivre ce qui se passe à la taverne sans y être mais là, j'hésite. Je pourrais filer discrètement les trois hommes qui repartent au pas de course, en direction du port. Une bonne vieille traque, histoire de se bouger, faire un peu d'exercice et d'être sûre d'arriver à un putain de résultat ! Et ne pas être là pour sauver les miches de l'autre fouine si d'aventure ça tournait mal. Un instant d'égarement impérieux, durant lequel ma bonne conscience détourne le regard et que je m'imagine le retrouver, trop tard, après qu'il se soit fait lentement boulotter par des dizaines de ses semblables du genre animal.
Un instant seulement, aussi court que nécessaire pour me résigner à devoir faire équipe avec un individu que chaque fibre de mon corps exècre sans retenue, et qui plus est, lui faire confiance. Quand je rouvre les yeux, mon sang froid a reprit sa place dominante au sein de mon esprit, et ma concentration portée sur la mission.

La porte de la taverne se referme sur les deux silhouettes restantes et happe les éclats de rire fureteurs comme un lézard son insecte. Quinze minutes, c'est tout ce que j'ai pour suivre la conversation en simple spectatrice.
Je me cale dans un recoin plat du toit et insère la bague dès qu'ils finissent les commandes au patron.

_________________
Madoka


Dernière édition par Madoka le Jeu 2 Avr 2015 01:19, édité 4 fois.

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 Sujet du message: Re: Rues et ruelles
MessagePosté: Ven 25 Juil 2014 23:41 
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Une serveuse s'approche de la table et les convives s'arrêtent brusquement de parler. Elle pose entre nous une bouteille en céramique …
((Entre eux ! Pas nous))

Quelle étrange sensation que de voir à travers les yeux d'un autre et de ne point partager la conscience de la vision. De prime abord, on a l'impression de regarder d'un seul œil une pièce de théâtre à travers un tube afin de s'isoler dans l'observation. Puis le tube prend le contrôle des mouvements et la vision s’élargit.
Se voir à l'intérieur, au sec et au chaud et ressentir le froid et la lourdeur des trombes d'eau qui nous tombent dessus à quelque chose de déstabilisant.
On ne partage ni les odeurs ni les sons. Je continue d'entendre le clapotement précipité de la pluie et distingue encore très bien la différence entre les échos métalliques et les sons amortis dans la boue en contrebas. L'odeur de feu de cheminée se mélange à celle de la terre mouillée, il y a aussi dans l'air les arômes de soupe, de légumes cuits et de poisson grillé d'une maison voisine alors que d'autres, au demeurant, sont agréablement atténuées. Des pluies comme celle-ci lavent littéralement la ville et les ruelles sordides comme celle où je me trouve. Les odeurs persistantes d'urines, de déchets et d'excréments sont chassées par les saignées que modèle toute la masse d'eau qui s'abat.
Tout un monde invisible à portée de sens mais les individus et les objets qui gravitent devant mes yeux restent insaisissables. Pas de parfum, pas d'effluves corporels, pas d'alcool, pas de feu de bois, rien de ce que je vois ne correspond à ce que je sens ou entends.

Quand enfin j'arrive à me soustraire de cette troublante sensation, il ne doit guère me rester plus de la moitié des quinze minutes accordées par l'artéfact.

Deux individus sont assis en face de Shou-Hsing. Un homme et une femme, la peau brûlée de ceux qui travaillent et vivent constamment en extérieur, et la mine aussi mauvaise l'un que l'autre. La femme a des cheveux comme la paille, de couleur et d'aspect, attachés sous un large bandeau qui lui couvre la tête et la moitié du front. Des yeux bruns cernés de rides précoces sous des sourcils épais qui durcissent encore un visage pourtant déjà dur, avec une mâchoire carrée et des lèvres épaisses. Des dents sales dévoilées derrière des grimaces si grossières que je n'ai guère besoin de son pour en sentir le mépris. Elle est cependant très expressive, parlant autant avec la bouche qu'avec les mains ou les expressions de son visage ; c'est d'ailleurs elle qui parle le plus mais les coups d'œil répétés à l'homme à ses côtés me font penser qu'elle ne dirige pas complètement le débat et les décisions. L'homme lui a des yeux minuscules renfoncés vers l'intérieur, un crâne chauve barré d'une cicatrice monstrueuse, assez récente compte tenu de son état. Son visage est buriné et asséché par le soleil, même ses lèvres ont l'air de deux boursouflures contournant une bouche dépouillée de la moitié de ses dents. Mais son aspect pouilleux n'est qu'un leurre ; ses yeux, aussi petits soient-ils, sont à l'affût du moindre gestes et rien ne leur échappent. Il parle peu mais, systématiquement, sa comparse se tait et Shou-Hsing baisse le regard vers ses doigts, qu'il tortille nerveusement. Le plus intriguant étant son bras droit, qu'il laisse faussement accoudé l'air de rien contre la table, mais dont les doigts ne quittent jamais le pommeau d'une arme cachée sous sa veste. Tous deux portent des anneaux aux oreilles, plus un dans la narine pour la femme et deux à l'arcade pour l'homme. Leurs vêtements sont miteux, plusieurs couches successives de morceaux élimés formant un tout brouillon ne tenant ensemble que par l'effet collant de la crasse.

En me concentrant, j'arrive à comprendre des mots de ci de là mais leurs bouches bougent peu et très vite, leur prononciation doit être épouvantable même à l'oreille. Le mouvement de leurs lèvres, couplées aux grimaces qui animent leur visage me fait plutôt l'effet d'une vache ruminant sa propre bouse. Le peu que je devine en revanche n'est pas très engageant. Le but était de leur faire croire que le complice de Shou-Hsing lui avait faussé compagnie avec un objet qui lui est inconnu mais qui vraisemblablement valait suffisamment pour qu'il tente sa chance seul, loin des siens. Il devait leur faire croire qu'un membre de la famille de Keyoke était en route pour Oranan, précédé d'un messager arrivé lui dans la soirée, pendant qu'il essayait de continuer seul la récupération des objets.
Mais ça s'annonce mal, la large bouche de la blonde forme à plusieurs reprises les mots "détails" et "expliquer" et les mouvements de tête nerveux de celui par qui j'observe sont alarmants. Cependant, le chauve finit par mettre un terme à la tournure de l'interrogatoire. Il prononce le mot "introuvable" et j'espère qu'il parle du complice mort ; il désigne ensuite le sac destiné à servir d'appât mais sa prononciation bovine rend mystérieuse la suite. La fin de sa phrase, en revanche, est plus qu'éloquente. La menace n'est même pas sous-jacente et à ce moment là, Shou-Hsing se redresse sur son siège tandis les deux autres se cabrent brusquement, un instant décontenancés. Ce qu'il dit a l'air de faire mouche. Le chauve et la blonde se regardent, baragouinent du bout des lèvres.

Un bruit retentit soudain. Un son sec, tout proche et très différent de tout ce qui m'entourait jusque là. Ce n'est ni la pluie torrentielle, ni les claquements brusques du tonnerre ou le brouhaha constant des habitants vivant leur vie. Ce n'est pourtant qu'un crissement à peine audible, mais j'ai l'impression troublante de le sentir à travers le corps, comme l'écho des gongs et des tambours dans les tympans.
Lorsque le bruit recommence, je tremblotte malgré moi. Sentant alors le lien se fragiliser par ma déconcentration involontaire, je tente de me calmer. En vain, car la vision des lèvres, des visages et de la taverne se déforme, ou plutôt, elle glisse ...
Cette impression de glissement me submerge complètement au moment où le contact rompt pour de bon. Je me sens soudainement happée en arrière, accentuant un peu plus cette sensation de chute incontrôlable.
Au lieu de revenir à moi, c'est le noir complet qui m'entoure, lourd et poisseux. Prise de panique, déboussolée, je lève les mains vers mon visage et y rencontre un tissu trempé, celui de cette fichue cagoule puante, trop grande et trop lourde que je tire et replace en râlant, pestant sur la perte du lien, maudissant l'idée stupide de rester sous des trombes d'eau, et celle, foutrement plus débile encore, de remettre une partie du butin de ce petit fils de …

Cette fois, j'ai les yeux ouverts et le bruit jusque là mystérieux se dévoile.

Les tuiles, rendues fragiles par le temps, n'ont pas résisté à une longue visite, même d'un poids plume comme moi et se démantèlent. Mes pieds dérapent sur la mousse imbibée comme une éponge dans un océan et m'entrainent vers le bas. Je me sens basculer, perdre l'équilibre et tout un tas de petits détails se déversent allègrement dans mon esprit, similaires à ces petits éléments importants en situation d'urgence, comme de se remémorer par quel bout tenir son arme pendant qu'on charge l'ennemi.
J'essaye en vain de m'accrocher à ce que je touche, tuiles glissantes, amas de mousse molle et même une branche d'arbre mort emporté ici par les vents mais rien n'y fait. Je dégringole comme une pierre jusqu'au rebord surélevé au dessus de la rue quand, au moment même où mon imagination effleurait les conséquences d'une chute, j'aperçois une saillie ou je ne sais quoi de décoratif en bois dépassant légèrement … et à portée de main. Je ferme les yeux, ayant maintes fois eu plus de chance en laissant faire l'instinct que la réflexion d'urgence, et serre les dents en gémissant sous l'effort. Mes doigts s'accrochent et je sens mon corps chuter avant de cogner la surface froide du mur.


((Agilité et maîtrise de soi)) Me dis-je amusée avant de me dépêcher de descendre de là. Justifier ma position à une patrouille de nuit, pourquoi pas ; justifier ma tenue, avec un peu de baratin ça passerait ; mais les deux, je n'aurais même pas le temps d'aligner les premiers mots.
Il est difficile d'y voir clair dans cette soupe sombre, les pierres sont glissantes et les ombres trompeuses. J'arrive pourtant à descendre sans trop de bruit, tâtant les meilleures prises du bout des pieds avant de tout lâcher pour m'y rattraper, ça demande un brin de confiance en soi et des années de pratiques plus ou moins justifiables elles aussi mais, au bout du compte, c'est moins dangereux qu'une chute à l'aveugle.


Dans la rue cependant, je suis moins à l'abri, plus repérable par les patrouilleurs si d'aventure leur discussion se prolonge encore. Je m'éloigne dans la ruelle voisine plus petite en ligne directe vers les hauteurs de la ville, les escaliers regorgent de cours et de paliers encombrés où une souris comme moi peut se cacher sans mal.
Dos au mur à l'ombre du clair de lune, j'attends, encore, à l'écoute du moindre bruit de porte ou de pas, que le fils à sa maman en finisse avec sa part du marché.


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Madoka


Dernière édition par Madoka le Jeu 2 Avr 2015 01:37, édité 4 fois.

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 Sujet du message: Re: Rues et ruelles
MessagePosté: Lun 17 Nov 2014 22:20 
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Localisation: Oranan - Quartier Maison Rouge
Pour un homme qui vit dans un silence presque parfait en exceptant le chuintement des feuilles que l’on feuillette et les pas des archivistes, dans l' obscurité claire spécifique aux bibliothèques, l’entrée dans le monde de la rue se fait de la même façon qu’une naissance : dans le bruit, la couleur et les odeurs. Le tout vient violement éjecter les sens de Vohl, à la manière d’une monture rétive qui surprend le cavalier débutant. Après s’être mêlé à la foule, Vohl se dirige vers le quartier de bord de mer. C’est là-bas qu’il doit se rendre en premier. Mais s’il peut éviter de se faire arrêter par une milice suspicieuse en attendant, c’est mieux !

(A compter de cet instant, je suis seul…et je dois me conduire de la façon qu’il convient.)

Après avoir déniché, en arrivant à proximité des quartiers pauvres, une ruelle sombre sur sa route qui s’écarte de la grande rue en décrivant un virage serré, le fugitif s’accorde un moment pour changer de tenue : il se défait de ses habits souillés qu’il entasse en hâte, et enfile le magnifique kimono brodé de rouge et de noir que lui a apporté sa sœur. La fraicheur du tissu propre lui procure un frisson de plaisir…qu’il est bon de se sentir enfin propre ! Il plie ensuite consciencieusement les habits sales, qui viennent bientôt prendre la place laissée par le kimono brodé dans la besace. Il s’équipe ensuite de la griffe apportée par sa sœur. Pour ce faire, il fait rentrer l’appareil dans sa manche par l’intérieur, griffes en avant. Les lames s’enfilent dans des petits tuyaux que sa sœur a cousus à la manche afin de maintenir les lames contre le tissu. Ainsi préparé, c’est en un battement de sourcil que Vohl peut équiper et faire usage de sa griffe. L’aspect technique et les vérifications effectuées, Vohl place une bourse dans une poche intérieure de son vêtement, et place ensuite sa besace en bandoulière par-dessus sa nouvelle tenue, afin de pouvoir s’en débarrasser aisément.

« Un vengeur doit être équipé pour venger, et un tueur pour tuer. »

Un bruit métallique se fait entendre dans la ruelle. Vohl se retourne brusquement, déjà en position de défense. Les ordures et les objets temporairement abandonnés dans la ruelle l’empêchent de distinguer clairement quoi que ce soit, et les sons venant de la grande rue lui parviennent encore, brouillant ses perceptions.

(Il faut que je sois plus attentif…je ne dois pas parler à haute voix quand je suis seul…ou que je pense être seul !)

Un mouvement vif attire son regard vers le tas d’ordure le plus proche. Le tatami éventré bouge, et une créature se rue vers lui ; Vohl n’a pas le temps d’esquisser le moindre mouvement, et l’animal en profite pour le mordre violement. Le rat de bonne taille s’est ancré au mollet de Vohl, cible facile pour cette bête répugnante. La douleur transperce l’homme une fraction de seconde plus tard. Les dents font de même avec les chairs superficielles. Avec la vivacité que lui ont conférée trois années d’entrainement militaire, le soldat fugitif donne un coup de pied circulaire pour écraser la boule de haine luisante contre le mur de la ruelle. L’effet recherché n’est pas tout à fait obtenu, mais la créature, sonnée, desserre son emprise et se laisse tomber. Le gout du sang dans sa bouche, la peur de l’adversaire mais aussi l’agressivité et la sensation de vide dans son ventre s’entrechoquent chez le muridé sombre. Cette hésitation permet à Vohl de reprendre ses esprits. Il sait n’avoir aucune chance contre le rongeur en matière de vivacité. Il tente de mettre en pratique une de ses lectures récentes : concentrer sa force intérieure, son ki, dans la griffe qu’il a maintenant équipée.

(Se concentrer ; sentir un courant remonter le long du corps pour se loger dans le poignet ; un mouvement vif pour expulser l’énergie au travers des lames…MAINTENANT !)

Le mouvement de Vohl est fluide, et fend les airs du bas vers le haut…mais l’énergie quitte son bras bien trop tôt, et un nouveau tatami, presque à ses pieds, est lacéré par trois lames d’énergie ! Mais cet essai n’a pas été vain pour tout le monde, et le geste a convaincu le rat. L’ennemi est agressif. La meilleure défense, c’est l’attaque : l’instinct du rat rend son verdict, et le parasite des villes se propulse vers l’agresseur. Les réflexes de de l’apprenti voleur lui servent enfin : il réussit à se décaler à temps, et riposte par réflexe d’un violent coup de pied. Vohl envoie voler le rat qui heurte le mur beige opposé dans un bruit sinistre. L’homme s’approche rapidement de la créature et plonge son arme dans le corps de la petite créature.

« J’aurais dû demander un baume de soin… tant pis…je verrais ce que je peux trouver ce soir…j’espère que la plaie ne s’infectera pas. Si Rana le veut bien.»
(Et il faut vraiment que je me contente de penser ! Voilà autre chose que les livres ne peuvent enseigner. Je dois encore m’entrainer sur ce point…comme sur d’autres, d’ailleurs. J’ai presque réussi tout à l’heure. Le prochain essai sera peut-être le bon !)

Après avoir adressé une petite prière à Rana et la remercier de lui avoir accordé la bonne fortune pour sortir d’une situation qui devenait intenable, Vohl passe une main dans ses cheveux gras, et les natte sommairement. Il est maintenant vêtu de ses habits neufs et paré de ses accessoires qui siéent à un humain ynorien de classe basse à moyenne.

(Il faut que je me lave…les vêtements propres font illusion pour le moment…mais dans un lieu isolé, aucune chance que cela passe inaperçu ! Ils pourraient faire des affiches décrivant le parfum à suivre pour me retrouver !)

Vohl rejoint la rue centrale d’Oranan et se fond de nouveau dans la foule. Sans faire de remous, sans perturber le rythme des vagues, le jeune soldat devenu voleur noie sa présence dans la marée humaine qui avance vers le port. La commission attendra, il doit être présentable pour que l’illusion d’un yornien sans histoire soit parfaite. Bien entendu, pour se laver il pourrait se contenter de plonger dans le canal central de la ville, mais les centaines d’yeux inquisiteurs des passants le fixeraient, et il ne peut garantir qu’aucun d’entre eux ne le reconnaîtra. Il suit donc le mouvement de la foule, tentant au passage de noter quelques détails sur le foule qui l’entoure : où sont les personnes les plus riches, où sont les étals les moins sécurisés… et surtout où sont les patrouilles militaires. La foule est hétéroclite et il n’est pas encore assez familier avec les villes pour parler leur langage, il abandonne donc rapidement la recherche de ce côté-là. A chaque patrouille croisée, il rejoint en douceur le bord opposé de la rue et fixe un point loin devant lui, en avançant toujours au rythme de la foule. Les patrouilles passent à côté de lui sans lui porter le moindre intérêt, et Vohl remercie intérieurement Rana de cet état de fait.
Il arrive bientôt au niveau du port : les mâts des navires de guerre se dressent devant lui comme autant de doigts défiant le ciel, et les tours qui gardent l’entrée du lieu sont bien surveillées.

(Il ne faut pas que je me fasse remarquer ici. Je dois encore me fondre dans le décor.)

La Fuite

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 Sujet du message: Re: Rues et ruelles
MessagePosté: Lun 17 Nov 2014 22:55 
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Les deux hommes déambulent tranquillement dans les rues, échangeant les nouvelles de l’intérieur des terres et d’au-delà des mers. Le kimono de notre voleur a eu le temps de sécher pendant qu’il attendait son hôte au port, c’est donc un couple humide mais non dégoulinant qui s’arrête sur le seuil d’un porche, qui dévoile un petit jardin flanqué d’une petite maison. Comparé à celui de la maison d’enfance de Vohl, où des dragons comprimaient de leur corps sinueux les pieds des fontaines et les colonnes supportant des fleurs aux couleurs vives, celui-ci semble, du peu qu’il aperçoit, pour le moins abandonné. Quant au porche, les vestiges d’une décoration florale accueillent les visiteurs, mais on sent bien que l’entretien n’est plus inscrit à l’ordre principal du jour. C’est toutefois un autre sujet qui retient finalement l’attention de Vohl.

(Cette proximité avec le port…)
« C’était ton rêve de jeunesse de devenir marin ? Peut-être l’êtes-vous de père en fils, une sorte de talent ou de tradition familiale ?»


L’homme tourne vers Vohl un regard triste. Son père est décédé en mer il y a déjà quelques années, et sa femme l’a quitté pour un Cuilnien pendant qu’il était au large. Vohl sent aisément l’amertume percer dans sa voix malgré tout ferme lorsque le géant lui livre cette part de son histoire.

« Il faut être pur pour trouver Cuilnien, dit-on…C’est bête hein, il a dû arriver avec une maison et des voisins, et repartir seulement avec une femme ! »
« La seule valeur sure, c’est la force de ses bras ! »
« Bien dit, mon gars ! Allez, entre, il est temps de se rincer ! »
(Sa bouche sourit mais ses yeux pleurent encore…)

Le marin est chamboulé par l’évocation de la perte de ses proches, et il paraît évident que l’extérieur du corps ne sera pas le seul humecté avant la fin du jour !

Immersion

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 Sujet du message: Re: Rues et ruelles
MessagePosté: Lun 15 Déc 2014 05:21 
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En s’enfonçant dans les ténèbres du passage étroit qu’il emprunte, Vohl sent le froid s’insinuer sur sa peau, à travers ses vêtements. Profitant du plus petit interstice, le courant d’air venu du large glace l’épiderme du voleur, passant par les manches, s’infiltrant entre les pans du kimono. La nuit est encore maîtresse du monde pour quelques instants, et elle semble vouloir profiter du temps qui lui reste pour montrer sa puissance, avant que le soleil ne réchauffe les rues, les brises et les âmes. Vohl resserre sa ceinture et referme davantage son habit. Il est le seul dans la ville, avec les miséreux, à affronter la colère de la nuit.

(Plus si seul que ça, semble-t-il !)


Vohl vient d’entendre des éclats de voix, à quelques rues de distance, là où doit maintenant se dresser le bûcher funéraire de son brave et récent ami. Une patrouille a fini par noter la présence de la fumée dans le ciel qui s’éclaircit, promettant par sa teinte bleu clair une belle journée. Notre criminel continue de s’éloigner des voix. Il doit maintenant trouver un endroit sûr, une cache.

(Que n’y ai-je pensé plus tôt ! Imbécile ! Irresponsable ! Pour l’instant, il me faut un lieu paisible. Le temple de Gaïa est un endroit tranquille : je devrais pouvoir y réfléchir calmement.)


L’homme a un but. Décidé, certes, mais affamé. Son estomac se rappelle à lui dans un gargouillis bruyant. Vohl a beau avoir festoyé hier soir, les activités de la nuit lui ont couté beaucoup d’énergie. Il saisit dans sa besace un des repas que lui a préparé sa sœur, et mange rapidement. La croute du pain, cuit par sa sœur, craque délicieusement sous ses doigts puissants. Le cœur du pain ainsi révélé libère arômes et souvenirs. Vohl a un pincement à l'âme en pensant brièvement à sa sœur et son oncle, qu’il ne retrouvera sûrement pas avant d’avoir accompli le devoir qu’il s’est fixé. Avant que son père ne puisse reposer en paix. Comme à chacune des pensées qui s’envolent vers l’ultime étape de sa vendetta, il prie Rana de lui donner la force de faire tourner la Roue. Puis ses réflexions reviennent vers des problèmes physiques plus immédiats. Il connaît sa ville, et se dirige sans hésitation dans les ruelles vers le bâtiment séculaire. Pendant le trajet, le soleil détrône sa sœur dans le ciel, les rayons embrassent la ville, la réchauffent et la mettent en mouvement. Progressivement, les habitants sortent dans les rues, les petits commerces à la sauvette montent des étals de fortune pour y exposer leurs articles. Parallèlement, les mendiants reprennent aussi leur travail : ils se répartissent et commencent une nouvelle journée de lutte contre la mort, qui leur promet tellement plus de choses que la vie n’a encore à leur offrir. Alors qu’il s’apprête à sortir d’une petite ruelle pour s’avancer dans une des grandes rues secondaires menant au temple, Vohl est bousculé par une bande de gamins en guenilles qui s’engagent en courant dans la rue. Lorsque le troisième se retourne pour le dévisager, Vohl lui rend la pareille, considérant l’enfant de toute sa hauteur. Il note alors un détail qui l’intrigue : une marque luisante qui apparaît sur le menton de l’insolent garnement. Une sorte de tatouage, mais la peau n’est pas colorée, simplement plus lisse que celle d’un bébé.

(On dirait une… bon sang ! Des enfants esclaves ? Ici ? La marque est récente ! Qui a bien pu leur faire ça ?)

Perdu dans ses réflexions, affrontant toujours du regard le petit rebelle, c’est tout juste si Vohl sent le frôlement d’un quatrième larron. Sa bourse, soudainement prise de vie, semble faire un salto. Vohl saisit fermement la main de son compatriote. L’enfant lève vers lui un regard apeuré. Dix ans, se dit Vohl. Dix ans maximum, et déjà dans la rue…les ravages de la guerre ne sont pas seulement visibles sur les champs de batailles. Son regard s’adoucit…la compassion et la tristesse étreignent son cœur devant la figure chafouine du gamin. Avec un calme empli de bonté, il desserre la main de l’enfant, qui se laisse faire sans résister. Le voleur pose un genou à terre devant son compère et le prend dans ses bras.

(Lui n’a aucune famille à protéger… Rana est parfois si cruelle …Faites qu’il puisse rire entouré d’amis, de nouveau… La tristesse n’est pas une chose à confier à un enfant. Le deuil non plus.)

En ouvrant de nouveau les yeux, il constate que les autres enfants le fixent d’un air méfiant, prêts à se ruer vers lui s’il fait le moindre geste menaçant. Un sourire naît sur ses lèvres. Au moins, il n’est pas seul. Le sourire s’élargit, puis se transforme en éclat de rire chaleureux, comme il n’en a plus connu depuis un bon moment. Ah, dieux, que cela fait du bien de s’esclaffer ! Regardant à nouveau le visage de l’enfant qu’il tient toujours par les épaules, il lui chuchote quelque chose d’inaudible pour ses acolytes :

« Ne te trompe pas de cible, camarade. »

Une étincelle de malice et un léger hochement de tête répondent à son sourire en coin. Vohl libère enfin l’épaule de l’enfant, qui se retourne et se dirige vers ses compagnons d’un pas tranquille, mélange de fierté et de soulagement. Des échanges frénétiques de regards et de répliques aussi brèves qu’incompréhensibles pour l’ancien soldat marquent l’illumination de la ruelle. Le soleil est là, et réchauffe encore le tableau qui fait frissonner Vohl de joie : une bande de gosses malmenés par la vie qui, dans un rayon de lumière doré, partagent tout ce qu'il leur reste. L’Espoir fait chair. L’Espoir, cette chose qui lui manquait pour sa vengeance. L’Espoir d’un avenir après une mort. En chahutant, la joyeuse bande jette un dernier regard au curieux individu qu’elle vient de croiser et disparaît dans la foule de la rue. L’insouciance de la troupe a illuminé l’âme de Vohl pour un instant… Il suit le même chemin. Les couleurs de la foule, mouvants rubans dans le vent, l’enrobent dans la valse du jour. Ses gestes, déliés, semblent le laisser glisser au travers de la foule. Il se fond dans la masse, frôle des vêtements, touche des étoffes, saisit des paroles, et toujours continue sa progression sur le sol pavé, dans un ballet où chaque passant est un partenaire. Cette farandole ne lui est pas encore familière, et Vohl rompt parfois la fluidité du mouvement. Un vertige le prend : le sommeil réclame son dû. Il prend un instant appui sur l’épais muret d’une maison. Même si son corps, libéré depuis peu de l’immobilité de la prison de savoir dans laquelle il s’est caché un mois durant, commence à fatiguer, son esprit lui permet de tenir. Ses muscles, bien qu’atrophiés depuis son dernier combat en tant que soldat, commencent à s’étirer comme au sortir d’un profond sommeil et, par la même occasion, à réclamer l’énergie nécessaire pour fonctionner. Le pain qu’il a mangé tout à l’heure n’est déjà plus qu’un souvenir.

(Il me faut quelque chose de plus consistant. Je peux m’acheter quelque chose...Oh ! Là !)


Un met posé sur l’un des nombreux étals qu’il vient de dépasser capte son attention. Il lui semble sentir le parfum du plat malgré les effluves de la foule. L’homme cesse de penser au temple. Remobilisant ses facultés, il observe le marchand. Ce dernier discute avec un client, lui vantant apparemment les mérites d’un collier serti de pierres. La discussion semble prendre un tour qui réjouit le marchand, au vu du grand sourire du commerçant qui se fait plus honnête à chaque instant. Il s’agit maintenant d’attendre le moment le plus favorable. Vohl se calle dans un angle de la rue, afin de pouvoir observer et entendre ce qui se déroule au-dessus de la table sur laquelle est étalée la marchandise. Après un moment, la situation semble se dégrader entre les deux hommes.

(Ha ! Eh oui, la question du prix, c’est une chose qui fâche, n’est-ce pas !)

Vohl contient un rire narquois qui menace de révéler la présence d’un individu peu recommandable. Les deux hommes se disputent maintenant violement, et s’échangent avec allégresse des mots doux parmi les plus imagés. Curieuse ascendance que celle des deux tourtereaux !

(Bien, bien…C’est une chance qui ne se présentera plus avant un certain temps. La situation semble propice à un petit exercice.)

Le voleur commence à s’avancer vers l’éventaire, lorsqu’il doit s’arrêter pour ne pas percuter le passant devant lui, qui vient de faire brusquement halte. Un éclair illumine le fil des pensées de Vohl.

(Mais qu’est-ce que ?! Des miliciens ! Si ce n’est pas de la veine ! Enfin, ils viennent de passer… Toute l’attention est fixée sur eux, sans que les mouvements de la foule n’aient cessé ! Il faut agir maintenant. Et en douceur.)

Le groupe de garde fend en effet les flots tel un aileron de requin déchirant l’écume : un remous qui se propage dans l’onde et se dilue dans l’animation générale. Les tabards ornés d’un arbre vert sombre, rendant le blanc qui l’entoure presque aveuglant, continuent leur traversée comme les grands prédateurs : habitude, peut-on lire dans leur regard vif mais éteint lorsqu’il survole leurs concitoyens. Comme si, pour ces derniers, les gardes représentaient une menace plutôt qu’un rempart contre la barbarie orque.

(Ce sont les messagers qui sont souvent considérés comme fautifs des nouvelles qu’ils apportent… Bande d’imbéciles… Ils risquent leur vie pour sauver la vôtre ! Ne serait-il pas plus juste que vous les acclamiez, au lieu de les prendre pour des charognards à la recherche d’une victime à étendre sur l’herbe, les entrailles rougissant le vert des prairies ? Croyez-vous que c'est par un quelconque plaisir masochiste qu'ils subissent les morsures de l'acier et du fer rouillé ? Croyez-vous que c'est pour voir des frères tomber à leur côté qu'ils marchent au pas ? Des mercenaires sans foi ni loi en manque de sensations fortes, des brutes sanguinaires asssoiffées de violence et de meurtres, est-ce là tout ce que vous voyez ? Ridicules enfants de la paix. La plupart d'entre vous s'enorgueillissent ou se lamentent de faire partie d'un pays en guerre. Mais cessez donc d'avoir peur de vos gardiens comme on a peur de ses geoliers ! Maudits ! )

La scène a soufflé sur la braise fatiguée du patriotisme de l'ancien soldat. La diatribe du voleur, nul n'en saura mot. Et sa seule vertu est d'avoir cristalisé des sentiments qui hantent Vohl autour d'une nouvelle injustice... La colère et la rage reviennent… Cette dernière est un compagnon qui lui fût fidèle pendant les derniers évènements. La rage de la vengeance. La rage de vivre. C’est un sentiment qui nourrit l’âme, et qui tient bien au corps. Tout comme le plat qui vient de disparaître sous la large manche du kimono de Vohl. L’ex-patrouilleur s’éclipse aussitôt du lieu de son larcin. Un sentiment de honte le taraude brièvement.

(Je rembourserai cela lorsque je le pourrai. Pour l’instant, je ne peux pas me permettre d’avoir des scrupules. Dès que la situation sera revenue à ce qu’elle devrait être, je comblerai mes dettes, qu’elles soient connues ou pas.)

Cela devient bientôt une certitude pour lui. S’il est obligé de vivre dans la misère, la honte et la malhonnêteté pour un temps, il se promet de revenir dans le droit chemin aussitôt que sa soif de vengeance sera calmée, et que justice sera faite. Mais pas avant. Cette promesse s’ancre dans son cœur, et ses pensées s’apaisent peu à peu. Tout en remâchant ses réflexions, Vohl relève la tête. Devant lui semble s’être téléporté un des nombreux espaces verts dont dispose Oranan. Le soleil a séché l’humidité que sa sœur s’est amusée à déposer sur les feuillages verdoyants des arbres et arbustes. Seules quelques gouttelettes subsistent sur la corolle de magnifiques fleurs violettes. Le sanrisa aux herbes lui réchauffe agréablement la paume, et les arômes épicés qui montent jusqu’à son nez en volutes de chaleur sont une tentation atrocement agréable pour son estomac délaissé. Tout invite le voleur à s’accorder un moment pour récupérer.

(Une pause ne me fera pas de mal, après tout…ce n’est pas encore demain que j’aurai ce que je désire. Ne confondons pas vitesse et précipitation. Reprendre des forces ne saurait être une perte de temps pour ce qui nous attend.)

L’homme s’engage sous une branche pour pénétrer dans ce sanctuaire verdoyant. Les rayons du soleil au zénith créent des reflets d’émeraude, le feuillage assourdit les sons venant de la rue agitée, et le lieu est si bien entretenu que l’illusion est presque parfaite : on se croirait dans une véritable forêt. Vohl profite du calme environnant pour savourer son premier plat chaud depuis près d’un mois. La viande fond sous sa langue tandis que le parfum des herbes embaume les alentours. Il passe un moment à déguster la nourriture, savourant chaque bouchée, faisant durer la moindre sensation sur son palais. Le voleur vient de finir son repas quand une personne s’engage dans la place luxuriante. Vohl baisse la tête et prend un air renfrogné pour dissuader l’individu de l’aborder. Il se lève, oubliant son bol, et avance vers la sortie de son temporaire havre de paix. Puis se fige. En un instant. Il reconnait la femme qui s’approche, et les morceaux de mémoire semblent lui revenir de loin... bien plus loin que le temps qui s'est écoulé en réalité. Une tête de moins que lui, le dos droit, les formes de son corps, rien n’a changé. Sauf son regard. Elle donne l’impression d’être fatiguée, comme si elle portait la même charge que lui, tout en s’inquiétant par la même occasion de la survie d'un être cher. Tout cela traverse l’esprit de Vohl en un éclair.

(Je n’ai plus le droit de l’impliquer là-dedans. Je voudrais tellement la rassurer pourtant… mais cela pourrait compromettre sa sécurité…)

L’envie d’adresser quelques mots à sa sœur le fait presque renoncer à la ligne de conduite qu’il s’est fixée…mais Vohl se contient. Il croise sa sœur, les yeux dans le vague, semblant réfléchir à une chose lointaine. Vohl garde le silence. Jusqu’à la sortie de la demeure végétale du moins. S’envole alors de ses lèvres, presque involontairement, un sifflement léger, trille d’un oiseau que sa sœur et lui ont souvent essayé d’attraper dans le jardin de leur oncle.

(Je ne sais pas moi-même ce que je veux…qu'elle l’entende ? Qu’elle ne s’en souvienne plus ? Qu’importe. Laissons faire la volonté de Rana…et prions pour qu’elle ne nous abandonne pas en chemin !)

Bien que troublé, le voleur ne s’attarde pas et sitôt sorti du petit parc, il se mêle à la foule, reprenant sa route vers le lieu saint. Il a repris des forces grâce au petit repas qu’il s’est improvisé, et la saveur du plat a momentanément éloigné le besoin de sommeil. C’est donc en avançant d’un bon pas que l’ynorien couvre le reste de la distance qui le sépare du temple, et bientôt, il fait face aux marches menant au sanctuaire.

Mieux vaut être seul...?

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Dernière édition par ValdOmbre le Mer 18 Mar 2015 16:03, édité 3 fois.

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 Sujet du message: Re: Rues et ruelles
MessagePosté: Mar 23 Déc 2014 20:31 
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Lorsqu’il sort du lieu de culte, Vohl tourne rapidement, afin de disparaître à l’angle du sanctuaire. La nuit est depuis longtemps tombée sur la ville, et l’ombre a fait du moindre recoin son domaine. Seule, filtrée par tentures du temple, la lumière des centaines de feux du temple de Gaïa donne un éclairage feutré à la place. Les guérisseurs, si affairés durant la journée, ont depuis longtemps déserté l’esplanade. De la foule chatoyante qui circule d’ordinaire en ces lieux, il ne reste rien. Toute trace de vie semble avoir pris congé dans l’étreinte glaciale de la nuit, et, abandonnés, restent les étals vides des marchands. Le vent a sérieusement forci depuis le début de la journée, et s’engouffre avec violence dans la cité. Les tourbillons de feuilles mortes et gelées qui en résultent bruissent en une chorégraphie harmonieuse bien qu’incompréhensible. Vohl observe le spectacle depuis la cachette qu’il s’est choisie, derrière un des troncs qui entourent le bâtiment. Il sent des bribes de chaleur, emmagasinées pendant son séjour dans le temple, qui fuient sa peau. Il tente de se contraindre à l’immobilité, alors même que l’atmosphère lui fait clairement savoir que sa présence est indésirable: mais plus que de le gêner, les morsures du froid donnent à toute sensation une clarté que Vohl n’a jamais connue dans d’autres situations. Ses perceptions lui paraissent plus fines, chaque détail semble lui crever les yeux. Ce n’est bien sûr qu’une impression mais il se sent vivant comme jamais, le froid lui décapant la peau et l’esprit. Tout en appréciant cet éveil des sens, il attend. Collé au tronc givré, il jette de fréquents coups d’œil à la sortie illuminée du temple. Il reste là, sans bouger, pendant ce qui lui semble être une éternité.

Enfin, une ombre se découpe sur le pavé, projetée par l’un des braseros de l’entrée du bâtiment. Les certitudes de Vohl sont confirmées lorsqu’une silhouette bien en chair descend les marches. Après un bref regard circulaire, l’homme apeuré presse le pas vers une destination inconnue, manifestement tout à fait inconscient de la surveillance dont il fait maintenant l'objet. Vohl tente de faire le moins de bruit possible. C’est chose aisée, d’autant plus que le vent hurle maintenant à pleins poumons sa présence au monde mortel, cette chose fragile qu’il observe depuis la nuit des temps.

(Une filature n’est pas une chose si compliquée à mettre en œuvre !)

Cela sera la première, et la dernière vantardise de la soirée pour le voleur. A peine cette phrase a-t-elle germée dans son esprit que le bonhomme, pressant le pas afin de rejoindre rapidement son chaud foyer, disparaît dans une ruelle. Dès lors, Vohl ressent toute la complexité de ce qu’il vient d’entreprendre. Pressant le pas lui aussi, il redouble de prudence afin de ne pas apparaître dans le champ de vision de sa proie. Tout en gardant un contact visuel avec sa cible. Vohl ne peut se fier qu’à ses yeux, et le ciel couvert, lacéré de nuages effilochés par la violence du souffle de Rana, empêche l'astre lunaire de servir de phare, comme il le fait pourtant si souvent par ces latitudes. Courant d’un coin de rue à un angle de ruelle, d’un angle de ruelle à un étal, jaillissant de l’étal pour trouver une cachette dans l’avenue principale, le voleur est le vivant portrait d'un pauvre diable bondissant, cherchant avec désespoir l’entrée des Enfers. Plusieurs fois, il manque de laisser choir des bibelots abandonnés ou oubliés par les marchands. L’anse ouvragée d’une chope s’accrochant à une maille de son kimono, une manche emportant une sorte de fourche miniature…

(Saletés de jouets pour enfants ! Un objet métallique pourrait ruiner toute l’entreprise ! Qu’une seule de ces babioles tombe sur le sol pavé…ça fera un boucan de tous les diables ! Autant annoncer mes intentions en jouant la fanfare ! Concentration, Vohl…concentration. Ne laisse rien te perturber. Ton unique objectif, garde le dans ta ligne de mire. Ne le laisse jamais. Tu te souviens de ce que tu as lu ?)

« La hâte sans la précipitation. Concentration et précision, alliées dans une même action. »


Les mots murmurés s’envolent pour se perdre dans les rafales qui jouent avec le toit des plus hauts monuments. Dans le même temps, prononcer quelque chose à voix haute fait reprendre conscience à Vohl de ce qu’il fait. Il réouvre les yeux et relève soudainement la tête. Son absence n'a duré qu'une seconde, mais l'imposante masse de sa cible en a profité pour se volatiliser.

(Mon marchand ! Damné crétin ! Eh bien, pour la conduite professionnelle, on repassera ! Dégénéré !)

Tout en s’attribuant ces qualificatifs respectueux, Vohl se met à courir dans la direction que suivait le gros homme d’affaire. Sa proie a disparu et le voleur regarde rapidement dans chaque ruelle qu’il dépasse au pas de course, tout en essayant de rester le plus discret possible, ce qui lui confère une démarche des plus prisée. Chez les volatils du moins.

(Il marchait à droite. Il avait traversé la rue. Peu probable que ce fut pour le plaisir : il a probablement moins d’une heure maintenant pour satisfaire aux conditions du maître chanteur. En supposant qu'il prenne le plus court chemin pour rentrer chez lui, il aura donc emprunté une ruelle à droite de cet axe.)

Abandonnant sa marche aux allures de dandinement, Vohl accélère encore, sprintant cette fois et ne jetant qu’un bref regard aux voies qui menacent de solder son exercice d’espionnage par un échec retentissant. Les rues d’Oranan se ressemblent toutes : pavées, propres…et désespérément vides. La rage saisit Vohl. Hors de question de laisser passer une telle occasion ! Collé au mur droit de l’avenue, il est rapidement hors d’haleine. Ses poumons hurlent au feu, tandis qu’il regarde rapidement dans une nouvelle rue adjacente.

(Celle-ci !)

Vohl vient de voir une ombre disparaître au fond de la ruelle. Il inspecte cette dernière plus en détail. Comme dans la majeure partie des rues d’Oranan, la propreté est de mise. D’autant plus au sein des quartiers riches, vers lesquels cette course a emmené Vohl. C’est donc dans une ruelle sans ordures ni détritus que s’engage le voleur au pas de course, en essayant de ne pas se trahir par une respiration trop bruyante. Arrivé à l’autre bout de la rue, il regarde rapidement vers la gauche.

(Personne. Quoique…L’absence de luminosité ne favorise quand même qu’à moitié un tel exercice. Fi des réflexions ! A droite, serait-ce plus convaincant ?)

Et ça l’est ! Laissant sa tête dépasser du muret contre lequel il est tapi, le voleur voit une silhouette enrobée s’engager sous le portique d’une maison cossue. Sa course touche au but. Vohl rejoint à pas de loup l’arche de la maison. Il entend l’ouverture d’une porte coulissante, puis la fermeture du vantail, accompagnée d’un petit claquement. L’appréhension le fait hésiter. Jusqu’à maintenant, il n’a volé et tué que par nécessité immédiate. S’il réitère ces actions ce soir, c’est cette fois-ci pour un objectif plus distant. Un conflit divise son âme et fait vaciller la volonté qui l’a conduit à agir de la sorte. Sa raison lui dicte de profiter de la moindre chance pour accélérer et se rapprocher de son but le plus rapidement possible. Mais son cœur, lui…

(Dois-je aller jusqu’à me parjurer…voler ceux que je me suis acharné à protéger ? Je pourrais me rendre dans une autre ville…peut-être ? Y exercer une quelconque activité, jusqu’à avoir accumulé assez pour tenter ce que je me suis promis d’accomplir ?)

Mais en même temps que ces douces rêveries lui viennent en tête, il sait qu’il ne reculera pas. Devant rien. Devrait-il tuer un innocent ce soir. Sa cause vaut le sacrifice de quelques innocents. Du moins, c’est ce dont il se persuade avant de s’engager à son tour sous l’arche de la propriété.

(Qu’est-ce qu’une mort, si elle permet à un peuple entier de vivre dans une société débarrassée du vice ?)

Et d’un pas, il tranche la question, il refoule ses doutes et les interrogations qui menacent de le contraindre à un immobilisme nuisible. Agir. Sa ligne de conduite vient d’évoluer, et de prendre en compte un nouveau paramètre. Il ne peut pas se permettre de ne RIEN faire. La situation ne changera pas seule. Elle a besoin d’un élément déclencheur. D’un catalyseur, qui renversera la vapeur avant que le peuple n’ait besoin de se soulever pour le faire. C’est une guerre de l’ombre qu’il doit mener. Une guerre qui ne sera le théâtre d’aucun mensonge, d’aucun discours inutile. Il n’a qu’un seul objectif. Couper les membres du serpent qui commence à enlacer le conseil et la république d’Ynorie. Et le premier membre qu’il coupera sera le meurtrier de son père et de son commandant.

D’un pas ferme et décidé, il pénètre dans la demeure.

Réflexions

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 Sujet du message: Re: Rues et ruelles
MessagePosté: Lun 26 Jan 2015 21:58 
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Vohl se réceptionne dans la ruelle d’une façon brutale : tandis que ses jambes amortissent la chute, une douleur fulgurante traverse le voleur. Il a atterri les pieds à plat et, dans ses chaussures légères, aucune semelle n’a atténué le choc. La sensation disparaît toutefois assez rapidement, et l’homme se concentre sur d’autres problèmes immédiats. Après avoir vérifié que personne n’a remarqué son arrivée dans l’allée, Vohl s’éloigne d’un pas rapide vers la gauche.

(La tempête sera arrivée dans quelques jours. D’ici là, le vent ne faiblira pas, et les gens vont probablement éviter de sortir dans les rues. Pas bon, ça…moins de gens dans les rues, ça veut dire une foule moins dense. Et s’il y a une chose qui ne change pas même par temps de tempête, c’est le rythme des patrouilles. J’aurai donc plus de chance de me faire remarquer. Il va falloir la jouer fine, mon garçon !)

En effet, le vent qui souffle toujours sur la cité portuaire n’a toujours pas faibli, et laisse présager plus qu’un léger évènement météorologique. Vohl pense savoir reconnaître les signes avant-coureurs d’une tornade venue de la mer. L’air qui se rue dans l’avenue que vient d’atteindre Vohl apporte embruns, senteurs d’algues, et un vague goût de sel. Dans le ciel, les nuages se sont raréfiés, poussés par un vent bien plus violent que celui qui couvre la ville. Il en reste toutefois encore assez pour donner aux cieux une allure zébrée. La lune éclaire par intermittence les voies pavées sur lesquelles circule le voleur, le guidant dans une semi-pénombre. Epuisé, tout ce à quoi aspire le cambrioleur est une bonne nuit de sommeil, paisible et récupérateur.

(Bien sûr, ce serait tellement facile de s’en remettre aux bons soins d’un aubergiste. Je m’y vois d’ici : « Bonsoir aubergiste, excusez-moi, pourriez-vous me préparer une chambre je vous prie ? Ah, et si par la même occasion vous pouviez oublier mon visage, mes traits, mes habits, bref, tout ce qui risquerait de me trahir auprès des autorités, vous me rendriez un immense service. C’est que je suis ce qu’on appelle un déserteur, voyez-vous ? J’ai quelque peu abîmé mon contrat avec l’armée oranienne, par un comportement jugé lâche –avec sévérité. Alors si vous n’êtes pas sûr de m’oublier, seriez-vous assez aimable pour me laisser vous trancher la gorge et jeter votre corps à la mer ? Vous m’éviteriez beaucoup de paperasse ! » Non mais vraiment !… Je n’ai pas le choix, je vais devoir passer la nuit dehors aujourd’hui. Tant qu’à faire, je ferais aussi bien d’aller jusqu’à la boutique ou à l’armurerie. Je dormirai là-bas, et je pourrai essayer de faire mes achats avant que les premiers habitants ne sortent dans la rue. )

Tout en réfléchissant à ces différents faits, Vohl se dirige vers l’armurerie. Tandis qu’il marche dans une rue, des sons lui parviennent, portés par le vent. Des bruits de mailles. De bottes ferrées. Des pas cadencés. Vohl s’engouffre dans une ruelle qui se situe juste à sa gauche. Il se plaque au mur, dans l’ombre alliée qui l’accueille comme une vieille amie. Puis il patiente, tâchant de calmer son pouls pendant que les pas de la patrouille se rapprochent. Une, deux, une, deux. La troupe de soldat continue invariablement sa marche. Une, deux, une, deux. La respiration de l’ex-soldat se réduit à un souffle imperceptible. Les sons de la marche s’approchent…passent devant la ruelle…continuent leur route. Un soupir de soulagement s’extirpe de la bouche de Vohl. Inaudible. Dans un petit nuage de vapeur.

« Les gars, deux secondes. »

Les bruits s’arrêtent. La patrouille vient de faire halte. Tout comme l'inspiration du voleur.

« Continuez, je vais juste pisser un coup. J’en peux plus, ça fait trois heures qu’on patrouille…L’infusion a eu le temps de passer dans les boyaux par deux fois ! »

Un éclat de rire secoue la troupe. Quelques remarques grivoises fusent dans l’air glacé.

« Va donc ! Tu nous rattraperas à la prochaine halte ! »

Le groupe de soldats reprend sa marche, tandis qu’une dernière exclamation s’offre aux oreilles de notre cambrioleur.

« Sacré Suwl ! On peut bien lui donner toutes les promotions qu’on veut, on nous le changera pas ! ‘Doit pas être facile, de vivre avec une si petite vessie ! »


Vohl s’éclipse le plus rapidement qu’il peut, espérant disparaître à l’autre bout de la ruelle avant que le patrouilleur ne s’y engage. Fort heureusement, le chemin présente rapidement une bifurcation. Vohl poursuit sa route sans prendre le temps de se poser de question : en s’éloignant de l’angle de la grande rue, il n’entend plus rien de ce qu’il se passe, et n’a par conséquent aucune idée du temps qu’il lui reste pour se mettre à l’abri d’un contrôle de sécurité. En optant rapidement pour la gauche, Vohl a bientôt la surprise de croiser un individu. Du capuchon blanc dont l’intérieur est tapissé d'un tissu noir qui semble particulièrement confortable si l'on se fie à l'épaisseur de la doublure, mal coupée et sortant par endroits du vêtement originel, qui masque ses traits dépassent quelques mèches de cheveux foncés. Vohl n’a guère le temps d’en voir plus : l’individu, qui avait légèrement relevé la tête, probablement pris par la même surprise que Vohl de croiser quelqu’un par un tel temps et à une telle heure de la nuit, a de nouveau fixé son regard au sol après une brève inspection du profil de l’ancien soldat. Une certaine exaspération quant aux contrariétés, aux embûches qui se dressent sur son chemin, l’envahit soudain. Jusqu’à maintenant, il a su composer avec ce que le ciel et ses divins habitants lui envoyaient.

(Mais pour combien de temps ? La chance finit toujours par trahir ceux qui se reposent sur elle. Dois-je me préparer à subir les facéties des dieux tout au long de ma traque, alors qu’elle ne fait que commencer ? J’ai foi en Rana. Mais je sais aussi que certaines divinités n’apprécient guère que l’on bouleverse l’ordre habituel des choses. Dame Rana. Saurez-vous convaincre votre père de la nécessité de mon action ? Je ne saurais m’opposer à la volonté d’un dieu, en plus des mœurs d’une nation. Venez-moi en aide !)


Tout en faisant cette prière, une autre pensée, plus brute, fait son apparition sous le crâne du voleur.

(Mais c’est pas vrai ! Ils se sont passé le mot pour contrarier tout ce que j’entreprends, aujourd’hui ? Depuis quand les gens se promènent-ils dans les petites rues les nuits de tempête ? C’est quand même quelque chose de formidable ! Il n’a pourtant pas l’air d’un mendiant celui-ci !)


Il est vrai que le port de l’individu qu’il vient de croiser semble crier que l’homme n’a absolument pas sa place en ce lieu, en cet instant. Le dos droit, les épaules voutées assez pour qu’on ne voie pas son visage, assez peu pour qu’on comprenne aisément que cette posture ne lui est pas encore une habitude. Même la tenue qu’il porte ne lui facilite pas l’intégration dans ce cadre. Une capuche d’un blanc légèrement grisé, l’habit dont les plis sont encore marqués… Autant de choses qu’inconsciemment l’esprit de Vohl a su analyser, avec le même brio dont il éblouissait ses professeurs pendant ses classes martiales. Intrigué, Vohl ralentit après le passage de l’homme encapuchonné. Par un regard en coin, Vohl voit l’individu s’engager dans la ruelle que lui-même vient de quitter. Le voleur s’interroge brièvement sur le fait de le prévenir qu’il risque de tomber sur un garde. Quelque chose le retient. Probablement la même chose qui le pousse par la suite à se poster au coin de la ruelle, pour observer l’individu se démener pour trouver des excuses afin de justifier sa présence par nuit de tempête, dans une ruelle servant de commodité à un soldat de la patrouille d’Oranan.

(Plaisir sadique, certes, mais cela me fera du bien…ça me libèrera d’un peu de la tension des dernières heures. J’en ai bien besoin…et puis pour être ici à cette période de la nuit, l’homme ne doit pas être tout à fait clair…ça me soulagera un peu de le voir lutter avec les forces de l’ordre. Et puis, en un sens, ça me rassurera de voir qu’il reste un ordre solide à Oranan ! Au moins, cela prouvera que la cité est entre de bonnes mains sur la question de la protection des civils!)

Vohl est maintenant adossé au mur, le plus près possible du croisement des rues. Il s’étonne de ne pas avoir encore entendu un garde s’étrangler de colère ou un l’homme lâcher des excuses en bredouillant. Il se tourne, et, inclinant la tête, il observe d’un œil la situation. Se pétrifie. Le garde se tient à une distance respectable de l’autre homme, et lui tend deux rouleaux de parchemin. L’inconnu s’en saisit rapidement, semble vérifier promptement la nature des documents avant d’acquiescer et de jeter une bourse à l’homme de garde, bourse qui tinte par ailleurs bruyamment lorsqu’elle heurte le plastron du soldat. Vohl se fige.

(Un traitre ! C’est un de ces traitres ! La vermine qui corrompt la civilisation Oranienne…une autre tête qu’il faudra faire tomber !)

Le temps manque au voleur pour approfondir sa réflexion, car déjà les deux hommes, après un bref salut, prennent congé l’un de l’autre. L’inconnu emprunte de nouveau le chemin qui le mène vers Vohl. Ce dernier n’a pas le temps de s’enfuir par une autre ruelle. L’homme le verra avant qu’il ne puisse se jeter dans le plus proche passage. Son cœur accélère ses battements, pendant que l’anticipation fige chacun de ses muscles. Il n’y a pour notre voleur plus qu’une issue. Un pressentiment qui nait au fond de ses entrailles, une sorte d’écho de sa première impression sur l’individu qui approche. Il va devoir lutter. Pour survivre. Il ne peut pas se permettre de laisser la moindre chance lui échapper. L’homme semblait familier des transactions douteuses, et appartient sans doute au monde des marchandages inavouables, des menaces ouvertes et des combats de rue depuis bien plus longtemps que Vohl. La tension le paralyse toujours, ne reflétant rien de la tempête de peur, d’appréhension, de colère qui se déchaine en lui. Des dizaines de plans, de pronostics, de scénarios traversent son esprit…traits acérés, n’ayant rien en commun que la froide pâleur revêtant leur mortelle conclusion.

Au moment où une jambe de l’homme rentre dans le champ de vision du voleur, Vohl donne un formidable coup de griffe, de bas en haut. Les lames fendent le tissu, et mordent la chair de l’individu, qui pousse un cri de douleur avant de sauter par réflexe en arrière, s’éloignant des tranchants meurtriers. Il saisit la poignée de l’arme qui pend à sa ceinture. La lumière de la lune transperce parfois la voute de nuages déchiquetés par un vent violent, qui fait claquer les vêtements des deux antagonistes qui se regardent désormais en chiens de faïence. L’attaque qu’a portée Vohl à son opposant semble avoir porté suffisamment pour amoindrir les capacités de ce dernier : il fait reposer son poids sur sa jambe gauche, et cela se voit nettement dans son maintien. Le sabre qu’il a dégainé jette des reflets d’acier lorsqu’il avance le plus vite qu’il le peut vers Vohl. Celui-ci reprend d’instinct la position de garde qui lui était si familière pendant ses classes martiales. La lame n’est pas la même, mais qu’importe : il doit se l’approprier…faire sienne l’instrument qui lui permettra d’accomplir son but. Les armes se croisent, les bruits du métal heurtant le métal envahissent la ruelle. Les lames chantent dans les échanges de coups, de parades, discordants accords dans le souffle du vent, échardes sonores lorsqu’une des lames heurte les pavés. Lame contre lame, volonté contre volonté, le duel s’éternise. La blessure de l’homme puise dans ses forces, l’affaiblissant à chaque instant. Il en a conscience. De l'autre côté, Vohl compense son manque d'habileté vis-à-vis du maniement de sa griffe par la rigueur et la précision militaire de ses attaques et parades. Malgré sa connaissance dans le domaine des lames, manier une arme aussi particulière qu'une griffe ne s'apprend pas en un jour, et Vohl le paie à plusieurs reprises. Il a récolté un certain nombre de blessures, mais rien qui ne l'handicape réellement: une estafilade sur l'extérieur du bras, un coup d'estoc a mordu dans la banderole, mais la fluidité de Vohl reste pour l’essentiel intacte. L'équilibre des forces et des faiblesses des deux hommes cantonne le combat à un échange de coups... l'opposition s'éternise, et sa fluidité initiale se mue progressivement en ahans sourds et en échanges désorganisés. Ce qui devait tourner en combat de rue a finalement tourné en duel d'escrime, pour la plus grande fortune de l'ancien soldat, qui se fatigue moins rapidement que son adversaire. C'est probablement une réflexion assez proche de celle-ci qui pousse l'inconnu à prendre une décision. Il décide de tout miser sur un dernier assaut. L’acier calme son chant pendant quelques instants, tandis que l’homme se replie sur ses positions, reprenant sa respiration pour canaliser sa volonté. Vohl raffermit sa garde. Au prochain échange, une vie en volera une autre. Le mystérieux duelliste ignore la douleur de ses blessures pour se précipiter vers Vohl. Le sabre cliquette sur le revers des griffes, avant de heurter le sol. L’homme a abandonné son arme pour passer la garde de l’ancien soldat. Vohl voit trente-six chandelles. En se rapprochant de lui, l’homme a réussi à lui assener un puissant coup de tête ! Le monde tourbillonne autour du voleur, qui s’effondre comme une masse, perdant pour quelques instants les sens qui le rattachent au monde matériel. Lorsqu’enfin le faible éclat de la lune revient frapper les pupilles de Vohl, son adversaire s’est éloigné de quelques mètres, claudiquant, s’appuyant sur le mur afin de soulager sa jambe blessée. Tandis que notre homme tente de se relever, grognant, encore quelque peu étourdi par le choc, l’inconnu lance un regard en arrière. Le piètre spectacle duquel il est le témoin doit lui faire de l’effet: il allonge le pas autant que sa blessure le lui permet, et tâche maintenant de courir jusqu'à ce qu'il soit en mesure de s’engager dans une rue annexe qui le ferait disparaître aux yeux de Vohl.

Une telle issue est cependant dans l'immédiat hors de portée, et même s’il se presse, il n’y sera pas avant une bonne quinzaine de secondes, titubant à cause de sa jambe blessée, qui se dérobe sous lui à chaque pas. L’homme tient bon, néanmoins. Il avance régulièrement et si le voleur est soulagé d’être encore en vie, que l’autre le soit aussi ne présage rien de bon : un ennemi et un traitre dans la nature a tendance à diminuer drastiquement votre espérance de vie, selon l’expérience amère de Vohl. Le bouillonnement de son âme lui hurle que sa survie passe par la mort de cet homme. Vohl sent la tension qui s’accumule au niveau de son poignet, sa force se concentre dans les doigts qui ne font plus qu’un avec les griffes. Instrument de mort, sa main s’abat vers le sol, libérant l’énergie sauvage, lames invisibles projetées avec violence qui lacèrent le crâne de l’homme en fuite, créant de sanglants sillons jusqu’à la septième cervicale. La jambe droite de l’homme le porte une dernière fois avant de renoncer devant la difficulté de la tâche, et l’inconnu s’effondre dans la ruelle, souillant par son sang le mur beige, lignes sombres sur la surface claire encore plongée dans l’obscurité, traces éphémères d’une vie qui s’enfuit, lavées par la pluie.

(Un homme de vice en moins dans cette cité. Cette mort n’était pas vaine. Il faut quitter les lieux au plus vite, maintenant. Récupérons ce que nous pouvons, et dépêchons nous de rejoindre l’armurerie.)

Après s'être penché sur la dépouille pour s'approprier ses possessions terrestres qui lui semblaient en état d’être utilisées et les avoir rangées dans son sac, Vohl se met de nouveau en route vers l’armurerie, maudissant les traitres à chaque fois qu’une blessure le lance. L’excitation du combat disparaît sous la pluie fine qui saupoudre les pavés, les vêtements et les cheveux, et Vohl se blottit dans le manteau bien rembourré du marchand dans l’espoir de se protéger du vent et du froid qui parcourent les rues. Arrivé à destination, toujours blotti dans son vêtement, le voleur s’abrite en s’enfonçant le plus qu’il le peut dans le renfoncement formé par l’encadrement de la porte du magasin. Il jette un bref coup d'œil sur les objets récupérés sur le cadavre de l'inconnu, et reste un instant perdu dans ses réflexions devant ce qui semble être un plan. Il ne cherche cependant pas à s'interroger plus avant... la fatigue le rattrape de nouveau, et Vohl se sent glisser dans une douce torpeur. Resserrant une dernière fois les pans de son vêtement, il ferme les yeux. L’épuisement ne tarde pas à de le terrasser, et c’est dans cet inconfort relatif que s’endort Vohl, glanant ainsi avant l'aube quelques heures d’un sommeil sans rêves.

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 Sujet du message: Re: Rues et ruelles
MessagePosté: Mer 4 Fév 2015 02:32 
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Une fois versée la somme demandée par Takoido, Vohl sort de la boutique, ses achats à la main. L’amélioration de son matériel n’a pas pris autant de temps qu’il le redoutait au début. C’est en tout cas ce que lui laisse penser le soleil pâle qui monte doucement dans le ciel derrière un voile de nuages gris. Les rues se sont peuplées depuis l’aube : sans aller jusqu’à une foule dense comme lorsque Vohl s’était échappé de sa prison de parchemin, il y a quelques jours, le soldat de carrière voit maintenant quelques individus, de petits groupes épars lorsqu’il arrive dans la grande rue. Le vent ne s’est pas calmé, soufflant encore sur la ville comme un dragon en colère. La tornade est pour bientôt. Une douleur sourde immobilise Vohl tandis qu’il marche à grands pas dans les ruelles de la ville portuaire. Les blessures du voleur le brulent…il n’a pas pris le temps de s’en occuper après le combat, bien trop fatigué pour se soucier de l’état pitoyable dans lequel il laissait son pauvre corps plonger dans un sommeil réparateur.

(Pourvu que les blessures ne s’infectent pas !)

Et avec cette réflexion en vient naturellement une autre.

(Dieux…dites-moi que sa lame n’était pas empoisonnée ! Non. C’est peu probable : il semblait peu formé, et un poison qui n’agit qu’au bout de plus de 4h est un poison inutile dans un combat…à moins d’être particulièrement vicieux.)

Par précaution plus que par crainte réelle, Vohl avale une gorgée de la préparation curative récupérée chez Mosthel, son ex-potentiel ami marin. Le goût de la potion est sirupeux, sucré, avec une touche d’acidité typique des nèfles, qui rend le breuvage assez rafraichissant. Le voleur ne reconnait toutefois pas tous les goûts de la décoction. Cependant, un léger vertige le prend après qu’il ait fait quelques pas, en même temps qu’un picotement au niveau de ses plaies.

(Il préparait seul ses mixtures, je suppose. Il devait mettre des ingrédients qui lui plaisaient dans ses préparations. Eh bah mon petit Vohl, tu viens de gouter à ta première rasade d’une boisson multiculturelle ! Quand t’auras fini de te cajoler, tu pourras peut-être recommencer à te concentrer ?)

Le voleur parcourt rapidement quelques étals du regard, regardant rapidement si l’un des marchands n’aurait pas une écharpe ou un quelconque vêtement qui puisse lui abriter le cou et par la même occasion lui cacher une partie du visage. Plusieurs marchands ont des articles qui répondent aux besoins de Vohl, mais dont les associations de couleurs sont de véritables affronts au bon goût.

(Du vert et du rose ? Le vert d’accord, nous sommes à Oranan. Et puis c’est une belle couleur, le vert… le vert de la chance, de l’espoir et de la sérénité…tout ce qui est essentiel dans la vie, en somme. Le vert est vraiment une couleur formidable. Mais avec du ROSE ? Du rose… On devrait être récompensés pour bruler les étals qui présentent de telles monstruosités. Ils risquent de rendre quelqu’un aveugle avec leurs âneries !)

C’est dans cet état d’esprit que Vohl poursuit sa route, ballotté entre le bougonnement, l’humour et le sérieux. Quelque chose, sans qu’il sache quoi, le met d’humeur à la fois guillerette et ronchonne.

(Sans doute le décalage entre ce que je souhaiterais faire, là, ici et maintenant, et ce que je finis par faire… des courses. Mais un combat non préparé est un combat perdu. Allons donc nous occuper de cela.)

Penser aux achats qu’il doit encore réaliser lui remet d’ailleurs en mémoire le bref échange avec l’armurier.

(Les dieux seuls savent si cette chose me sera utile, mais enfin. Ça ne coute rien d’essayer et puis dans le pire des cas…on aura perdu en tout et pour tout une vingtaine de minutes. On n’est pas pressés à ce point-là. Entre adaptation et procrastination, les maux viennent bien du second !)

Riant à cette petite rime, Vohl décide finalement de continuer sa matinée de préparation selon les recommandations de l’armurier afin d’identifier la rune, et se dirige vers la seule boutique importante qu’il n’a probablement jamais cherché à connaître. Et qu’il n’aurait jamais songé à approcher sans ces évènements malheureux.

(Ah…voilà…je redeviens moi-même.)

Les rues et les ruelles s’ouvrent devant lui, salles d’études et couloirs de l’école de sa nouvelle vie. Il ne tarde pas à arriver au niveau d’une boutique d’apparence engageante, dont le nom semble bien correspondre avec ce qu’on lui a indiqué.

Paré 3/6

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 Sujet du message: Re: Rues et ruelles
MessagePosté: Dim 8 Mar 2015 14:37 
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Sur le parchemin récupéré par Vohl, il est écrit :

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 Sujet du message: Re: Rues et ruelles
MessagePosté: Sam 14 Mar 2015 17:33 
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De nouveau dans la rue, Vohl se sent un homme neuf. Sale, souillé par la nuit, épuisé par le rythme des derniers jours, sans le yu, déshonoré aux yeux de ses anciens camarades d'armée, meurtrier, assassin et voleur – pas nécessairement dans cet ordre –, certes, mais neuf. Avec le renouveau de son équipement vient celui de sa résolution. Un sentiment de puissance. Une passion retrouvée. La foi crédule que rien ne lui arrivera et la volonté farouche qu'il saura mener son projet à bien. Une sensation de bien-être qu'il n'oubliera pas de sitôt, et qui vous réchauffe les entrailles. Une conviction restaurée. Au contraire de son estomac qui proteste à grands cris contre la diète à laquelle il est soumis.

(Je n'ai rien avalé depuis hier matin. Je dois trouver quelque chose à me mettre sous la dent.)

C'est un fait : ses réserves de nourriture sont drastiquement réduites, et après ses acquisitions à la forge, le pécule dont disposait le voleur a fondu comme de la neige au soleil.

(L'éternel problème : ce que veut le mendiant, c'est en réalité de la nourriture. Ce que lui donne le passant, des yus sonnants et trébuchants. Moralité : on devrait tous payer en cacahuètes! )

Seulement, même cette monnaie de singe, Vohl n'en dispose pas! Dans les rues, le vent et la température en chute libre ont su repousser les moins pugnaces des marchands. Seuls les plus acharnés, ou les plus désespérés, continuent de vendre leurs articles. Et si les premiers possèdent ce que convoite Vohl, ils sont pareils à des taverniers : ils notent chaque visage qui regarde leur étal avec envie, et couvent d'un œil jaloux leur marchandise, en se tenant derrière leur comptoir. Le jeune voleur ne se sent pas l'expérience de défier pareils adversaires. Quant aux pauvres hères qui ne sont là que par désespoir, un bref regard à leurs articles suffit pour convaincre le voleur qu'il ne trouvera rien. Vohl laisse donc derrière lui ces étals. Il est évident qu'avec le peu de moyens dont il dispose, il ne peut espérer un repas digne de ce nom. Lorsque ses entrailles font entendre un grondement profond, Vohl se décide tout de même à amenuiser encore son capital nourricier. Il ne reste plus au voleur qu'une dernière bouchée de pain ranci et quelques miettes d'un biscuit sec, que Vohl regarde avec pitié avant de leur offrir une fin décente.

(Maintenant, il s'agit de ne pas mourir de faim! … Comment vais-je bien pouvoir me débrouiller? Enfin, là n'est pas la vraie question : je sais comment je vais essayer de me débrouiller... La question est: y a-t-il la moindre chance que j'y parvienne!?)

Plongé dans ses réflexions, Vohl poursuit sa route vers les quartiers pauvres de la ville. Là-bas au moins, fondu dans la masse des mendiants, il n’attirera pas l’attention des gardes. Les rues sont bien trop vides ici pour espérer passer inaperçu. Le vent qui s’engouffre dans les artères désertes fait voler les draperies accrochées aux façades des bâtiments, fait plier les arbres minces et effeuillés, jongle avec les feuilles colorées. Le bruissement des feuilles fait penser Vohl à celui des parchemins de la bibliothèque, et soudain lui revient en tête le parchemin qui se trouvait sur sa dernière victime. Une page qu’il avait précipitamment fourré dans sa besace sans y faire particulièrement attention, plus préoccupé par ce qu’il venait de faire et par l’idée de s’enfuir à toutes jambes que par un vulgaire bout de papier. Vohl s’engage dans une nouvelle ruelle déserte.

(Que faisait un espion avec une feuille remise par un garde corrompu ? Tu parles d’un suspens ! Une faiblesse au niveau militaire. Ou un marché. Voilà ce que contient le parchemin !)

Tout en fouillant dans sa sacoche pour y retrouver le papier récalcitrant, les pensées de Vohl se tournent vers l’intérêt que cette feuille présente pour lui.

(Et après ? Un groupe de bandits va débarquer, voler quelques richesses, au nez et à la courte barbe des gardes ? Qu’est-ce que ça peut bien me …)

« Ah ! La voilà ! »


Vohl se pétrifie. Une statue dont les traits sont envahis par une surprise mêlée d’un soupçon de dégoût. Le contenu du parchemin va au-delà de ce qu’il avait imaginé. Les implications du message fusent dans la tête de Vohl comme autant de feux d’artifice d’Uzuki, la couleur et l’émerveillement en moins, le danger et la peur en plus. Assassiner. Daïgo Genkishi. Omyre. Les quatre mots dansent dans l’esprit de Vohl dans une chorégraphie sombre et monstrueuse. Le nom de la cible trouve un écho dans la mémoire du voleur. Un visage jeune, au côté de celui, plus fripé, de son oncle. Une soirée, où les deux hommes discutaient autour de la table de la maisonnée.

(Je devais retenir les arguments de la discussion, et en saisir les tenants et les aboutissants… un exercice passionnant de l’analyse des jeux politiques à Oranan. C’est ce qu’en disait Rengher, en tout cas !)

Vohl fouille dans ses souvenirs. De quoi discutaient-ils ? En tant qu’alliés ? En ennemis ? Le visage calme qui lui est revenu en mémoire ne semble pas coller avec un homme emporté. S’il s’était opposé au discours de Rengher, il l’avait fait en douceur, en mesurant ses propos.

(Par les Enfers ! De quoi discutaient-ils ?)

L’exaspération commence à gagner le jeune homme. Lui qui a brillé par sa mémoire dans des exercices dont il n’avait que faire à l’époque, voilà qu’elle lui fait défaut lorsqu’il la sollicite ! Le voleur tâche de se concentrer. Reprenant les méthodes de méditation de son enfance, il s’assoit en tailleur sur les pavés froids et encore humides de la bruine nocturne. Son monde disparaît pour laisser place à celui de ses souvenirs. Les secondes s’étirent, et Vohl ignore le froid qui les remplit pour glisser, lentement, au plus profond de ses souvenirs. Les images lui reviennent de plus en plus nettement. Un profil agréable malgré un nez un peu busqué et une large tâche de naissance, qui apparaît par l’encolure du manteau ornementé de fils d’or. Une broche à l’encolure, représentant une sorte de serpent. La scène se construit petit à petit dans l’esprit de Vohl. Rengher et le conseiller s’approchent, se saluent. Le conseiller est légèrement plus grand que son oncle. Ils ont pris place dans le décor recomposé de la grande salle, dans la maison des Del’Yant. Néanmoins, une chose manque aux souvenirs de Vohl. Le son. Les seules paroles que Vohl distingue sont celles que le vent lui souffle avec force dans l’appareil auditif. Notre voleur se recentre sur ses pensées. Si l’homme a le sourire aux lèvres et les yeux rieurs, rien n’exclut que ce soit un formidable acteur ; et c’est le cas de bon nombre de conseillers… Les deux hommes sont maintenant côte à côte, et discutent avec calme. Ils semblent tomber d’accord sur un point de leur échange, et marquent une petite pause avant de reprendre leur discussion. Au grand dam de Vohl qui ne dispose, une fois encore, que de l'image. L’ex-soldat renonce à sa concentration et se remet debout. Sa mémoire lui joue des tours, ce n’est pas la peine d’insister.

(Plutôt que de nous obstiner, cherchons un autre moyen de savoir si cet homme est un ennemi, un allié… ou un allié-ennemi, d’ailleurs. On peut écarter la piste de l’ennemi de base assez facilement…si Omyre veut sa mort « parce qu’il en sait trop », il est évident que c’est un allié. Mais un allié de quel bord, là est la question… Pas la peine de lui venir en aide si c’est pour sentir une lame me chatouiller le palpitant pendant que je m’acharne à l’aider. Enfin, si je pouvais éviter cette situation dans n’importe quel cas…j’apprécierai !)

Plongé dans ses pensées, Vohl arpente de nouveau le réseau d’Oranan.

(Reprenons synthétiquement : quoi que je décide de faire, il me faut l’entreprendre avant la prochaine pleine lune… Ce qui me laisse…26 jours. Je devrais pouvoir me débrouiller, au moins pour pouvoir le mettre au courant de la menue menace qui plane au-dessus de sa tête… La grande question, c’est plutôt de savoir s’il me croira. Un renégat qui vient avertir d’un attentat, faut admettre, c’est pas courant. Et encore, ça c’est dans l’éventualité où j’arrive à lui parler seul à seul ! Parce que si je me fais découper par la garde avant même d’avoir pu l’appeler… Cela vaut-il vraiment le coup ?)

Vohl est tiraillé. Par la manche. Il se retourne avec vivacité. Une petite tête entourées de boucles noires le dévisage avec insistance, et les grands yeux semblent le supplier de faire quelque chose qu’il ne parvient pas à comprendre.

« Qu’est-ce qu’il y a, petit ? »

Un minuscule croissant de lune argenté orne le menton de son interlocuteur pour l’heure encore muet. Ses pensées s’envolent alors vers le dernier groupe de joyeux drilles qu’il a croisé et dont chaque membre arborait cet infâme ornement : sans doute symbole d’un esclavagiste peu recommandable et dépourvu de toute morale, pour faire ainsi le commerce d’enfants.
Quelle que soit la justesse de ses suppositions, l’enfant ne daigne pas répondre à sa question, et tente de l’entrainer avec une force insoupçonnée – et un regard vert et suppliant, arme dont l’efficacité a déjà fait plier plus d’un lourdaud – dans une direction précise.
Après avoir essayé d’en apprendre un peu plus, Vohl renonce devant le mutisme de son kidnappeur précoce. Il est vrai aussi que le fait de revoir la bande de joyeux lurons croisés quelques jours auparavant l’émoustille et lui fait perdre quelque peu la notion des priorités. Le souvenir qui paraît si lointain à Vohl ne date pourtant que de quelques jours, et s’il a aperçu de temps à autre une tignasse dorée dans les rues les jours précédents, rodant autour des étals, rencontrer de nouveau ces petites têtes blondes mettrait un peu de chaleur dans cette journée venteuse.
C’est donc en souriant qu’il emboite le pas à son prochain.

Le petit bonhomme aux cheveux de jais l’emmène au travers des ruelles, empruntant des tours et des détours, à tel point que même Vohl, qui a pourtant grandi dans cette ville, en perd son sens de l’observation. Murs, maisons, rues, ruelles et prétendues impasses apparaissent pour disparaître aussi tôt au détour d’une nouvelle allée. Le voleur cesse de lutter contre la désorientation qui l’envahit. Dans un semblant de résistance, il répète néanmoins la question qu’il a déjà posée à l’enfant tacinurne.

« Ginta-chan, où m’emmènes-tu ? »

Comme si la réponse avait la moindre importance. Vohl est ici, balloté entre un destin qui lui laisse peu d’espoir et la main d’un enfant. Cette main, il la tient comme un blessé s’accroche à sa blessure. Comme un homme perdu en mer s’accroche au bout de bois flottant. Comme un homme dont le futur lui glisse entre les doigts. Bientôt, c’est lui qui tient la main de l’enfant plus que l’enfant ne tient la sienne. Il cesse de ponctuer leur course de son assommante question.
Le rythme des obstacles, des bifurcations et des portes dérobées commence à ralentir. Le but de l’enfant se rapproche. Un dernier virage, une dernière allée. Une grille. Une grille menant aux égouts, révélée par le jeune garçon, qui a écarté une pile de caisses vides. L’enfant attrape les barreaux métalliques, et soulève celle-ci apparemment sans le moindre effort. Vohl s’interroge sur le miracle d’un gamin qui soulève sans problème une grille sensée être scellée depuis des siècles. En y prêtant un peu plus attention, et en s’extirpant du brouillard de fatigue qui accompagnait sa torpeur tout au long de sa course, il remarque que les pierres auxquelles sont attachées les barres de la grille sont soit descellées, soit brisées. Pendant que Vohl s’interroge sur ce qui a pu briser ces grilles censées être magiques, l’enfant s’impatiente et lui fait signe de le suivre. Ce diable de gamin se glisse ensuite dans le conduit, après avoir lancé un dernier regard à Vohl.

(Hem. Je ne voyais pas ça comme ça… Tu veux que je rentre là-dedans, petit ?)

La conduite, qui s’enfonce dans les fondements de la ville, cache ses secrets dans un voile noir d’encre.

(Pourquoi ? Que vais-je trouver dans ce souterrain ? Une bande de gosses ? Ou les mercenaires qui t’ont payé deux yus pour amener ici celui qui a eu le malheur d’intercepter leur message ?)

Un souvenir remonte à la surface pendant que Vohl pense à cette dernière éventualité : le forgeron, reposant deux yus sur un comptoir, et déclarant avec conviction : « Vous avez mis deux yus de trop, ce n’est pas une grosse somme, mais elle vous appartient ! ». La vie tient parfois à si peu de choses…Une promesse…Une amitié instinctive…Une confiance mal placée…Pourquoi risquer sa vie bêtement, au lieu de poursuivre son projet, de maintenir les yeux braqués sur son objectif ?
Alors que Vohl s’apprête à faire demi-tour, la figure de l’enfant surgit du trou sombre, et fixe Vohl, agitant les bras de façon chaotique pour faire signe à Vohl de presser le mouvement.

(Pourquoi ne me dit-il pas tout simplement de me dépêcher pour telle ou telle raison ? Remarque… Au moins ainsi suis-je le seul juge, isolé d’informations extérieures troublées, biaisées, inexactes.)

Fin Prêt

_________________
"Enchanté: Vohl Del'Yant, Humain d'Ynorie, Voleur...Pour me servir!"


Dernière édition par ValdOmbre le Mar 28 Avr 2015 14:31, édité 3 fois.

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 Sujet du message: Re: Rues et ruelles
MessagePosté: Jeu 19 Mar 2015 00:16 
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<--- Mis en garde par le regard des gardiens de la porte, j’accélérai mon pas et cherchai un endroit où disparaitre pour la nuit. Nous étions en pleine après-midi mais les rues me semblèrent soudain très vides. Seuls quelques mendiants occupaient encore les rues, leur seule demeure à vrai dire. Soudain, je sentis une présence qui m'observait. En me retournant, personne.

(Kym ?)

(Toi aussi tu l'as senti ? Comme si on nous observait ?)

(Je n'aime pas ça, pas ça du tout)

Désormais, chaque personne qui me regardait me semblait suspecte, chaque personne qui bougeait me semblait vouloir se diriger vers moi. Mais en fait, aucune d'elles ne s'intéressa vraiment à moi.
D'un seul coup, un groupe de cinq personnes vêtues de vêtements en cuir sombre arrivèrent dans la rue en courant.

- Attention, la milice arrive !

- Cachez-vous tous, ils cherchent un mec qui s'est échappé d'un convoi de prisonniers et ils n'ont pas l'air content, ils arrêtent tous les gens suspects !

L'un d'eux s'approcha de moi rapidement :

- Toi par exemple, fais gaffe, avec tes blessures, tu as pas l'air net. C'est pas mes affaires mais eux, ils vont pas te rater !

- Merci de me prévenir mais où est-ce que je pourrais me...


Je n'eus pas le temps de finir ma phrase, un grand bruit retentit à l'autre bout de la rue.

- La milice est là, courrez !

Il n'en fallut pas moins pour que je prenne mes jambes à mon cou. Je courrais dans les rues sans vraiment avoir de directions, de façon complètement erratique. Mais soudain, à l'angle d'une rue, j'entendis :

- Fouillez partout, il nous le faut ! Prenez des avis de recherches et interrogez les gens !


Puis, ils se séparèrent et l'un d'entre eux venait dans ma direction. Cherchant des yeux un endroit où me cacher, je tombai sur cette auberge. Je n'avais plus le choix, je rentrai. --->

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 Sujet du message: Re: Rues et ruelles
MessagePosté: Dim 22 Mar 2015 14:01 
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La nuit est bien avancée maintenant et la porte de la taverne s'ouvre plusieurs fois, laissant s'échapper des rires, des cris et des tintements avant de les happer aussitôt. A l'extérieur s'en suit des grognements enivrés, des restes de discussions animées et alimentées par l'alcool et l'ambiance mais vite vaincues par la fatigue, l'air frais et cette fichue pluie qui ne s'arrête pas.

Et enfin j'entends la voix de la fouine. Finis l'attente, je vais bientôt pouvoir quitter cet accoutrement. Les autres lui répondent dans leur "bovinage" naturel sur un ton autoritaire … et menaçant. Ce qui n'est pas normal vu qu'il était censé avoir racheté définitivement sa dette.
Il marche dans ma direction mais derrière lui résonnent deux mots, hurlés pour traverser le son de la pluie.

- Trois jours !
Encore deux mots qui me font grincer des dents, tant l'envie de libérer le monde de cette larve devient oppressante.

Quand le profil de Shou-Hsing passe mon champ de vision, je l'attrape par le col, l'emporte dans ma ruelle et le colle au mur, loin du regard des deux autres trafiquants. Il empeste l'alcool et ne semble même pas me reconnaître sur le moment. Il lève les bras pour se défendre, prétextant qu'il n'a plus d'argent et implore mon indulgence.
Ce sac à merde se croit victime d'une agression alors que quelques heures avant je l'avais prévenu que je ne le quitterais pas d'une semelle et que rien de ce qu'il allait faire ne m'échapperait.

- Qu'est-ce tu m'fais là … trois jours pour quoi faire ?
Au son de ma voix, et à mon plus grand plaisir, il pâlit et se décompose en réalisant qu'il s'agit de moi. Il marmonne entre ses dents des semi-excuses, des explications ne faisant que confirmer son inutilité navrante. Je lui file deux trois baffes, le fais pivoter face au mur et lui écrase le visage contre avant de reposer ma question, plus lentement.
- Pou eur appoter le heste.
Difficile d'avoir une prononciation impeccable avec la moitié du visage écrasé mais je n'ai guère besoin d'une traduction. Et lorsqu'il fait mine, la seconde d'après, de s'essayer à une nouvelle série de marmonnements plaintifs, je lui éclate la tête contre le mur. Il tombe à terre, inconscient mais en vie. Et pendant une seconde, une petite seconde d'égarement frivole ; l'envie de le laisser ici la bouche ouverte me titille … après tout, y'a bien moyen de mourir noyer dans cette position, non ? Mais je pousse son corps à l'abri avant de détaler, dans la rue de la taverne pour rattraper les deux trafiquants.


Il n'y a pas loin à aller pour les retrouver, ils marchent et suivent la rue principale du quartier, reliant la partie sud des docks aux tavernes et auberges que les manœuvres des quais et des navires préfèrent au reste de la ville.
Mais quand je les rattrape à un croisement après avoir couru sur plusieurs venelles étroites en parallèles d'eux, ils ne sont plus devant mais derrière moi et, ne sont plus seuls.
D'un bon je me faufile dans la minuscule allée d'où je venais.

- Merde merde merde, et merde !! Quelle putain de soirée de merde.

Dans la rue adjacente gît un corps, celui d'un milicien, un patrouilleur de l'intérieur comme on a l'habitude de les appeler dans ce genre de quartier, vêtu de son armure de cuir, renforcée de spalières courtes et de protection aux jambes.
Un deuxième est encore debout, face à la blonde au bandeau et au chauve. Ce n'est pas bon, pas bon du tout. Les deux malfrats sont ma seule piste et j'aurais pu profiter de l'occasion pour y mêler la milice, sans que l'autre m'accuse de vouloir faire écrouer son fils … mais pas dans ces frusques. S'ils se font arrêtés ou tués, je vais encore devoir faire avec l'autre gland, ça ne me plait pas mais, parti comme c'est parti, ce qui risque d'arriver me plait encore moins. Puis-je réellement rester là sans bouger, à observer mes compatriotes se faire assassiner par des salopards d'étrangers, et repartir tranquillement, en marchant sur leurs cadavres ? A Kendra Kar oui, pourquoi pas … mais pas ici. Ici c'est ma ville, mon terrain de jeu, pas le leur.

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Dernière édition par Madoka le Jeu 2 Avr 2015 01:50, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Rues et ruelles
MessagePosté: Dim 22 Mar 2015 14:11 
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Un sifflet vient soudain briser le flot de mes cogitations. A peine audible. Presque un gargouillis … mais au lourd accent de commandement.
Celui à terre a encore quelques réserves ; suffisamment pour essayer d'appeler la cavalerie.
Advienne que pourra, j'enfile la cagoule puante sur ma tête et entre dans la danse même si je n'ai pas pris mes armes. J'arrive sur eux dans l'ombre de la lune, aussi silencieuse que possible au milieu des flaques d'eau et pavés inondés. Je n'ai, comme presque toujours, aucun plan, aucune tactique bien ficelée ou stratagème rodé ; je fonce à l'instinct et ressens déjà ce petit frisson d'excitation qui pointe son nez chaque fois que mes yeux accrochent une cible … d'autant plus quand celle-ci me tourne le dos … on ne se refait pas.
La blonde contourne le mauvais gars au mauvais moment. Espérant sans doute finir le travail pendant que le milicien est occupé à survivre, elle se faufile dans son dos et attend son heure, tel un félin. Mais du genre aveugle et sourd le félin car elle n'esquisse pas le moindre mouvement lorsque je m'approche et passe mon bras autour de sa gorge. Lorsqu'elle s'en rend compte, il est déjà trop tard. Je bande les muscles de mon bras pour comprimer l'artère, verrouille ma prise de l'autre main et m'apprête à lui tordre le cou lorsqu'en face apparaît le chauve, ou plutôt sa botte. Je n'ai le temps que de hoqueter de surprise avant qu'il percute sa coéquipière de plein fouet, nous éjectant elle et moi en arrière. Déjà à l'auberge, ses yeux minuscules furetaient de partout, ça m'apprendra. Mais la chute n'est pas si mauvaise. Toute cette pluie aura au moins eu l'avantage d'amortir le contact de mon dos avec les pavés, et la poupée blonde n'est pas très lourde. Elle, en revanche s'est prit un sacré coup de pied. Je ne sais pas trop ce qu'espérait faire son comparse en frappant sans réfléchir mais ce qui est sur, c'est qu'il pense l'avoir fait correctement … il ne jette même pas un coup d'œil vers nous … il ne doit même pas savoir à quoi ressemblait l'individu derrière la blonde. Je redresse la tête et m'aperçois qu'elle est complètement sonnée mais respire encore. Je m'extirpe le plus discrètement possible et en profite pour lui faire les poches, gardant un œil sur les deux gars … qui se jaugent l'un l'autre tels deux prédateurs.
Elle porte aux mains une drôle d'arme, sorte de gants de combat en cuir, recouvrant uniquement les poignets et la moitié des doigts, avec quatre cercles en métal pour les doigts et des protubérances placées juste au dessus des phalanges. Je les lui emprunte et les enfile à la hâte, n'ayant pas mes gantelets d'eau ce soir, bien trop reconnaissables. J'y trouve aussi une dague banale et abîmée sans grande valeur que je remets à sa place ; des capsules molles qui ressemblent aux metsubushi que j'avais utilisés dans le port de la cité blanche, mais l'odeur de celles-ci est différente. Je les range dans un pli de la combinaison et continue de fouiller l'endormie. A côté d'elle je trouve quelques Yus, tombés de sa poche probablement, ainsi qu'un trousseau de clés. J'hésite à les ramasser et les laisse sur place. En dehors des plis où loger une arme il n'y a guère de poches dans cette combinaison, et puis les pièces et clés qui se baladent … ça fait du bruit.

Ça ne m'a guère pris plus d'une vingtaine de seconde de fouiller la blonde mais celui qui gisait à terre avec son sifflet se redresse malgré son état pour faire face à la brute qui vient mettre à mal son coéquipier. Des vrais acharnés ces deux là, j'en connais qui se seraient fait la malle depuis belle lurette.
Le milicien au sifflet me tourne le dos et je me sers de lui pour camoufler mon retour. Je profite du moment où il recule d’un pas après avoir paré de justesse pour le contourner. Je fais un pas à droite, saute et prend de l'élan sur le mur avant de balancer un uppercut dans la mâchoire du chauve. J'aime ce mouvement, il me donne de l'essor, plus de force et une hauteur que ma petite taille ne pourrait atteindre … et ce soir, quand mon poing armé de mon nouveau jouet atteint sa joue, je ne peux m'empêcher de jubiler.

((Oh la vache, j'adore ce truc !!)) Je pourrais frapper bien plus fort sans me faire mal ou me casser un doigt. C'est tellement ingénieux que ça me fait mal d'admettre que c'est grâce à cette roulure que je l'ai eu.

La brute titube et me cherche du regard mais, avant qu'il ne comprenne comment une demi portion habillée comme l'un de ses pilleurs a pu lui en coller une, je me fonds dans les ombres et évite facilement sa riposte d’une roulade arrière.

- Dégage le moucheron, me dit-il en me toisant de haut en bas, avant de se retourner vers le milicien au sifflet.

De nous tous ici, il est celui le plus mal en point. Son coéquipier a beau cracher ses poumons après le coup qu'il s'est pris pendant que je faisais les poches de la femme, lui il pisse le sang d'une jambe et n'a encore de colonne vertébrale que grâce à son armure de cuir. Il est aussi dangereux qu'une portée de chaton et c'est moi que la brute traite de moucheron inoffensif !
((Quand est-ce que ces biteux d'mes deux vont m'prendre au sérieux !?!))

Sans surprise, il ne fait pas long feu mais arrive au moins à blesser le malfrat à l'épaule, réduisant son allonge. Ce n'est pas suffisant. La brute l'envoie valser d'un coup de pied dans le ventre et il atterrit devant moi en vomissant du sang. Et malgré ça, arrive quand même à articuler quelques mots.

- On t'a dis de dégager !

La coupe est pleine. J'enrage intérieurement comme jamais et ce n'est pas en méditant que ça va se calmer. Mais ils ont raison sur un point, nos gabarits sont pas comparables alors pour avoir son attention, va falloir l'exaspérer un peu. Je cours vers le malfrat qui lui s'élance en tenant son arme à deux mains, n'ayant d'yeux que pour le milicien à terre. Arrivée au niveau de ce dernier, je me jette sur le sol glissant, les pieds devant, droit sur les jambes du trafiquant en plein élan. Mes pieds chassent l'un des siens et je le sens basculer en avant mais il se rattrape d'un cloche-pied maladroit, se retourne sans équilibre vers moi … qui ne l'attends pas. D'une roulade, je m'écarte de lui et me relève d'un saut carpé. Mais cette brute, en plus d'avoir une carrure impressionnante, possède aussi de bons réflexes car à peine suis-je sur mes pattes qu'il fauche l'air entre nous de son sabre. Sa détente n'est pas très allongée mais malgré son épaule amochée, le coup reste rapide. D'instinct je me penche en arrière pour l'esquiver et c'est le milicien, en arrivant pour bloquer le coup avec son épée, qui mystifie le résultat de mon action instinctive.
Ne perdant pas de temps à me demander si oui ou non il a bien fait, je le contourne pendant qu'ils restent lame contre lame à user de force brute et balance un coup de pied retourné de toute ma puissance.
Aussi techniquement parfaits soient-ils, il est rare que mes coup de pieds fassent valser mon adversaire et ce cas ne fait pas exception, mais ils font mal et, contrairement au milicien, le chauve n'est pas habillé pour se protéger des coups. Lui n'est qu'une grosse brute sans cervelle qui se contente de donner des ordres à des petites frappes, ou faire peur à de jeunes abrutis du genre de Shou-Hsing. De fait, ce n'est pas sa chemise rapiécée ou son espèce de pourpoint sans manche qui empêche mon talon d'atteindre ses cottes flottantes et de les briser.
Il gémit et se laisse tomber sur un genoux mais rien n'a l'air gagné d'avance avec lui. Entre son épaule et les côtes brisées, on pourrait se croire moins menacée par son arme, mais il la change de main et la fait virevolter autour de son poignée comme un chef. Il se relève en jurant … et cette fois-ci, c'est moi qu'il regarde.
Sans ma dague, je vais devoir faire appel à un autre procédé que le tranché planté. Comme le dit mon irritant ami Morlet, quand on a pas de gros muscles, on apprend à viser ce qui fait mal.
Mon congénère au sifflet nous observe en faisant un pas en arrière, nous laissant pour ainsi dire le champ libre … et s'il est malin, il doit se dire qu'y a qu'à attendre qu'on s'épuise avant de nous tomber dessus à deux. Mais chaque chose en son temps, j'ai enfin l'attention du balourd. Ce qui, il faut bien l'avouer, fait tomber un peu l'intensité de ma rancœur névrotique et me fait me demander tout à coup si je n'ai pas choisi un poisson un peu trop gros pour prouver que je vaux n'importe quel gros lard. Mais le mal est fait et ma fierté ne permet pas de renoncer aux choix faits.

Il s'élance arme en avant, je pivote pour passer en dessous et enfonce mon coude là où se trouve son rein. Il grogne mais n'en est pas moins capable de répliquer avant que je puisse placer un deuxième coup. Je n'évite qu'à moitié la pointe de sa lame ce coup-ci. Ma tunique est déchirée du col à l'un de mes seins mais l'entaille est sans gravité ; encore heureux que je sois pas agencée comme la blonde où je perdais un attribut très utile.
Cependant, il n'est pas le seul à ne pas se laisser troubler par une douleur sans conséquences. Je profite de la seconde pendant laquelle l'attaquant ayant touché se met à penser à la victoire pour l'attaquer, mais cette fois-ci je me place de sorte à pouvoir utiliser ces bagues de métal. De ma main la plus forte je frappe dans le foie, juste sous ses côtes amochées, puis réussit à frapper deux nouvelles fois ses organes vitaux avant de le sentir réagir pour riposter. Par réflexe, j'arrête mes coups et me concentre sur son arme pour l'esquiver … mais sa main est encore basse quand le choc m'étourdit et que la douleur n'inonde mon visage, des dents au front. De concert, nous hurlons et nous tordons de douleur. Par mon cri cependant je ne fais pas qu'exprimer et évacuer la souffrance, j'expulse aussi la vague amer de frustration et ce poison venimeux d'une vanité contrariée. Rapidement et par pur réflexe narcissique, mes doigts jugent de l'étendue des dégâts sur mon visage, le nez est douloureux au toucher mais pas cassé, ma tempe est poisseuse mais ma vue ne se trouble pas, et mes dents sont toutes là. Le pire est évité et pas grâce à moi. Encore une fois j'ai la nette impression que la chance était avec moi, d'avoir en face un type beaucoup plus habitué à manier le sabre qu'à caler un coup de tête au bon endroit, surtout quand on a plus d'une tête de plus que l'adversaire.
Nos hurlements se figent au même instant. Mais cette fois, je suis plus rapide. Je frappe la première. J'étais déjà prête avant même de me prendre sa tête de plein fouet, je n'ai eu qu'à reprendre mon souffle et, à la différence de mon adversaire, n'ai pas eu à penser au coup suivant. Je vise le cœur, des deux poings, en hurlant comme une damnée et contractant tous les muscles de mon corps, cherchant des forces au plus profond de mes tripes.
Le choc lui coupe le souffle, il titube et tombe à genoux mais il a toujours son arme en main, à croire qu'il se l'ait faite greffer. Il a la tête baissée, posée sur son sabre planté au sol mais tout son corps est prit de tremblements. Ses épaules d'abord, puis ses jambes qui entrainent tout son buste à se trémousser étrangement.

Les miliciens s'approchent et, machinalement, je passe dans le dos du trafiquant pour rester à une distance respectable des soldats, sait-on jamais.
Soudain, les tremblements se transforment en soubresauts compulsifs … et si ce n'était que ça, on aurait baissé la garde, mais non.
Il rit.
Il se redresse lentement en riant comme un hystérique.
J'aime à penser que c'est sa fierté blessée qui s'exprime, toujours est-il qu'il devient complètement incontrôlable et, comble de tout, la blonde commence à réagir dans son coin de caniveau.
La brute fait des moulinets imprévisibles avec son sabre et aucune de nos tentatives n'aboutit, même les miliciens et leur savoir-faire à arme égale de l'arrêtent pas. Les lames s'entrechoquent mais jamais la sienne ne dévie, c'est tout juste s'il modifie sa trajectoire. Je dois faire quelque chose et vite, sinon les deux p'tits gars du coin vont vite changer d'avis me concernant et qui plus est, la fille va s'en mêler.
Les parades ou contre-attaque ne servent à rien, ce type est déchainé. Il faut qu'on l'empêche de bouger, faut qu'on mette un terme à cette danse de sabre démentielle.
Allez, j'y vais au culot.
C'est sans doute l'idée la plus stupide que j'ai pu avoir jusque là … mais on se refait pas. Dès que l'occasion se présente je me place le plus près possible de la trajectoire de l'arme et tente de l'attraper. Premier essai raté, trop pressée d'en mettre plein la vue, mes mains sont trop lentes et tapent dans le vide. Lui en revanche est surpris de l'action et contre-attaque moins férocement … ou pas. Je fais un pas en arrière pour l'éviter et prépare mes mains à l'interception mais glisse sur un pavé détrempé et tombe sur le cul, n'évitant la pointe de sa lame qu'en écartant les jambes. Elle semble coincée dans quelque chose mais le balourd est costaud, ça ne durera pas. Je me retourne face au sol, prend appuie sur mes mains ainsi que sur un pied et lance l'autre vers le haut. En plein dans la tronche et avec de la chance, dans les dents. Sur le coup, je m'esclaffe et me relève d'un bond pétillant mais ... ((Oups !!))
Il se tient le nez mais a l'air encore plus en pétard.

- La femme ! s'exclame alors l'un des miliciens.
((Fais chier !)) En écho, mon esprit répète et répète encore les deux mots jusqu'à la décision.
Une dernière, après, ils se démerdent entre hommes.
Je fais mine d'attaquer le chauve tandis que les deux soldats se dirigent vers la femme ; il geint de douleur en levant son bras amoché pour tenir son arme à deux mains et s'avance, grognant de plus bel comme une bête enragée. La visualisation d'une moi fauchée en deux me fait dresser les poils des bras et me coupe littéralement les jambes. L'un de mes genoux me lâche et dans un dernier sursaut je lève les mains au dessus de ma tête et les soude l'une à l'autre, providentiellement, autour de la lame.
((Oh ….P…)) J'arrive même pas à finir. Mes yeux sont fixés sur ce bout de métal dépassant de mes mains, qui bouge. Elles bougent, elles bougent aussi. Une drôle de sueur froide me glace le dos. Nom d'une pipe, j'vais pas tenir !!
Le chauve se fait alors brusquement attraper par quatre bras et assommer par la garde d'une épée. Je lâche un temps trop tard la lame qui glisse sur ma peau mais je n'ai pas le temps de m'étendre sur cette nouvelle blessure. D'un coup d'œil par-dessus mon épaule, je m'aperçois que la femme s'est échappée et alors que je la cherche du regard c'est sur le premier soldat que je tombe, prêt à me tomber dessus, maintenant que le forcené est à terre. Je roule sur le côté et file en vitesse ramasser le sifflet et le trousseau de clé.

- Attends ! tonne alors le propriétaire de l'objet que je viens de lancer vers son coéquipier pour qu'il m'oublie deux secondes.
- C'est l'heure de s'en servir, dis-je pour toute explication tout en filant à toute vitesse dans la rue empruntée par la blonde.

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 Sujet du message: Re: Rues et ruelles
MessagePosté: Dim 22 Mar 2015 14:17 
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Je laisse derrière moi les miliciens blessés et me précipite vers les docks.
Elle vient à peine de partir, mais j'ai déjà l'impression que c'est peine perdue. Je ne la vois pas, peut être me suis-je trompée de rue. Et même dans le cas contraire ; avec tous ces croisements, tous ces abris, ces hangars à marchandises, comment la retrouver alors qu’elle court, qu’elle est un peu moins esquintée, sans oublier cette vacherie de pluie torrentielle qui ne s’arrête pas. Il n'y a rien à voir, rien à écouter, rien à sentir … et même s'il y en avait, qu'est-ce que j'en ferais, je ne suis pas un chien !

Mais je continue à courir à bon rythme, moins pour la rattraper maintenant que pour fuir à mon tour. Les sifflets retentissent depuis mon départ, de plus en plus nombreux et se dirigent pour l'instant vers le lieu de l'attaque, mais pour combien de temps ? Qu'on est était mêlé au même combat, que j'ai pu éviter à l'un d’eux de se faire embrocher ou pas, il ne le faudra que quelques minutes d'hésitation avant d'indiquer aux nouveaux arrivants par où nous avons fuis.

Pas le temps de changer de déguisement, je dois continuer à courir, rentrer directement chez Keyoke, passer par les bons coins. Mais au bout de quelques minutes, j'ai les jambes coupées, le souffle d'un nouveau né et j'ai mal, tout simplement. La combinaison détrempée me colle à la peau et à chaque pas le tissu frotte mon torse, s'y colle et s'en détache en tirant sur la peau.

******


Le trajet ne doit prendre qu'un quart d'heure à bon rythme mais, cette nuit, il me faut plus d’une heure et demi pour arriver chez Keyoke.
Les lanternes extérieures sont allumées et, à cette heure-ci, en l'absence du maître des lieux, ça ne veut dire qu'une chose : ils ont eu de la visite et Chumaka, aussi prévoyant qu’intelligent a trouvé ce moyen pour me le faire savoir. Rien ne l’oblige à allumer, et en temps normal il ne l’aurait pas fait.
Je me faufile dans une allée adjacente et hors de vue de l’entrée, réservée aux employés, à certains messagers aux missives délicates, aux livraisons pour tout ce qui touche l'intendance … bref, l'entrée discrète, jamais illuminée de jour comme de nuit, sans fenêtre donnant dessus, et à deux entrées, l'une bien visible et munie d'une cloche et l'autre plus loin, derrière un débarras à ciel ouvert de caisses, de tonneaux et de ronces qui délimite le bout de l'impasse. Le type d'entrée assez désagréable à dénicher de nuit sous la pluie, même quand on connaît le chemin.

J'avance à tâtons derrière le mur de ronces et entre dans le mur d'enceinte. Pas de porte grinçante, juste un trou, qui bifurque sur quelques pas avant de déboucher aussi dans l'arrière cour où se trouvent le puits et le potager.
Comme la veille en revenant du temple de Rana, juste après ma … mon retour … je traverse cette cour le cœur serré. Pas pour les mêmes raisons ; cette fois je sais que j'y trouverais ni mentor, ni secours, ni réconfort ; mais j'y trouverais peut être plus de problèmes justement.


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