Une mélopée, lente et mélancolique, interrompt mes pensées. Flore joue de son luth, assise sur le lit, au nom des aberrations mortes au combat, probablement. Cette distraction est la bienvenue. L’heure n’est pas à la réflexion : la maison est bien plus dangereuse que je ne l’avais crue, et j’aurais tout le temps de m’interroger sur les sorts que je suis capable de lancer une fois sortie, si jamais je sors un jour de cette masure.
Le combat est fini ; et je me sens vide, sans but maintenant que ma vie est sauve, qu’aucun danger immédiat ne nous guette. Ou peut-être simplement épuisée. Après m’être difficilement remise sur pied, je me dirige vers le lit, et m’assois à côté de Flore, en tailleur sur le lit. Mon cauchemar est peut-être mort, mais je n’ai jamais aimé l’idée d’avoir un serpent sous mon lit qui pourrait me mordre. Et une tête de femme serpent me le rappelle que trop bien. La ménestrelle nous explique que la première apparition était sa mère, et nous remercie d'avoir ainsi défait sa peur. Je ne suis pas la seule à avoir quelques problèmes dans mes relations avec ma famille, dirait-on. Je lui envoie un sourire qui se veut… Je ne sais pas trop, chaleureux, compatissant peut-être. Puis je suis son regard, et observe le miroir.
Nos reflets ont repris leurs âges… L’épreuve est passée. Car cela ressemble bien à cela : une épreuve, le passage de l’enfance à l’âge adulte, en affrontant son cauchemar. D’ailleurs… si tous les monstres présents n’étaient que des monstres d’enfants, je pourrais en apprendre plus sur mes compagnons… À condition de savoir qui correspond à quoi. La vieille mégère pour Flore, le serpent pour moi… Mais surtout, lequel des trois hommes pouvait bien craindre une sorte de paladin fou dans sa jeunesse ?
À nouveau, mes pensées sont interrompues : cette fois, c’est la porte du placard, qui semble vouloir céder sous un poids trop grand. D’autres monstres ? Si c’est le cas, il faut espérer que mes compagnons sont dans un meilleur état que moi… Je renferme ma main sur la garde de ma dague. La porte s’ouvre brusquement, me faisant sursauter ; et un amas d’armes, d’armures, de vêtement, de livres et de bijoux, des boîtes de toutes formes, et d’autres objets dont je n’arrive pas à distinguer l’utilité, tout cela se répand dans la pièce, créant un capharnaüm sans nom. Cela ne semble pas dangereux. Mais dans le doute, je vais laisser mes compagnons se jeter dessus avant moi. De toute façon, j’ai plus urgent : il va falloir s’occuper de ma blessure.
Laborieusement, j’enlève mon pourpoint. Rapidement, Flore vient à mon aide, et mon armure n’est bientôt qu’un tas de cuir au sol. Si elle devrait pouvoir être rafistolé, ma tunique est fichue, elle : déchirée et pleine de sang. Soupirant, je la retire également, la déformant complètement au passage pour éviter de trop bouger mon bras gauche, puis je déchire sans remords les draps du lit, confectionnant des bandages, et après avoir épongé le sang qui s’est répandu dans mon dos, je laisse Flore s’occuper de ma blessure. Après une dizaine de minutes, au milieu du chantonnement joyeux de Flore et de petit sursaut de souffrance quand elle serre le bandage, j’ai l’épaule solidement maintenue par le tissu, et la douleur se calme. J’adresse un nouveau sourire à Flore, de remerciement celui-là, et je me rhabille. Le sang qui tâche ma tunique la rend poisseuse, mais je n’ai aucune envie de voir s’il y a des vêtements convenables dans le tas qui sort du placard. Autant éviter de prendre des risques inutiles. Quand je suis finalement parée, je me tourne encore une fois vers Flore, et je m’adresse à elle d’une voix légèrement enroué après la peur du combat :
« Je ne voudrais pas être indiscrète, mais j’aimerais bien connaître votre histoire… Peut-être que vous pourrez nous la conter quand tout cela sera fini ? »
Si son histoire m’intéresse réellement, j’espère aussi amener ainsi mes autres compagnons à faire quelques confidences ; même si cela n’arrivera probablement qu’après être sortie de ce guêpier, et que l’intérêt en sera alors bien faible.
Je rejoins finalement le tas qui s’est formé devant le placard. En m’approchant, je m’aperçois que le placard n’a pas de fond et donne en réalité sur un escalier, et arrive… Je ne sais où. Jetant régulièrement un oeil vers l’ouverture, préférant éviter que d’autres ennemis me tombent dessus par surprise, je fouille les trésors qui se présentent à moi.
Des armes, diverses : cela va de la dague rouillée à l’épée bâtarde à pommeau de nacre. Des armures, moins nombreuses, mais plus volumineuses ; des colliers, des bracelets, des bagues, des boucles d’oreilles et des pendentifs de toutes formes, de toutes tailles, en or, en argent, en cuivre, en fer ; certains ornés de verre banal ou de pierres exotiques et précieuses. Quelques livres, parmi ceux que j’ouvre et feuillette, je trouve deux romans, et un livre de comptes. Après dix minutes, les tas d’objets que j’ai fait autour de moi pour essayer de trier tout cela commencent à s’effondrer sous leurs propres poids, et j’ai pourtant l’impression de ne pas avoir progressé.
Je retourne m’asseoir sur le lit, et reste là, à réfléchir. Je n’ai pas le temps d’inspecter tout cela correctement ; cette constatation m’attriste, mais elle est évidente. Nous devons progresser et trouver un moyen de sortir de cette maison. Même si cela veut dire abandonner ce tas de richesses, remplie de mystère peut-être. Et, un autre problème est : que prendre ? Outre le problème du choix, il y a celui du risque : la corneille nous a mis en garde sur le pillage… Pourtant, je ne me sens pas capable de quitter cette pièce sans rien emporter. Essayant de calmer ma cupidité, je parcours des yeux les trésors répandus devant moi. J’use même de mon globe de lumière qui éclaire toujours la pièce, l’amenant à quelques dizaines de centimètres du sol, et lui faisant suivre la trajectoire de mon regard.
Que choisir ? Une armure ? Inutile : cela s’achète. Ce n’est pas une récompense digne que l’on risque sa vie… De même pour une arme. Un bijoux, un objet en or, que je pourrais revendre ? Non, pour la même raison : repartir avec de simple yus… Cela ne me satisferait pas.
Un éclat attire mon attention. Je stoppe la sphère iridescente, et m’approche, enjambant un plastron rouillé. Dépassant d’une cape roulé en boule, une clé, élégante, polie, argentée, accroche la lumière, et semble là pour moi. Une clé… Voilà ce qu’il me faut : un mystère, une interrogation : qu’ouvre-t-elle ? Cela me semble un joli symbole, après ce combat… Et un butin aisé à cacher, si jamais nous devons restituer aux habitants de cette demeure leurs biens.
Je renvoie au plafond ma source de lumière magique, et glissant discrètement la clé dans ma main gauche, je m’empare de la cape, qui est fort simple, mais élégante et de bonne facture, et la mets sur mes épaules, comme j’aurai pu le faire pour une véritable acquisition. Ce que c’est, après tout ; mais je la considère plutôt comme un leurre.
Puis, ayant perdue assez de temps, et ne souhaitant pas m’acharner contre les portes visiblement magiques, j’avance dans l’armoire, rappelant à moi mon sort pour éclairer mon chemin, gravissant une dizaine de marches, arrivant à un petit palier intermédiaire, et repartant dans l’autre sens, grimpant d'autres marches. J’arrive finalement devant une porte faite de planches, qui s’ouvre sans difficulté en émettant un long grincement…
Je m’attends à bien des choses, des monstres, des pièges, des humains, peut-être ; mais c’est un simple grenier qui nous accueille. Enfin, simple… Il est empli du sol jusqu’au plafond de poussière et d’objet divers, mais cela n’est pas particulièrement étonnant non plus… La présence d'un tableau, représentant un homme d'un âge certain, au visage entouré de long cheveux et d'une longue barbe blanche, au fond de la salle est originale, certes, mais pas non plus choquante ; quoique les tableaux ont tendance à parler, dans cette maison.
Un miaulement me fait sursauter. Un chat, gris. Cela reste banal et inoffensif. J’avance de quelques pas, essayant de ne rien bousculer. Je suis le félin du regard, et le vois bondir sur un ours, au sol. Je sursaute à nouveau devant cette vision ; mais ce ne doit être que la peau de la bête, ou un spécimen empaillé… J’espère. Mais mon attention se détourne, attirée par des aboiements, puis par des caquètements. Une poule… Mes yeux s’écarquillent de plus en plus alors que mon regard se perd dans la pièce. Rien d’impossible, mais rien de bien logique non plus. Enfin, c’est plutôt rassurant : j'ai déjà soupé de magie cette nuit...
La luminosité diminue, et, stupéfaite, je peux voir une fumée, non, un nuage, se former au plafond. C’est à ce moment que je sens la fatigue de la journée me tomber dessus, et la lassitude me prendre. J’avance encore de quelques pas, et je m’adresse au tableau, essayant d’éviter de penser au ridicule de la situation, et au fait que j’abandonne la discrétion que je prêchais un peu plus tôt :
« Dites, vous faites parti des tableaux parlants de cette maison ? Si oui, une explication serait la bienvenue, car je me sens d’humeur très moyenne, et saccager une peinture me détendrait sûrement. »
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Angèlique, Repentie. [lvl 8]
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