Cromax a écrit:
Je finis par m’endormir, adossé à mon gros arbre, les genoux repliés vers moi. Un sommeil profond et dénué du moindre rêve s’empare de moi. Je dors ainsi toute la nuit, épuisé de cette bataille et de cette fuite. La conversation avec la druide a été elle aussi fatigante, même si ça m’a un peu permis de décompresser.
Au matin, je sens une forme épaisse me frôler l’épaule. J’entrouvre les yeux et, la lumière du jour les envahit d’un coup, m’éblouissant. Je ne perçois qu’une énorme masse devant moi. Aussitôt, je pense aux gorilles, ces énormes bêtes qui semblaient pacifiques, mais qui attendaient certainement notre sommeil, après avoir gagné notre confiance, pour nous égorger ou nous étrangler de leurs puissantes mains sauvages. J’imagine en une fraction de seconde mes amis, morts autours de moi, ou agonisant lentement, vidés de leur sang. Ne désirant pas finir aussi stupidement, ni aujourd’hui, je me rue en avant sur la masse sombre, qui s’effondre en arrière sur le sol. J’ai juste le temps d’entendre Lysis hurler dans mon esprit :
(nooooon !)
Je me redresse aussitôt, m’apercevant de mon erreur. Sous moi, Andelys le barbare a l’air aussi surpris que moi de ma réaction. Je me relève avec un air gêné et confus. Je laisse le barbare se lever à son tour, l’air ahuri…
« C’est une vengeance pour la lutte de la fois passée, elfe gris ? »
Je prends un air embêté, me rappelant de ma cuisante défaite sur la plage de l’autre île.
« Non…Pardon…Je ne savais pas que c’était vous…J’ai été surpris… »
Le barbare éclate de rire et me donne une tape amicale, mais puissante, dans le dos.
« Haha ! Pas de problème, je crois qu’on a été surpris tous les deux ! Ha ! »
L’incident clos, nous nous remettons en route. L’un d’entre nous semble avoir repéré des traces de pas qui pourraient très bien être celles de nos compagnons perdus. Nous mettons donc le cap vers le Sud-Ouest. C’est encore une banale journée de marche dans cette forêt qui est apparemment plus grande que je ne l’avais prévu au départ. Nous suivons toujours ces traces de pas, qui semblent garder un cap précis. Après une courte pause pour le repas de midi, nous reprenons notre chemin sous le couvert des arbres. Mes yeux se posent sur le sol. Les traces de pas que nous suivons me paraissent bien grandes pour être celles de nos compagnons… Je ne me souviens pas que l’un d’entre eux ait des si grands pieds… J’aurais pu dire, si Andelys n’était pas avec nous, qu’il s’agit de ses empreintes, mais de tous ceux qui ont disparu, il ne me semble pas qu’il y en ai un qui ait les pieds aussi imposants…
Je ne fais pourtant pas part de mes inquiétudes au reste de notre groupe, ne voulant pas perturber le silence qui s’est établi entre nous depuis le matin. Lothindil, contrairement à la veille, semble taciturne et lointaine…Sans doute a-t-elle passé une mauvaise nuit. Le soir approche petit à petit et nous n’avons toujours pas de signe des autres, hormis ces étranges empreintes que nous nous obstinons à suivre aveuglément.
Au loin, j’entends soudain les sons d’un combat, des cris d’orques, semblables à ceux qu’on a entendu lors de notre brève rencontre avec l’armée ignoble. Nous accélérons la cadence, de peur que ce soit nos amis qui se retrouvent bloqués dans cette bataille qui semble faire rage. Nous arrivons en vue d’une petite clairière en bord de lac, derrière une ligne d’archers orques qui canardent nos alliés de flèches épaisses et noires. Je dégaine mes lames alors qu’Andelys se jette en hurlant sur les orques aux arcs noirs. Je lève les yeux au ciel. J’aurais sans doute préféré une approche plus furtive de ces massacreurs lâches et affreux que forme cette unité d’archers à la peau verte, mais j’avoue que la technique du barbare a du bon, puisque les archers, se tournant vers nous, cessent de tirer sur nos amis, qui semblent déjà assez occupés par les guerriers qui leur font face.
Seldell s’en donne lui aussi à cœur joie, tirant de son arc fin sur les archers aux longues oreilles pointues et pustuleuses, qui tentent vainement de répliquer. L’effet de surprise nous aide, et je me lance à mon tour parmi ces orques. Je frappe sans même viser, je crie pour les impressionner. Dès mon premier assaut, la pointe de ma rapière vient se figer dans le front d’un archer, qui surpris par mon arrivée soudaine, avait lâché son arc pour se saisir d’un poignard, qu’il n’a, hélas pour lui, pas eu le temps d’utiliser. Je tranche la tête de l’affreux, libérant mon arme de son front. Laissant à mes amis le soin de se charger des archers, je me précipite dans la mêlée au bord du lac, suivant mon impulsion première. J’arrive en criant comme un fou, remuant mes armes dans tous les sens. Arrivé à leur hauteur, je rentre dans tout de qui bouge, frappant de mes lames tout ce qui me semble être une peau verte. Les chocs sont rudes et je n’ai même pas le temps de voir mes ennemis, tant la bagarre est confuse. Je sens leur sang souiller mon armure et mes épées, ainsi que mon visage. Les mèches blanches de mes cheveux se teignent de la couleur de leur sang, d’un rouge foncé et crasseux, ressemblant à la lie du vin. Je ressors de l’autre côté de la mêlée, sans même savoir si j’ai tué un orque, n’ayant même pas compté le nombre de coups que j’ai donné. Je suis au bord du lac, et j’aperçois au centre de celui-ci une île qui me semble charmante.
Je n’ai hélas pas vraiment le temps d’admirer le paysage. Un orque armé d’une lourde hache, et visiblement déjà blessé au bras gauche, sort de la mêlée pour se venger de la sale blessure que je lui ai infligé au biceps. Il lève sa hache tout en courant vers moi, vociférant des grommellements incompréhensibles à mon intention, qui ne sont certainement pas de la meilleure sympathie. Le voyant arriver comme un sauvage sur moi, je recule un peu, me retrouvant les pieds dans le lac. Il y plonge lui aussi, en arrivant à ma hauteur, levant sa hache au dessus de ma tête. Mais mes réflexes vifs me permettent d’éviter son coup puissant qui atterrit dans l’eau alors que j’esquive sur le côté. Dans le même mouvement, j’enfonce ma rapière dans son dos, et le guerrier s’effondre la tête a première dans l’eau du lac, qui se colore de son sang. Je ressors de l’eau pour m’élancer à nouveau dans la mêlée. Mais cette fois, les orques sont avertis de ma présence, et les combattants, moins nombreux, ont plus de place pour manoeuvrer des attaques plus précises. Mes premiers coups sont contrés, alors que je cours toujours parmi les combattants, mais soudain, je suis arrêté dans mon élan par un coup de masse d’arme dans le mollet droit. Je m’effondre en roulant sur le sol, heureusement en sortant un peu du centre du combat, où je me serais sans aucun doute fait tué avant même d’avoir pu m’en rendre compte…
La douleur dans ma cheville est lancinante et j’essaie tant bien que mal de me relever, m’appuyant sur mon épée comme sur une cane. Un orque imposant arrive vers moi, un sourire sadique sur ses larges lèvres vertes et sales, dévoilant une dentition carnassière et mal entretenue. Son bras est armé de la masse qui m’a broyé le mollet. Son visage est barré par une énorme balafre suppurante qui part du milieu de son front jusqu’à sa gorge, passant par une orbite vide et noire. Voyant son arme, je ne peux retenir ma haine envers cet imbécile qui a osé, pauvre de lui, me blesser. Il approche de moi lentement, méticuleusement, riant de me voir affaibli par son coup. Je me tiens toujours appuyé sur mon épée, et pointe ma rapière en avant, comme si l’orque allait s’y empaler tout seul, ce qu’il ne fait évidemment pas.
(Toi tu va morfler…)
Il est maintenant à portée de mon arme, mais d’un revers de sa masse, il écarte celle-ci en poussant un rire rauque. Il me croit à sa merci…
Ma rapière repoussée vers la droite, je pivote et m’appuie sur celle-ci. Je fais presque un tour sur moi-même et lance un coup de mon épée, que j’ai relevée, dans la gorge de mon adversaire. Son œil unique se remplit d’une douloureuse expression de surprise, et il s’effondre, un flot de sang s’échappant de sa gorge perforée. Je tombe sur un genou, face au corps sans vie de mon ennemi.
Je prends quelques secondes avant de me relever, voyant que le combat vire à notre avantage. Bientôt, il n’y a plus que trois orques survivants parmi nos ennemis, et aucun parmi les archers, qu’Andelys a tout bonnement exterminé de sa hache immense. Ces trois prisonniers sont désarmés et je me relève, m’appuyant sur mon épée et rengainant ma rapière. Je marche vers mes amis en boitant, sans lâcher les prisonniers du regard.
« Qu’est-ce qu’on va faire d’eux ? »
Personne n’a le temps de me répondre. Une apparition se produit, invraisemblable. Six pentacles apparaissent autours de nous, faisant naître chacun un squelette armé. Je n’ai plus la force de me battre, et les morts-vivants font leur office en égorgeant les trois survivants, avant de se faire exploser les os par mes compagnons. Je me recule soudain de notre groupe. Ces symboles et ces squelettes ne me rappellent que trop bien une mission que l’on m’avait confiée à la milice de Tulorim… Ce nécromancien puissant qui terrorisait les gens… ça ne servait à rien de tuer ses squelettes et ses zombies, ils se redressaient aussitôt, revenant de leur mort, contrôlés par le mage noir. Et il n’y avait plus ici que des alliés…Ou du moins ce que je croyais être des alliés.
Je m’écarte du groupe en regardant chacun des individus qui le composent. Si ces orques sont morts, et ces squelettes apparus, c’est que quelqu’un les a fait venir ici, et ce quelqu’un est sans aucun doute un membre de notre expédition…Mon regard passe sur chacun d’entre eux,e t je m’aperçois seulement à cet instant que Lothindil est couchée par terre, inanimée.
(Ce n’est donc pas elle…Mais qui alors ?)
Aucun de mes compagnons n’est hors de soupçon…En particulier Bogast, en qui personne ne semble avoir confiance…Sans rengainer mon épée, je m’assieds sur le sol, fourbu par la douleur qui accapare toute mon attention…je ne parviendrai pas à réfléchir si cette blessure n’est pas soignée. Je fouille dans mon sac et y trouve ma gourde de soin, dont je bois une nouvelle gorgée. La douleur s’apaise aussitôt, mais la nuit est tombée et le sommeil me guette… Me tenant éloigné de tous, j’essaie de trouver le sommeil parmi mes obscures pensées de trahison…