Cromax a écrit:
J’ai besoin d’air et mon amant me rejoint, tout proche des flammes terribles qui s’élèvent devant nous. Il m’enlace de ces bras, comme si c’était la dernière fois que nous pouvions le faire, comme si cet endroit enflammé marquerait à jamais nos vies d’un signe de non-retour, comme si nous allions mourir en essayant de vivre. Il me demande mon épée supplémentaire, accrochée à mon sac, et je la lui donne sans la moindre parole en plus. Elle lui servira plus qu’à moi, je suis déjà suffisamment chargé pour m’encombrer de toutes ces armes. Mais alors qu’il me dit ses sentiments, une pointe de vague à l’âme transperce mon esprit, et je me jette à nouveau contre lui, l’enserrant de mes bras pour l’embrasser avec fougue, une dernière fois peut-être… Puis je me dégage, et je dégaine le sabre du pyromancien en m’approchant des flammes que Daïo a déjà rejointes avec son arme à la main.
Comme en honneur au traître défunt, je plonge un instant son arme dans le mur incandescent, et le fer rougeoie maintenant d’une lueur brûlante. La chaleur est accablante, harassante, et ce feu se projette dans les airs comme si jamais il n’allait s’éteindre ni ternir. Nous en sommes proches, très proches, et la chaleur me brule les doigts, les lèvres, le nez. Mes cheveux se soulèvent même à cause de l’air torride qui s’échappe de ce cercle infernal…
Puis, soudain, tout s’éteint, alors que De saute dans les flammes. Le feu disparait, s’annule, tout d’un coup, sans raison apparente. Je n’ai même pas le réflexe de voir autour de moi mes anciens compagnons perdus se masser autour de nous. Ils sont tous là, mais je ne les vois pas. La seule chose qui je suis capable d’observer, avec effroi, est la forme tracée en cendres incandescentes dans le sol : un pentacle rougeoyant encore de la chaleur qui l’accablait de son feu puissant et infini. Il fait un mètre de diamètre, et je m’en approche, doucement, sur mes gardes, le sabre à la main, et la hache dans l’autre, me servant d’appuis. Nous nous en approchons tous, nous sommes comme attirés par ce symbole, ce signe. Est-ce là notre porte de sortie de ce monde maudit ? Il faut le croire, il faut l’espérer. Nous n’avons plus le choix désormais, nous ne pouvons plus revenir en arrière. Seule cette voie peut nous sauver, et c’est cette voie que nous allons emprunter.
Nous formons maintenant presque un cercle autour du pentacle, comme si nous attendions un nouveau signe, un nouvel événement. Et soudain, celui-ci arrive. Le feu sort en une gerbe vive et inévitable de ce pentacle éteint. Le mur de feu se reconstitue autour de nous, mais je ne suis pas capable de sentir la moindre brûlure, la moindre douleur. Je ne sens pas la mort me traverser les chairs et me carboniser les os. Je ne sens rien de tout ça, je ne me sens même plus moi… Je hurle de terreur et de colère… Un mort peut-il hurler ?
« NAAAAAAAAAAAN ! »
(Non, non, mon amour, la mort n’est pas pour ce jour, laisse le feu purifier ton corps, laisse le t’embarquer en son sein, il te conduit vers la vie, il te conduit vers la liberté. Laisse-le te porter, fais-lui confiance. C’est le feu que tu dois suivre, comme toi il est indomptable…)
Puis je me tais. Cette voix dans ma tête, Lysis, elle me rassure et m’apaise, tout en laissant en moi cette rage de vaincre la mort, cette hargne de vivre. Je ferme les yeux, ébloui, mais mon corps reste vif et ardent. Je ne fais qu’un avec le feu qui me cerne, et je le laisse m’emporter…
Puis plus rien…
Un cri, un autre cri, une foule de cris, de hurlement, d’applaudissements. Une multitude nous entoure, et je la perçois sans avoir à ouvrir à nouveau les yeux. Partout, les beuglements de ce public invisible à ma vue retentissent comme d’un seul homme, puissant et pluriel, ne formant pourtant qu’une unité indivisible de supporters inconnus. Mes paupières s’ouvrent presque de manière mécanique, poussées par la curiosité qui dévore mon esprit de connaître l’origine de ces cris. Je suis alors frappé de stupeur en voyant le spectacle qui s’offre à moi.
Toute la compagnie se retrouve maintenant au centre d’une piste, d’un théâtre en cercle dont les spectateurs inertes et immobiles ne sont que des milliers de momies fixes et toutes identiques, qui semble nous regarder par leurs bandelettes grises et sans vie. Pourtant, les cris sont toujours présents, sans que je puisse en reconnaître la provenance. Mes sens me trompent et me donnent le tournis. Mon oreille entend une foule en délire, mon œil ne voit qu’un tas de vieilles momies entassées là sans vie.
Je remarque alors sur ma gauche une tribune importante, dont les occupants semblent plus vivants que ces êtres grisâtres et inquiétants. L’un d’eux, le maître de cette cérémonie à laquelle nous sommes conviés un peu malgré nous, est assis sur un majestueux siège et semble vêtu d’ombre. Sa peau est pâle et son visage inquiétant. Sa longue chevelure noire et crépue vole au vent alors que les deux crânes à sa ceinture semblent offrir un rappel de sa face mortuaire et sévère. Il semble nous regarder, muet etsombre, alors que deux de ses acolytes totalement immobiles, le veillent de part et d’autre de son trône.
Ceux là sont vêtus comme des religieux, arborant de longues chasubles aux teintes terreuses et rougeâtres. Ils semblent masqués, et leur coiffe est longue, ne dévoilant rien de l’horreur de leur être. Ils sont là tout aussi flegmatiques que les momies, et ne bougent pas d’un pouce. Je les toise de loin, sans savoir s’ils me voient réellement, où s’ils ne sont qu’illusions.
(Que faisons-nous ici…)
Mais la réponse me vient presque automatiquement, lorsque mon regard se pose à nouveau sur mes compagnons. C’est la dernière épreuve, l’ultime test, qui va nous être soumis dans cet endroit. Nous allons être donnés en spectacle, comme des gladiateurs, comme des esclaves jetés aux fauves. Qui seront nos ennemis dans un tel combat acharnés. Je regarde tour à tour mes camarades…
(Ce sont eux ? Devons-nous nous entretuer jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un ?)
Mais encore une fois, mon idée, ma crainte, ne semble pas être fondée. Mon regard passe sur Cheylas, que je ne suis presque pas étonné de voir parmi nous, blessée et fourbue, armée de deux dagues. Son passage aux Enfers lui a laissé quelques séquelles, visiblement, mais la traîtresse est toujours vivante, et dans ma main droite, le sabre de Fizold, flamboyant, se met à frémir sous la rumeur qui parcoure l’assemblée placide.
Je lâche la lourde et grande hache dorée sur le sol en dégainant ma rapière, bien plus adaptée à mon style de combat. Car nous devrons combattre, ça ne fait aucun doute… Même si nous ne savons pas encore quoi. Puis, un bruit sourd se fait entendre, et moi et mon groupe nous tournons tous avec instinct vers les deux lourdes porte de granit placées de part et d’autre du colisée. Elles semblent peintes de sang, funeste et macabre détail qui n’est pas fait pour me plaire. Ainsi, la mort a déjà coulé ici, de nombreuse fois. Elle est partout autour de nous, et c’est avec avidité que je regarde les ennemis qui vont nous être présentés.
Le premier à sortir est un monstre hideux à forme lointainement humaine de par sa constitution, mais qui n’a aucune caractéristique d’un réel être de chair, plein de vie. C’est une créature morte qui s’avance hors de l’entrée, parée d’une armure impressionnante aux couleurs du sang. Son visage est morcelé par la chair qui lui manque, et la mort est sur les traits de cette horreur sur pattes. Cet individu de deux mètres au regard torve et à la longue chevelure décoiffée et sans couleur tient à la main une grande faux aux proportions inquiétantes, qui sont loin de me rassurer quand à ce qu’il nous réserve de celle-ci.
Mon regard passe alors sur l’autre porte, imaginant mal ce qui pourrait sortir de pire que ce monstre infect, parjure à la beauté, à la vie et à l’espoir. Et pourtant, ce qui sort est peut-être bien pire, puisque c’est Daulandi qui se présente, affublé d’une paire d’ailes démoniaques, et d’un sourire ténébreux. Le tas de viande et de chairs infâmes que nous avions formé devant cette grande porte semble d’être parfaitement reconstitué, et la soif de vengeance du traître en chef dévore son regard sadique et rieur.
C’est la fin, et le début. La fin de la paix, le début de la violence. La mort frappera, jusqu’à ce qu’un des deux camps remporte la victoire. Aucune pitié n’est à attendre de ces deux champions du Chaos, et nous ne devons pas hésiter une seconde à les pourrir dignement, car eux n’auront pas de complaisance. Ils sont là pour notre mort, et nous devons donc les tuer…
J’inspire, j’expire, alors d’un grognement tonitruant sort du premier monstre, alors qu’un rire sadique émane du démon Daulandi… Le combat a déjà commencé…
Presque naturellement, des groupes se forment d’instinct, et c’est ainsi que je me retrouve entre Cheylas et Lothindil, face au démon à gueule de mort. Les trois Sindels contre le bourrin du Chaos, alors qu’à côté de notre petit groupe, s’en crée un autre : De, Lelma et sa fille, ainsi que Bogast. Ils semblent se diriger vers un Daulandi prêt à se venger de la boucherie de sa mort. Derrière nous, un troisième groupe se forme, celui des plus faibles, celui de ceux qui sans magie ne peuvent pas se battre. Celui de ceux qu’il faut défendre, et qui est mené par mon amant, Lillith, armé de mon épée.
Je laisse choir au sol tout ce qui ne m’est pas utile. Ainsi, mon sac rejoint vite la hache du barbare, juste avant que mon regard ne croise la druide à côté de moi. Elle est blessée, déjà. Son armure est couverte de sang et une longue griffe semble lui entailler le bras, et une autre le visage. Quelle horreur a-t-elle bien pu rencontrer dans ce pays dévasté… Mais tout ça est bien loin, désormais. Maintenant, nous sommes à la sortie, et pourtant, nous sommes loin d’être saufs. Le combat qui arrive s’annonce rude, bien plus que tous ceux que nous avons déjà menés...
Mais nous n’avons pas le temps de réfléchir. Déjà, le démon fonce sur nous comme une brute, avec sa faux levée, prête à frapper. Pas de plan à établir, sur ce coup, juste la vie à sauver. Visiblement, le choix de notre ennemi se porte sur Lothindil, qui évite habilement son premier coup en commençant à courir dans la direction opposée. Aussitôt, le monstre se tourne vers elle et semble paré à lui coller au train, visiblement vexé d’avoir foiré son premier coup. C’est alors que Lysis retentit comme une alarme dans ma tête. Elle a un message à me faire passer, et celui-ci provient de Lirelan, la faera de Lothindil…
(Cromax, Lothindil va échapper du mieux possible à cette brute sur pattes, pendant ce temps, essaie de le frapper, elle maintiendra son attention en éveil.)
Comme pour signaler que j’ai compris, je hoche du chef avant de m’en aller à la poursuite du couple qui fuit, les armes au clair. Je ne mets pas longtemps avant de les rattraper. Le monstre est plutôt lent, avec son arme dévastatrice, et pour l’instant, la druide semble assez douée pour éviter ses coups avec habileté. C’est donc sans qu’elle ait eu le moindre dégât que je rejoints la poursuite à trois, qui de loin, et pour un bigleux, pourrait presque faire penser au jeu du chat et de la souris auquel tout le monde a déjà joué lorsqu’il était jeune. En effet, le gros bourrin en armure poursuit la druide qui se défend tant bien que mal, alors que moi, j’essaie de frapper le poursuivant de mes armes dégainées, sans réellement en parvenir.
Mes deux premiers coups, donnés dans ma course sans la moindre précision, glisse le long de l’armure du démon et finissent dans le vide. Ses défenses ne sont pas factices, et sont de bonne facture. Si bien que je sens qu’il va être dur de percer à jour ce mort ressuscité pour l’occasion et paré de cet équipement impressionnant. Et la poursuite continue, encore et encore. Le monstre frappe, Lothindil esquive avec agilité, et moi je tente à nouveau vainement ma chance contre cette armure increvable. Il faut que j’en trouve le point faible, il faut que je l’analyse petit à petit et avec précision. Et cela bien sûr, tout en courant, et en évitant désormais un nouvel obstacle : des lianes qui poussent de partout sous l’impulsion de la druide pour parer les coups de plus en plus puissants et précis de notre ennemi désormais échauffé.
Je zigzague donc ainsi en essayant de voir la faille de son armure. J’en aperçois plusieurs, plus ou moins bien dissimulées. Ainsi, j’arriverais à atteindre sa nuque, s’il n’avait pas une couronne de cornes diaboliques cernant sa tête décharnée. Son plastron a lui aussi quelques défauts, et on pourrait aisément glisser une lame sous celui-ci pour le blesser, mais il faudrait pour ça qu’il soit immobilisé, sous peine de briser mon arme dans la fente. Il y a également les évidents points faibles de ces armures lourdes : les articulations. Autant aux jambes qu’aux bras, c’est là qu’il faut frapper. À l’aine, aux genoux, aux coudes ou aux aisselles. C’est là que mes lames doivent trouver la chair putréfiée de cet ennemi impossible à vaincre au premier abord.
Par chance, il reste concentré sur les railleries de Lothindil, et ne tient cure à mes assauts de moustique derrière lui. La druide, de son côté, tente également quelques coups quand la lenteur de notre adversaire lui fait trop défauts. Elle et moi sommes beaucoup plus raides que lui. Du sang elfique coule dans nos veines, du sang Sindel. Mes coups sont de plus en plus précis, et mes lames rencontrent bientôt la chair du monstre. À deux reprises au niveau du coude, je sens ma rapière s’enfoncer dans un petit interstice, déchirant la chair pourrie de ce mort trop fort.
Et c’est alors que notre plan commence à bien fonctionner, que nous parvenons Lothi et moi à nous rôder, que Cheylas intervient en s’interposant entre la druide et son poursuivant, inconsciente du danger qu’elle encourt à se poser de la sorte devant cette ennemi qui pourrait sans mal la couper en deux en un coup bien placé. En un éclair d’ailleurs, le monstre semble changer de cible, et arme sa faux pour frapper mon ancienne compagne, cette traîtresse dont je voudrais voir le sang sur mes lames. De voir que c’est cette pourriture qui risque de la tuer, j’enrage. Aussitôt, je bondis, en criant, sur l’elfe grise. Je l’entraîne dans ma chute qui lui évite le coup de faux qui nous passe juste au dessus de la tête, et nous finissons par tomber sur le sol, elle sous moi, moi sur elle. Le choc est rude, et le bruit de la tête de la traîtresse sur le sol n’augure rien de bon. Je l’ai visiblement bien sonnée, là, et elle est toute groggy, incapable d’esquisser le moindre mouvement cohérent.
Mais je n’ai pas le temps de m’apitoyer sur son sort, même si de me retrouver comme ça sur elle fait remonter en moi des souvenirs perdus, comme un éclair douloureux remonterait un courant ravageur. Je sens son corps, je sens ses formes. J’ai les nerfs à fleur de peau et je lui en veux de nous avoir trahi de la sorte, de m’avoir abandonné. Mais je n’ai pas le temps de réfléchir. Au dessus de nous, le démon grogne horriblement en levant son arme au ciel, prêt à en finir avec nous deux, d’un coup. Ainsi nous serions morts embrochés l’un avec l’autre, nos sangs se mêlant sur le sol, coulant ensemble, du même rouge. Oui, ça serait arrivé, et je n’aurais rien pu y faire, si par bonheur, la druide n’avait pas surgi en hurlant, bondissant à son tour sur notre ennemi commun. Le poids de la Lothindil combiné à la force et à la fougue de son geste renverse notre adversaire, qui choit lourdement sur le sol, entraînant l’elfe grise avec lui dans sa chute.
Ainsi, à ce moment, nous sommes étalés à quatre sur le sol, comme deux couples se grimpant dessus l’un à côté de l’autre. L’image est assez curieuse d’ailleurs quand on sait les positions de la druide sur les plaisirs charnels. Elle semble désormais apte à monter notre ennemi comme seule une vraie femme sait le faire.
Hélas, ça n’a as l’air de plaire au monsieur, qui se rebelle plutôt agressivement, en projetant littéralement la druide loin de lui afin de se relever. Après un court vol plané, Lothindil se fait réceptionner par les liens amicaux d’une liane débarqué là comme par magie, mais semble légèrement sonnée, ou du moins surprise de cette réception improvisée, bien que bien pensée.
Mais le monstre est maintenant debout, et visiblement, il compte changer de victime. Furieux, il se dirige vers le groupe mené par Lillith qui agite vainement mon épée pour dissuader le démon de partir. Seldell s’est emparé de l’arc de Lothindil, mais semble tétanisé en voyant cette horreur s’approcher d’eux pour leur déchirer la panse. Mon sang ne fait qu’un tour, et je ne peux admettre en mon fort intérieur que cette brute épaisse approche mon lillith chéri. D’un bond rageur, je me relève, laissant négligemment Cheylas à ses gémissements de douleur à moitié conscients. Je n’ai que faire de ses plaintes de traîtresse quand je vois celui que j’aime se faire assaillir par un gros démon pas beau armé d’une arme tranchante et potentiellement dangereuse pour sa vie à laquelle je tiens tant.
(Ça en deviendrait presque pathétique…)
Aussitôt sur pieds, je me mets à courir comme un dératé vers le mort en armure, les armes levées pour le frapper de toutes mes forces, le visage déformé par la haine qui me traverse. Hélas, trois fois hélas, mon ennemi me sent venir, et je n’ai pas le temps de le frapper qu’il se retourne vers moi en me décochant un puissant coup du revers de son arme sur ma poitrine. J’accuse le choc avec douleur. Je suis stoppé net dans mon élan, et ma respiration s’arrête un instant, bloquée sous la puissance du coup. Pourtant, ce n’est pas fini. Après un soupir fumeux, le monstre me décoche un nouveau cou puissant du plat de sa main griffue sur la cage thoracique, ce qui me projette vivement en arrière, inévitablement.
Je vole un instant sans savoir où je vais retomber, à quelques centimètres du sol, mais la druide derrière moi semble préparer mon atterrissage. Elle fait pousser une liane à la vitesse de l’éclair, et je me réceptionne dedans, ce qui freine fortement ma course. Hélas, elle ne semble pas douée plus que ça en mathématiques, puisqu’elle a mal calculé ma trajectoire, et après avoir été dévié par le végétal, je finis ma chute sur elle, dans ses bras. Il y a alors un moment de flottement, où je sens ses bras fins étreindre mon corps de guerrier elfique, où je sens ses doigts presser mon armure, ma peau, pour que je reste debout et ne ploie pas. Je tourne un peu la tête vers elle. Nos visages sont proches, proches comme ils ne l’ont jamais étés, et nos regards se croisent l’espace d’un instant, très court, où je crois me perdre dans le bleu de ses yeux. Je ne saurais décrire cet ultime instant de flottement, où même la vie semble avoir marqué un temps d’arrêt.
Mais dans le reflets de ses yeux, un spectacle atroce se fait voir, et le son qui me parvient aux oreilles n’est pas plus rassurant. Je me retourne vers le combat, l’œil rageur. La douleur revient, et la colère aussi. Je vois le mort rugissant poursuivre le chemin qui le sépare de Lillith, et lever sa faux pour l’occire. Mon sang ne fait qu’un tour, et je ne peux plus me contrôler. De voir ainsi ce monstre ignoble mettre en danger la vie de mon amant me met hors de moi. Un voile rouge se substitue au noir ténébreux de mes yeux, alors que mes doigts se resserrent sur mes lames. Je suis en colère, et ce démon va regretter de s’être un jour trouvé sur le chemin d’un Cromax énervé. Le sang de cet être coulera pour noyer la haine qui m’envahit à l’instant. Je ne la retient pas, je la laisse m’envahir, me parcourir les veines, affluer dans mon sang, et dans chacun de mes membres, de mes organes. Elle est douloureuses et agréable à la fois. Elle produit des décharges dans tout mon corps, que je n’ai plus l’impression de maîtriser.
Je perds le contrôle…
Rugissant à mon tour, je bondis vers le monstre avec mes deux lames en avant, bientôt suivi par la druide qui semble aussi rageuse que moi, pour une fois. Aucune pitié ne sortira de cet ultime assaut. Que du sang, que des tripes, des lambeaux de chair arrachés.
Et c’est ce qui se passe.
Bientôt, nous rattrapons le démon à l’instant où il levait son arme pour l’abattre sur Lillith. Avant qu’il ait eu le temps d’effectuer son geste, j’envoie d’un coup puissant le sabre bouillant sous le bras de notre ennemi, et la lame en fusion perce la faible protection qui recouvre sa peau à cet endroit. Un léger bruit de chair frite parvient aux oreilles, alors qu’une odeur pestilentielle de charnier en crémation envahit l’atmosphère. Le mort hurle de douleur ou de rage, et se tourne violemment vers moi, avant de subir le joug de la colère de Lothindil, qui a rattrapé son retard. S’en suit alors une suite de coups puissants, d’esquives plus ou moins réussies, qui frappent les armures, font crisser les lames, font saigner les plaies.
Bientôt, je suis couvert de sang. Du mien, qui sort des blessures à mes mains, à mes bras, de celui de Lothindil, blessée à côté de moi, se battant toujours férocement, et de celui de cet être qui a cru pouvoir nous tuer. Il est affaibli, et son bras armé est sérieusement endommagé par nos attaques farouches et hargneuses. La colère ne s’est toujours pas calmée, elle m’enveloppe toujours de son drap terrible. Les quelques courageux du groupe des opprimés se sont aussi rué sur cet adversaire désormais désarmé, mais encore dangereux. Il hurle, grogne, griffe et frappe avec une puissance excessive, mais la plupart de ses coups sont arrêté par les lames qui se dressent comme des remparts devant ses assauts. L’ivresse de la bataille ne passe pas. Mes yeux couverts de rouge luisent sadiquement en voyant le sang gicler de cet être infect à chacun des coups qu’il essaie de nous porter.
Nous répondons à ses coups, et bientôt, il est pris sous le nombre. Mes deux lames, celle de Lothindil, plus les quelques bras volontaires. Il ploie, doucement, trop lentement, et ma haine ne cesse d’augmenter. Je frappe, je frappe, je m’acharne. Je ressens la douleur ma parcourir. Je sais que je suis blessé, mais j’en tire ma force. Une force malsaine, faite de vengeance et de haine. Les ossements du visage affreux cèdent, ses cornes sont coupées, malmenées, son armure est trouée, sa gorge béante. Ses mains ne sont plus que des moignons informes, et il ne reste plus rien de ses longs doigts crochus aux griffes acérées, dont ma joue droite garde une triple marque qui fait couler mon sang jusque dans mon coup, glissant le long de ma poitrine, sous mes habits, et le long de mon dos. Cette odeur me fait du bien…
Finalement, la mort emporte cet ennemi trop fort, et je lui plante mes deux armes au milieu de ce qui lui reste de visage, alors que les autres frappent encore cette carcasse sans vie. Puis, je sors mes lames, et je m’écarte vivement du cadavre en les levant au ciel, criant de toute mes forces pour aller plus haut, plus fort que les hurlements de la foule.
« HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!! »
Le sang sur mes lames coule sur mes mains, entre mes doigts, mais je ne les lâche pas. Je crie encore, et encore, reprenant ma respiration uniquement quand ma voix s’éteint d’elle-même. C’en est fini, le monstre est mort…
Alors que l’ardeur du combat tombe un peu, je ne peux m’empêcher, lames encore dégainer, de saisir entre mes bras le corps tuméfié de la druide qui a été ma partenaire durant le combat. Alors, Lothindil se met à me parler, à réciter des paroles dont je ne comprends pas le sens, dont je ne suis pas apte à comprendre tous les détours sinueux, de par la folie qui émane de ses mots. Mais je ne m'en effraie pas. Je sais pertinemment que je ne vaux pas mieux qu'elle, très certainement, dans ce domaine de la folie. Ce monde maudit nous a pris dans son piège mortel, celui qui fend l'âme d'une déraison impitoyable. Elle pleure, et je la laisse pleurer contre mon corps, je la serre dans mes bras, vain réconfort. Je l’étreints une minute, avant de la lâcher en la regardant dans les yeux, m’écartant. C’est à ce moment que le rouge de mes iris repasse au noir, d’un coup, afin qu’elle le voit, même si c’est inconscient…
Elle s'effondre alors devant moi, mais je n'ai pas la force de la relever. Je la regarde, toujours, mais je n'agis pas.
Et puis je sens ma tête tourner, et je dois m’appuyer sur ma rapière pour ne pas choir sur le sol rempli de sang. Mon regard se lève sur l’homme en noir, qui a regardé le combat. Je veux voir sa réaction, je veux voir la haine dans ses yeux, ou l’admiration… Je serre les dents pour ne pas crouler sous la douleur de mes plaies. Le médecin serait bien utile, tiens…