Tathar a écrit:
Une fois cette petite nature de Sandro presque remis sur pied, une bonne partie de notre groupe va se coucher, c'est-à-dire Kafziel, Selena, Amaltia, Ezak et le convalescent. C’est Raesha qui se propose pour la garde mais je préfère rester éveiller. De toute façon, je ne suis pas vraiment fatigué et malgré que je sois torse nu, la fraîcheur de la nuit n’a aucun effet sur moi.
Le temps passe lentement, et l’elfe grise, tous les sens en alerte et la main posée sur la poignée d’une de ses dagues, me repousse doucement alors que je passe un bras autour de ses épaules avec un petit sourire mutin, me faisant comprendre qu’elle prend son rôle très au sérieux.
Après tout c’est son choix, bien que nous n’ayons pas eu beaucoup l’occasion de réitérer nos exploits de la clairière à la licorne depuis quelques temps, c’est pourquoi je m’écarte un peu et vais m’appuyer contre une grosse pierre émergeant de la rive, gardant mon épée à portée tandis que je fouille dans ma besace pour m’occuper. C’est alors que je tombe sur trois parchemins enroulés les uns sur les autres couvert d’écritures en pattes de mouches : ce sont des sorts.
Un large sourire s’imprime sur mon visage et je me plonge dans leur lecture, m’imprégnant de chacune de leurs phrases, ce qui est une base dans l’apprentissage d’un sortilège. Une fois cette première étape réalisée, je mets de coté le parchemin d’ombre rampante, gardant le plus dur pour la fin, puis je tire à pique-nique-douille pour savoir lequel je vais apprendre en premier parmi les deux restant et le hasard veut que ce soit la cruelle obscurité.
Les principes du sort sont plutôt simple puisqu’il suffit de faire un concentré d’énergie obscure dans sa main pour le projeter ensuite sur l’adversaire, lui infligeant des dégâts sans tenir compte de sa protection. La mise en pratique est toute autre car le mana noir est difficile à prélever, surtout lorsqu’il est mélangé à d’autres fluides qui, dans mon cas, sont des fluides de terre.
C’est après une lutte acharnée et presque douloureuse que je parviens enfin à récupérer la bonne dose d’énergie requise par le sort, le manque de pratique ne m’aidant pas beaucoup. Il ne me reste plus alors qu’à donner une forme à cette énergie puis à trouver une cible. Pour ce qui est de l’apparence, je préfère me contenter d’un truc extrêmement simple, une sorte d’étoile à huit branches légèrement incurvées et fines comme la lame d’une dague.
Je m’imprègne de cette forme et la fait adopter par le mana obscur puis je me tourne vers Sandro avant de me raviser et de prendre une vieille souche pour cible. Prenant mon pseudo-shuriken entre mes doigts comme s’il avait une consistance, je plie l’avant bras contre mon torse puis le tend vivement vers la souche, relâchant la pression de mes doigts pour libérer toute la puissance du sort.
L’arme d’ombre file à toute vitesse vers l’arbre mort mais le traverse de part en part pour s’évanouir plus loin, laissant tout de même une magnifique trace noire sur le tronc blanchis par l’acidité du marais.
Et d’un, il ne m’en reste plus que deux à apprendre et ils sont similaires non pas en tout point mais presque. Cette fois-ci, il ne faut plus attirer le fluide obscur à sa main mais le communiquer à sa propre ombre pour que ce soit elle qui agisse. Le sortilège de main sombre ne requiert quasiment aucune puissance et est plutôt simple d’utilisation, le seul problème est d’arriver à imaginer l’ombre de sa main se décrochant du reste du corps pour aller frapper l’adversaire, qui, en l’occurrence, reste toujours la souche.
Il me faut plusieurs essais pour donner assez de punch au sort et assez de consistance au membre pour qu’il fasse des dégâts, ce qui est son but principale d’après ce que j’ai compris, l’arbre mort quand à lui, commence à souffrir légèrement et les traces de coups sont de plus en plus profondes à mesure que je prends de l’assurance et que ma concentration augmente.
Il ne me reste maintenant plus que le parchemin d’ombre rampante, un sort que je sens que je vais apprécier. La différence avec le sort précédent est que ce n’est plus seulement la main mais toute l’ombre qui agit et qui s’attaque à l’ennemi et je m’imagine bien en plein combat disant à mon ombre d’attaquer celle du combattant adverse avec son naginata de trois mètres de long. Il y a de quoi en déstabiliser plus d’un, ce qui offre un aspect stratégique non négligeable.
Bien évidemment puisque c’est l’ensemble du corps sombre qui va se déplacer, il faut utiliser beaucoup plus de mana et c’est beaucoup plus fatiguant, surtout après avoir dépensé pas mal d’énergie pour apprendre les deux autres sorts.
Ces deux apprentissages auront tout de même eu quelque chose de bénéfique car l’extraction du fluide d’obscurité est de plus en plus facile et il me suffit de trois essais pour parvenir au résultat escompté : une ombre parfaitement dessinée et presque palpable, tirant son épée et chargeant l’ombre de la souche pour la traverser d’un bout à l’autre, infligeant la même blessure au tronc lui-même, comme quoi ce sort est plutôt très efficace.
Comme pour le sort de main sombre, je relance plusieurs fois le sortilège afin d’en obtenir une assez bonne maîtrise, puis je me laisse tomber sur le sol, le front perlé de gouttes de sueur. Je crois qu’il est temps d’aller dormir maintenant surtout qu’il ne reste plus que quelques heures avant l’aube…
Malheureusement, c’est encore sur une découverte que notre réveil s’effectue. Le corps de Selena, la petite humaine, gît sans vie sur le bord de la rivière sous le regard empli de larme de Raesha, et il semblerait qu’elle soit morte dans les mêmes conditions que le capitaine Robasc, la gorge tranchée.
(Il y a un assassin parmi nous, ce n’est pas possible autrement…À moins que ce ne soit le culte qui s’amuse en passant par ses tunnels…mais ce ne serait pas logique puisque le chef veut qu’ils soient vivants… bizarre, bizarre…)
L’elfe grise vient alors se blottir dans mes bras, pleurant toujours à chaudes larmes sous le regard accusateur d’Amaltia, regard que je lui rends plutôt froidement. Elle nous annonce alors qu’il faut que l’on reparte sans même ériger de tertre pour la pauvre jeune fille, ce qui est outrant, seulement l’elfe au regard de braise serait capable de partir sans nous et si nous la perdons, autant errer dans ce marais jusqu'à notre fin…
Nous n’avons pas vraiment le choix…
Nous passons encore une bonne demi-journée à marcher et patauger dans la fange des marécages puis notre guide se décide enfin à nous laisser faire une pause, malgré le manque flagrant de nourriture et les grondements répétés de nos estomacs.
Peut-être est-ce par pitié de nous mais elle nous propose de partir chasser, ce qui en soit, est une très bonne idée. Je tends la main à Raesha pour qu’elle m’accompagne mais elle préfère rester ici car elle à du mal à se remettre du décès de Selena. Tant pis pour elle, un peu d’exercice ne me fera pas de mal, tout ce que j’espère c’est de ne pas tomber sur quelque chose de vraiment moche…
Après une heure de recherche, mon enthousiasme est vite atténué… comment pourrait-on trouver quelque chose à manger dans un marais puant et gluant qui s’étend à perte de vue… Presque complètement dépité, je me pose sur un tronc d’arbre couché dans l’herbe humide et grasse pour bouder, laissant mon ventre grogner dans le silence oppressant, ce qui fait que je ne me rends même pas compte que mon siège se déplace…
Ce n’est que quand ce dernier se décide enfin à m’éjecter d’un coup de queue que je m’aperçois qu’il s’agit, non pas d’un tronc, mais d’un crocodile à la mâchoire démesurée et plutôt pas content que je me sois assis sur lui, enfin c’est ce que je peux déduire de son cri colérique…
« hmm les belles quenottes… on se barre !! »
Prenant mes jambes à mon cou, je commence à fuir pour m’arrêter quelques mètre plus loin. Après tout, c’est de la viande avec de la peau dure autour. Je me retourne alors vers le reptile, un sourire faisant deux fois le tour de mon visage accroché aux lèvre et les yeux brillant comme jamais. ((Un peu comme ça ))
Le gros lézard dodu semble avoir un petit moment d’hésitation devant la bave qui me dégouline presque de la bouche, mais il finit par attaquer, ce qui est un peu bête, après tout c’est un animal, puisque sur terre, un crocodile est beaucoup moins agile que dans l’eau… Il faut tut de même que je fasse attention car c’est pas une petite mâchoire qu’il a, le vil… son assaut me loupe bien évidemment sauf que je fais l’erreur de me fixer sur sa gueule, oubliant complètement sa queue qui vient me balayer méchamment…heureusement que le sol est plutôt élastique et amorti ma chute…
Une chose est sure, ce n’est pas un adversaire à prendre à la légère, contrairement à ce que je croyais il y a encore quelque instant.
Je me relève, me campant bien sur mes positions puis utilise mon nouveau sort préféré, l’ombre rampante. La magie noire afflue en moi puis se déverse dans mon ombre qui devient de plus en plus sombre. Cette dernière se décroche alors de mon corps pour foncer sur le crocodile qui m’oublie temporairement, se débattant avec son adversaire immatériel. Je profite de cette occasion pour tenter une immobilisation en règle grâce à mon sort de colère verte, étant entouré de plantes, ce n’est qu’une simple mission de routine.
Sous l’effet de ma magie verte, des lianes et autres plantes grimpantes viennent s’enrouler autour du pauvre croco qui, après une lutte acharne, se retrouve plaqué sur le sol humide et boueux. Mon ombre peut alors faire son office et enfonce donc sa lame dans le flanc de la bête, lui arrachant un cri de douleur retentissant. Je m’approche enfin de lui pour lui porter le coup fatal, mon terrible sourire s’imprimant de nouveau sur mon visage, sourire qui disparaît vite lorsque mon épée rebondit sur la peau du mon futur repas…
« Mouarf !! Il est coriace le bougre… tiens, c’était quoi ce craquement ? Et meerrrdeuuuuuuh….. »
Me voici de nouveau voltigeant dans les airs, prenant une pause gracieuse, propulsé par un coup de tête rageur de mon adversaire se libérant de ses entraves. Tout est à recommencer… ou du moins changement de stratégie, fini de jouer dans la dentelle, j’ai trop faim, une seule chose, ne pas lui abîmer la peau du dos, cela pourrait servir...
« Tu veux crier mon coco…euh croco, ben moi aussi ! »
Et sur ces mots, je lance un sort de force de la bête et lâche un hurlement semblable à celui d’une vingtaine de fauves rugissants, mes ongles se transformant en griffes, mes dents devenant crocs. Fallait pas me chercher.
Accroupis, à quatre pattes sur le sol, je me tiens près à bondir, guettant le moindre mouvement du reptile. L’attente est longue, oppressante… il semble me jauger, une lueur maligne dans ses yeux. Tout va se jouer sur les quelques derniers coups qui vont être échangés. Les muscles de ses pattes se contractent, c’est le signal.
Il se jette sur moi, les mâchoires grandes ouvertes. J’esquive prestement et enfonce mes griffes dans la peau moins épaisse de son flanc, au même endroit que mon ombre a frappé il y a quelques minutes. Il s’écroule pour se relever presque aussitôt, fou de rage, les yeux emplis de haine et de fureur.
Nous sommes des bêtes à l’état pur, blessant pour tuer. Il charge une nouvelle fois, plus rapidement, utilisant toutes les parties de son corps pour me toucher, sans grand succès… Il est en mauvaise posture, il le sait et c’est ce qui le rend plus dangereux encore. Il combat avec la dernière énergie, celle de quelqu’un qui n’a plus rien à perdre.
De mon coté, c’est la faim qui m’anime et je le mords, le griffe, toujours sur cette même partie vulnérable qui est son flanc. Il est acculé, il pourrait bien tenter de fuir mais il ne veut pas, il ne peut pas. C’est fini. Son dernier assaut, une tentative pour m’arracher le bras de ses puissantes mâchoires, va se retourner contre lui. Il est bien parti seulement, ce ne sont pas mes os qui se brisent mais les siens, ceux de son palais, libérant un flot de sang noirâtre dans sa bouche. J’ai tout juste le temps d’érafler ma chair sur ses dents avant que les dangereux hachoirs ne se referment dessus.
Encore quelque soubresaut puis plus rien, la lueur au fond de ses yeux s’est éteinte sur une note de remerciement. Pourquoi me remercierait-il ? Je l’ai tué et il me remercie… comme quoi la vie est étrange parfois. Des larmes coulent doucement sur mes joues, cela faisait un moment que je n’avais pas pleuré… Je les laisse couler encore quelques instant puis je m’approche du corps inanimé du reptile, l’attrape par la queue et le traîne vers le campement.
Raesha est toujours là près du feu et Amaltia reviens presque au même moment, les mains vides… Je lui jette un regard qui veut en dire long puis me détourne pour aller dépecer et vider ma prise.
Une fois la tripaille balancée à quelques centaines de mètres de notre campement et la peau enlevée et tendue pour qu’elle sèche et que je puisse en faire quelque chose, je débite le crocodile en plusieurs morceaux, prélevant le meilleur et le jetant dans le feu comme une sorte d’offrande à l’âme de mon adversaire. La tête est mise de coté, les mâchoires pouvant toujours avoir une utilité.