L’orquesse, prévenue du danger du volcan s’il rentre en éruption, préconise l’action, et s’en va interroger un garde sur les pierres de vision. Je la laisse faire de son côté : elle nous fera un compte-rendu de ses découvertes plus tard. Y compris sur l’utilisation étrange de ces couronnes et fouets de cuir sur lesquels Sinaëthin s’interroge vivement, avant de me demander combien de temps il nous reste dans ce village avant de se faire ensevelir. Je ne suis pas géologue, et ne connais les volcans que de ma propre expérience sur Verloa. Je réponds néanmoins, tant bien que mal :
« Ça dépend de la direction que prend la coulée, et du moment de l’éruption. Je ne saurais vraiment en dire plus. Nous pourrions être en danger partout, sur cette île. Pas seulement ici. »
D’où l’intérêt de vider cet endroit de tout son intérêt stratégique pour les sbires d’Oaxaca. Je n’écoute pas les réponses du garde à la garzok. Je me contente de sortir ma lame sanglante du corps inerte du garde défunt. Ma soif de sang n’est pas étanchée, et ce village est rempli de serviteurs du mal, en pleine débauche morale et physique. Des déchets. Des déjections. Ils m’écœurent, tous autant qu’ils sont. D’aucuns les prendraient sans doute en pitié, dans ce piètre état. Mais vu ce qu’ils ont fait à leurs prisonniers, rien ne peut plus les sauver de mon ire, désormais. Et même si les grands pontes comme Crean n’ont cure de leur vie ou de leur état, il s’agit de leurs hommes, et leur massacre sonne en moi comme une vengeance pour ces menaces proférées à mon égard, en sus d’une punition pour leurs actes vils et déments.
Décidé, inarrêtable désormais, je traîne mes armes jusqu’au prochain garde, que je transperce avec violence entre deux hoquets de rire alcoolisé. Et j’étête sans vergogne son voisin et compagnon, au moment où il se rend compte du décès du premier, laissant sa tête éberluée choir sur le sol d’un coup formidable de hache bleutée translucide tâchée de sang vermillon. Et le sang, il n’est pas prêt de s’arrêter à couler. Emporté dans ces deux premiers meurtres, et désireux d’ôter encore plus de vies, je me rue sur trois autres compères endormis et ronflant sous un porche. De ma rapière, j’en fais une brochette de chair, que je sépare en deux d’un coup de sabre redoutable. Les deux serrées, éclaboussé de leur sang, je sens la rage monter, la colère m’envahir, l’ivresse du combat et du meurtre inonder tous mes sens. Alerte, je repère mes prochaines victimes. Témoins de mes précédents crimes, elles tentent de fuir en titubant et rampant dans la fange, mais je les rattrape sans peine pour les clouer au sol, et mêler leur sang à la boue formée de leurs régurgitations et excréments d’ivrognes.
Les dents serrées, je cours désormais comme un animal fou, tuant à tours de bras quiconque se trouve devant moi. Ces abrutis ne se défendent même pas. Ils n’en sont pas capables. Et je tue, tue sans regret, sans conscience. Ivre de sang, j’arrache les vies sans la moindre émotion autre que la colère qui me ronge. Une véritable hécatombe. Un massacre sans nom, qui s’ils avaient été innocents m’aurait fait passer pour le pire des monstres. Mais là, je ne ressens aucun remords de leur décès brutal. Chacun d’entre eux mérite ce sort, pour les atrocités commises sur cette île ou ailleurs. Je n’ai cure de leur asservissement. Du fait qu’ils n’avaient peut-être pas le choix. Et à cet aspect, je suis du coup sans doute pire qu’eux, dans mes actes, puisque j’agis sous ma seule volonté. Mais cette pensée ne me traverse que trop rapidement l’esprit. Galvanisé par ma colère, et par les encouragements muets, mais opressants, de Lysis dans mon esprit, je tue, je tue et je tue encore, arrachant des membres, écrasant des têtes et des cages thoraciques à coup de marteau de guerre, transperçant des abdomens de lances et de piques, tranchant la chair et les os d’une hache terrible. Mon imagination n’a guère de limite, pour achever ces moins que rien, ces débris d’humanité. Et alors que j’arrache leur vie avec toujours plus de barbarie, je hurle ma rage, ma peine, dans un cri continu et, du coup, haletant. Je ne prête plus aucune attention à mes compagnons. Je suis dans une transe incontrôlable. Je pète un plomb, je pète un câble. Et enfin, lorsque plus aucun vivant ne fait chavirer mon regard et mes gestes, je laisse tomber mes armes sur le sol, et me laisse moi-même choir à genoux dans la boue mêlée du sang de mes victimes. Je ne crie plus. Mon regard, à nouveau noir, n’exprime plus rien, mis à part un profond vide. Le même vide qui habite, à cet instant, mon esprit. La colère, soudainement, s’en est allée. Non pas que je n’en veuille plus à ces tortionnaires, mais ma vivacité de mon ire est contrôlable, désormais. Et pourtant, je ne me sens ni satisfait, ni libéré, de ces meurtres sanglants. Je suis juste perdu, seul dans les ténèbres de mon esprit. Incapable de savoir si je suis un monstre ou un héros. Incapable de regretter mes gestes, ni même de les comprendre, en vérité.
Et je ne reprends possession de ma conscience que lorsqu’une boule de feu venue de nulle part traverse le ciel pour s’écraser sur l’île, à moins d’une demi-lieue. Alors, je me redresse, noir et rouge de crasse et de sang. Le visage barbouillé d’éclaboussures écarlates, le blanc de mes mèches rougis, lui aussi… Je cherche du regard l’elfe blanche et l’orquesse… A la fois perdu et paniqué. Et dans un souffle qui leur est adressé, même si je doute qu’elles entendent mes propos, je m’exclame :
« Il nous faut quitter cet île. La détruire. Effacer tout ce qu’elle représente. »
Et vide de toute émotion, marchant comme un zombie, mais non sans avoir rangé mes armes dans leur fourreau, je me mets à marcher vers la fosse cernée de piques. Là où les hommes vêtus d’acier se trouvaient. Je ne sais même plus si je les ai tués, eux-aussi, dans ma folie. Mais avant de se rendre vers le lieu d’impact du météore, fumant désormais sûrement à l’horizon, plus au nord, je dois avoir le cœur net sur ce que contient cette fosse. Même si j’ai peur de déjà le savoir…
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