Marthis esquisse un petit sourire à mon adresse, comme s’il était heureux de ma présence, et cela amène un sourire équivalent sur mes lèvres. Il souligne cependant que l’alliance avec les Chevalier et les Hommes-Lézards ne s’est pas fait sans heurts et il souhaite que nous mettions de l’eau dans notre vin pour ne pas nous les mettre à dos, précisant que si leurs buts sont similaires au nôtres, leurs intentions sont cependant différentes.
- Je sais, Marthis, cependant il n’aurait pas non plus été bénéfique que l’on s’écrase devant eux. Nous ne sommes nullement leurs inférieurs ou leurs ennemis et les efforts doivent être faits de toutes part, il était nécessaire de souligner ce point.
Je salue le grand homme et suit Zaria qui nous emmène où passer la nuit. Elle nous emmène à l’étage de la petite maison de pierre où plusieurs lits sont disposés. L’ensemble est spartiate, mais cela me conviendra très bien. Mon amie en profite pour préciser que la maîtrise de la magie reste complexe et instable et qu’elle ne fera pas part elle-même de l’expédition. Cette affirmation m’alerte soudain. J’aurais aimé l’avoir parmi nous, je m’en serai sentie que mieux. Elle explique cependant que les sorciers percevraient trop facilement sa présence, mais que Marthis viendra avec nous. Elle souligne aussi que nous ne pourrons pas échapper à la présence du chevalier irritant. Je le sais bien et je n’en doutais pas un seul instant, c’était le pourquoi de ma proposition tripartite.
Elle redescend ensuite, après nous avoir salué et s’estimer heureuse de notre présence.
Je profite de cet instant d’accalmie pour me débarbouiller, puisqu’après tout je ne me suis lavée il n’y a qu’une heure ou deux. Grands Dieux ! Si peu de temps a passé et pourtant tant de choses ont eues lieues. Si j’avais deviné que nous dormirions à Messaliah ce soir… Peu après, je rejoins Xël pour dîner. Au cours de ce repas, il me demande ce que je peux lui dire sur Messaliah. Je réfléchis quelques instants avant de répondre : - Il y a très, très longtemps, Ibn Al'Sabbar était un jeune sorcier de feu, très prometteur mais aussi très ambitieux qui, un jour, vit Vakkar Tî dans le désert. L'esprit lui proposa de faire un voeu et, le jeune Al'Sabbar, alors fasciné par le Désert de Feu demanda de le voir au plus près. Son voeu fut perverti par Vakkar Tî qui fit venir directement le Désert de Feu à l'intérieur de Messaliah, tuant des milliers de personnes, y compris la femme qu'aimait Al'Sabbar. La ville fut engloutie sous les sables. Tu as entendu de la bouche même du Sans-Visage qu'il ne se sent pas responsable pour ce qui est arrivé et qu'il remet tout ça sur la faute du Seigneur Al'Sabbar. Les rares survivants battirent Neo-Messaliah qui fut, petit à petit, peuplée par des Cadi Yangin qui se radicalisèrent jusqu'à se couper du reste du monde. Al'Sabbar fut emprisonné et survécu jusqu'à présent. Je fus celle qui le libéra cinq ans plus tôt.
« Voici pour l'histoire de Messaliah telle que je peux la résumer. Quant à ce que nous avons vécu avec Zaria... Je pense que les choses ont grandement changé depuis. Nous avons pénétré à l'intérieur de la cité par une porte située au-dessus et sommes tombées à l'intérieur pour nous retrouver dans quelque chose ressemblant beaucoup à un labyrinthe, du moins à nos yeux. Nous fumes attaquées par des momies qui nous poursuivirent jusqu'à la Pierre de Vision où nous rencontrâmes les hommes-lézards et Belliand qui nous expliqua comment activer la Pierre. Un processus lent durant lequel nous combattîmes avec acharnement les momies.
Xël m’écoute et m’observe avec une grande attention sans me quitter des yeux. Il semble boire mes paroles et s’attriste du sort de la cité du désert. Il me répond qu’il avait plus ou moins assemblé les morceaux de cette histoire lors de ma discussion avec le Sans-Visage, mais ne parvient pas à trouver les mots pour expliquer son ressenti. Je hoche la tête avec un léger sourire, compréhensive. Il enchaîne ensuite rapidement sur les pièges.
- Les pièges, je n'en ai pas connu beaucoup, mais il faut savoir que le sol sera traitre, tout autant que les murs. La moindre différence par rapport à la normale peut être signe de danger, la plus infime marque.
Mes paroles l’inquiètent, je le vois sur son visage, et il poursuit avec une question sur les Cadi Yangin.
- Très dangereux et persuadés de leurs croyances. Rien ne les ferait revenir en arrière, je pense. Ceux qui étaient plus ouverts ont déjà rejoint Methbe-el.
Il me demande s’ils seront prêts à tout et je hoche la tête fermement. Oui, je le pense. Je pense qu’ils auront plaisir à se débarrasser de nous s’ils le peuvent. Il me dit alors espérer qu’ils auront les mêmes problèmes que nous avec la magie, chose que je pense aussi et lui précise qu’ils sont de grands maîtres, à l’image de Zaria. Une chose en amenant une autre, Xël me questionne sur la magie, se demandant si la maîtrise de la magie pourrait changer, car ça lui paraît complètement aléatoire.
- Je n'ai plus la moindre confiance en la magie et, à vrai dire, je crains de l'utiliser. Je ne la garderai qu'en dernier recours.
Il acquiesce, pensif, expliquant qu’il va sans doute faire de même car un échec a déjà causé la mort d’une personne. Il se servira de ses autres talents. Il ajoute une phrase que je ne comprends pas tout à fait, sur le fait qu’il ait eu affaire aux momies de Kendra Kâr, même si elles ont peut être été mieux habillées. J’esquisse un sourire incertain sans saisir la portée de ses mots, même si je suppose qu’il s’agit là d’une petite blague.
Je lui pose alors une question qui me brûle les lèvres. Nous avons semblé d’accord durant tous nos échanges avec nos interlocuteurs, qu’ils soient d’Arothiir, le Sans-Visage ou les Chevaliers, néanmoins, je n’ai jamais eu le fond de sa pensée concernant cette situation dans laquelle nous sommes.
Il avoue qu’il est difficile de donner un avis sur les Chevaliers, même s’ils semblent imbéciles car, après tout, l’un de ses meilleurs amis en était membre. Thersien n’avait pas si mal réagi que notre cher Chevalier lorsqu’il avait annoncé ouvertement son intention de contacter le Sans-Visage. Sans doute leur amitié y était pour quelque chose, me dis-je, car je doute qu’ils parviennent réellement à faire une croix que leur passé, et je ne le leur espère pas. Il souligne ensuite que les deux Chevaliers que nous avons rencontrés auraient pu tout bonnement se jeter sur nous. C’est vrai aussi. Il marque une légère pause avant de poursuivre, me disant n’avoir aucune confiance en Naral et qu’il se souvient des morts qu’il a causé à Nagorin et ceux qui ont péri sous son souffle à Fan-Ming. Il lui semble que le Sans-Visage est plus honnête, malgré ce qu’il a fait ici car sa version lui semble plus sincère.
Je secoue légèrement la tête. Je ne parviens pas à donner le même crédit au Sans-Visage.
- Je n'ai véritablement aucune confiance en l'un comme pour l'autre. J'aimerai n'avoir à choisir aucun d'entre eux pour laisser les peuples se gouverner eux-mêmes. Les deux ont un peu de bon et beaucoup de mauvais. Le Sans-Visage paraissait peut être plus sincère, mais je ne peux oublier la destruction d'une cité. Et je ne pense pas qu'il fasse du bien aux peuples, il suffit de voir les sorciers de Messaliah ou les conditions de vie à Arothiir. Qu'est-ce qu'il aurait à apporter ?
Je marque un petit temps de pause avant de poursuivre.
- Non, je ne suis pour aucun des deux, je suis pour les peuples.
Xël me sourit en disant que nous n’avons même pas pensé demander aux peuples ce qu’ils en pensaient et que, jusqu’à présent, nous n’avons jamais discuté qu’avec les dirigeants et les Chevaliers. J’esquisse un sourire, qu’il dit vrai ! Nous aurions dû nous enquérir de leurs pensées, les sonder avant de faire quoi que ce soit.
- Nous ne faisons pas de très bons investigateurs, n'est-ce pas ?
Mon regard devient plus sérieux alors que j’ajoute :
- Je ne sais pas si je t'en ai fait part, mais je suis désolée pour Finarfin, j'aurai apprécié le connaître.
Il sourit tristement en passant sa main sur sa nuque, signe de gêne ou d’inconfort. J’imagine que la pensée de son ami devenu Chevalier est une chose difficile pour lui. Il m’explique que c’était une personne simple qu’il n’aurait pas imaginé devenir Chevalier et qu’il était aimé de tous. Il écrase une larme avant de me regarder avec un sourire sincère en se disant heureux que j’ai retrouvé mes amis.
Je tends la main, saisissant son bras pour le serrer légèrement, lui transmettant ainsi ma compassion.
- Je n'ose imaginer ce que j'aurais ressenti s'il s'était agi de Zaria.
Il pose à son tour sa main sur la mienne, signe de remerciement et d’apaisement en disant que nous ferons tout pour que ça n’arrive pas. Je hoche fermement la tête. Il poursuit en disant que nous réparerons le cristal et que nous verrons avec les peuples comment les aider. Non au Conseil d’Or, au Dragon, Chevalier ou Sans-Visage.
Je me radosse sur mon siège en disant :
- Oui. Ce ne sera pas tâche facile, je le crains.
Xël sourit en précisant que, depuis le début, nous savions que cela n’allait pas être tâche facile. J’esquisse un sourire en hochant la tête, puis je le vois se gratter la joue, gêné, en me demandant si je connais quelqu’un maniant le bâton. Je réfléchi quelques instants.
- Il y a bien Belliand d'Ouesseort, oui, pourquoi ? Souhaites-tu te parfaire dans le maniement ?
Il acquiesce en raison des risques encouru par l’usage de la magie.
- Je peux un peu t'aider, sinon je pense que les hommes-lézards pourraient te montrer quelques passes.
Il précise que la nuit est courte pour s’exercer mais qu’il sera attentif si les hommes-lézards savent se servir d’une telle arme. Je hoche la tête avant d’ajouter :
- Tu devrais essayer de garder toujours en tête les deux bouts du bâton, c'est là ton avantage par rapport à ton épée. Pour le moment, tu ne sais pas bien le manier alors pars du principe que tu dois garder ton ennemi loin de toi. Tu auras la plupart du temps plus d'allonge que lui, alors profite de ça, et ne tape que quand tu es certain qu'il ne pourra pas te taper en échange.
Il me remercie et je le remercie à son tour d’être ici, puis il s’en va se reposer. Pour ma part, je pars à la recherche de Zaria et, ensemble, nous sortons de ce campement si étrange pour nous retrouver sous la nuit étoilée du désert. Je prends un instant pour observer, admirative, les étoiles parsemer le ciel. C’est si beau. Ce spectacle paisible m’avait véritablement manqué. Je fini par me tourner vers mon amie avec un petit sourire.
- Zaria, dis-moi, que t'est-il arrivé durant toutes ces années ? J'ai l'impression d'avoir tant à rattraper.
Elle me répond qu’après la bataille de Fan-Ming, tout le monde est rentré pour faire le deuil et reconstruire. Petit à petit, les choses se sont organisées et Ayoub est venu la contacter pour faire d’elle officiellement une Cadi Yangin et laisser le peuple de Methbe-el se gérer de lui-même. Il a proposé Ezereb à cette tâche, mais il a voulu partager le pouvoir avec Ayoub. Zaria est restée longtemps à leurs côté pour les aider et suivre l’enseignement d’Ayoub. Petit à petit, le monde a commencé à changer et la Pierre de Vision s’est retrouvée viciée, devenant son fardeau. Elle a monté ensuite avec l’aide de Marthis une alliance avec les hommes-lézards et les Chevaliers pour arriver à son but. Elle me demande ce que moi je suis devenue durant tout ce temps.
- Un temps bien plus court est passé pour moi. Guère plus d'un mois en vérité. J'ai erré à Oranan, la cité qui devait être ravagée par l'armée d'Oaxaca, sans vraiment de but. Lorsque j'ai vu que l'on demandait de nouveau aux Yuimeniens de venir ici... je n'ai pas hésité. Comme l'a souligné le Chevalier, je ne suis pas d'ici et je n'ai pas la prétention d'être des votres, mais je ne me suis jamais sentie aussi bien qu'ici, parmi vous.
Je marque une pause avant de poursuivre.
- Mes compagnons de routes... et bien Thrag est ce qui que je connais le moins bien. Sous l'emprise du thiir, il a fait de très mauvaises actions et je ne peux m'empêcher de les voir à chaque fois que je pose les yeux sur lui, mais... je ne pense pas que ce soit une mauvaise personne. Sans doute trop fier, mais bon guerrier. Quant à Xël, il était des nôtres à la bataille de Fan-Ming. Je trouve ce jeune homme atypique par rapport à ce dont je suis habituée, plus ouvert, sans filtre et je dois avouer que si j'ai parfois craint les réactions qui en ont découlé, je trouve cela rafraîchissant. C'est un bon compagnon de route, quelqu'un de bien et j'ai confiance en lui.
Elle me demande comme il est possible que seulement un mois se soit écoulé avant de me demander si je saurai représenter les Cadi Yangin dans Messaliah. Je secoue la tête à ses deux questions.
- J'ignore comment c'est possible, comme j'ignore comment tu es parvenue à tisser ces illusions. Quant à représenter les Cadi Yangin... je n'en suis pas une, Zaria, je n'ai pas tes capacités et je ne viens pas d'Aliaénon. Tu as entendu le Chevalier, je n'ai aucune légitimité à vous représenter.
Elle sourit en soulignant que dans son cœur, je suis des leurs depuis que nous avons combattu les momies de Messaliah et que j’ai tenu tête à l’ancien conseil. Je souris à ces souvenirs, ils semblent appartenir à des temps si lointains. Elle me demande de ne pas les représenter officiellement, mais de défendre les intérêts du peuple et de l’histoire, comme je l’ai toujours fait. Ses paroles font écho à ma discussion avec Xël. Je pose ma main sur la sienne et la serre légèrement.
- Evidemment. Je ferai toujours ce que je pense être le meilleur pour vous. Dis-moi, si ta présence risque d'être repérée par eux, la mienne et celle de Xël ne risquent pas de nous trahir ?
Elle me répond que nous n’avons pas la même présence sur ce monde qu’eux et que nous ne risquons rien tant que nous restons discrets.
- Dis-moi, que penses-tu de cette situation, du Sans-Visage, de Naraal ? Qu'en pense le peuple de Metbhe-el ?
Elle ne connaît rien de Naral, et ne lui accorde aucune importance. Elle, comme le peuple de Methbe-el se sent proche de Vakkar Tî, du fait de leur histoire, mais ne lui vouent aucun culte d’aucune sorte. Je hoche la tête, pensive :
- Que penses-tu des Chevaliers et de leur "arme" ?
Elle n’en sait pas plus qu’eux, m’expliquant qu’ils fouillent le monde à sa recherche. Elle ignore cependant d’où leur vient cette certitude. Quoi qu’il en soit, elle ne les considère pas comme ses ennemis. Mon regard se durcit.
- Il serait bon qu'ils cessent de se comporter comme des rustres, s'ils ne sont pas nos ennemis. Penses-tu qu'il puisse être bénéfique que j'aille discuter avec le Chevalier le plus véhément ?
Elle hausse les épaules en me rappelant qu’ils ne me connaissent pas et de leur prouver mon envie de venir en aide au peuple car ils sont surtout soupçonneux de ce qu’ils ne connaissent pas, comme j’ai pu l’être à mon arrivée dans leur cité. Je souris légèrement au souvenir de cette situation, qui aurait pu tourner au fiasco. Elle me dit qu’aller le voir pourrait être aussi bénéfique que néfaste.
- Ce pourrait difficilement être pire sans guerre ouverte, n'est-ce pas ? J'irai cependant les voir, je pense que c'est nécessaire pour la journée qui s'annonce.
Je marque un temps de pause avant d’ajouter avec un sourire taquin :
- Pas de beau prétendant pendant ces cinq années ?
Ses joues rougissent en me disant qu’elle était bien trop occupée par son rôle de Cadi Yangin avant de détourner la conversation en disant qu’il n’y a plus de guerre ouverte et que ce serait peut être plus simple que cette tension omniprésente. Ses paroles m’alertent soudain et mon visage s’assombrit.
- Peut être. Arothiir est vouée à la cause de Vakkar Tî, mais il dit ne pas intervenir dans leurs actions. Je ne sais pas à quoi pourrait ressembler une telle guerre, quelles factions s'affronteraient.
Elle l’ignore aussi et pense que les jours à venir nous le montreront sans doute.
Charis va hocher la tête.
- Nous verrons.
Nous restons encore quelques minutes à profiter du désert, avant que je ne rentre pour débusquer le Chevalier. Je toque à sa porte et le Chevalier Vindicatif en sort.
- Accepteriez-vous de discuter un peu ?
Il se tourne pour fermer la porte et rester avec moi sur le seuil sans prononcer un mot. Bien. Bien, bien, bien.
- Je souhaitais que vous sachiez que je n'éprouve pas la moindre compassion ou le moindre intérêt pour le Sans-Visage. Comme je l'ai dit, je refuse d'accepter ce qu'il a commis à Messaliah et les ruines dans lesquelles il a réduit la cité et son peuple. Je porte en souvenir l'armure d'une des personnes qui ont péri ce jour-là.
Je marque un temps de pause.
- Quoi qu'il arrive, mon seul et unique intérêt sera celui du peuple, ce qui pourra lui permettre de prospérer en paix.
Il répond d’une nouvelle menace en disant s’il avait la moindre preuve que nous étions liés au Sans-Visage, il n’aurait pas accepté notre présence. C’est la plus grande preuve qu’il peut nous accorder. Je hoche la tête en disant :
- Je ne vous en demande pas plus, simplement un respect mutuel dans l'attente que vos convictions soient faites, je pense que nous en aurons besoin pour la journée qui s'annonce.
Petite pause, puis :
- Puis-je vous demander à vous quels sont vos buts, outre la fin du Sans-Visage ? Qu'espérez-vous ?
Il incline son casque avant de répondre que son ordre a pour vocation d’ôter tout but personnel aux membres dans le but de protéger Aliaénon et ses peuples. Le Sans-Visage n’est qu’un aspect de leur combat et que certains voient le Conseil comme un guide et un moyen vers la paix. D’autres, comme lui, refusent toute hiérarchie et n’obéissent qu’à leur crédo secret et ne laissant influencer par personne. Je hoche pensivement la tête.
- Nos buts ne sont peut-être pas si différents, même si nos moyens le sont.
Je poursuis :
- Nous n'avons pas obtenu beaucoup d'informations du Conseil, comment, exactement, le Sans Visage menace-t-il cette paix ? Que fait-il ?
Il me demande en quoi nos moyens diffèrent et précise que les Chevaliers remplacent les sauveurs ayant abandonné le monde à son sort. Je me sens obligée d’intervenir, mais attends qu’il termine. Il souligne aussi que nous sommes également ici à cause du Dragon Mauve. Il nous croit cependant lorsque je dis ne pas lui être affilié. Il précise ensuite que nous somme peut être pas si différents.
Après un instant, il ajoute que le Sans-Visage ne fait rien activement pour le moment mais que ce sont ses fidèles qui nécrosent la paix. Il souligne que nous ne pouvons rien à la présence des Titans et que tout ce mélange créé de petits conflits.
- Je garde mon visage apparent et des attaches aux gens et aux lieux. Je ne fais pas non plus partie d'un ordre avec un credo secret, j'agis selon ma seule conscience, je pense qu'en ceci nous différons. Pour ma part, je ne réclame aucune affiliation au Dragon Mauve, il y a cinq ans, je n'ai pas eu vent de ses actions et de ses manigances, je suis restée principalement dans le désert. Je ne les ai découvert qu'une fois éveillée un an plus tard. Quant au temps qui est passé pour vous, ces cinq années. Pour moi, sur mon monde, elles n'ont pas été plus longues que deux mois et a aucun moment durant ce temps je n'ai eu vent des problèmes ici. J'ai accouru dès que j'en ai entendu parler.
Il soupire, soulignant qu’il nous reproche rien, malgré le ton qu’il m’a semblé entendre, mais qu’ils ont dû faire sans nous pour reconstruire ce monde et que ce casque signifie simplement l’effacement complet de sa personnalité au profit du service pour Aliaénon. Il ajoute qu’il est sans envie, sans intérêts personnels et sans ambition propre et que je ne comprends peut être pas ça. Je secoue la tête, légèrement piquée.
- Je comprends que l'on puisse être sans ambition, je n'en ai aucune et j'ai été élevée à n'en avoir aucune pour faire toujours passer mon peuple avant mes propres besoins. Je donnerai ma vie sans ciller pour le peuple de Methbe-el. Mais je suppose qu'en effet, je peine à comprendre que l'on puisse prétendre laisser derrière soit toute attache, car ce sont justement ces attaches à Zaria, à Marthis et au peuple qui font que je suis ici et prête à mourir sur un monde qui n'est pas le mien pour eux. Peut-être ai-je tort, mais je n'arrive pas à croire que l'on puisse devenir comme vous sans avoir un amour profond pour quelqu'un, quelque chose. J'ai vu l'un des vôtres mourir et, dans son dernier souffle, il y avait une pensée pour des êtres aimés.
Il soupir encore, mais j’ai le sentiment que, quelque part sous ce casque, il sourit. Il avoue que certains, au moment de leur mort, retrouvent leur personnalité d’orgine et que ce n’est pas un mal car cela signifie que leur action en ces terres est accomplie. Il est d’accord pour le reste de mes paroles, disant que leur attache à eux, c’est Aliaénon.
Je hoche la tête, me permettant à mon tour un sourire.
- Je vous remercie de m'avoir accordé un peu de votre temps et je ne vous retiendrai pas plus longtemps. Merci pour cette discussion qui m'aura donné quelques pistes auxquelles je me dois de réfléchir. Bonne nuit, puissiez-vous être en forme pour ce que nous avons à faire demain.
Il me salue sobrement de la tête avant de retourner dans son antre. Quant à moi, je retourne me coucher. Sur le chemin, je songe à tout ceci, à cette situation. J'espère que la discussion avec le Chevalier aura porté ses fruits, qu'il ait pu avoir une autre vision de ce que représentent les Yuiméniens et notre silence durant toutes ces années. Que nous cherchons à déterminer le faux du vrai, le bon du mauvais pour essayer de recomposer la situation au mieux, pour Aliaénon entière. Je considère de mon côté qu'elle n'était pas vaine et j'en ressors somme toute avec une meilleure opinion de lui et une autre vision des choses, loin des affrontements ouverts.
Cependant... et bien, je pensais réellement ce que j'ai dis à Zaria, à Xël et encore répété au Chevalier. Pour moi, les peuples resteront la raison pour laquelle je me bats, je veux qu'ils puisse croître en paix sans avoir le couperet d'une entité supérieure accroché au-dessus de la tête. Peut-être aiderai-je les Chevaliers à venir à bout du Sans-Visage ou peut-être pas, ma décision n'est pas encore tranchée. Après cette discussion avec l'homme en armure, je me rends compte d'une chose qu'il ait dite, une chose qui, à présent que j'y pense, fait écho en moi. Il dit ne vouloir suivre aucune hiérarchie, ne répondre à personne de ses actions, si ce n'est à sa morale. N'est-ce pas devenu ma façon de vivre à moi, fille de Cheikh ? Mes actions ne répondent de personne et j'en suis la seule maîtresse. J'ignore si je pourrai un jour supporter de devoir obéir à quiconque.
Je pense cependant que les peuples ont besoin d'être dirigés, mais dirigés par des gens qui sont des leurs et non des entités supérieurs comme le Sans-Visage ou Naral Shaam et le Conseil, des gens qui ne siègent pas en haut d'une tour doré ou dans un palais luxueux. Il faut des gens comme Ezereb, des gens qui ne voient pas le pouvoir, mais le bien du peuple. Ceux-là, combien sont-ils ?
Mes discussions n’ont pas duré tant de temps que ça, je pense, mais Xël est déjà profondément endormi, aussi je me couche dans le plus grand silence et m'endors bien vite.
~ 4000 mots
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