A la recherche de sa chair
A travers la noirceur du désert, Sephran arpente une pseudo-route sableuse qui paraît interminable; un vent très frais, venant sans doute des lointaines côtes de l'océan, soulève la poussière devant ses pas et efface ses traces derrière comme s'il n'avait jamais foulé cette terre. Le ciel nocturne est parsemé de milliards d'étoiles et de constellations dont la plus grande représente, si son imagination ne lui fait pas défaut, une grande casserole. Après trois heures de course effrénée, Seph s’arrête un instant pour chercher le moindre indice des ravisseurs et repère quelques empreintes de chameaux et humaines emmêlées dans les quelques rochers qui dorment dans le désert, mais il n’aperçoit pas celles qui l’intéresse: celle du shaakt et des orques.
Déçu, Sephran abandonne la poursuite, car il sait à présent que sa Sœur est trop loin et qu’il ne la rattrapera pas dans l’état de fatigue dont il se trouve. Épuisé, il s’assoit sur une large pierre plate, contemple les étoiles et s’y perd jusqu’à ce que les méandres du sommeil le rattrapent. Il s’endort dans la chaleur que la roche à conserver du soleil de midi.
(Zzzz, Zzzz…! N’aie… N’aie pas peur! Je te retrouverais Sœurette. Zzz, Zzzz, Zzzz…!)La froideur du désert ne le dérange pas, puisque Sephran est habitué au froid à cause de son enfance passée dans les tunnels du Manoir. Pendant qu’il dort, la petite fée bleue, dans le cristal, s’illumine de tout son éclat. Seph commence à s’agiter et voit l’être féerique dans un de ses rêves: Sephran se retrouve assis au beau milieu d’une forêt embrumée, les arbres forment un cercle et arborent une multitude de couleurs tout autour de lui. Dans ce songe, la fée a changé de forme et se présente sous les traits d’une jeune fille immatérielle.
Pour la première fois, le plus jeune héritier des Etreden a ressenti la peur, certes, pas celle qui correspond à la catégorie de l’effroi, mais plus celle de l’inconnu.
« Qui… qui êtes-vous? Quelle est cette diablerie? Où suis-je?» dit-il d’une voix peu assurée.
La fille féerique, les cheveux céruléens flottant au gré d’une brise, s’approche de Sephran.
« Tu…tu ne me reconnais pas?
-Non! Et ne…ne m’approchez pas!
-Ne sois pas effrayé! Je suis Celle dont tu retiens le corps, contre son gré, dans cette prison cristalline qui est à boucle.
-A…Azur…Azuriel!
-Oui! Je suis Celle dont tu as nommée ainsi.
-Nommée ainsi?
-Je possède un autre nom, mais il m’est interdit de le prononcer à ceux qui ne font pas parti de mon peuple. Ne t’inquiète pas pour autant, je l’aime bien!
-Je…je comprends. Au fait, où…où sommes-nous?
-Tu es dans mon inconscience, disons que ça n'est une représentation.
-D’a…d’accord! Ce…cependant, je ne t’imaginais pas comme cela.
-Ce que tu vois, c’est juste mon essence spirituelle, à ne pas confondre avec l’âme qui est sur un autre plan. Toi aussi! Tu es fait pareil. Regarde-toi! » La dénommée Azuriel fait apparaître un miroir vert-pâle sur sa main vaporeuse et le présente à Sephran. Le miroir s'illumine au contact de l'adolescent et un reflet de celui-ci se manifeste dans la glace vitrée. Seph le regarde attentivement et s'aperçoit qu'il a le corps aussi éthéré que la fée, mis à part que son essence est rougissante avec une tâche noire au centre alors que celle d'Azuriel est verte-bleutée.
« C'est...c'est étrange! Néanmoins, cela m'effraie toujours autant, mais...mais c'est quoi cette tâche sombre qui m'accompagne?
-C'est le symbole de l'obscurité, tu dois posséder certainement des pouvoirs liés à cet élément. N'aie pas peur! Je sens que ton esprit est en « symbiose » avec cette ombre.
- Ah...ah! C'est juste ceci, je ne m'en soucie guère. Azuriel, changeons de sujet, s'il te plaît! Je...je ne sais toujours pas pourquoi je me trouve ici?
- Je ne le sais pas. Explique-moi! Est-ce que tu as fait quelque chose de spécial? Pour ma part, j'étais en pleine méditation, tu es apparu graduellement en face de moi et voilà.
- De mon côté, je me suis endormi et me suis retrouvé là devant toi.
-Mmmh...mmmh...! Vraiment, je ne vois pas ce qui s'est passée. Pourtant, tu ne devrais pas être là.
-Bien! Ça ne m'avance pas beaucoup. Au fait! Pourquoi ne devrais-je pas être là?
-Heu...! Comment dire? Disons, tu te situes dans un lieu qui est personnel, je dirais même que c'est intime.
-Hein...!
-Rien, oublie!»Gêné parce qu’il a entendu, Sephran, sans rougir, baisse les yeux. Mais, l’adolescente fantomatique ne lui laisse pas le temps de regarder ses pieds. Elle lui pose délicatement les doigts sous le menton et le relève de toute sa hauteur. Puis, tout d’un coup, la fille féerique le pousse en arrière. Après être tombé à terre, l’héritier Etreden se sent happé dans un tourbillon. Le décor, devant ses yeux, se transforme en un gribouillage de couleurs et disparaît pour laisser la place au néant.
Il se réveille en sursaut avec pour cadeau une migraine qui fait la java dans son crâne.
(Argh! Ma tête! Quelle nuit désagréable! Et ce...ce rêve c'était quoi? J'ai cru voir Azuriel! C'est... c'est impossible! Elle s'est réveillée. Comment...comment a-t-elle fait ?) Il décroche et contemple, sous toutes ses coutures, sa boucle d'oreille. A part la fée endormie, il ne voit rien de spéciale.
(Elle...elle est normale! Cela dut être une fantasmagorie liée à la fatigue. Peu...importe, j'ai une autre affaire qui ne peut attendre: récupérer Sœurette pour la Famille.)
Seph émerge peu à peu de son sommeil et s'élève péniblement de son inconfortable « lit ». Ébloui par les premiers rayons du soleil, il tombe maladroitement dans le sable. Étourdi, il s'adosse derrière la pierre plate pour reprendre ses esprits. Des secondes passent, des minutes passent et puis, après une heure de convalescence, l'adolescent retourne dans la réalité chaude du désert: effectivement, la température extérieure est montée en flèche malgré que cela soit encore le matin.
Sephran essaye de se lever. Il réussit à se mettre debout par la volonté de fer que son défunt paternel lui a inculqué à travers une épreuve d’endurance sur le Pic Foudroyant. Il fait quelques pas pour se dégourdir les jambes. Soudain, l’adolescent marche sur quelque chose. Un feulement retentit sous le sable grossier, deux grandes oreilles blanches suivi d’une tête effilée aux yeux jaunes sortent d’un trou. Seph reconnaît facilement l’animal parce qu’il en avait déjà aperçu lors d’une chasse à l’Orque sur sa terre ancestrale.
(C’est… un…un camiü! Intéressant, j’ai vu dans un livre relatif aux goûts du Peuple des Dunes, que cette bestiole pouvait se manger et permettait de lutter contre la soif. J’en aurais besoin. Je suis parti dans la hâte à la poursuite de ces Animaux sans prendre aucun équipement de survie... Mmmh…! Je crois que j’ai marché sur sa queue.)
En effet, le mammifère gratte autour du pied de l'adolescent pour se dégager, mais il n'arrive pas à temps; puisque l'hériter Etreden, en bon chasseur, l'a déjà attrapé par la peau du cou. Le camiü se débat férocement, sûrement par la force du désespoir, en donnant des coups de griffes dans le vague. Pour le calmer, Sephran resserre de plus en plus fort sa prise sur la gorge jusqu'à que la créature s'évanouisse par le manque d'oxygène dans son cerveau.
(« Proie tendue, viande foutue » comme disait Père. Il ne faut pas que je perde du temps, sinon elle va se réveiller et tout sera gâché.)
Seph revient, avec le mammifère inanimé dans la main, vers la pierre qui lui a servi de matelas. Il le tourne, le prend par la queue et, dans un mouvement circulaire, il claque brutalement la tête contre la roche. Par chance, le camiü est mort sous le choc. L'adolescent prend rapidement une pierre et l'aiguise avec soin. Après dix minutes d'affûtage, il découpe délicatement la fourrure de l'animal, l'enlève et la met par côté. Ensuite, il retire du ventre tout ce qui n'est pas nécessaire tels que les viscères, les tissus nerveux, les os... et ôte aussi la tête. Sephran éparpille et enterre tout ceci à quelques mètres du bivouac improvisé pour fausser la piste des charognards.
Il étale toute la viande sur la pierre, pose une deuxième pour favoriser la condensation, pose la fourrure pour protéger l’aliment contre des insectes fouineurs et laisse la célèbre et infernale chaleur du désert cuire la viande. Pendant la cuisson, Sephran se réfugie dans l’ombre du rocher pour trouver un peu de fraîcheur et réfléchir à sa situation actuelle.
(Que dois-je faire…? J’ai perdu leur trace. Et en plus, il ne faudrait pas je traîne ici, des caravanes de ces sales chiens de Fils du Désert se promènent dans les parages.) Il se tape d’une manière rude sur ses tempes avec ses mains pour éveiller la moindre idée qui voguerait paisiblement dans les tréfonds de son cerveau.
(Mmmmh….Mmmmh! J’ai…..)
Sans rien comprendre, une voix douce et efféminée l’interrompt dans sa réflexion.
« Me voilà! » Sephran, pris par surprise, saute sur place. Il relève la tête et distingue, entre les filaments sableux levés, une légère silhouette féminine. Il ne bouge pas d'un poil en voyant le visage halée de la fille s'approchait du sien.
« Alors, je répète: Me voilà! »dit-elle en souriant et en plissant ses yeux.
« Comment...! Par la Grande Chasse, qui êtes-vous?
-Naenimeï, une marchande ambulante, vous m'avez appelé et je suis là alors qu'est-ce que vous voulez?
-Un appel? Je n'ai rien fait de ce vous parlez.
-Si, avec vos claquements de mains! Alors, qu'est-ce que vous voulez? »(Appelé par des cla...! C'est qui cette folle? Elle a le soleil qui lui a tapé fortement sur la tête. Bon bon..., je vais rentrer dans son jeu pour éviter les ennuis. Elle a dit « marchande », avec toute la camelote qu'elle se trimballe, il doit bien avoir quelque chose d'utile.) L’adolescent regarde tout le barda qui entoure la commerçante de passage et repère des objets de survie comme des tentes, des gourdes, des capes… Pour parler à la gamine à la mèche dorée, il se concentre et rétorque en toute confiance.
« Hum…! Vous n’auriez pas quelque chose qui puisse protéger de l’insolation, qui garde le corps frais et de pas cher bien sûr. »En entendant cette réponse, Naenimeï trifouille fougueusement ses marchandises, ressort hâtivement une cape jaunit par le temps et la présente aux yeux de Seph.
« Voici pour vous, une cape de voyageur avec doublure de crin qui facilite une ventilation minimum et empêche l'infiltration du sable sur la peau, elle est à vous pour la modique somme de 10 yus, je répète 10 yus, c'est une bonne affai...blabla... et blabla...blabla... »(Quelle pipelette! Je vais lui couper la langue si elle continue. En plus, elle parle si vite que je n'ai compris que le début.)« C'est bonnnn! Je la prends. Voilà la monnaie!»Sephran pioche dans sa bourse et tend les pièces à Naenimeï. Elle les prend, compte minutieusement, donne la cape et remercie en s'inclinant.
« Transaction réussie...! A la prochaine !» Avant qu'elle lui tourne le dos, l'adolescent, dans un geste irréfléchi, l'attrape par le poignet. Les traits du visage de la jeune fille ont changés, le sourire s'est effacé en laissant place à un froncement de sourcils, ses cheveux naturellement peignés se redressent au garde à vous. Le sable et les cailloux flottent et gravitent, par une force invisible, autour de son corps. Sephran ressent, sans la montrer, une intense frayeur en observant la scène. La voix de Naenimeï change du tout au tout, elle déverse toute sa colère à travers ses mots.
« LÂCHEZ MON POIGNET…! TOUT DE SUITE! SINON, VOUS ALLEZ SUBIR LA PLUS PUISSANTE TEMPÊTE DE SABLE QUE CE DESERT EST CONNU!
-Non…non, cal...calmez-vous! Je…je vous lâche.
-Groumph…!
- Ex...excusez-moi pour mon emportement! J’ai fait cela pour que ne vous partiez pas tout de suite, car j’ai des informations à vous demander.
-Soit! Je vais être clémente pour cette fois-ci, car nous avons fait affaire. Je vous écoute, mais, faites vite. »(Pffouu…! Je l’ai échappé belle.) En disant cette dernière parole, Naenimeï redevient calme, sourit à nouveau et la petite tornade qui tournait autour d'elle a disparu. Sephran se lève de l'ombre provenant de la pierre et s'enveloppe dans la cape, à la façon du Peuple des Dunes, pour se protéger de l'agression solaire.
« Voilà, je voudrais savoir si vous n'aviez pas croisé ou entendu parler d'une horde d'animaux...
-Animaux?
-Euh...! Je veux dire une horde de Peaux-Vertes menée par un Shaakt qui se serait promené dans les environs. Ah! Oui, une fille d'une douzaine d'année doit les accompagner aussi. Elle a la peau aussi clair que la mienne, arrive à peu près à la hauteur de ma jambe et à des cheveux rosacés qui lui tombe jusqu'au bas du dos.
- Attendez! Mmmh…Mmmh! Siii, j’ai entendu une histoire par rapport à ça, c’est qui déjà? Humm…! Voilà, c’est mon précédent client qui me l’a dit; il m’a raconté qu’une caravane d’approvisionnement whielloise a été attaquée ce matin-même par des orques à l’orée du Désert. Malgré le pillage complet du convoi et les pertes humaines assez lourdes, les Fils du Désert qui servaient de gardes en ont capturés deux de leurs dix agresseurs et les ont ramenés au Palais du Désert, la demeure du clan Kel Attamara, mais il n’a pas parlé d’humaine et ni d’elfe noir. Voilà, c’est tout ce que je sais.
-Capt…captivant! Où se trouve ce lieu?
-C’est au Nord, à quelques heures de marche d’ici.
-Merci pour l’information! Je n’ai besoin de rien d’autre. »
Sur ces mots, la marchande ambulante s’incline à nouveau et disparaît en un éclair en laissant juste, derrière elle, un nuage de poussière jaunâtre qui ondule dans l’air.
(Waouh! Quelle rapidité!.... Bien, je crois que je vais suivre cette piste, c’est la seule que je possède, même si elle est peu tangible, surtout quand cela vient du bouche à oreille. Tiens, c’est prêt!) Effectivement, un délicat fumet de viande grillée vole vers le nez de Sephran. Il enlève la fourrure, la pierre, attrape la viande du camiü entre ses doigts et s'assoit en tailleur pour la manger.
(Crunch...crunch! Bof, j'ai connu mieux. Les recettes des Fils du Désert, je leur laisse bien volontiers. Où j'en étais?...Ah! Oui... suivre la piste de l'orque, mené à la résidence des Kel Attamara. Kel Attamara...? Eh...! C'est la famille de Fils du Désert qui règne en maître sur le Désert bleu. Elle doit être célèbre et dangereuse étant donné de ce j'ai vu dans la bibliothèque familiale. Il y a toute une étagère de livres et d'archives réservée à ce seul nom. Il faut que fasse attention, je suis toujours en territoire ennemi.) Après avoir avalé son repas consistant comme un porc, l'héritier Etreden ressent l'effet de l'hydratation, tant parlé dans le livre , qui l'encourage à reprendre la marche. Pour sa sûreté, il part dans la soirée et prend la direction du Palais du Désert.