Sa tête éberluée à la vue des quelques pièces en plus le sonna plusieurs secondes. Méfiant, il observa que personne ne le vit empocher l'or supplémentaire, toujours rare en temps de guerre. Une fois le boc plein d'une bière âcre et rappeuse et d'une mousse débordante, il me la tend en se baissant vers moi.
« Des bois, des bois, et au-delà, des ruines. On les dit maudites, personne ne va là-bas. Jamais. »
Ses yeux graves me lançaient un regard entendu. Il cherchait évidemment à me dire quelque chose et peu de possibilités m'apparaissaient. Soit personne n'y allait car quelqu'un – ou quelqu'une d'ailleurs – l'avait formellement interdit ; ou bien était-ce simplement car personne n'en revenait. Ni l'une ni l'autre ne me plaisait. Mais restait la possibilité que personne ne s'y aventurait car elle leur faisait peur. Un bois abandonné aux abords d'une telle cité donnait effectivement à propager les plus sombres légendes. Restait ce dernier mot que mon esprit mâchait et se répétait. Cherchait-il à m'indiquer réellement la route vers la rune tant convoitée ? Connaissait-il même son existence ? Pourquoi finir, à ce moment précis, à cette personne précise, sa phrase par « jamais » ? L'atterrissage d'un verre sale dans la bassine de vaisselle me tira de mon silence gênant.
« Mais t’en pose des questions, t’es pas d’là ? »
« Campement Est. Un gars m'a dit que tu faisais la meilleure bière de cette cité de merde. Il s'était pas trompé. »
Je vidai alors d'un trait l'alcool infect et déposait ma pinte accompagné de quelques pièces de surplus avant de me dirigé vers la porte de derrière. Derrière moi, le tavernier m'observait de ses yeux ensanglanté par les nombreuses nuits sans sommeil. Je n'espérai alors qu'une chose, qu'il se tut pensant avoir gagner un bon client. Un sillon tracé dès le pas de la porte menait à une sorte de fosse où le tenancier devait entreposer et brûler les clients réfractaires à leur condition d'usager. Les restes putréfier d'un humain dépouillé de tout vêtement, ainsi que de sa tête, baignaient dans des cendres ensanglantées. À proximité se situait une large réserve de bois tandis que s'éloignait, devant moi, une longue étendue de hautes herbes vierge depuis longtemps de toute trace de passage.
Je me faufilai dans les herbes avec l'habileté de ceux de ma race. Marchant précautionneusement entre les plus grandes mottes et sans tracer une allée nette, je m'assurai ainsi de ne pas éveillé trop de soupçons et de laisser inviolée aux yeux de tous les regards inattentifs cette terre. Je ne pouvais cependant m'empêcher de penser que si quelqu'un me cherchait, il n'aurait que peu de difficulté à suivre mon chemin. Qu'importe, je me sentais plus proche que jamais de l'objet de vos désirs. Cette fois-ci, je n'essuierais aucun revers. Cette fois-ci, je vous comblerais. Grandes furent vos attentes envers moi. Tout autant que votre confiance à vrai dire. Et pour cela, je vous étais reconnaissant car vos paroles traînaient dans ma tête alors que je m'avançais vers un sanctuaire sombre.
En effet, une fois passée les herbes hautes, le soleil commençait grandement à décliner. De toute façon, il aurait été peu nécessaire à travers le plafond que formaient les hautes branches des arbres. Mais l'avantage est que l'accès se dégageait. À l'ombre des mastodontes végétaux, rien de poussait. Un épais tapis de feuilles et d'épines en décomposition nourrissait sans aucun doute une légion d'insectes. De ce fait, je pus apercevoir lors de ma progression la lune remplacer, ô combien plus efficacement à mon goût, le soleil couchant. Et, au plus noir de la nuit, les yeux calmes et inquisiteurs d'une chouette me donnait l'impression de pénétrer un territoire interdit. Impassible, elle ne fut nullement inquiétée par mon arrivée. Seulement dérangée. Peut-être me prendrez-vous pour un fou mais l'espace d'un instant, je crus l'entendre soupirer. Je vous écris bien soupirer. Soupirer d'agacement, comme si ma présence rappelait un temps passé que la forêt entière souhaitait oublier. Le temps des hommes sans doute.
Je m'approchai alors d'elle. Il faut toujours suivre la voie de la sagesse et la chouette en est l'emblème me disais-je alors. Ce ne fut que lorsqu'elle ne se trouvât qu'à quelques mètres de moi qu'elle prit son envol. Ses magnifiques ailes se déployant avec majesté, un vacarme de plume brisa le silence qui maintenait notre relation. Elle hulula une fois en ma direction, yeux dans les yeux. Elle me prévenait que si je m'aventurais plus en avant les soucis me guetteraient. Alors, et seulement alors, je remarquai son perchoir. Sur un bloc de granit recouvert d'une épaisse couche de végétation sèche se paradait une grande gargouille. Sa gueule grimaçante tirait sa langue en pointe de tout son long jusqu'à son cou rétracté dans ses épaules squelettiques. Accroupie sur son piédestal, ses ailes déployées donnaient une réelle impression que ce gardien s'apprêtait à s'envoler vers moi. Aucune rancœur sur son visage déformé, parfaitement froide à mon passage, seuls ses yeux m'indiquaient que je n'étais pas le bienvenu. Deux saphirs étonnamment encore en place ressortaient partiellement des orbites de la statue. Toujours là alors que si peu de distance les séparaient d'une masse de mercenaires, ces gemmes n'affirmaient sans doute pas que personne n'avaient essayer de les enlever mais que personne n'y était parvenu. Vu la grande proportion de voleurs dans l'armée de la Sorcière, comment ne pas penser au pire.
Vous savez mon admiration pour Fracevolt. Sa capacité à instiller chez le lecteur la plus grande des peurs sans même en décrire la source. Tout est question d'atmosphère me disiez-vous fréquemment lorsque je l'avais découvert. Une goutte de sueur perlant sur mon front, je m'attaquais avec tant de plaisir que d'appréhension à la lecture d'un autre de ses romans. Depuis lors, je me disais que rien de ce que je verrais ne pourrait me faire aussi peur que l'ambiance que le monstrueux auteur parvenait à créer. Je me mentais à moi-même. Une rangée disparate de gargouilles formait une allée jusqu'à une terrible porte. Chacune différait de l'autre. Et je ne vous parle pas ici d'une grimace différente. Au delà d'un certain classicisme sur la première des gargouilles, un hall des difformités se construisait à chacun de mes pas. Là une hyène à tête d'ours, plus loin un corps d'homme formé uniquement de serpents entrelacés. Menaçante ou fière, en colère ou en attente, chacune vivait pour ainsi dire par l'émotion particulière et unique que le sculpteur créa dans un temps si reculé qu'il ne veut plus rien dire à mes yeux.
Alors que je m'étonnais de la présence désormais de chênes malgré la présence de l'océan si près de la forêt – sans doute afin de ne pas m'attarder sur les créatures de pierres qui rendait mon pas tremblant – j'arrivai finalement à la dernière des sculptures. Assis sur ses pattes arrières puissantes singeant un lion aux proportions ahurissantes, s'enroulait autour du bloc de granit sur lequel se reposait la créature un serpent lui servant de queue. Me reculant et levant la tête pour la voir en entier, je compris alors qu'il s'agissait d'un gigantesque griffon. Le buste félin se paraît peu à peu de plumes minutieusement taillées et donnait sur un bec colossal, grand ouvert, criant à la lune. Je fis le tour afin d'observer le travail fait pour les ailes. Déployées droites et parallèles, leurs contours géométriques et leurs angles aigus donnaient à cet enchevêtrement d'écailles finement dessinées un air aussi puissant qu'agressif.
Le mythique monstre se trouvait juste en face d'un arc immense. La porte de l'endroit où je me rendais, évidemment. Dans un style parfaitement militaire, perçant un mur d'enceinte recouvert de lierre, un immense trou béant m'invitait à entrer. Pourquoi abandonner un tel lieu ? Quel mystère avait poussé les hommes à abandonner cet endroit ? Quel danger, sans doute, serait plus juste. Aux pieds de l'arc et jusqu'à perte de vue s'étendait une mousse épaisse et confortable d'un gris sale et inquiétant. Ma quête finirait ici, j'en avais le pressentiment. Non, j'en avais la conviction.
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