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 Sujet du message: Le port
MessagePosté: Jeu 30 Oct 2008 16:12 
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Le port


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Accès au port souterrain


Il y a deux façons d'y accéder :

  • C'est à l'air libre qu'accostent la plupart des bateaux qui ne sont pas là pour acheminer de grandes quantités de marchandises. Cette partie du port n'est pas très développée car les ravages des tempêtes et du mauvais temps sont si fréquents que les Shaakts ne se sont plus donnés la peine de lutter contre les humeurs de la déesse Moura.
  • Les bateaux qui sont chargés d'approvisionner la ville passeront par la droite, cinq cents mètres plus loin, empruntant une vaste galerie donnant sous une grande colline caverneuse directement reliée à la ville souterraine. Cette partie du port est beaucoup plus élaborée, on y trouve de nombreux pontons.

Faites vos RP ici jusqu'à embarquement dans un bateau

Bateaux à la vente :

Pour plus de renseignements, se reporter à la règle spécifique sur les bateaux.

Bateau à vitesse standard (x1, 6km/h) : Gratuit (Yus non débités de la fiche mais l'achat sera à jouer en RP)
Bateau à vitesse avancée (x2, 12km/h) : 400yus
Bateau à vitesse rapide (x3, 18km/h) : 1000yus
(Il est toujours possible de faire améliorer son bateau par la suite en payant la différence !)

Un nouveau sujet sera ouvert dans la partie trajet et voyage, pour que puissent s'y faire les RP à bord du bateau acheté. Pour que le GM puisse le faire, lorsque vous voulez faire l'achat, mettez dans la demande ceci complété (Ce sera ce qui apparaîtra dans le sujet) :
Citation:
Titre : Le nom du bateau et entre parenthèse, à qui ou quelle guilde il appartient
Une image (Facultative)
Dans la présentation : Le type de bateau (Voilier, navire, galion,...) ainsi qu'une description : à quoi il ressemble, son capitaine, ses matelots et leur nombre approximatif.
Sa vitesse (Vitesse standard (x1) / avancée (x2) / rapide (x3) )

Les bateaux sont rachetés à 1/4 de leur prix.

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(((Si vous voulez être servi dans des temps raisonnables, n'oubliez pas de demander aux GM dans le SUJET DES INTERVENTIONS GMIQUES de s'occuper de valider vos achats en jouant le commerçant. Nous ne faisons pas le tour des boutiques... merci de votre compréhension )))

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Pour s'inscrire au jeu: Service des inscriptions

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Alors il y a une règle que je veux que vous observiez pendant que vous êtes dans ma maison : Ne grandissez pas. Arrêtez, arrêtez dès cet instant. Wendy dans "hook" (petit hommage à Robin Williams)
Pour toute question: Service d'aide
Pour les services d'un GM: Demande de service


Je suis aussi Lothindil, Hailindra, Gwylin, Naya et Syletha


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 Sujet du message: Re: Le port
MessagePosté: Sam 6 Juil 2013 01:08 
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Inscription: Mer 19 Jan 2011 09:51
Messages: 1074
Localisation: Gwadh
La traversée en mer près de Nosvéris se fit dans la crainte, la capitaine shaakt paraissait pourtant sure d'elle. Dans la cale, les passagers sentaient parfois que le navire s'arrêtait, y'avait-il un navire ennemi ? L'équipage ne leur répondait pas ou s'amusait de leurs inquiétudes. Pour avoir goûté au confort et à la vitesse des voyages aériens, la mage et son protecteur regrettèrent amèrement de devoir redécouvrir les jours interminables en mer, la plupart du temps dans la cale, les nuits glacées de Nosvéris et la puanteur. Le plus difficile pour Thalo, c'était de tuer le temps, six jours à ne rien faire ! Si Rosa avait le privilège d'avoir de temps à autre la compagnie de la capitaine qui s'assurait qu'elle allait bien, Thalo lui en regrettait presque de ne pas avoir à faire les corvées pour payer son voyage. Sa nouvelle armure et son épée brillait à force d'être lavées et relavées, six jours, le wiehl n'osait pas trop chercher la conversation auprès des autres voyageurs, la plupart étaient des shaakts mâles peu locaces. Il trouva cependant avec surprise, la veille de leur arrivée, un marchand humain qui lui sourit d'un air gêné :

« Elric. Vous n'êtes pas esclave ? … Non vous êtes bien trop en belle forme pour ça...Cela m'étonne que vous appréciez la compagnie des shaakts enfin ça vous regarde. Cela dit moi, faire du commerce avec eux me rapporte plutôt pas mal. Il faut juste faire attention à quelques détails. »

« Thalo... Des détails vous dites ? »

« Toujours être vigilant par exemple ou bien... Tenez, ceci par exemple. »
Il lui tend la main pour mettre en évidence un anneau. « Cet objet est un indispensable pour les négociants qui s'aventurent dans les terres des elfes noirs. Il permet de voir dans le noir assez loin, très utile si jamais les choses tournent mal... Mais généralement je reste à la surface, Yuimen me garde d'entrer dans leurs galeries ! »

« Et cela vous est-il déjà arrivé ? »


« Moi non, mon père oui. Il en a gardé un très mauvais souvenir, le pauvre. Ses marchandises posaient problème... Je ne sais plus les détails mais son équipe a du régler l'affaire sous terre, en ville. Plus il passait du temps à l'intérieur plus l'envie de s'enfuir était pressante. Je crois qu'il serait parti sans son argent qu'il aurait été satisfait. Quoiqu'il en soit, le port où nous nous arrêtons n'est pas directement dans la ville, il y a un accès qui amène directement à Gwadh plus loin mais il est réservé aux navires shaakts et ça me va très bien comme ça.  »

Le lendemain, on annonça la ville en vue. Rosa et Thalo s'empressèrent de se rendre sur le pont. Sans surprise, ils ne virent rien, quelques bâtisses misérables qui indiquaient l'endroit, la ville se cachait sous terre. La capitaine vint les saluer, du moins la sorcière elfe noire. Le protecteur quant à lui n'avait pas vraiment entendu leurs entretiens mais il sentait qu'entre elles, le courant passait plutôt bien.

« Natha ssrigg'tul, jallil Rosa. Nous n'allons pas plus loin. Si vous voulez entrez dans Gwadh, avancez vers les bâtiments en surface jusqu'aux arbres dont le tronc est rouge... Ils signalent l'entrée. Amusez-vous bien ! »

Thalo mit le pied à terre soulagé de regagner un plus grand espace. Il adressa un regard à sa protégée qui le précédait : 

« Pardonnez mon indiscrétion malvenue pour un esclave mais... Vous aviez l'air de bien vous entendre avec cette shaakt ! »

« Hm... ? Oui. Elle a vite découvert que je suis une noble, déchue mais noble tout de même. »

« Je l'ignorais. » Il apparaissait surpris. «  Vous aviez donc une place importante dans votre maison ? »

« Nous en parlerons une autre fois. » elle se montrait clairement évasive. « Entrons dans cette cité. Miurah nous a conseillé de commencer par une auberge. »

« Gaïa. J'espère que vous savez ce que vous faites. »

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 Sujet du message: Re: Le port
MessagePosté: Jeu 22 Mai 2014 16:06 
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Localisation: Gwadh




Caabon s’arme, se rééquipe, car c’est le grand soir. L’approche se fera à la fin de la nuit, lorsque les shaakts, race nocturne même au cœur des cavernes de Gwadh, s’en iront regagner leurs couches. Les gardes du matin ne seront pas encore relevés – ils ont passé deux jours, Bahalt et lui, à guetter les allées et venues sur le port, à mémoriser les visages, le nombre de personnes, à guetter les guetteurs. Ils sont nombreux à tenir le port, et c’est là, le wotongoh le devine, le véritable enjeu de l’expédition. Mettre cette bande d’esclaves hors d’état de nuire, certes, mais surtout reprendre la main sur ce lieu de rencontre et d’approvisionnement. Tous les clans ont leurs débardeurs, des esclaves un peu plus costauds que les autres pour se charger de sortir les marchandises des cales et les transporter jusque dans les entrepôts taillés dans la roche. Mais certains esclaves sont là à demeure, ou tournent sur les quais : ils écoutent les conversations, organisent de menus trafics avec les marins, reçoivent et transmettent des messages à des voyageurs qui ne sont alors pas obligés de quitter leur cabine ; le clan Keanravir s’est fait damer le pion sur ce terrain, signe sans doute de la perte progressive d’influence, à moins que ce ne soit les préludes de la montée en puissance d’autres clans, ceux ayant prêté allégeance à un parti dont les ressources sont grandes, en un mot comme en cents : Oaxaca.

Le clapotis de l’eau contre la pierre, contre les piles des pontons, le roulement des vagues à l’extérieur, tout cela donne une fausse impression de calme à cette partie de la cité ; dans l’ombre qui les voile, deux silhouettes descendent vers le niveau de la mer, se glissant le long des murs, dans les recoins d’ombre projetés par les torches, s’arrêtant pour laisser passer les quelques rares patrouilles présentes sur leur parcours. Bahalt aurait aimé prendre plus de temps pour préparer l’action, mais ils n’avaient eu que deux jours : les patrouilles de la milice composées exclusivement de Keanravir absolument loyaux sont rares sur le port, aussi Thrang saisit-il l’occasion que l’une d’elle soit de garde à la fin de la nuit pour fixer la date de l’opération : pendant une heure ils fermeraient les yeux sur ce qui allait se passer sur le port, tant que les dégâts et l’agitation ne seraient pas trop important pour leur faire risquer leur place, ou leur vie. A charge pour Bahalt et Caabon de faire vite, et silencieusement.

L’heure est venue. Le cœur de Caabon bat à tout rompre dans sa poitrine, aussi se livre-t-il à quelques exercices de respiration appris auprès de son mentor, à Oranan, avec un certain succès. Il se calme, s’apaise, se rappelant de la nécessité de ne pas se laisser aller à ses émotions, surtout si celles-ci menacent son existence. Il n’a pas le choix, il est au pied du mur. Vaincre, mourir, ou pire… Bahalt est parti de son côté, pour s’en prendre aux sentinelles situées plus loin ; le wotongoh l’a vu dégainer deux coutelas long comme son avant bras, à la lame noire décorée de fines arabesques d’un métal gris, l’ensemble ne reflétant pas le moindre éclat de lumière, des lames faites pour frapper dans l’ombre, trancher une gorge aussi bien que percer un pourpoint renforcé de cuir, des lames d’assassin.

(Sans compter qu’il marche sacrément bien pour quelqu’un qui a un pied en bois…)

Le premier homme se tient dans un recoin sombre. Le teint basané malgré des années dans les cavernes, difficile d’estimer sa corpulence sous l’espèce de poncho dont il est affublé pour se protéger du froid, taillé dans des toiles de sac superposées ; à sa main, un lourd bâton ferré à son extrémité, un gourdin capable de vous briser une mâchoire, les os des bras et des jambes, une arme rudimentaire mais efficace pour qui sait s’en servir, et le bougre n’a pas l’air manchot. Les autres ne le voient pas de là où ils sont, il est le premier maillon de la défense, celui qui doit voir loin, donner l’alerte. Bahalt comptait jouer l’avantage de la surprise, d’une stratégie inédite : les règlements de compte se sont toujours joués en groupe, les esclaves ne prennent pas d’assaut une position adverse à deux ou trois, ne serait-ce que pour éviter de se trouver pris en embuscade dans les tunnels, toutes les issues bloquées. Mais les esclaves ne sont pas armés, n’ont pas la détermination et l’audace des deux hommes qui profitent de la nuit pour exécuter leur sanglante besogne.

Caabon soupèse son couteau dans sa main. Pendant deux jours il s’est exercé, sans compter quelques années de pratique. Il n’est pas bon au lancé de couteau, mais peut importe, il ne veut pas clouer une mouche sur une poutre dans une taverne enfumée, simplement faire du dégât, surprendre. Même si la sentinelle se prend le manche dans le nez, même si la lame se contente de l’égratigner, même si l’acier ne se plante pas dans la chair, ce seront tout de même quelques secondes de gagnées, les quelques secondes nécessaires pour s’approcher. Le wotongoh, déguisé comme à son habitude, en haillons et loques, feint la claudication jusqu’à n’être plus qu’à trois mètres de sa cible, une distance raisonnable compte-tenu de la largeur du quai. Le poids du manche d’os et de l’acier… Se souvenant de l’enseignement sur le bateau, il se concentre quelques secondes, espérant mobiliser ce ki mystérieux dont il avait senti sa présence lors de cette séance d’entraînement maritime. Il lui semble alors que sa prise est plus sure, qu’une force nouvelle envahit sa main lorsqu’il redresse son bras et projette l’arme vers l’homme dont la méfiance ne s’est pas encore éveillée. Il s’en faut de quelques centimètres pour que le couteau se fiche dans la chair de l’épaule, fort heureusement il déchire peau et muscle avant de se perdre contre la paroi rocheuse dans un tintement. A peine l’homme hurle-t-il que le wotongoh courre sur lui. On ne survit pas comme esclave chez les shaakts sans acquérir une certaine tolérance à la douleur, et on n’intègre pas une bande chargée du contrôle des quais sans quelques antécédents. Ancienne petite frappe capturée et vendue ? Brigand malheureux s’étant attaqué au mauvais convoi ? Voleur surpris par un propriétaire redoutable ? Marin sur un navire abordé par des pirates ? Toujours est-il qu’au lieu de s’effondrer, sa prise sur son bâton se renforce et ce dernier s’élance pour heurter l’épaule de Caabon, qui encaisse avec un grognement de douleur ; sa vitesse lui a fait éviter le pire mais sa course dévie : au lieu de frapper à l’estomac, comme il l’espérait, Sombrelouves déchire le flanc de l’homme sur quelques centimètres, lui arrachant un second hurlement à peine étouffé par la rage.

(Dans une poignée de secondes, il ne sera plus seul, sauf si j’ai de la chance, ou si Bahalt à fait son travail…)

Pas le temps de penser : le bâton s’envole encore dans un sifflement de mauvais augure, visant la tête. Parer de la griffe reviendrait à risquer une blessure au poignet, quant à intercepter le coup avec les brassards, le wotongoh n’y pense même pas, le choc serait trop fort ; cette seconde dédiée au calcul l’ayant mis face à l’inéluctabilité de la trajectoire du bâton, il plonge vers les jambes de son adversaire, dont l’arme siffle à quelques centimètres de ses cheveux, parvient à les griffer de justesse pour se réceptionner dans une roulade maladroite et douloureuse sur le sol inégal.

La suite n’est que succession de feintes, l’assaillant ne cherchant qu’à gagner du temps, tout en guettant derrière les dos du défenseur ses éventuels renforts. Les secondes jouent en la faveur de Caabon, le poison déversé par son arme lors de ses frappes devrait faire effet d’un moment à l’autre, surtout sur un individu de si faible stature. D’ailleurs le voilà qui commence à tituber. Douleur, vertige lié à la perte de sang ou effet du venin de Sombrelouves ? Les frappes de Caabon se font plus rapides, plus précises, il pousse son avantage et son adversaire vers l’eau. Un cadavre à la mer, voilà ce qu’il faut, un corps dont il n’aura pas à se soucier de le cacher. Le bâton vole, le fer sur le bois menace de tout son poids le wotongoh, mais pas assez rapide pour le toucher. Cependant les mouvements de balayage sont amples, assez pour empêcher toute percée décisive. Puis les gestes se font plus lourds, moins précis, l’amplitude décroit, les mains tremblent, et l’arme avec elles.

(Pourquoi est-ce qu’il ne crie pas ?... Pourquoi ses copains ne se pointent pas ? … Merde ! Il a hurlé comme un goret quand je l’ai blessé ! Qu’est-ce qui se passe ? Il y a un truc qui ne tourne pas rond…)

L’esclave ne fait pas l’erreur de porter son regard par-dessus l’épaule de son agresseur, mais un léger bruit métallique se fait entendre dans le dos de Caabon, le frottement de mailles les unes contres les autres qu’il perçoit au dernier moment. Dans son esprit se forme l’image d’un adversaire autrement plus coriace et dangereux et, abandonnant le duel dans lequel il a pourtant clairement pris l’avantage – l’esclave mourra bien de suite de ses blessures, nul doute qu’il ne sera pas soigné dans les minutes à venir –, il roule sur le côté, esquivant de peu un glaive qui n’aurait sans doute pas manqué de l’embrocher, malgré la brigandine.

Se retourner et parer le premier coup, un éclair furtif, un reflet dans les torches qui dispensent une maigre lumière aux quais : le métal s’entrechoque et ce son semble dominer dans le dôme silencieux de la caverne. Parer mais pas encore se relever, Caabon est encore au sol lorsque qu’un deuxième coup lui est porté, plus violent, qu’il parvient à dévier de justesse en opposant le brassard de son bras armé tandis que de l’autre il cherche un appui pour se relever ; à peine se redresse-t-il que la lame cherche à nouveau sa chair, lui entaillant le bras au dessus de ses protections, blessure superficielle mais douloureuse, surtout pour l’ego. Et le wotongoh ne parvient toujours pas à retrouver une position qui lui permette de lutter à armes égales.

Alors le roulis du bateau lui revient en mémoire, la leçon, ses effets, le bain, la noyade toute proche… Et l’éclair se fait dans sa tête, comme une évidence. L’énergie courre dans son corps, se concentre dans ses poings, comme une vie qui hurle son désir de ne pas s’achever là, dans cette caverne, une pulsion primaire, puissante, dominant la peur, la raison, jaillissant de cette carapace de chair et d’os dans laquelle elle ne saurait s’exprimer pleinement. Caabon ne se rend pas compte qu’il pousse un rugissement primal, bestial, tandis qu’un poing immatériel vient cueillir le shaakt dans le torse alors qu’il amorce une nouvelle frappe de son glaive. Des craquements sinistres se font entendre, probablement des os brisés, tandis que le corps est projeté vers l’arrière sous l’effet du ki expulsé. Sans réfléchir, le jeune homme se redresse d’un bond pour courir vers le blessé et, sans lui laisser le temps de se relever et de reprendre ses esprits, lui plonge Sombrelouves dans la gorge, provoquant un léger geyser de sang, vite tari pour laisser place à des bulles rougeâtres où le sang pénètre dans la trachée alors que l’air cherche à quitter ces poumons qui se noieront progressivement dans leur propre vitalité. Pendant que le shaakt s’étouffe et se déverse sur le sol rocheux en une flaque que rien n’absorbe, Caabon se redresse, fouille les ombres du regard pour revenir à son premier adversaire, une fois certain que personne d’autre ne lui tombera dessus sans crier gare. L’esclave titube, bredouille, de la bile lui coule des lèvres tandis qu’il essaie vainement de réfréner les spasmes qui lui renvoient dans la gorge le contenu de son estomac. Il n’a rien manqué de la scène d’exécution du shaakt, mais n’a rien fait pour aider celui qui aurait pu lui sauver la peau.

(Une sacrée connerie qui va tourner à mon avantage...)

Les mouvements du bâton sont cette fois trop lents, Caabon en profite pour le saisir au vol de sa main libre et d’une secousse désarme l’esclave, qui commence à se répandre en supplications, implorant la pitié tout en vomissant le contenu d’un estomac vide, pleurant lorsque l’acidité du liquide nauséabond lui brûle la gorge.

« Laisse-moi vivre… Pitié… Pitié… »

« T’es empoisonné. Tu vas crever, pire, tu vas souffrir. Longtemps. »

« Non ! Non ! » et le voilà qui pleure de plus belle.

« Explique-moi ce qui devait se passer ici. »

« On nous a dit qu’deux hommes allaient venir. On d’vait les occuper et rien faire. Les shaakts vont s’charger d’tout qu’y z’ont dit… Pitié ! Donne moi un remède ! »

« Qui ça « on » ? Qui t’a dit ? »

« Des shaakts. Des shaakts de not’ clan. Les Myrylshanee. Ils savaient que vous alliez v’nir. Pitié ! Un remède ! »

Jugeant qu’il n’a pas de temps à perdre avec un interrogatoire, Caabon lui offre le seul remède qu’il a à sa disposition, plongeant les lames de la griffe entre les côtes, jusqu’au cœur. Le regard de l’esclave est horrifié lorsque l’acier pénètre sa peau, puis ses traits se détendent lorsque la souffrance les quitte.

Une rapide fouille de l’esclave confirme au wotongoh qu’hormis la crasse et ses haillons, il ne possède rien, aussi le corps va-t-il rejoindre l’eau du port dans une éclaboussure, l’abdomen proprement entaillé, les poumons percés, défiguré : l’apparence d’une mise à mort plus sauvage qu’elle ne l’a été, de quoi troubler ceux qui pourraient retrouver le corps, si d’aventure celui-ci ne se perd pas dans les eaux glacées et sombres, où les dieux seuls savent ce qui rôde et nage… Quant à l’autre, le temps que le jeune homme revienne s’occuper de son sort, son âme a déjà rejoint Phaïtos. Une autre fouille, tout aussi sommaire, pour faire les poches de ce second cadavre : Caabon ne trouve qu’un pendentif sombre en forme de crâne, deux bagues d’argent, une petite bourse de cuir dont le poids laisse deviner qu’elle contient une somme rondelette ; le glaive repasse dans son fourreau qui est promptement attaché à une nouvelle ceinture ; la cotte de maille est de facture correcte, mais elle ne serait guère utile au détrousseur, trop lourde, trop difficile à passer dans le court temps dont il dispose, en outre, il tient à sa brigandine. Elle leste le corps qui plonge lui aussi, sombrant bien plus vite. Le couteau lancé récupéré, un sentiment de calme s’empare du survivant. Mais cette histoire est loin de toucher à son terme, et le silence oppressant de ce coin de la cité est trompeur.

(Si un shaakt était ici pour nous supprimer Bahalt et moi, rien ne prouve qu’il ait fait la bêtise de venir seul… Je dispose d’encore un peu de temps, si on m’a sous estimé… Juste assez… Pourvu que Bahalt soit encore en vie et tienne…)

Alors Caabon s’élance dans l’ombre, vers la cible de sa mission, une petite caverne-entrepôt où seraient stockées quelques réserves de vivres dans lesquelles les esclaves acceptant de rendre quelques menus services aux émissaires d’Oaxaca. Piller ce qu’ils peuvent, disperser le reste, voilà ce qu’ont planifié les deux hommes les deux jours précédents. Quant tout allait encore bien… Perdu dans ses pensées à ce sujet, le wotongoh manque de ne pas repérer le shaakt qui fait le guet au détour d’un boyau ; coulé dans l’ombre, drapé dans une cape, il veille sur le chemin arrivant du port, en embuscade.

(Merde ! Merde, merde, MERDE !)

Faute de pouvoir hurler sa frustration, Caabon peste intérieurement en avisant la position de son adversaire. Pour un peu il se faisait épingler comme un vulgaire papillon. L’effet de surprise, voilà ce qui doit sous-tendre la stratégie du shaakt embusqué.

(Si notre opération a été éventée récemment, ils n’ont pas eu le temps de se préparer... Moi je connais ce coin, et ça va lui coûter la vie…)

Durant deux minutes qui lui semblent être une éternité, le wotongoh emprunte des tunnels destinés à circuler rapidement d’une galerie à l’autre, probablement creusés pour permettre une défense efficace en cas d’invasion du port par une quelconque force. A chaque coude son cœur bat la chamade, car c’est sa mort qui peut l’attendre au premier virage si les elfes noirs se sont montrés malins. Pas assez, puisqu’il débouche dans la galerie plus large, quelques mètres derrière le veilleur armé ; de là il distingue une petite arbalète au carreau encoché, corde tendue, et le sentiment de l’avoir échappé belle se fait plus prégnant. A pas feutré Caabon s’approche de sa cible, prêt à frapper. La cape dissimule la silhouette, aussi aucune pièce d’armure n’est-elle visible : le tireur porte-t-il un plastron, ou une cotte de maille, ou un simple pourpoint renforcé par des lames d’acier ? Aucune information permettant à l’assaillant de choisir où porter son coup : les griffes risquent-elles de glisser contre de l’acier, ou de se prendre dans une pièce de cuir ? Alors le wotongoh se décide à frapper au coup, quitte à mettre moins de force dans le geste, au moins la blessure sera-t-elle peut-être assez débilitante pour offrir un avantage avant de porter une frappe plus efficace, c'est-à-dire plus mortelle.

L’oreille tranchée, une partie de la joue entaillée, l’œil manqué de peu, le shaakt crie : mais distingue-t-on un cri humain d’un cri d’elfe ? Alors que le blessé se retourne pour faire face à son adversaire, Caabon tranche d’un revers de ses griffes la corde tendue de l’arbalète, mise hors d’état de nuire dans l’instant ; le tireur possède lui aussi un glaive, qu’il tire promptement de son fourreau, son aisance de spadassin entamée par la douleur, la rage de s’être fait surprendre ; la peur ? Le premier coup est rageur, vise le visage noir de l’humain mais trouve sur sa route les griffes, dans lesquelles la lame vient se coincer. Incapable de désarmer son adversaire d’une torsion tant sa poigne est solide sur la garde de l’arme, le wotongoh se contente de maintenir l’épreuve de force, imposant un équilibre précaire pendant les quelques secondes qu’il lui faut pour que sa main libre se glisse à sa ceinture, y saisisse le couteau pour le planter dans la cuisse droite du shaakt d’un mouvement ; la lame glisse sur l’os mais reste dans la chair. Un nouveau hurlement, plus rageur, puis des noms, des mots dans la langue des elfes noirs, parmi lesquels Caabon, débutant dans l’apprentissage de ce parler, ne distingue que « aide ». Des réponses fusent des galeries, trop proches au goût du jeune homme qui ressent aussitôt l’impérieuse nécessité d’en finir avec le type qu’il a sous ses yeux. Un bon coup de pied placé dans la jambe blessée fait tomber l’elfe à genoux avec un râle, la souffrance lui exorbitant les yeux ; dans son effondrement sa prise sur le glaive faiblit, Sombrelouves l’emporte et la lame s’envole, retombant au sol avec un bruit de ferraille. Les griffes se fraient sans peine un chemin dans la chair du cou, infligeant le même supplice à ce cadavre en devenir qu’au dernier mort.

Les deux silhouettes qui surgissent ne sont pas des shaakts mais un humain et un garzok.

(Peste ! C’est quoi ces deux zigotos ? J’ai pas vu d’homme trainer la nuit par ici ces derniers temps… Et encore moins un garzok ! … Merde ! Il y a quelque chose là-dessous… Il faudra que j’en cause avec Bahalt si on s’en sort tous les deux, ou avec Thrang si je suis le seul à m’en tirer…Si ce garzok n’est pas un mercenaire… Ca pourrait confirmer les propos du vieux sur l’influence d’Oaxaca dans le coin…)

Le garzok n’a rien des hommes de main locaux qui ont essayé de s’en prendre à Caabon. Equipé d’une bonne cotte de maille, de solides bottes ferrées, de jambières en plaques de métal parfaitement articulées qui ne doivent guère gêner sa mobilité ; haut de deux bons mètres, bien plus large qu’un humain de bonne carrure, son aspect menaçant est renforcé par un casque orné au niveau de la bouche de défenses de sanglier. Ses deux bras, plus épais que les cuisses du wotongoh, soutiennent deux haches de combat à simple tranchant, lourdes et massives, noir comme un puits de mine, d’un aspect proprement redoutable. Pas de cape, pas de sac, rien qui indique qu’il vient d’arriver : sans doute a-t-il un pied à terre quelque part.

L’humain est sans doute un guerrier plus rapide et plus fin, du moins son équipement le laisse-t-il présager ; une épée bâtarde et une rondache de bois renforcé de cuir et de lames d’acier, une brigandine, des épaulières, des brassards, des jambières et des bottes, du cuir souple cousu d’écailles d’acier sombre. Son crâne chauve, parcouru d’une longue cicatrice de son sommet jusqu’à l’oreille droite, en passant par l’arcade sourcilière, est nu, comme un défi à quiconque de lui infliger une fois encore une telle blessure. Le plus en retrait des deux combattants, considérant d’un coup d’œil le cadavre du shaakt, il s’adresse à Caabon d’un ton ouvertement méprisant :

« Ils auraient dû en finir avec toi. Mais faut croire que t’es pas un esclave comme un autre. Rends-toi si tu veux pas crever ici et maintenant. Tu ne peux pas nous battre, mais tu peux nous servir. Rejoins-nous et on oublie cet épisode. »

« J’ai un peu de mal à te croire. C’est normal ? »

« Je serais toi, je ferais pas le malin. T’as eu de la chance pour l’instant, voilà tout. On n’a rien à voir avec cette mauviette que tu as égorgé comme un cochon. Ou tu te rends, ou on te hache menu, ici et maintenant. Dernière chance. »

Le coup de lame que lui inflige Bahalt manque de l’égorger, malheureusement le coutelas glisse sur l’armure de l’homme, qui s’en tire avec une coupure superficielle et se retourne, la surprise peinte sur son visage.

« Tu croyais qu’tes gars allaient en finir avec vieil infirme comme moi ? Tu rêves tout d’bout mon garçon. Vient donc t’en prendre à quelqu’un qui fait l’poids. Eh, gamin, occupe-toi donc du gros moche, tu veux ? Moi j’me farcis c’guignol et j’viens te donner un p’tit coup de main si t’en as pas fini. J’ai pas envie de trainer trop longtemps dans l’coin, il faut qu’on en finisse vite fait. Ben alors mon cochon ? On a peur d’un p’tit vieux ? Aller, viens donc que j’te soulage d’un peu d’ton lard, que j’te saigne, qu’on voit si t’as pas d’l’eau dans les veines ! »

Les deux étrangers attaquent quasi simultanément, l’homme Bahalt, le garzok Caabon. Si les lames noires du vieillard interceptent sans peine l’épée, le wotongoh se fait plus de souci face à la charge de la masse de chair et d’acier dont il est la cible.

(Je n’aurai jamais ce gros lourdaud avec Sombrelouves, ou au couteau… Il faut quelque chose de bien plus lourd pour l’esquinter, ou de plus perçant… Ou déchirer les mailles petit à petit… Un espace où frapper… Quoique… Il a des morceaux de peau à découvert… Je vais le travailler au corps, à l’usure, au poison… Oui, voilà comment j’en finirai avec lui… Au poison… A l’usure…)

Cependant, le garzok n’est pas de taille à se fatiguer aisément, sans doute est-il habitué à soutenir au cœur d’une bataille l’effort d’un combat prolongé armé comme il l’est. Dans les fines rainures qui courent le long des lames de Sombrelouves le poison se fait plus rare, il s’en est écoulé beaucoup trop lors des frappes précédentes, un véritable gaspillage quand on songe que deux sur trois ont succombés à leurs seules blessures. Le destin ne semble pas favoriser le wotongoh sur cet affrontement, mais ce dernier n’a que faire du destin. Seules comptent sa force et sa détermination, et, comme on peut déplacer les montagnes pierre par pierre, c’est goutte par goutte qu’il videra ce garzok de son sang et le mettra à genoux. Ou il périra en essayant. Le juste milieu serait la fuite, ce serait abandonner Bahalt à son sort, fort probablement funeste face à deux adversaires, alors que le vieillard est venu sauver Caabon au lieu de sauver sa peau en s’éclipsant discrètement.

(On ne fuit pas, on ne recule pas… On bouge… Vite, bien…)

Le couteau est encore fiché dans la jambe du shaakt mort, reste le glaive dont le fourreau bat contre sa jambe : peu importe qu’il ne sache pas se battre avec une telle lame, il ne s’agit pas là de rivaliser d’élégance au cours d’un duel, mais de ferrailler, de blesser, d’infliger douleur et handicap le plus rapidement possible.

Deux pas chassés sur le côté gauche au dernier moment, le corps légèrement incliné pour ne ressentir que le déplacement de l’air de la hache : au moment où le garzok passe, Caabon lui décoche un solide coup de pied dans la cuisse gauche, puis recule aussitôt tandis que siffle l’acier. Rien ne sert de parer, Sombrelouves se briserait, le poignet du jeune homme subirait un choc trop grand également, ce serait la blessure assurée. Esquiver, esquiver, toujours esquiver, il y a dans cette tactique toute l’élégance d’une danse avec la mort ; un pas de côté, puis d’un autre, deux pas en arrière, un glissement, une inclinaison du buste vers l’avant, vers l’arrière, c’est là une chorégraphie funèbre, rythmée par le souffle des deux protagonistes, les ahanements du guerrier, ses pas lourds. Tout se passe comme dans un rêve, et Caabon en vient à oublier ce qui se passe derrière lui : la caverne et ses échos, le bruissement de la mer dans le tunnel au loin, les cliquetis des mailles, l’éclat verdâtre des torches sur la pierre humide, une odeur de pourriture mêlée d’une fraîcheur marine iodée, tout cela et bien plus encore dessine autour de lui un univers sensible onirique ; enfant il faisait des cauchemars où, piégé dans un tunnel obscur où ne luisaient que des gemmes rougeoyantes, à moins que ce ne fut les yeux de terreurs redoutables guettant le premier sang pour agir, il courait à en perdre haleine, un bête sur ses talons, un bête de crocs et de griffes, enragée, assoiffée de sang. Seulement il ne rêve plus, malgré ce qui lui semble, ce doit être là l’effet de la fatigue, de la lassitude, le trépas proche, ou encore la promiscuité de tous ces éléments dont l’alchimie embrume le cerveau aussi sûrement que les herbes, les champignons, l’alcool.

La conscience même du danger qu’il y a à ne plus prêter attention au reste de l’environnement s’évanouit. Caabon se focalise sur les mouvements de son adversaire. Comme le flux et le reflux de l’océan sur la grève, comme un muscle se détend lorsqu’un autre se contracte, comme le torse s’affaisse lorsque le souffle le quitte, le garzok suit un rythme binaire propre, qui peut devenir prévisible pour qui observe. Aussi le wotongoh cherche-t-il à deviner le prochain mouvement, la prochaine frappe, la prochaine position de la hache. Entraîné par sa masse et celle de son équipement, de son armement, le guerrier ne peut guère que chercher l’équilibre pour son coup suivant, profiter de l’inertie d’un mouvement pour enchaîner le suivant. Echapper au premier offre un sursis confortable, prévoir la position du second est une assurance bien meilleure, et petit à petit le jeune homme parvient à ce degré de prescience, logé quelque part au fond de ses tripes plutôt qu’au fond de sa tête, l’antédiluvien instinct animal de la mangouste qui anticipe les détentes du serpent, du chat guettant les échappées de la souris, du loup percevant l’arrêt brusque d’un daim. En paix, l’homme cherche au fond de lui la bête, s’abandonnant à elle lorsqu’il la trouve.

« Mais bons Dieux ! Frappe le ! On va pas y passer la nuit ! »

Le cri de Bahalt tire Caabon de ses circonvolutions contemplatives, il aperçoit le vieil en prise avec le spadassin, luttant des deux coutelas avec une habileté rare pour l’âge qu’il affiche, mais sans que l’avantage soit véritablement de son côté. Lui aussi l’emportera sûrement à l’usure, ou à l’erreur. Et le wotongoh prend conscience que durant sa projection dans un espace autre, enfermé dans ses perceptions et ses prévisions, il n’a pas porté un coup, Sombrelouves est resté silencieuse, sur sa soif, et l’usure prévue quelques instants auparavant n’a guère fonctionné. Voilà venue l’heure d’agir. Et l’action ne tarde pas à se faire sentir.

Ces secondes de sérénité passées ont permis à l’énergie interne de Caabon de retrouver son équilibre, et ce qu’il perd en faculté d’anticipation, le voilà qui le réinvestit dans une offensive qu’il veut destructrice. L’usure ne passera pas ; les mouvements ne se sont pas ralentis, les haches dansent avec la même aisance, et le coup de pied n’a pas eu d’effet véritablement quantifiable, le premier sang a trop tardé. Frapper fort, durement, déstabiliser : ce que les lames ne peuvent faire, le ki le réalisera. Cessant sa parade d’esquive, le wotongoh s’immobilise, pleinement conscient de ce qu’il risque, et se concentre. Elle est là, cette énergie, cette force ancrée dans son corps depuis ses premiers jours, cette débauche de puissance dont il n’a pris que récemment la mesure. Là, au bout de son poing… Comme il se concentre un grognement gagne en intensité dans sa gorge, devenu cri lorsque la pression est à son comble. Cri de défi, mais également de douleur : un des fers de hache glisse le long de son épaule, entaille le cuir, déchire la chair. Brisée la belle ambition d’une force dirigée, focalisée, voilà que le geste si parfait, si aligné se perd, la souffrance irradie dans les membres et la tension du ki focalisé de seconde en seconde plus difficile à soutenir. La main sombre et gantée se nimbe d’un halo argenté, diaphane, irisé d’éclairs plus sombres, couleur rage. Le garzok s’est assez approché pour porter un second coup, fatal peut-être. La hache prête à s’abattre à nouveau sur le crâne nu du wotongoh semble poursuivre sa course avec une lenteur irréelle tandis que le poing du jeune homme s’élance vers le menton découvert, protégée par la seule lanière de cuir retenant le casque.

Un éclair. Le coup n’était pas assez fort pour envoyer le colosse au tapis, juste ce qu’il faut toutefois pour qu’il manque sa cible et titube lamentablement vers l’arrière, surpris par cette résistance inattendue autant que sonné, si ce n’est plus. Un craquement de mauvais augure s’est fait entendre lors du choc, le guerrier crache deux bouts de chicots dans un jet de salive d’un rosâtre écœurant et grogne sa colère dans une série de mots qui, malgré la barrière de la langue, sont transparents quant à leur signification.

« Tu vas crever… »

La menace du garzok laisse Caabon froid : il a déjà trop peur, et trop mal, pour que quelques mots influent sur son état. S’il doit mourir, il mourra, une menace n’y changera rien. Le sang s’écoule déjà de sa blessure, mouillant le cuir, chaud sur sa peau comme rien ne l’a été dans cette cité ; ce contact lui rappelle les bains d’Oranan, lorsqu’il pouvait se glisser nu dans les bassins, sentir avec délice la tiédeur de l’eau contre sa peau après l’entraînement, l’odeur entêtante des fleurs proches, des fleurs parfumées, de l’encens. Rien à voir avec la vie qu’il mène actuellement, où seule la vermine qui rampe et grouille sur lui profite d’une douce chaleur.

« Tu crois ? Tu veux réessayer ? Tu veux encore que je te rentre dans le lard, gros tas ? »

Le rugissement ne laisse planer aucune équivoque, l’humain ne sera pas fait prisonnier, aucune pitié ne lui sera accordée. Deux coups de taille enchainés tentent de lui trancher le buste dans le sens de la largeur, puis ce sont des coups qui visent ses épaules, sa tête ; le wotongoh ne peut guère que reculer à pas pressés, se demandant dans cette fuite désespérée s’il n’est pas allé trop loin. Pivotant pour sortir du parcours linéaire que lui imposaient ses esquives, il en profite pour donner un coup de griffe dans le poignet droit, sur un morceau de peau découvert de mailles par le mouvement allongé du bras, puis s’échappe de trois pas vers l’arrière pour échapper au coup latéral qui n’aurait pas manqué de lui faucher un bras, même s’il avait eu la bonne idée de ne pas présenter sa chair mais les brassards.

L’assaut destructeur suivant est interrompu avant d’avoir pu se développer, deux lames ressortant dans un chuintement organique du cou où elles s’étaient plantées, pointe vers le bas, pour trancher allègrement trachée, veines, artères, le merveilleux système de fluides du corps vivant. Le sang jaillit à gros bouillon tandis que le cœur poussé par l’effort pompe encore à une vitesse trop folle. Le garzok fait encore trois pas, avant de s’effondrer sur le sol, tête la première, le casque et son crâne sonnant lugubrement contre la tête, le nez se brisant dans la chute.

« Heureus’ment qu’chui là, parc’que sinon… J’sais pas c’qu’on aurait fait d’toi… Donné aux chiens sans doute ! Bah, ça leur apprendra à pas s’méfier assez d’un vieillard ! Pas de temps à perdre, faut qu’on se bouge, la patrouille va pas tarder y m’semble… Ben alors ? »

« Je suis blessé, j’ai… J’ai mal… »

Deux baffes vigoureusement assenées ont tôt fait de ramener Caabon à ses esprits.

« J’connais, tant qu’le combat suit, ça va, et puis quand l’corps s’arrête… Eh ben dis-toi qu’c’est pas fini ! Faut encore qu’on voie c’qu’on va faire. J’espère qu’leur foutue charrette à bras est encore là… Va donc leur faire les poches, rassemble leurs affaires par ici, on va pas laisser le tout s’perdre… Y’a d’quoi armer quelques gars au b’soin, et ça, ça a pas de prix dans c’te damnée cité ! Remue-toi bons Dieux ! »

Dans un état quasi second, Caabon se traine vers le mort le plus ancien de la place, le shaakt, et commence à récupérer sur le cadavre ce qui peut l’être. Le glaive va rejoindre celui qui pend déjà à la ceinture du wotongoh, quelques bijoux et la bourse trouvent rapidement une place dans ses poches. Quant à l’équipement défensif, il n’a ni le courage ni la force de dépouiller un corps au poids mort – Bahalt pourra bien s’en charger s’il y tient tant que ça ! L’arbalète en revanche peut être d’une quelconque utilité une fois cordée à nouveaux, même si le jeune homme n’a jamais utilisé une telle arme, sans doute un des esclaves du clan saura en faire un usage convenable.

Un semblable traitement attend le garzok et l’humain. Les haches sont lourdes et peu maniables pour qui n’a pas la carrure adaptée, les lanières du bouclier pourraient être réglées, et l’épée employée par quiconque a le bras assez ferme. Rien de tout cela n’intéresse vraiment Caabon : en cas d’urgence, toute arme qui lui tomberait sous la main se vaudrait, mais à tout prendre la rapidité et la précision lui semblent une alternative préférable à l’usage de la force brute. Quelques babioles et de la monnaie complètent ce butin. Seul élément notable des prises, un couteau pris au ceinturon du garzok ; la poignée semble faite d’un ivoire sombre comme une nuit sans lune, parcourue de motifs de feuilles gravés et d’une teinte sanguine, la lame est longue comme une fois et demi la main du wotongoh, droite à double tranchants, plus noire encore que le manche, tant qu’elle paraît absorber le peu de lumière de la grotte où le combat s’est livré. La facture de l’objet contraste avec le fourreau dans lequel il a été glissé, et le jeune homme a l’intuition qu’il s’agit là d’une prise de guerre, prise qu’il ne compte pas laisser entre d’autres mains que les siennes, aussi attache-t-il le fourreau à côté de celui de son premier couteau, humble pièce d’artisanat comparé à ce nouveau voisin de prestige.

Lorsque Bahalt revient avec une petite charrette à bras, qui pourra sans doute emprunter des voies assez larges jusqu’aux quartiers du clan Keanravir, où des esclaves prendront le relai pour décharger les tonnelets qui y sont empilés, il donne quelques ordres rapides pour charger les quelques armes réunies auxquelles sont venues s’ajouter celle qu’il a prélevé sur d’autres infortunés ayant croisé sa route avant qu’il ne rejoigne son compagnon à la peau sombre, les capes, les bottes, les vêtements qu’il découpe grossièrement au couteau pour mieux les dégager – une manche de chemise vient faire office de compresse sommaire pour l’épaule de Caabon. Ce dernier n’a conservé que les deux courts glaives et le couteau à la beauté fascinante, ainsi que le menu butin. Malgré la fatigue, malgré l’épuisement, malgré la douleur, il s’attelle à la charrette sur laquelle Bahalt a jeté une vieille couverture, tandis que le vieil homme la pousse pour le soutenir dans les montées. La journée ne tardera pas à commencer, les cadavres à être découverts par la patrouille, le temps manque pour les dissimuler et les balancer dans l’eau du port.


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C'est par la sagesse qu'on bâtit une maison, par l'intelligence qu'on l'affermit ;
par le savoir, on emplit ses greniers de tous les biens précieux et désirables.
Proverbes, 24, 3-4


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