Vingt bonnes minutes plus tard, je me retrouvais non loin des deux gardes en poste devant les portes de la ville. Portant la tenue typique des gardes de l’armée sindel – plastron, épée, casque et bottes de combat -, ils avaient pour mission de surveiller les allées et venues de la population balsinaise mais également des étrangers un peu trop curieux qui souhaitaient percer les secrets de notre usine d’aynores. En m’approchant un peu plus, je reconnus un visage familier.

- « Kirian ? »

Le concerné tourna la tête vers moi et aussitôt un immense sourire s’afficha sur son visage. Le second garde posté devant la porte avança rapidement vers Kirian mais ce dernier lui fit un geste pour tempérer ses ardeurs. Il n’en fit rien et s’approcha de moi dangereusement, sortant son épée, prêt à me la mettre sous la gorge mais je fus plus rapide et je sortis ma propre lame pour repousser la sienne.

- « Vous n’avez pas le droit d’entrer dans la ville en arme, vous venez d’insulter un garde de Balsinh. »

La situation était tellement comique mais je n’en montrais strictement rien. Je fis un léger mouvement de sourcil en direction de Kirian, lui indiquant ainsi de rester en retrait.

- « Tu n’as pas la moindre idée de qui je suis, n’est-ce pas ? »

- « Désarmez-vous tout de suite ! »

- « D’accord. »

Je feintais de rengainer mon épée, le soldat en face de moi baissa sa garde très vite, trop vite et j’en profitai pour relever ma lame, taper la sienne et l’envoyer derrière lui. Vive comme le vent, je posai mon épée contre son cou et me postai derrière lui, l’empêchant ainsi de bouger.

- « Sais-tu qui est Zotar Imfilem ? »

- « Un paladin et stratège brillant, capitaine renommé de l’armée sindel, serviteur de la famille royale, faisant parti du conseil des 15 et décédé il y a un peu plus de deux mois. »

- « Au moins tu connais les dignitaires de la ville, c’est bien. »

- « Mais pourquoi m’avoir posé cette question ? »

Je fis redescendre ma lame et repassai devant lui, le gardant toujours à distance de lame.

- « Puis-je ? »

- « Je t’en prie Kirian. »

- « Parce que tu la connais ? »

- « Nous sommes de la même promo à l’académie militaire. »

- « C’est une sindel et alors ? Elle n’a pas le droit de m’attaquer ainsi et d’entrer dans la ville armée. »

- « Sauf si sa réputation la précède et qu’elle habite ici. »

- « Hein ? »

- « Tu ne comprends vraiment rien à rien. Robyn, je te présente Aenaria Imfilem, la fille de Zotar Imfilem, résidente du Manoir de Faronia. »

Le dénommé Robyn fit alors de gros yeux comprenant son erreur. Je rengainai mon épée et rejoignis Kirian pour une accolade amicale.

- « Ça fait combien de temps ? »

- « Je ne savais même pas que tu étais devenu un milicien. La dernière fois qu’on s’est vu c’était… lors de notre remise de galons ? »

- « Déjà 5 ans ? Que le temps passe vite ! »

- « Tu n’as pas idée ! »

- « J’ai été désolé d’apprendre la mort de tes parents et de Gameleb, c’était un très bon ami. »

- « Cessons un peu de remuer le passé, tu veux bien ? »

- « Qu’est-ce qui t’amène à Balsinh ? Iniel m’avait fait comprendre que tu étais partie à la poursuite de ton frère. Dis-moi que tu l’as retrouvé et que tu lui as fait payer pour ce qu’il a fait ? »

- « J’ai quelques pistes prometteuses mais non, je ne l’ai pas encore retrouvé, à mon grand regret… »

- « Ma lame est prête à t’aider, sache-le. »

- « Merci Kirian, ça me fait extrêmement plaisir. Puis-je entrer maintenant que j’ai montré patte blanche ? »

- « Bien sur. Tu crois qu’on arrivera à se voir avant que tu ne repartes ? »

- « Je pense que c’est jouable, je risque de rester sur le Naora un petit moment. »

Il me répondit par un magnifique sourire avant de me laisser passer les portes de la ville. Un signe vers un garde en hauteur et je pus rejoindre le coeur de la cité.

En repassant les portes, Kirian me héla aussitôt.

- « Alors Aenaria, tu as vu ce qu’il se passait en ville ? »

- « Oui malheureusement. Les Hinorin ont déjà suffisamment souffert, les Lomindor et les Vindali ne devraient pas subir le courroux de Tamìa. »

Je vis mon ami serrer le poing à s’en faire blanchir les phalanges alors que son visage n’affichait plus que de la rage.

- « Celle-là ! Je la tuerai de mes propres mains si c’était possible ! »

- « Si tu savais à quel point je te comprends Kirian. »

- « Je n’ai jamais vraiment pu la sentir. Elle nous faisait tous tourner en bourrique lorsque nous étions petits… Mais attends, tu as parlé de son courroux. Elle est à l’origine des soucis de santé de ces trois familles ? »

- « Je me suis entretenue avec le conseil des 15… enfin des 14 à ce sujet, leur expliquant que c’était la responsable de la situation. Ils m’ont donné carte blanche, enfin presque je peux la traquer et la conduire devant la justice… vivante. »

- « Après tout ce qu’elle a fait ?! »

- « Calme-toi Kirian. Primo tu ne connais pas toute l’histoire. Deuxio n’oublie pas que ton tempérament a failli te coûter ta place dans l’armée. »

Je vis mon camarade inspirer profondément avant d’expirer doucement, se calmant les nerfs petit à petit. Lorsque je sentis que sa colère avait disparu, je repris.

- « Jusqu’à preuve du contraire, nous ne savons pas si elle a tué des gens. J’ai juste des présomptions, de fortes présomptions, concernant son implication dans toute cette histoire. Innocente tant que nous n’avons pas prouvé le contraire, si je la retrouve, je dois l’amener vivante devant le conseil. Je dois respecter sa volonté. »

- « Si tu as besoin d’une lame pour l’appréhender, compte sur moi. »

- « Et sur moi aussi. »

Le second garde venait de s’exprimer après avoir écouté toute notre conversation. Je me tournai vers lui avec un regard interrogatif.

- « Ma famille et les Hinorin, nous nous connaissons de longue date. Si je peux les aider, je le ferais. »

Fermant les yeux, je le remerciai d’un signe de la tête et saluai dans le même temps mon camarade de promo.

- « Messieurs, bonne fin de journée à vous. »

Ils se mirent au garde à vous me tirant un sourire avant que je ne reprenne la route vers le manoir.

En vingt minutes, je me retrouvai devant un paysage familier, les portes de la ville. En montant les escaliers, je vis que Kirian et Robyn étaient en poste ce matin.

- « Messieurs, je vous souhaite bien le bonjour ! »

- « Par Sithi, une revenante ! »

- « Nous avons appris ce qu’il était arrivé chez toi. »

- « Pour dire vrai, toute la ville est au courant de ton exploit ! »

- « Et moi qui voulait la jouer discrète ! »

J’avais dit cela de manière sarcastique mais cela n’empêcha pas de tirer un sourire aux miliciens.

(Tu peux aller faire un tour où je pense ?)
(Je cours, je vole !)

- « J’ai mis du temps à me remettre de mes blessures mais comme tu peux le voir, ce n’est pas trop grave. »

- « Le guérisseur de la milice est allée de te voir, il a remis d’aplomb l’autre blondasse aussi. Elle passe un sale quart d’heure dans les locaux de la milice d’ailleurs. »

- « C’est tout ce qu’elle mérite de toute façon. Je vais aller la voir. »

- « Le conseil voudrait te voir d’abord. »

- « J’imagine bien, je vais devoir leur faire un rapport sur mon combat contre Tamìa de toute évidence tout comme ils vont me faire un rapport sur les premières heures d’interrogatoire qu’ils lui ont fait subir. »

- « Quelque chose du genre oui. »

- « Alors ne les faisons pas attendre. »

Les soldats me laissèrent passer s’occupant ainsi des personnes qui arrivaient derrière moi.

Sur la route, je m’enjoignis à calmer les battements de mon cœur qui s’intensifiaient à mesure que j’avançai. J’avais un mauvais pressentiment au sujet de ce rituel, un très mauvais pressentiment.

Cette impression ne me quitta pas même de la route. En arrivant aux portes, je vis que Robyn et Kirian étaient de surveillance. Etonnement, de nombreuses personnes demandaient à entrer en même temps. Malheureusement, je n’avais pas le loisir d’attendre après eux, le temps jouait contre moi.

Sifflant entre mes lèvres, je signalai ma présence à Kirian. En cherchant du regard la source de ce son, ces yeux rencontrèrent les miens. D’un signe de la main, il m’indiqua d’avancer et de passer toutes les personnes qui étaient devant moi. Il me présenta son avant-bras droit pour me saluer.

- « Ashar nous a prévenu qu’il risquait d’y avoir du grabuge cette nuit et que si nous t’apercevions, nous devions te laisser passer en priorité. »

- « Merci Kirian. »

- « Sois prudente Naria. »

- « Je le serais ne t’inquiète pas. Ce conseil va dans les deux sens, soyez sur vos gardes, j’ai peur que… »

- « … que la situation ne devienne incontrôlable ? »

- « Oui Robyn, j’en ai bien peur. J’ai cette foutue boule au fond de l’estomac qui ne veut pas partie, comme si un grand danger nous menaçait. »

- « Nous ferons attention. Nous sommes sur nos gardes. »

- « Dépêche-toi, tu vas être en retard sinon. »

J’approuvai d’un signe de la tête et entrai dans la ville afin de rejoindre Ashar et Saraï à la milice.

En moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, je me retrouvai aux portes de la ville et le spectacle que l’entrée de la cité m’offrit était quelque peu inquiétant. C’était le bazar le plus complet, des caisses de marchandises ouvertes, d’autres renversées sur le sol. Il y avait eu un accident de toute évidence, causée par Tamìa ?

- « Kirian, que s’est-il passé ? »

- « Un marchand a connu un accident de parcours avec sa monture qui a été piqué par une mouche, la bête s’est cabrée et voilà la résultat. »

- « Est-ce que par hasard tu as vu des personnes sortir de la ville ? »

- « Avec ce bazar ambiant, impossible de te le dire, on a beaucoup de problèmes à gérer comme tu peux le voir. »

- « Par Sithi ! »

- « Que se passe-t-il ? »

- « Tamìa s’est enfui et je pense qu’elle a profité de la confusion ambiante pour quitter la ville ! »

- « Par Gaia, nous sommes des elfes morts ! »

- « Elle n’a pas du prendre tant d’avance, je cours après elle. Faites venir la milice après moi dans les terres entourant la ville. »

- « C’est bien compris. »

Je repris ma course effrénée afin de rejoindre au plus vite les terres cultivées autour de la ville. J’avais dans l’idée que Tamìa voulait rejoindre Tahelta ou Cyniar au plus vite afin de nous échapper.

(Pars devant pour vérifier ma théorie !)

Crystallia quitta ma bague de fiançailles pour me servir d’éclaireur.

Une fois aux portes de la ville, Robyn et Kirian demandèrent aux sindeldi présents de laisser passer les miliciens. Ashar donna un ordre à ses soldats que je ne pus entendre. Saraï et moi arrivâmes peu de temps après à sa hauteur.

- « Nous devrions nous rendre au conseil immédiatement. J’ai demandé aux soldats d’amener le corps à l’infirmerie de la milice. J’ai mandaté trois de mes elfes pour visiter la maison des Vindali, des Lomindar et des Hinorin pour vérifier leur état de santé. Ils ont pour ordre de venir me faire un rapport dès leur vérification. »

- « C’est une sage décision Ashar, au moins nous saurons si les propos de Tamìa étaient vraies au sujet de son rituel. Aenaria, tu viens avec nous, après tout tu es à l’origine de cette victoire. »

- « Je vous suis. »

Nous passâmes les portes et Kirian ne put s’empêcher d’attraper mon avant-bras en route.

- « Que s’est-il passé ? C’était qui sur l’épaule de mon collègue ? »

- « Une petite partie de chasse où la proie était Tamìa. »

- « Tu veux dire que le corps sans vie qu’il transportait était celui de Tamìa ? Elle est morte ? »

- « Disons qu’elle n’a pas apprécié de prendre mon épée dans le cœur. »

Kirian ouvrit grand les yeux et la bouche de surprise avant d’afficher une expression de profonde joie sur son visage.

- « Félicitations ! »

- « Merci, maintenant si tu veux bien m’excuser, le conseil va m’attendre. »

- « Bien sur. Je t’attendrais pour t’escorter jusqu’à chez toi, si tu en ressens le besoin. »

- « C’est gentil Kirian mais pour le moment au boulot ! »

- « A vos ordres madame. »

Il se mit au garde à vous et me laissa entrer dans la ville. Je n’avais plus de temps à perdre. Je pris rapidement la direction du conseil de la ville, nous avions des comptes à rendre aux autorités.