Les nimbes du sommeil pénètrent encore mes sens lorsque dans la pénombre de ma cellule, j’entends un murmure prononcer mon nom. J’ouvre un œil, expectatif, et entends à nouveau cet appel susurré aux barreaux de ma cellule. Je lève la tête, prudent, et aperçois le gardien de la prison, une main posée sur mes barreaux. Je le soupçonne de ne me vouloir que du mal, mais son insistance me convainc à aller répondre à ses mots.
« Qu’y-a-t-il ? »
Ma phrase est brève, mon ton est sec, quoi que courtois. Il sait qu’il n’est pas vu en allié, même si je suis derrière ses barreaux… Il répond néanmoins avec franchise, un peu nerveux, comme s’il ne devait pas être là.
« Le Conseil se réunira dans trois jours, au matin. D’ici là, tenez-vous à carreau, sinon les conséquences seraient désastreuses… tant pour vous que pour moi. »
Je reste estomaqué par l’énonciation du délai, n’accordant que peu de crédit à ses plaintes personnelles.
« Trois jours ? Vous vous moquez de moi ? Que font vos dirigeants pour avoir un emploi du temps si rempli ? »
Le marlak parait quelque peu gêné de ma réplique, mais consent à répondre tout de même.
« Le temps qu’ils trouvent un temps commun pour se réunir, sans doute… Je ne sais pas grand-chose du monde de l’administration, vous savez… »
Qu’importent pour moi ses explications, je sais désormais qu’il ne me sert à rien de vouloir lui soutirer quoi que ce soit comme information autre que celles qu’il aura jugé bon de me faire connaitre. Non pas qu’il soit mystérieux, mais je sens une bonne dose d’ignorance chez cet elfe d’un autre monde. Sans que je ne réponde rien, il rajoute :
« Si… Si jamais ça se passait mal, ce jour là, prenez contact avec le Marlak qui arbore unn tunique jaune et une ceinture verte. Celui quia un collier de pierres rouges. »
Sans en dire davantage, ni même me laisser le temps de poser une question, il pose un plateau garni de victuailles diverses et s’en retourne à ses occupations, loin de ma geôle. Je le regarde partir, un peu maussade d’avoir appris le temps de mon emprisonnement, et ce dans la perspective d’un Conseil qui ne se passera peut-être pas aussi bien qu’escompté. Mon attention se reporte sur le plateau de nourriture qu’il m’a apporté. Ce ne sont pas là des mets raffinés du Temple des Plaisirs, ni un festin digne du Pied Levé de Tulorim, mais c’est également loin du pain rassis et de l’eau croupie servie habituellement aux prisonniers. Je me nourris donc de ce que je peux, sachant que dans trois jours, j’aurai besoin de toutes mes forces pour convaincre ce conseil de me libérer et de me laisser faire ce pourquoi je suis venu. Ces mets ont beau être riches en énergie, ils n’ont pour moi que le gout de l’eau dans laquelle je croupis lamentablement…
Je mange mécaniquement, puis, sans énergie ni volonté, je me laisse choir sur mon lit improvisé, me perdant dans mes pensées sur le but de ma quête, tant celle énoncée par Kendra Kâr que le service que je rends au Temple. Je pense à ma place de Gardien au sein de ce même temple, à cette elfe magnifique qui semble en connaître plus sur moi que je n’en sais moi-même…
Les heures passent et se ressemblent, les seuls changements efficients étant la couleur changeante des murs bleutés de ma cellule, qui se font plus sombres lors des heures nocturnes, ainsi que les repas qui me sont apportés par le geôlier. À chacune de ses visites, j’espère qu’il m’apprenne une nouvelle arrangeante, mais il n’énonce jamais que des banalités d’usage. Et je replonge dans le monde de mes pensées l’instant d’après, réfléchissant sur moi-même, sur ma famille inconnue : mon père déchu, ma mère disparue, ma sœur… ma terrible sœur. Et puis je pense à moi-même, mes actes de ces dernières années, mes progrès sociaux, dans la maîtrise de l’art des armes. Instinctivement, mes doigts glissent le long des gardes de mes lames, comme s’ils avaient appris à faire corps avec.
Silencieux, passif, pensif, voilà ce que je suis pendant trois jours. Trois jours trop longs, trop étirés. Comme si chaque seconde était une éternité. Pas une fois je n’adresse la parole à Sidë, elle aussi seule dans sa cellule. Et jamais non plus elle ne me parle. Je n’ai pas envie de m’étendre sur son être pour l’instant… J’en sais suffisamment sur elle pour le temps qui me reste à vivre avec. Et à chaque pensée que j’ai pour elle, je sens poindre dans mon esprit une flamme annonçant sa mort proche, de ma main. Subtile emprise de Lysis sur mon être, ma conscience démoniaque sur qui je n’ai pas le dessus…
Quand enfin arrive le matin du quatrième jour, je me décide à être plus réactif et agissant. Je me prépare, me pouponne afin de présenter le mieux possible, revêtant une fois de plus l’apparence de ma consœur bleutée pour ne pas mal paraître devant l’assemblée qui m’attend. Je vérifie le tranchant de mes armes, les sangles de mes armures, la broche de ma cape, et le bijou étrange qui pousse lentement en moi… Et j’attends, j’attends que l’on vienne me chercher pour pouvoir défendre ma cause devant un tribunal qui ne mérite pas de me juger. J’attends…
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