Un FloconUn Isolement
La nuit ne fut pas des plus agréable. Outre le fait de dormir sur un lit qui était inconfortable, les ronflements incessants d'Iguru qui ne semblaient plus déranger ses camarades l'en empêcher. Il se réveilla plusieurs fois dans la nuit, comme pris d'une angoisse inexplicable, avant de se rendormir dans cette petite salle où seule la chaleur humaine que dégageait leur groupe l'empêchait de ressentir les effets du froid mordant qui régnait dehors.
Alors que les premières lumières germaient à travers les fissures des volets, Elias se réveilla sans faire de manière, ouvrant en grand la fenêtre et hurlant à tous de se réveiller au plus vite, qu'ils avaient à faire.
Toute la troupe se réveilla assez rapidement et Mercurio fit de même. Ils semblaient tous habitué à ce train de vie, se réveillant dès les premières lueurs de l'aube comme s'ils étaient toujours à travailler sur un navire.
Les premières minutes suivant le réveil furent assez silencieuses. Tout le monde émergeait sans trop se regardait les uns les autres, s'habillant et remballant leurs affaires. Cependant, le vieux Elias, qui s'était préparé en deux coups de cuillère à pot, semblait soucieux, regardant par la fenêtre la neige qui n'avait cessé de tombé de la nuit et qui inondait de blanc toute la ville. Il brisa le silence d'un ton bref :
"Eliwin nous a laissé tout l'pognon et il s'est pas pointé d'la nuit. Y a quelque chose de pas net."Cette remarque a mis le feu aux poudres, tout l'équipage s'inquiétant soudainement pour lui. Tous s'étaient mis à penser qu'il lui était arrivé quelque chose dans la nuit et descendit soudainement pris d’inquiétude.
La journée qui s'en suivit ne fut pas sans peine, tous à jouer les détectives amateurs. Tout les commerçants et tout le port fut interrogé sans succès. La "Grande Prostituée" était elle aussi déjà parti. Se voyant pas plus avancés, les jumeaux lancèrent un appel au centre de la ville pour savoir si le moindre quidam l'avait aperçu, mais rien ni personne ne semblait être au courant de quoi que ce soit. Non sans crainte, Iguru, le seul de la groupe ayant l'air un tantinet honnête, fut envoyé récolter quelques informations auprès de la milice, en vain. La crainte était qu'il se soit fait arrêté, mais ce n'était pas le cas. De plus, les gardes des portes certifiaient ne pas l'avoir vu traverser les entrées de la ville.
A la fin de la journée, alors que le soleil semblait se coucher bien tôt, tous semblaient dépités. Il semblait impossible qu'il les aient abandonnés ainsi à leur sort, ça ne lui ressemblait pas. Pas lui. Pas comme ça. Et un autre problème se posait maintenant à eux : Où dormir ? Ils ne connaissaient en rien la région et n'avaient plus une pièce pour payer l'auberge... Ils désespéraient.
Ils finirent tout de même par y revenir, dépités, commandant les alcools les plus forts et advienne que pourra. Sans capitaine, ils étaient comme des chiens errants. La vie sur la terre ferme n'était pas faire pour eux. Sans personne pour les diriger et sans bateau pour y vivre, ils n'étaient rien d'autres que des âmes en peine... Et Mercurio se demandait encore une fois ce qu'il était venu faire dans cette galère. Après avoir vécu un massacre en mer, il se retrouvait coincé avec un groupe qu'il connaissait à peine dans une petite ville dormante et gelée à chercher un capitaine dont il ne savait rien. Il regrattait amèrement ses choix, se disant qu'il s'était bien fait avoir par ce fichu cabanon qui affichait fièrement "Conférie d'Outremer", à Dahràm, rigolant intérieurement en imaginant l'employé qui devait continuer sagement son travail dans la ville et qui était possiblement toujours en train d'envoyer des quidams idiots comme lui vers une impasse.
L'auberge était une nouvelle fois peu animé ce soir-là, le père Jerko était juste assis en train de parler avec quelques pêcheurs et rigolant avant de venir les servir.
L'air sympathique et voyant l'ambiance pesante qui régnait dans le groupe, il ne put s'empêcher de leur demander de but en blanc :
"Et bien messieurs ? Vous étiez bien plus gais hier, quelque chose ne va pas si je puis me permettre ?"Tous gardèrent le silence, sauf Mercurio qui, pensant n'avoir rien à perdre, adressa à l'aubergiste :
"Notre capitaine a disparu et on n'a pas de quoi régler vos bières et nulle part où dormir. Plus un rond. Plus rien. Voilà ce qu'il y a."La troupe resta étonnamment silencieuse devant son affirmation, chacun regardant son pichet avec inquiétude. Deux miliciens à une table dérobée semblait avoir entendu la conversation et se levèrent avant de lancer à l'aubergiste :
"Tu veux qu'on les embarque Jerko ?"Les deux gardes semblaient bien le connaître. Il les regarda, semblant pensif et répondit calmement :
"Non. Non, c'est bon, je m'en charge."Les gardes lui signifièrent qu'ils restaient dans le coin au cas-où et Jerko prit une chaise avant de s'assoir avec eux :
"Votre capitaine ? Vous êtes des marins ou quelque chose dans le genre ?"Plagg répondit, levant les yeux au ciel :
"Ouais. Quelque chose dans le genre.""Alors si vous avez un bateau amarré au port, partez au plus tôt. L'hiver arrive et le fleuve ne va pas tarder à vraiment geler. Vous savez, j'ai beau être un enfant du pays, j'ai pas mal baroudé aussi et je sais ce que c'est que ce genre de problème... Je passerais l'éponge sur ces bières et sur une autre nuit, mais c'est tout. Partez demain."Elias ramena son grain de sel :
"C'est une longue histoire l'aubergiste, mais on a pu de bateau. On est coincé ici.""Coincé ici et sans le sou ? Les vagabonds sont interdits dans Henehar ! Qu'est-ce qu'on fait Sergent ?", lança le milicien qui avait continué d'écouter la conversation.
"Du calme soldat, j'ai pas envie que ces hurluberlus aillent envahir les rangs des bandits du nord..."Les soldats se joignirent à la tablée. Ils ne semblaient pas malveillants, mais la troupe de pirate était méfiante.
"Messieurs, je ne sais ni qui vous êtes, ni d'où vous venez ni ce que vous venez faire ici mais vous êtes ici sur les terres d'Henehar et pour le temps que vous resterez ici, vous devrez respecter nos lois. J'espère que je suis clair. On est une petit ville où chacun se serre les coudes et Gaïa soit louée qu'en dehors des quelques attaques des bandits et de la guerre contre Oaxaca nous n'ayons pas beaucoup de problèmes entre nous et je souhaite que cela dure. Je compatis à votre situation mais au moindre faux pas, je n'aurais aucun remords à vous mettre tous en cage. Mais si vous respectez les règles, vous pourrez toujours compter sur l'aide et la protection de la milice."Tous restèrent silencieux, la tête baissée. Aucun ne semblait trop savoir que penser de ce discours, surtout Mercurio, qui n'était habitué à n'avoir pour seule autorité que les chiens d'Oaxaca qui réglaient n'importe quel problème par un coup d'épée sous la gorge. Voir des gardes dialoguer ainsi était pour le moins inhabituel, surtout qu'ils semblaient honnête dans leurs paroles. Le milicien continua :
"Vous avez malheureusement choisi le mauvais moment pour vous coincer ici. L'hiver s'installe, la neige rends les routes impraticables, la rivière va geler et les elfes gris et leur cynore ont fait leur dernier voyage d'automne et ne seront pas de retour avant le printemps... C'est ce qu'on appelle, nous autres Hennoyer, l'Autarcie. Pendant tout l'hiver, on ne peut compter que sur nous-même..."Les jumeaux s'énervèrent :
"Génial ça ! Franchement génial !"Et qu'est-ce qu'on va pouvoir faire pendant tout ce temps ?""Vous êtes des marins, c'est bien ça ? Les pêcheurs que vous voyez à votre droite ont toujours besoin de main d’œuvre, surtout durant l'hiver... Fyn ! Sjael ! Loll ! Venez par ici !", hurla-t'il soudainement.
"Attendez, vous venez pas de nous dire que le fleuve gelait durant l'hiver ?"Alors que les trois pêcheurs arrivaient à la table, il lui répondit :
"C'est exact... Tellement gelé que même si on ramenait tout le temple de Meno pour faire fondre ne serait-ce que les environs du port, tout aurait regelé la prochaine nuit... Mais en hiver, on se débrouille autrement par ici."Les pêcheurs, interloqués, demandèrent au sergent la raison de son appel. Il leur expliqua que c'étaient des marins bloqués ici pour l'hiver et s'ils n'avaient pas besoin de quelques bras en plus. Loll, chauvin, lança qu'il n'allait certainement pas embaucher des étrangers et qu'il avait de toute façon assez de pêcheurs. Fyn et Sjael, plus conciliants, acceptèrent chacun de prendre une ou deux personnes de plus pour un demi-salaire. Après quelques pourparlers, il fut convenu qu'Elvin et Alvin allaient travailler pour Sjael et Elias et Plagg pour Fynn dès demain à l'aube. Ils pourraient ainsi loger dans la grande baraque des pêcheurs qui se trouve sur le port gratuitement tant qu'ils travailleraient pour eux.
Les farouches pirates ne semblaient guère enchantés, mais ils savaient ne pas avoir le choix... Et il restait toujours les cas d'Iguru et Mercurio.
"Bon, on avance... Maintenant vous deux, vous êtes bons à quoi ?""Moi j'suis le meilleur des cuistots !", annonça fièrement Iguru.
"Moi j'suis guérisseur...", dit mollement Mercurio.
"Hum, on a déjà un cuistot et Jerko peut faire tourner son auberge tout seul... Et on a déjà Eir et Eyekalduk comme guérisseurs, pas besoin d'un de plus en ville..."Sergent, y a les gars de la Lance Ardente qui se plaignent toujours de pas avoir de petit personnel.""Pas bête soldat, pas bête. En plus leur stupide tournoi n'est que dans trois mois maintenant... J'irais en toucher un mot au général. Si on peut leur coller un guérisseur dans les pattes et éviter qu'un gamin meure à cause de leur fanatisme cette année, ça sera pas plus mal."A entendre le ton du sergent, il ne semblait pas porter la milice de Meno dans son cœur.
"Bon, vous quatre, vous savez quoi faire. Vous deux, je vous retrouverai ici demain matin sur les coups de dix heures et nous allons voir ça avec le temple de Meno."A l'évocation du nom du dieu du feu, le sang de Mercurio ne fit qu'un tour. Il avait toujours eu une sainte horreur du feu et lui allait devoir travailler dans le temple de sa divinité par excellence ? Pourvu que cela ne marche pas !
Une Flamme