Caabon a écrit:
"J'allais entrer maintenant en classe de philosophie ; or, à Orange, l'enseignement de cette matière était mixte ; les sexes, jusqu'ici séparés entre deux établissements distincts, se mêlaient pour la première fois. Aucun lycéen ne l'ignorait et, pour préparer l'avenir, j'étais déjà allé observer la sortie du lycée de filles, où j'avais remarqué une grande fille, une véritable beauté qui ressemblait à Simone Signoret. En octobre, à la rentrée, elle et moi nous retrouvons dans la même classe de philosophie et j'entreprends de lui plaire. Avoir une vie culturelle n'était pas tout : j'avais seize ans accomplis et il était digne de moi d'avoir une vie amoureuse. De nos jours, filles et garçons entrent en terminale avec deux desseins, réussir au bachot et découvrir l'amour ; mais, de mon temps, ce second dessein était vertueusement prohibé, la pilule n'ayant pas encore été découverte.
Mon élue s'appelait Simone Solodiloff, était d'origine ukrainienne, son père avait fui les Rouges, et elle voulait devenir médecin. Sa conversation révélait que son caractère était aussi distingué que sa beauté. Or, une mienne singularité est de n'avoir jamais éprouvé de timidité à faire ma cour, malgré mon physique repoussant. Alors,, comment se peut-il que j'aie fait quelques fois des conquêtes ? La réponse se trouve sans doute dans ce que le romancier David Lodge écrit d'un de ses héros : "On ne peut vraiment pas dire qu'il soit beau ! On se demande comment il se débrouille pour tomber les femmes. Cela tient peut-être à l'énergie avide de chiot frétillant dont il semble posséder une réserve inépuisable." Or, dans son exemplaire de ce roman qu'elle m'a imprudemment prêté, ma chère compagne a relevé cette phrase d'un coup de crayon en marge."
Paul Veyne, Et dans l'éternité je ne m'ennuierai pas
Belle citation !
