Tout comme on se sent soulagé d'apprendre que des symptômes physiques alarmants que l'on a cru bon de taire ne relèvent en fait que d'une affection banale qui fait le tour de la population, savoir que d'autres que soi avaient par rapport à l'écriture des manies tout aussi étranges devait leur [les étudiants du séminaire d'écriture] leur faire du bien, et visiblement ce fut le cas.
Je voulus approfondir mon interprétation. D'un certain point de vue ce que décrivaient mes collègues et étudiants étaient des symptômes névrotiques. D'un point de vue sociologique, toutefois, ces symptômes correspondaient à des rituels magiques. Selon Malinowski les gens s'adonnent à des tels rituels afin d'influer sur le résultat d'un processus qu'ils ne croient pas pouvoir maîtriser de manière rationnelle. Il décrit le phénomène tel qu'il a pu l'observer chez les habitants des Iles Trobriand :

"Ainsi, dans la construction des canoës, la connaissance empirique des matériaux, de la technologie, de certains principes de stabilité et l'hydrodynamique fonctionne en parallèle et en association étroite avec la magie mais sans qu'il y ait contamination de l'une par l'autre.
Ils comprennent parfaitement, par exemple, que plus grande est la portée du balancier, plus grande est la stabilité mais moins grande est la résistance à l'effort. Ils peuvent expliquer clairement pourquoi telle portée aura telle dimension traditionnelle, dimension calculée en fraction de la longueur de la coque.
Ils savent expliquer aussi dans des termes rudimentaires mais relevant visiblement de la mécanique, comment il faut se comporter lors d'un grain, pourquoi le balancier doit toujours se trouver du côté du vent, pourquoi tel type de canoë peut louvoyer et tel autre ne le peut pas. Ils disposent en fait de tout un système de principes de navigation, que traduit une terminologie riche et complexe, transmis de génération en génération, et qu'ils suivent de manière aussi cohérente et rationnelle que les navigateurs modernes suivent les principes de la science moderne. Mais, malgré toutes leurs connaissances systématiques, appliquées avec minutie, ils restent la proie de marées puissantes et imprévisibles, de vents violents à la saison de la mousson et de récifs cachés. Et c'est là qu'entre en jeu la magie, qu'ils pratiquent sur le canoê pendant la construction, celle qu'ils accomplissent en début et en cours de voyage et à laquelle ils ont recours aux moments de vrai danger."

Tout comme les marins des Trobriand, les sociologues qui n'arrivent pas à gérer de manière rationnelle les périls de l'écriture ont recours à des procédés magiques qui doivent pallier l'anxiété sans compromettre le résultat.