Beorth a écrit:
Après, qu'on ne se méprenne pas sur mon propos : je ne réprouve pas le contenu de l'information. Ici, ma réflexion porte uniquement sur la temporalité et le traitement.
Pour prendre un exemple que j'ai vécu, au cours d'une de mes recherches, j'ai été amené à poser des questions sur les accidents sur des sites industriels. Certains des faits évoqués au cours d'entretiens ont touché de près les personnes que je rencontrais, mais il y a des choses dont nous avons pu parler.
Un jour que je me trouvais sur l'un des sites, il est arrivé un accident mortel. Je ne me serais absolument pas vu avoir la même discussion avec mes interlocuteurs que celle que j'avais eu quelques heures auparavant sur des sujets semblables, ne serait-ce que parce qu'il m'aurait fallu poser des questions, là où jusque là ils m'avaient parlé.
Au final, j'aurais sans doute accédé à la même information : que se passe-t-il suite à un accident. Mais pas dans la même temporalité, pas dans le même traitement.
Ensuite, il faut voir aussi une chose, c'est que dans des situations de choc comme ça, ces personnes ont souvent envie, besoin de parler.
Pour prendre un exemple issu de mon mémoire, je faisais des recherches sur des coulées de boues volcaniques qui avaient détruit un village et ses cultures (parmi tant d'autres) et tué quelques personnes. Je suis arrivée quelques mois après les évènements, et le village était en pleine reconstruction. Les gens à qui je posais les questions (assez froidement aussi), ressentaient le besoin de parler, de raconter les choses. J'en ai rencontré un qui nous en a parlé pendant plus d'une heure, sans s'arrêter. Il s'épanchait clairement, sa voix indiquait encore le choc que cela devait être, encore à ce moment, pour lui.
Dans le même genre, après le tsunami de Banda Aceh en 2004, les membres de mon labo son allé sur place pour faire des études préliminaires et là aussi, les gens, alors qu'ils leur posaient des questions purement géographiques, avaient le profond besoin de parler, de tout relater, de donner leur version, ce qu'ils avaient vécu.