Rien ne semblait clocher sur le lit, et ce constat m’irrita. J’en avais inspecté les moindres détails : dessous, matelas et structures de bois. Rien n’y faisait, mes recherches étaient vaines. Cette couche était on ne peut plus classique, et normale. Je me pris à penser que suite à ma mésaventure dans ce dédale souterrain, j’avais peut-être attrapé une fâcheuse tendance à trop me méfier d’une menace éventuelle. Les gargouilles avaient prédit des dangers, par ici, et j’étais donc sur mes gardes. Mais ne l’étais-je pas trop ? Après tout, que pourrait-il y avoir de pire que ce que j’avais vécu sous la terre ? Les fameux dangers de la maison n’étaient, peut-être, que des rats fouineurs, quelques bandits dissimulés, ou l’un ou l’autre squelette dans un placard…
Je n’eus guère le temps, cependant, de poursuivre mes réflexions sur ce sujet, car le destin se manifesta en contrecarrant mes pensées. Un bruit retentit, dans le placard, et je tournai vivement les yeux vers celui-ci. Mon regard se tourna de lui-même vers le miroir, qui semblait comme… changé. À la place de la ménestrelle se trouvait, allongée sur le lit, une petite fille d’une dizaine d’années, aux cheveux déjà grisonnants. Le bruit du placard recommença, plus fort encore, et la porte céda, envoyant Nym rouler sur le plancher. Le monstre du placard fit son apparition sous la forme d’une vieille maquerelle tenant un poignard dont la lame venait d’être trempée dans du sang frais. Un hurlement retentit : Flore était réveillée par l’apparition, qui la terrorisait visiblement.
Je dégainai aussitôt mon épée.
Car elle n’allait pas être la seule victime du placard… Les reflets de toutes les personnes présentes s’étaient modifiés, dans le miroir, et je me retrouvai, sur celui-ci, avec l’apparence que j’avais lorsque je n’avais qu’une dizaine d’années. Cheveux noirs en bataille, et yeux déjà perçants. J’effrayais certains de mes amis déjà à l’époque, sans même le vouloir. Mais ce qui arriva alors du miroir, suite à une sorte de golem de chairs mortes, et rapiécées dans un patchwork infâme, et une elfe noire munie d’un fouet terrible et d’une robe de cérémonie sombre, me fit sursauter de surprise, de terreur.
Un être apparut, auréolé de lumière douce. Il était chauve, et était muni d’un bouc blond. Il avait la parfaite apparence du prêtre de Gaïa, qui, lorsque j’étais petit, s’échinait vainement à m’inculquer de force les préceptes de sa déesse blanche. Mais… il n’était pas tel que je le voyais dans la réalité. Il était comme je le concevais dans les pires de mes cauchemars enfantins. Ses yeux étaient uniquement faits de lumière, et semblaient vouloir percer ma chair. Son armure dorée luisait tout autant, aveuglante. Je fis un pas en arrière tout en dressant mon épée d’argent. Il m’imita, comme en miroir, en dressant sa lame d’or.
Trà Thù nous enjoignait de nous battre à son côté, et j’acquiesçai intérieurement. Cet être était fait de lumière, tout comme moi. Je ne pouvais le vaincre. Et je devais en avertir mes comparses. D’une voix sombre, j’affirmai :
« Je ne peux blesser les êtres de lumière, car j’en suis moi-même fait. Combattons ces cauchemars de front ! »J’avais dévoilé un secret que j’espérais garder plus longtemps… mais la nécessité m’y avait poussé. Je m’avançai au côté de l’homme à capuche sombre, afin de renforcer nos défenses communes, et faire front ensemble, face à nos monstres. L’espèce de mort-vivant reconstitué ne me faisait pas peur : je pouvais le vaincre sans problème, tant de ma lumière que de ma lame d’argent. Et je pointai ma lame vers lui pour le tenir à l’écart.
[HRP: une petite illustration de mon "monstre", pour une meilleure visibilité]