Ha ha ha, quel allant vraiment, quel réservoir de vie contenu dans un si petit corps que celui de Silmeï, dont la pétulance ne va pas sans me rappeler celle de cadets de ma famille comme Lewis ou Igawa qui, à l’instar de la créature ailée, ont toujours su faire preuve de cette invincible confiance, non seulement en soi mais en les autres aussi, qui permet de garder en permanence la tête haute en toute situation pour faire face aux problèmes qu’ils peuvent rencontrer et jouer des pieds et des mains pour trouver une solution à tout moins un échappatoire. Je fais la comparaison sans aucune condescendance, et au fond, c’est véritablement un compliment, car en grandissant, tout le monde perd de cette magie de l’enfance qui fait qu’un être d’âge avancé finit en général toujours plus ou moins par tout voir d’une manière pince-sans-rire selon des leçons de pragmatisme qui excluent toute magie de ce qu’il peut croiser sur son chemin droit et inexorablement adulte… et justement, puisqu’on parle de magie, y aurait-il ainsi pu avoir de caractère plus adapté que celui d’un garçon bouillonnant de vitalité pour ce cryomancien aux talents multiples qui restent sans doute encore à être développés mais qui ont prouvé qu’ils sont déjà considérables ? D’ailleurs, il fait bien de lui-même reconnaître ses talents innés qui ne demandent qu’à être portés à maturité, se vantant des germes de son génie tout en conservant cette modestie espiègle qui se manifeste par le clin d’œil complice et empli de promesses d’avenir par lequel il clôt sa phrase laissée à dessein inachevée : décidément, à moins que cet aldryde ne soit un prodige de machiavélisme qui dissimulerait une personnalité roublarde et pernicieuse sous un masque bon enfant –hypothèse peu probable, on en conviendra-, je sens que nous sommes faits pour nous entendre, et dès que nous aurons fini de satisfaire notre grande curiosité à tous les deux, il faudra que nous conversions plus longtemps afin de mieux nous connaître l’un l’autre de manière à développer les prémices d’une amitié que je prévois d’ici fructueuse !
Mais en attendant, avec de nouveaux compliments qui ponctuent mon sourire d’un petit rire obligé, le voilà qui se met à cheval sur la paume de ma main, celle-ci recevant le marquant personnage avec autant de facilité que si son corps entier était fait de plumes. Dans mon enfance, Lewis, puis, récemment, Keynthara, et maintenant Silmeï… décidément, si je continue à faire des rencontres de cet acabit dans mon existence, il faut croire que j’ai une carrière de porteur toute tracée ! Comme quoi, le proverbe peut bien dire qu’on a toujours besoin d’un plus petit que soi, mais en attendant, dans le cas présent, c’est lui qui est loin d’être contre qu’une personne de taille supérieure lui porte assistance, supériorité physique dont je ne me glorifie nullement, me doutant bien que si nous devions arriver à combattre –à nouveau, hypothèse peu probable, mais je l’envisage pour le développement de mon point-, j’aurais sans doute bien du mal à estoquer ou percer un grand papillon pareil tandis que lui n’aurait aucune peine à me mettre en joue pour me refroidir au sens le plus littéral du terme ! Sans avoir peur de sauter du coq à l’âne en mentionnant l’aniathy, je me demande ce que peut devenir cet être étonnant à l’humeur justement si enfantine, de même d’ailleurs que tous ces aventuriers émérites des Sept sabres : Lillith, Cromax, Filgaren, Phanie et… Atanya, je me demande bien quels chemins leurs existences respectives ont bien pu prendre, et si je les reverrai d’ailleurs un jour…
Allons, ce n’est pas le moment de se laisser aller à une nostalgie qui ne peut que nuire à ma bonne concentration : après tout, je ne dois pas l’oublier, je ne suis pas là en touriste, ni même vraiment en raison de l’attrait de l’aventure même si celui-ci joue grandement dans mon engouement, mais parce que j’ai été mandé par le Temple, aussi pour ne pas démériter de cette fonction à l’importance qui est loin d’être moindre, gardons les yeux et les oreilles ouverts ! Gardons aussi le pied alerte et une main toujours prête à me rattraper, car si, dans le cas d’une chute, j’encaisserais sans doute sans difficulté, tel ne serait vraisemblablement pas le cas de mon comparse qui, sans être en porcelaine, risquerait fort de se casser un os à tomber d’aussi haut pour sa taille ! J’aurais bien ajouté la bouche à la liste, mais à ce niveau, mon auxiliaire ailé et zélé me semble bien être suffisamment compétent pour se passer de mon concours, n’omettant d’ailleurs pas de répondre à ma proposition de tutoiement avec la même spontanéité que jusqu’alors, me retournant au passage l’offre alors que nous approchons du poste de la capitaine, offre que je n’ai pas le temps d’accepter verbalement avant que l’intéressée ne se tourne vers nous avec une expression bienveillante à laquelle je ne peux m’empêcher de trouver quelque chose de maternel qui me ferait rougir si je ne prenais pas sur moi pour paraître plus digne que ça. Au passage, je me demande bien évidemment ce qu’est une « Acrila » (une question de plus à lui poser sur ses origines !)… cela reste à préciser, mais d’après les termes employés, ça indique probablement une mégère dans le folklore des aldrydes. Mais maintenant que nous sommes en face de la plus grande autorité à bord, que je ne reste pas là à remuer mes réflexions sans grand intérêt sans doute, et que je porte plutôt mon attention sur le visage altier d’Aëlwinn à laquelle Silmeï adresse la parole du haut du trône que je lui fournis en le portant au niveau du visage de son interlocutrice, présentant notre requête d’une manière sur laquelle je n’ai rien à redire même si j’aurais sans doute procédé de façon différente.
Et c’est la réponse extensive de l’aimable elfe qui, en faisant preuve d’une étonnante cordialité qui, loin de faire preuve de fatuité ou même d’impériosité, adopte le ton de la confidence, fait de son mieux pour répondre à notre curiosité juvénile, abordant le sujet de long en large et en travers de façon à se montrer le plus explicite possible, me laissant au fur et à mesure la bouchée si bée que, si son élongation était proportionnelle à mon étonnement, elle toucherait en ce moment même le plancher blanc. Ca peut paraître exagéré, mais nom de Rana, qui ne se sentirait pas un tant soit peu mal à l’aise de savoir que nous sommes lancés tous autant que nous sommes en direction d’une sorte de ruée vers l’or d’un calibre proprement effrayant puisque la régate qui vient dans le fond à peine d’être lancée avec frénésie depuis le port de Kendra Kâr a pour objet de ses recherches quelque chose qui pourrait bien changer la face de Yuimen si l’on se fie à la puissance que les rumeurs qui courent sur lui lui prêtent ? D’accord, comme le fait remarquer la dame aux cheveux ardents, tout ce que nous pouvons avoir comme informations ne sont que des bruits qui peuvent à bon droit paraître chimériques, dignes d’affabulations inventées pour calmer des gamins trop turbulents, mais tout de même, pour qu’une telle armada ait été lancée, il faut bien qu’il y ait une part de vérité un tant soit peu importante !
Mais voilà justement qu’elle embraye sur une préoccupation dont l’affirmation me fait vibrer la poitrine en harmonie avec les intonations fortes mais mesurées de ses paroles qui ne peuvent que renfermer la vérité : moi-même, je serais tenté de me servir d’une telle chose pour sauvegarder mon Ynorie chérie des raids orques qu’elle subit de manière quotidienne, mais le fait est que recourir à un pareil remède pourrait s’avérer pire que le mal, car les convoitises qu’un tel artefact attirerait s’avèreraient, j’en suis sûr, plus périlleuses pour mon pays natal que toutes les attaques que les armées d’Oaxaca ont pu lancer sur lui jusqu’à présent, sans compter qu’il ne serait pas impossible que l’usage s’en retourne contre ses utilisateurs, faisant ainsi revenir à la case départ, et même pire ! Si Rana est la déesse tutélaire d’Oranan, elle est avant tout la pourvoyeuse d’universelle sagesse, et c’est avec cette vertu au fond du cœur qu’Aëlwinn nous exhorte à suivre ses recommandations, la disciple de Meno ne se montrant pas bouillante et emportée à la façon d’un incendie de forêt ravageur comme on aurait pu s’y attendre, mais plutôt chaleureuse et éclairante de la même manière qu’un feu de cheminée ou une lanterne. En tout cas, la flamme qu’elle instille en cet adorateur de la déesse des vents n’est pas éteinte par l’air qui gonfle son pectoral, mais bien vivifiée, car elle fait écho à ses propres convictions d’harmonie universelle, projet certes fantasmagorique, mais qui ne pourra dans tous les cas jamais être mené à bien si nous ne faisons pas des efforts tels que ceux que propose la pyromancienne.
« Pour le bien de tous, oui ! » Réponds-je en écho à ses derniers mots. « Vous avez raison : trop de sang a déjà coulé, et si ce que nous trouverons au bout du chemin représente vraiment un tel danger potentiel, il est notre devoir absolu de faire en sorte qu’il ne puisse tomber aux mains de puissances néfastes, et vous avez mon concours absolu pour cette entreprise. Je renie Rana si j’ai menti ! »
Et sur cette formule, je me serais bien frappé le côté gauche de la poitrine du poing droit si cela n’avait pas broyé le pauvre Silmeï, mais qu’importe, je crois que mes paroles ont été suffisamment éloquentes pour démontrer ma conviction et que le regard qui ne cille pas avec lequel je rive mes yeux dans ceux de la capitaine indiquera que je ne prends pas ce que je dis à la légère.
_________________ Léonid Archevent, fier Soldat niveau 11 d'Oranan et fervent adorateur de Rana. En ce moment en train de batailler follement en compagnie d'une vingtaine d'autres aventuriers dans une gigantesque salle contre une humanoïde reptilienne géante au service d'Oaxaca, conclusion d'une rocambolesque quête.
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