Alors que je fulminais intérieurement, les nerfs à fleur de peau, Logan s’amusait de mes réactions qui pouvaient paraître un tantinet excessives soit, mais auxquelles je ne pouvais rien y faire à moins de laisser exploser toute la rage, tout le dégoût, que la tournure de cette chasse aux trésors provoquait en moi. Je réussissais de peu à ne pas perdre le semblant de contrôle que je gardais sur cette humeur des plus massacrantes et inhabituelles pour moi. Aussi, lorsqu’il continua son petit jeu badin en cette période difficile pour ma santé mentale, je fus à un cheveu de laisser enfin libre cours à mes impulsions assassines. Mais heureusement pour moi, je ne pouvais devenir plus rouge que je ne l’étais déjà, même si j’écarquillai légèrement les yeux à cette nouvelle flatterie. Mais que cherchait-il à la fin ? A m’amadouer par des mots doux ? En d’autres lieus et d’autres circonstances, je ne disais pas mais là, nous avions d’autres chats à fouetter.
« Vous… » commençai-je en lui pointant le doigt sur le torse.
Mais je dus de nouveau me mordre les lèvres pour réprimer les paroles malheureuses que je sentais prêtes à jaillir, mots irréfléchis que je risquais fortement de regretter si je les prononçais. Cependant, plus que ces considérations, ce fut la mine redevenue plus austère du baroudeur blond qui me stoppa net. J’allai même jusqu’à retenir mon souffle quand je le vis s’approcher mais, par fierté, je me refusai de reculer ou de détourner les yeux, de céder le pas une fois de plus à cet homme. Depuis qu’il était venu me parler sur le pont, je ne maîtrisais plus rien et je n’aimais pas ça, mais alors pas du tout. Cependant, je n’étais pas encore arrivée au bout de mes peines et tandis que le sens des paroles de Logan s’imprégnait en moi, toute couleur reflua de mon visage alors que mes jambes me semblaient devenir du coton.
« Cela ne se peut… » murmurai-je d’une voix blanche, comme estourbie.
Oui, j’en avais entendu parler mais, comme pour une grande majorité des habitants d’Imiftil, cette obscure menace me paraissait toujours lointaine. Une rumeur avait effectivement parcouru le continent, en tous cas dans les hautes sphères pour se répandre ensuite, après la destruction inexplicable de différentes milices dans les villes principales. Et depuis que j’avais mis les pieds sur Nirtim, les murmures affolés et interrogateurs que j’avais connus étaient ici une inquiétude réelle et palpable autour de moi. Crainte dont je ne m’étais pas occupée, trop empressée à trouver les réponses dont j’avais besoin et à apprendre la maîtrise magique qui me faisait défaut. Je dévisageais toujours celui qui se révélait être lui-même capitaine d’un autre navire, cherchant désespérément une trace de moquerie ou de mystification dans son expression fermée et sérieuse, trace que je ne trouvais pas. A trop ignorer ce danger, je me retrouvais en plein cœur de la lutte contre la Reine Noire où celle-ci, ou encore l’un de ces treize sbires comme le soulignait mon interlocuteur, se jouait de tous dans une macabre quête pour un objet de pouvoir.
La suite fut pire encore à entendre mais là où le capitaine Longargent avait allumé un brasier de colère, Logan l’étouffait d’un raz-de-marée de nécessité absolue, plus cruelle, plus capitale, plus décourageante. Je me sentais en cet instant comme une coquille vide et désemparée alors que je reculai finalement d’un unique pas vacillant vers le lit sans draps pour m’asseoir, les mains pressées contre l’estomac, un goût de bile remontant dans ma bouche. Pourquoi Zewen ? Pourquoi avoir conduit mes pas sur ce navire ? Dans cette histoire ? Contrairement à mes compagnons, je n’avais pas réellement eu envie de participer à cette chasse et maintenant je me retrouvais être le pion balloté par un adorateur des Ombres les plus noires de l’histoire de Yuimen. Je fixai de nouveau mon attention sur mon compagnon avant de lui répondre d'une voix également assourdie bien que pour d'autres raisons que lui.
« Je comprends… Mais vous ne pouvez pas me demander ça… Ces hommes ne le méritent pas… Je crois que vous m’avez mal jugée sur ce point, Logan. Tout comme Erfandir, je chercherai à les sauver. Je ne crois pas qu’entrer dans le jeu de notre tourmenteur nous aide dans cette quête qui semble effectivement de la première importance pour l’avenir de tous. Et si c’est la mort de l’équipage qui est demandée, sans être expressément celle d’hommes présents sur le navire, il n’y a qu’à les renvoyer, les défaire de leurs obligations envers l’Aigle des Océans et Kendra Kâr, couper leur lien avec cette chasse. Tout vaut mieux que ne rien faire à mes yeux. »
Tous ces sacrifices… Je ne pouvais me résoudre à les laisser arriver sans tenter tout ce qui était envisageable dans notre situation, même le plus improbable, le plus irrationnel. Le choc de ces révélations avait eu au moins un effet positif, me rendre les idées plus claires. Animée d’une nouvelle détermination exempte de la fureur et du doute qui m’obscurcissaient l’esprit peu avant, le visage toujours levé vers Logan, je repris d’un ton calme sans pour autant être serein, exposant sans détour ce que je pensais des « ordres du maître de chasse ».
« Comprenez moi bien, comme je l’ai dit au capitaine, je ferai ce qui doit être fait et je ne me défilerai pas face aux obligations… Surtout maintenant que j’en connais plus sur les enjeux. Mais je ne pense pas que leur mort soit absolument nécessaire. Y avez-vous pensé ? La mort est le domaine de notre ennemi, tous ces sacrifices le renforceraient alors qu’ils nous affaiblissent… Tout comme le mensonge et la tromperie. Puisque vous dites me faire confiance, cela veut dire que vous avez des doutes sur la loyauté de nos autres compagnons. Pourquoi ? Parce que cet… Être nous a dit qu’il y avait un traître parmi nous ? Ou parce que vous avez des preuves contre l’un de nous ? »
Je me tus quelques instants, anxieuse quant à ce qu'il pourrait me répondre à toutes ces questions s'il le faisait. Je m’étais résolue à me comporter comme s’il n’y avait pas de félon dans mon entourage, accordant une confiance à tous malgré la petite voix qui ne cessait de me mettre en garde. C’est pourquoi je ne remettais pas en question ce que Logan m’avait dit, jetant aux orties les règles les plus élémentaires de méfiance quand une atmosphère suspicieuse planait autour de soi. Au fond du couloir, retentit alors un croassement qui me fit frissonner, très certainement le corbeau du prêtre de Phaïtos et Thimoros, mais ressemblant à s'y méprendre à un rappel funeste de ce qui devait arriver.
« Si vous êtes toujours aussi confiant envers moi, sortez donc cette caisse de malheur. Nous la cherchons depuis trop longtemps maintenant. »
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