J’ai à peine terminé ma phrase que la dame pirate, jolie brin de femme aux cheveux noirs et à la peau légèrement basanée, dont les yeux en amandes brillent d’une petite lueur mesquine, me lance d’un ton moqueur:
« C’est très aimable, mais nous avons déjà pris d’autres dispositions. »
Probablement très fière de sa réplique, elle me lance un regard mauvais. Sans dire mot, je lui retourne mon sourire le plus effronté.
(Je n’ai pas dit mon dernier mot, jolie demoiselle !)
« Ha ! P’tit gars, tu ne manques pas de culot ! Ce navire, il est à moi désormais… »
Par ces paroles, le capitaine m’arrache de ma confrontation visuelle avec cette femme à la langue acérée. Je retourne donc mon attention vers ce bandit à la voix autoritaire.
Toujours dans la même position, cet homme a tout du pirate diabolique, respectant fidèlement les descriptions des récits les plus effrayants que j’ai pu lire. Il me fait peur, mais tout mon corps le nie, c’est une question de survie. Je garde mon sang froid alors qu’il me sert un sermon impressionnant, je l’avoue.
(Si je parle trop, je risque la potence.)
À présent, je connais ses intentions et elles ne sont pas des plus prometteuses pour mes compagnons de route. Je ne laisse transparaître aucune réaction et je mets de côté mon arrogance, je ne veux surtout pas qu’il fasse intervenir les marins pour me jeter dans la cale.
Je ne peux plus rien faire pour Rosie, la pirate aux cheveux d’ébène et au regard assassin vient de recevoir l’ordre de s’occuper des prisonniers.
(Encore si je savais ce que signifie: "s’occuper des prisonniers"… les tuer sans doute.)
Cette possibilité est loin de m'enchanter. La jeune demi-elfe m’a porté secours par deux fois: tout d’abord aux murailles de Kendra Kar en acceptant de jouer le rôle de ma sœur cadette, m’évitant ainsi des coups supplémentaires de la part des officiers œuvrant aux portes de la cité, et ensuite dans les ruelles où elle a fait cesser l’hémorragie, en appliquant délicatement un chiffon sur mon nez. J’avais ainsi contracté une dette envers elle. Cependant, en me rendant à la cage, et tentant de la libérer je l’ai remboursée, mon honneur est sauf. Et puis, je dois d’abord penser à ma survie. Lorsque celle-ci sera assurée, j’analyserais de nouveau la situation et je verrai alors si je peux lui apporter secours; elle m’est tout de même sympathique cette jeune femme habillée en rouge.
Avec les pirates, mon avenir est incertain, j’aurai toujours la menace pendue au bout du nez. Et puis, si un masque m’est destiné, c’est dans le coffre de l’Échangeur que je le trouverai.
(Il ne me reste plus qu’une chose à faire.) Je me tourne vers l’orque et l’interpelle tout en m’approchant doucement de lui.
« Moi, ami d’Anarazel » Ce disant, je lui montre de l’index, l’être sans nez.
« Toi, gentil et me laisses passer ».
J’ai accompagné mes paroles de gestes, le pointant d’abord et moi ensuite. Ma voix se veut douce et je parais calme alors que mon cœur bat à tout rompre. Cet être est doté d’une force surhumaine, je dois éviter de le mettre en colère. Je ne lui laisse pourtant pas le temps de digérer les paroles puisque je me dirige, sans faire de pauses, vers le coffre. Je n’ose regarder que mon objectif et j’essaie de me concentrer uniquement sur lui, afin de pouvoir contrôler mes jambes qui tremblent et pour cause : je risque à tout moment de me faire happer par cet énorme mastodonte. Comme si mon angoisse n’était pas suffisamment importante, une scène horrible, mais malheureusement bien réelle, vient de surgir de ma mémoire: je revois l’éclat de sang couvrir le visage de l’adversaire roux, puis une tête décapitée rouler sur le plancher de bois. Si ce souvenir amplifie à ce point ma frayeur, c’est parce l’orque, maintenant gardien de la boîte noire, en est l’auteur et que cet acte me rappelle son effroyable puissance.
(Ma tête certes ferait un beau trophée, mais je préfère qu’elle demeure là où elle est.)
À cet instant, la dame tatouée devrait être installée dans le nid de pie. Pourvu que mon essence, pour reprendre ses mots, lui a plu et qu’elle daigne de là-haut perchée me donner un coup de main si besoin. Même si la cible est robuste, une flèche bien visée pourrait la maîtriser, enfin je l’espère.
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Dernière édition par Mathis le Lun 3 Aoû 2009 15:23, édité 25 fois.
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