Seldell a écrit:
Keynthara se réjouit et ouvrit des grands yeux en le félicitant, parvenant finalement à éprouver un franc sentiment de joie et d’admiration. Quel progrès il avait fait ! Bientôt il retrouverait sa voix, ou du moins parviendrait-il probablement à s’exprimer. Mais il ne fallait pas brûler les étapes, et si sa voix n’était pas totalement revenue, c’était que l’heure n’était pas encore venue pour lui et qu’il ne fallait pas en abuser…
Elle se jeta dans ses bras sous son étreinte mais ne put s’empêcher de le conseiller, plaçant un petit doigt sur ses lèvres, le regard tendre…
« C’est formidable mon petit Seldell ! Mais fait attention à ne pas trop forcer sur ta voix, ça pourrait refaire marche arrière, alors maintenant, tu fais silence hein ! »
Elle lui attrapa la main spontanément, le serrant bien fort, et empochant son sac de l’autre, ils se mirent en route en oubliant un peu les évènements de la veille : ce n’était qu’un écho de plus au Mal qui les entourait et qui n’avait pas fini de faire son œuvre…
Crapahutant à ses côtés, ils arrivèrent, non loin de leur campement de fortune, sur le lieu de carnage de la veille, terre dévastée jonchée de cadavres puants sur lesquels les premiers charognards s’étaient jetés. De nombreuses fois ils remuèrent la mort, enjambant ou fouillant les restes de ce qui fut une belle armée d’orque, mais rien -hormis des armes et armures ensanglantées trois fois trop grandes pour Keynthara- ne résultat de cette recherche écœurante qui lui avait arraché plusieurs fois des hauts le cœur, à part peut-être quelques flèches ramassées dans les carquois pour refaire les réserves de Seldell.
Sans prendre de retard donc, les deux amis restèrent à l’avant de la petite troupe un peu éparpillée. La prudence aurait voulu qu’ils demeurent groupés durant la marche, mais les problèmes semblaient de plus en plus inévitables, si bien qu’ils en venaient à négliger un peu trop parfois la méfiance qui devait être de mise face à ce perpétuel danger que représentait l’île toute entière…
La Petite regagna son perchoir sur le dos de son « rouquinet adoré », comme à son habitude depuis leur début sur l’île, toujours éprouvée par son problème de chaussures qu’elle semblait être la seule à avoir. Probablement agacé par ses lamentations à propos de ses douleurs plantaires, Seldell lui fit même cadeau d’un long massage durant le trajet, qui eut le succès de la rendre un peu moins irritable…
Leur imprudence finit réellement par leur jouer des tours et un nouveau problème fit alors surface…
Keynthara sur le dos de son ami put entendre, et voir aussi à une dizaine de mètres devant eux, entre plusieurs arbres, quelques-uns de leurs compagnons en proie avec une drôle de substance collante translucide dont ils semblaient avoir du mal à se défaire et qu’ils n’avaient probablement pas détectée plus tôt. Lorsqu’il lui tapota sur la jambe et lui montra du doigt la direction d’où provenaient les sons de leurs amis, elle lui expliqua ce qu’elle était en mesure de voir de là en haut, et déjà il s’élança comme les autres au devant pour leur porter secours, cravachant avec la Petite sur ses épaules en direction des arbres et des pauvres englués…
« Seldell ! Fait gaffe là ! Regarde il y a une énorme araignée ! »
Vision d’horreur sortie d’un fourré derrière un arbre, le monstrueux animal s’approchait d’eux en faisant claquer ses pattes sur le sol une par une, émettant un bruit singulièrement strident qui ne tarda pas à s’amplifier soudain : d’autres créatures vinrent rejoindre sa congénère, sortant en nombre dans toutes les directions, plus menaçantes que jamais. Sans attendre, Seldell déposa Keynthara à terre et se prépara probablement au combat bien qu’elle ne pût en avoir la certitude. La Petite fit volte-face et jetant un dernier coup d’œil à son ami, courut pour se cacher dans le bois, sans vraiment réfléchir où, et surtout, sans faire attention aux nombreuses toiles qui étaient répandues dans les environs…
« AAAAAAAAAAAAARK ! C’est dégouttanttttt ! », cria-t-elle en trébuchant dans les filaments visqueux des araignées, tombant la tête la première mais amortie par la toile, énorme, en travers du chemin.
Elle se débattait avec acharnement pour se redresser, mais ceci fut une action très difficile pour elle. Impossible de trancher dans ces gros fils gluants, son bâton s’engluait même et dans une ultime maladresse elle s’enfonçait un peu plus encore au milieu de la toile, totalement paniquée, ne sachant plus comment faire, que d’appeler à l’aide, nageant en plein désespoir, au bord des larmes…
Mais elle n’était pas au bout de ses peines : ce n’était plus des cris et des appels, mais de véritables hurlements de terreur qui sortirent de sa bouche lorsque la Petite Aniathy vit approcher d’elle, descendant d’un arbre pour se glisser habilement dans la toile, une abominable araignée, gigantesque face à sa toute petite taille. Prise par un dernier élan de survie, elle s’élança de toutes ses forces en direction de l’endroit par lequel elle avait pénétré, mais les fils étaient comme d’horribles bras qui la retenaient prisonnière dans cet enclot souple et terriblement collant, lui arrachant des cheveux et des bouts de vêtements à chacun de ses élans…
Elle eut à peine le temps de tourner la tête pour apercevoir l’immonde créature sauter au dessus d’elle et se débâtit de toutes ses forces, se convulsant et se tordant en tous sens, écrasée par les pattes de la bête qui s’accrochaient maintenant à ses petits membres frêles. Et elle hurlait, elle appelait son Seldell qui ne pouvait venir. L’araignée déversa un liquide chaud et blanchâtre de son gros abdomen qui commença à couler sur ses jambes qu’elle sentait se raidir. Et elle frappait de toutes ses forces sur le monstre qui la dominait et qui restait impassible, enduisant petit à petit son corps, comme une momie, et qui remontait déjà ses cuisses…
Elle entendit soudain une flèche fendre l’air et l’espoir jaillit dans son esprit alors que son corps était à moitié emmailloté dans un infâme tissu organique. C’était Seldell qui volait à son secours, sectionnant à présent, à l’aide d’une flèche pointue, les filaments qui le séparaient de la Petite … et de l’araignée, en aveugle, car les fils de la toile n’étaient vraiment très visibles…
La bête, agressive, se jeta alors sur lui, abandonnant sa proie immobilisée, tournée vers le ciel, qui regardait la scène à l’envers. Elle l’encourageait mentalement, mais à présent, elle récupérait l’énergie gaspillée dans ses cris d’effroi, et ses mouvements désespérés qui avaient achevé de la calmer à présent…
Elle ne reconnaissait plus vraiment son ami qui se battait avec une incroyable fièvre, proche de la folie peut-être, elle ne comprenait pas. Alors elle retenait son souffle et luttait pour ne pas sombrer dans le néant qu’elle avait beaucoup fréquenté ces derniers temps, convaincu de l’issu de ce combat entre son rouquin déchaîné et la bête, sauvage, mais isolée…
Durant la lutte du rouquin pour sauver sa précieuse demoiselle, celle-ci ne trouva d’ailleurs pas grand-chose d’autre à faire, sur place, que de nettoyer, à l’aide de petit geste pour ne pas s’emmêler plus dans la toile, sa belle robe par endroits déchirée, et ses fines jambes recouvertes de haut en bas par le liquide durcissant, et étonnamment plus solide, mais aussi plus fragile que les filaments de l’édifice arachnéen.
Dans un dernier rugissement, la créature sembla rendre larme contre l’acharnement de Seldell, et c’est seulement à ce moment que la Petite daigna détourner la tête de son corps pour reprendre la scène à l’envers, et constater que déjà il s’approchait vers elle, prêt à la délivrer de ses chaînes, en sauveur qu’il était : celui que toutes les jeunes filles comme elle rêvaient d’avoir, juste pour elle…
« Mon Seldell ! Tu es merveilleux ! J’ai cru que jamais plus je ne croiserais ton tendre regard… Cette bête… Elle était affreuse… Et regarde tout ça, sur les jambes… C’est laid, ça colle, ça pue et ça gratte ! », déclara-t-elle, sans faire cas de l’attitude étrange qu’il avait depuis qu’il s’était présenté pour affronter le monstre, trônant telle une princesse dans les bras de son Seldell…
De retour auprès des autres, c’est seulement là qu’elle put apprendre la tragique nouvelle de la disparition d’un de leur plus fidèle compagnon : Andelys…Celui qui donné toujours une petite touche d’humour dans cette sinistre aventure avait disparut dans les tréfonds de la terre, étrangement happé par les sables, et encore un voile d’incompréhension et de tristesse absolue s’abattit sur la Petite tombée à genoux, recroquevillée sur elle-même pour pleurer à chaude larme. Elle retrouva son air austère pour le reste de la journée, celui qu’elle était à peine parvenue à effacer quelques instants au matin, mais elle était réellement bouleversée et effondrée devant tant d’injustice…