Mon sortilège de protection solaire me libère comme prévu des liens funestes, mais je sens que cette troisième débauche de magie à laquelle je viens de me livrer épuise totalement mes réserves, ne me laissant que mes dagues pour la suite du combat. Rakshok s'est relevé et se prépare à affronter la créature rapiécée tandis que son singe s'est faufilé derrière la bête pour la prendre à revers. Je me ramasse au sol et bondis sauvagement sur Taler'rhy, saisissant sa pogne brûlée et la broyant de ma main gauche pour tenter de lui enfoncer la Vipère dans la gueule. Mais le maudit est rapide et dévie mon attaque qui n'atteint que son épaule, dans laquelle elle plonge néanmoins profondément en calcinant les chairs alentours. L'amiral crie de douleur et parvient à se dégager pour tirer son épée du fourreau, de sa main gauche encore valide. Je jure intérieurement, de la réussite de mon attaque dépendait le succès de mon plan! L'idée d'affronter un type armé d'une épée avec une dague n'a rien de plaisant, c'est une danse risquée, son arme lui procurant une allonge largement supérieure que j'aurais du mal à compenser s'il sait la manier. Reste à espérer qu'il soit moins habile de la main gauche, le fait qu'il ait utilisé sa main droite pour refermer les menottes sur les poignets de Shill semble indiquer que cela pourrait être le cas, mais je ferais bien de ne pas en faire une certitude.
Je m'aperçois soudain du coin de l'oeil que la goule a profité de mon attaque sur Taler'rhy pour bondir vers nous et s'emparer de Kahena de ses quatre membres avant de prendre son envol! Avant que j'aie eu le temps d'esquisser le moindre geste, l'ignoble créature s'est élevée de plusieurs mètres dans les airs bien que ma compagne se débatte violemment, en vain car l'abjecte la tient fermement. Le hurlement que pousse alors ma bien-aimée me transperce l'âme et les tripes comme une lance chauffée à blanc:
"Kerenn! Non!"
Une lame de fond irrépressible me submerge, plus ténébreuse que le jais, engloutissant les plus infimes parcelles de cette lumière qui s'est immiscée en moi depuis que je suis sur ce monde. Une haine si pure qu'elle occulte tout, dévastatrice, absolue, mêlée d'une rage frôlant la démence. Je vais les massacrer, les oblitérer, les anéantir eux et leur progéniture, leurs proches, tous! Je vais les égorger, répandre leurs entrailles à en rougir la mer de saphir, leur arracher les yeux et bouffer leurs coeurs palpitants!
Taler'rhy découvre lui aussi ce qui se passe et lève la tête vers son comparse en criant:
"Reviens, sale chien ! Notre maître te le fera payer !"
Une part de moi hurle que je n'en ai rien à foutre de son maître, plus rien n'a la moindre importance, ce monde peut périr, l'artefact peut suçoter la vie de ses habitants jusqu'au dernier, je m'en cogne. Mais l'enfoiré qui se trouve juste devant moi, je vais le réduire en pulpe sanglante! Une autre part de mon esprit, de glace et d'airain, demeure pourtant, envers et contre tout. Forgée par une vie de guerre et de vagabondage, elle calcule, soupèse, mesure, planifie froidement avec toutes les informations que me communiquent mes sens et mes connaissances. Elle murmure que je dois impérativement éliminer Taler'rhy avant toute autre chose, que je me détourne de lui et sa lame prendra ma vie, je ne pourrais alors plus rien pour Kahena. Et Rakshok aurait du mal à s'en sortir contre lui et son familier d'après ce que j'ai pu voir de ses compétences de combat et de résistance mentale, j'ai vu la peur dans ses yeux. Mais si je tue l'amiral, l'Occultiste devrait pouvoir se charger du sanglier rapiécé pendant que je volerai à la rescousse de ma flamboyante amante. Comment, je n'en ai encore aucune idée, chaque chose en son temps.
Je me détends avec la vivacité mortelle et explosive de la vipère dont j'ai hérité le nom et qui prolonge ma main, visant la gorge découverte par le mouvement de tête imprudent de cette charogne puante de Taler'ryh.
Et quand je l'aurai massacré, il sera temps que je prenne conscience du plan que mon esprit est déjà en train de concevoir pour venir en aide à ma belle, le seul que qu'il parvienne à imaginer: foncer jusqu'à l'endroit le plus proche qui me permettra de suivre le vol de l'abomination ailée, attendre qu'elle survole la mer et me téléporter sur son dos avec le pendant d'Uraj pour lui briser les ailes et en faire de la charpie. Tenter cela maintenant serait insensé, la chute sur les rochers nous tuerait à coup sûr, Kahena et moi. Peut-être que ce "non" qu'elle a hurlé voulait justement me dire de ne pas tenter une chose pareille, peut-être que la couleur violette qu'a pris le pendant, la même qu'il arborait quand Shill l'a touché en me disant qu'il ne fonctionnerait pas avec elle signifie que je ne pourrais l'utiliser. Je n'en sais rien, je n'ai aucun moyen d'être certain de quoi que ce soit, il n'y a que des ténèbres impénétrables et des inconnues.
Je sais que ce sera une tentative désespérée, insensée et sans doute vouée à l'échec, mais que puis-je faire d'autre? Je n'ai plus de magie, aucune arme de lancer et surtout pas la compétence de la projeter avec assez de précision, j'aurais plus de chances d'atteindre ma compagne que son ravisseur. Quant à la laisser entre les mains de cette vermine qui compte l'utiliser pour ses plans damnés et tenter de la délivrer plus tard alors que je n'ai pas la moindre idée de l'endroit où il l'emmène et ce qu'il va faire d'elle, ce n'est pas une option à mes yeux. Je ne peux pas même l'envisager, c'est aussi simple que ça. Et si mon heure est venue, ma foi, j'aurais eu quelques jours heureux avant la fin. La mort a cessé de m'inquiéter voilà près de quatre siècles.
(Env. 1000 mots)
(Attaque SA avec la Vipère du Désert, visant la gorge de Taler'rhy.)
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Kerenn
Si vous ne parvenez pas à trouver la vérité en vous-même, où donc espérez-vous la trouver?
Zenrin Kushu
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