Le marchand d'armes, un Shaakt taciturne, propose des armes d'excellente qualité, poignards, dagues et sabres d'abordage principalement. Alors que Kahena se déleste de quelques lys pour s'offrir un petit poignard qu'elle attache à sa cheville, j'observe avec curiosité de bien étranges objets que je peine à identifier. Ce sont des espèces de tubes métalliques de la taille d'un homme, massifs et si pesants que je doute que quiconque puisse soulever seul pareil fardeau, encore moins s'en servir à la manière d'une arme conventionnelle. Lorsque ma compagne a achevé son marchandage, je m'enquiers auprès du marchand:
"Dites-moi, ces étranges tubes, qu'est-ce au juste? Je n'ai jamais rien vu de semblable, comment fonctionnent-ils?"
Ce qui n'est pas la stricte vérité en réalité, j'ai souvenir d'avoir aperçu des objets similaires à la Porte d'Ynorie, qui défend le duché de Luminion contre les forces d'Oaxaca, mais nul n'a pu alors m'en expliquer l'usage. Ils étaient là depuis toujours, m'avait-on répondu, traces d'un passé oublié qui ne servait aujourd'hui plus que de décoration, faute d'en connaître la fonction originelle. Quoi qu'il en soit, connaître les armes de ce monde ne sera pas un luxe s'il fallait livrer une guerre comme cela semble se dessiner d'après les différents éléments en ma possession. Et ces tubes doivent bien avoir un usage, une utilité martiale, pour être vendus par ce marchand d'armes.
L'alchimiste en revanche a des allures de charlatan, gri-gris et autres philtres douteux trônent sur son étal, une vision qui soutire un reniflement peu convaincu à ma compagne. Nous ne nous attardons donc pas et poursuivons notre visite, jusqu'à ce qu'Ilmryn réponde ma question concernant un amateur d'artefacts anciens ou un quelconque culte des divinités disparues à Kanteros. S'il ne paraît pas y avoir de bigots dans la région, les habitants de cette cité ne désirant apparemment pas perdre de temps avec d'anciennes superstitions d'après le fils de Shar'Ith, il existe par contre bel et bien un spécialiste en artefacts antiques, auquel notre guide se propose de nous conduire si nous le souhaitons. Kahena me donne à cet instant un coup de coude et s'exclame avec un grand sourire qu'elle m'avait bien dit que cette cité était formidable, une assertion que je trouve des plus amusantes compte tenu du fait que c'est la réincarnation d'une déesse qui la prononce. Je me contente néanmoins de sourire et d'approuver d'un hochement de tête avant d'acquiescer à la proposition du capitaine de nous conduire chez ce spécialiste des antiquités qu'il a mentionné.
Notre hôte nous mène dans une partie plus calme de la ville et nous conduit à une maison blanche de deux étages, pourvue de cadres de portes et de fenêtre de bois décorés par des fleurs. Il toque deux fois contre le battant de la porte d'entrée, qui ne tarde guère à s'ouvrir pour dévoiler un Garzok colossal qui nous contemple d'un air surpris. Il se décale et nous invite à entrer, révélant un intérieur éclairé par quelques bougies et encombré de nombreuses étagères sur lesquelles s'entassent parchemins, grimoires et autres objets étranges. Plus que le fatras qui encombre son antre, c'est l'orc qui monopolise mon attention. Je vais devoir lui exposer les raisons de notre venue et mieux vaudrait que mes paroles soient prudentes et soigneusement choisies, j'ignore tout de ce personnage et, une fois encore, je vais donc devoir avancer sur de la glace potentiellement pourrie. Le Garzok est légèrement plus grand que moi et bien plus massif que je ne le suis, ce qui est assez rare pour que j'en éprouve une discrète surprise. Son aspect est inquiétant, deux canines, dont l'une brisée, rendent son faciès peu aimable, l'un de ses yeux semble aveugle tandis que l'autre est recouvert d'un étrange petit objet sphérique. Vêtu d'un manteau rouge, il porte autour du cou quelques décorations de bronze et accueille sur son épaule une espèce de petit singe également vêtu, au regard trop intelligent pour son espèce.
Le Garzok nous demande d'une voix grave ce qu'il peut faire pour nous, à quoi Ilmryn répond en nous présentant que nous avons été invités par sa mère et que nous souhaitions le rencontrer. Il nous présente également notre interlocuteur, Rakshok, amateur d'objets anciens. Ce dernier nous regarde brièvement, ses yeux s'attardant plus longuement sur la dague que m'a offerte Shill et sur le gantelet de Niyx que sur nos visages, ce qui en dit long sur ses connaissances en artefacts des temps passés et l'intérêt qu'il leur porte. Je le salue d'une inclinaison polie du visage puis, l'esprit tournant à plein régime, je me donne quelques secondes en examinant les lieux d'un regard neutre, le temps de définir comment je vais aborder le sujet qui nous a mené à lui. La plus élémentaire prudence s'impose, mais à trop vouloir finasser je perdrai du temps et je n'obtiendrai pas les réponses qu'il détient peut-être. Le problème principal est que je ne sais rien de l'objet que nous recherchons, son aspect m'est inconnu, de même que son pouvoir, je ne sais même pas s'il se trouve encore dans cette ville. Ce qui me semble certain c'est qu'un tel objet doit susciter des convoitises, afficher ouvertement que je compte m'en emparer serait sans doute une mauvaise idée, du moins dans l'immédiat. D'autre part, s'il est bien la source du drainage que subissent les élémentaires et que ce drainage est volontaire, celui ou ceux qui le possèdent jouent à un jeu dont j'ignore les règles ainsi que les tenants et aboutissants, le pourquoi de cet acte a une importance cruciale et je n'ai pas le moindre indice sérieux à ce propos, rien que des suppositions plus ou moins convaincantes et possiblement totalement erronées.
Je reporte finalement mon attention sur le Garzok et le dévisage attentivement durant un seconde supplémentaire avant de me lancer, optant pour la technique du pavé dans la mare plutôt que celle des interminables circonvolutions:
"J'ai entendu une histoire intrigante, messire Rakshok. Celle d'un artefact datant d'avant le crépuscule des dieux qui aurait, d'après cette légende, mis un terme à l'existence d'Ankh-Onaka. La piste est ténue mais j'ai acquis une certitude: il se trouvait à Kanteros à la fin du Crépuscule des dieux."
Je souris aimablement au Garzok et poursuis après un instant de silence:
"Il est dit aussi que cet objet serait la source du déséquilibre de ce monde. J'ignore de quelle manière il agit mais il semblerait qu'il soit la cause, ou l'une des causes au moins, des inquiétants événements qui agitent Elysian depuis quelques temps. Evénements qui semblent augurer d'un nouveau crépuscule, d'une nouvelle ère de destruction et de chaos, du moins est-ce l'avis de certains sages que j'ai eu le privilège de rencontrer. Cette histoire vous évoque-t'elle quelque chose, messire Rakshok? Peut-être avez-vous entendu parler de cet artefact ou, mieux encore, savez-vous où il se trouve? J'aimerais beaucoup y jeter un coup d'oeil afin d'en avoir le coeur net, s'il nous faut affronter un nouveau crépuscule, autant y être préparé, pas vrai? Mon peuple ne l'était pas, la dernière fois, ce qui lui a coûté fort cher..."
(env. 1200 mots)
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Kerenn
Si vous ne parvenez pas à trouver la vérité en vous-même, où donc espérez-vous la trouver?
Zenrin Kushu
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